263 CHRONIQUE DE LA JURISPRUDENCE FISCALE COMPAREE

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263 CHRONIQUE DE LA JURISPRUDENCE FISCALE COMPAREE
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
CHRONIQUE
DE LA JURISPRUDENCE FISCALE COMPAREE
Narjes LOUKIL(*)
Enseignante à la Faculté de
Droit de Sfax
Sommaire
I- Jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes
1- Libre circulation des marchandises
2- Libre circulation des personnes
3- Libre prestation de services
4- Libre circulation des capitaux
II- Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme
1- Contentieux fiscal
2-Fraude fiscale
III- Jurisprudence française
1- Acte anormal de gestion
2- Contrôle fiscal
Avec l’intégration de la Tunisie dans un système mondial1
dématérialisé qui impose une extrême rigueur dans la gestion et une
transparence opportune, il est nécessaire, face à l’internationalisation des
relations économiques, de connaître la jurisprudence fiscale comparée.
*)
1
E-mail : [email protected]
La Tunisie a signé et ratifié un Accord d’association créant une zone de libre échange
avec la Communauté européenne et ses Etats membres le 17/07/95, entré en vigueur
le 01/03/98. Elle est devenue membre du GATT en 1990 et a signé les Accords du
GATT / OMC en 1994.
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
L’ampleur d’une chronique de jurisprudence fiscale comparée
découle de l’intérêt affirmé et actuel de la fiscalité internationale à l’heure
de la mondialisation des échanges et des flux de plus en plus importants
de marchandises, de personnes, de capitaux et de services. N’est-il pas
affirmé que « la fiscalité internationale concerne des milliers de milliards
de dollars alors que nous avons peu d’experts sur cette question »2 ?
Face à l’importance et à la complexité de ce thème, il convient de
lui accorder davantage d’intérêt d’autant plus qu’il existe une obligation
juridique pour la Tunisie de rapprocher sa législation avec le droit
communautaire3, y compris dans le domaine fiscal et douanier4. Le souci
majeur d'adapter les procédures en matière fiscale avec des standards
internationaux, ne peut que renforcer l'efficacité des mesures fiscales et
attirer les investissements. L’harmonisation est également une condition
parmi d’autres d'une meilleure intégration de l’économie tunisienne
dans l'économie mondiale. En effet, les obstacles aux quatre
libertés fondamentales5 constituent un frein majeur à l’ouverture des
2
3
4
5
Il s’agit de l’affirmation du Directeur du Programme de fiscalité internationale de la
New York University M. David Rosembloom lors d’une table ronde sur la
coopération internationale en matière fiscale organisée le 21/10/03 par la
Commission économique et financière (Deuxième Commission) . V. Communiqué
de presse AG/EF/442.
L’article 52 de l’Accord d’association précité prévoit que « La coopération vise à
aider la Tunisie à rapprocher sa législation de celle de la Communauté dans les
domaines couverts par le présent accord ».
Selon le Professeur Néji BACCOUCHE, « l’Accord d’association ne manquera pas
d’avoir des prolongements plus ou moins importants dans le droit interne en général
et dans le droit fiscal et douanier en particulier » ; « Les implications de l’Accord
d’association sur le droit fiscal et douanier » in. mélanges Habib AYADI, Tunis,
CPU, 2000, p. 5.
Les quatre libertés qui constituent le fondement du grand marché unique sont : la
libre circulation des marchandises ; la libre circulation des personnes ; la libre
prestation de services et la libre circulation des capitaux.
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
marchés6. Libre circulation des marchandises, personnes, services et
capitaux sont désormais les clés de la libéralisation des échanges et de la
compétitivité des nations.
La présente chronique, consacrée à un certain nombre de décisions
de jurisprudence rendues de 2000 à 2004, est divisée en quatre parties. La
première partie contient certaines décisions rendues par la Cour de Justice
des Communautés Européennes7 (CJCE) pour apprécier la compatibilité
des législations nationales avec les règles communautaires en matière
fiscale8 (I). La deuxième est relative à la jurisprudence de la Cour
Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) (II). La troisième partie est
consacrée à la jurisprudence française (III) qui, pour des raisons
historiques évidentes9, ne cesse d’inspirer le juge tunisien.
6
7
8
9
Rapport présenté par la Commission le 29 décembre 2000, intitulé : « Une stratégie
pour le marché intérieur des services » (COM (2000) 888).
La Cour porte toujours le nom de Cour de justice des communautés européennes car
ses compétences ne s’exercent pas encore dans le cadre des piliers « non
communautaires » de l’Union européenne, à savoir la politique étrangère et de
sécurité commune (PESC) et la coopération dans le domaine de la justice et des
affaires intérieures (CJAI). « Harmonisation européenne », Juris-classeur fiscal CA,
Fasc. 2004-5, 2002, n°1.
Les décisions de la CJCE peuvent être consultées sur l’adresse Internet suivante :
http:// europa.eu.int/cj
La législation française a constitué souvent une source d’inspiration pour le
législateur tunisien. Le droit français constitue, pour le législateur tunisien, un
héritage juridique auquel il se réfère souvent (La Tunisie est une ancienne colonie de
la France : la colonisation de la Tunisie par la France a duré de 1881 à 1956).
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
I-
JURISPRUDENCE DE LA COUR
COMMUNAUTES EUROPEENNES
DE
JUSTICE
DES
Dans l’exercice de leur compétence10, les Etats membres de la
communauté ne doivent pas contrevenir aux libertés fondamentales. En se
fondant sur les quatre libertés, la CJCE a été amenée à condamner de
nombreuses dispositions fiscales nationales.
1- Libre circulation des marchandises
Sommaire : Libre circulation des marchandises - Droits de douane
- Taxes d'effet équivalent - Impositions intérieures - Taxe ne frappant que
les marchandises importées d'autres Etats membres à l'exclusion des
marchandises nationales similaires - Incompatibilité avec l'article 95 du
traité (devenu, après modification, article 90 CE).
- Cour de justice des communautés européennes - 3 février 2000
-Affaire 228/98, points 39, Dounias, R.J.F. 2000, n°587 ; Rec. I, 2000,
p. 577.
Faits d’espèces : M. Dounias a introduit un recours à l'encontre de
la République hellénique, afin d'obtenir réparation du dommage qu'il
prétend avoir subi, en violation du droit communautaire, à la suite de la
fixation par les autorités helléniques compétentes, d'une valeur
marchande, pour des marchandises qu’il avait importées, supérieure au
prix figurant sur les factures. M. Dounias n’a pu payer qu’une partie de la
taxe réclamée de sorte qu’il n’avait pu prendre possession que d’environ
10
Sur la compétence de la CJCE, il existe une jurisprudence constante de la Cour qui
considère que « si, en l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts
directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la
Communauté, il n’en reste pas moins que les Etats membres doivent exercer leurs
compétences retenues dans le respect du droit communautaire ». V. Arrêts du
14/02/95, Schumacher, C-279/93, Rec. p. I-225, pt. 21 ; 15/01/2002, Gottardo, C55/00, Rec. p. I-413, pt. 32, et notamment l’arrêt du 28 avril 1998, Safir, C-118/96,
Rec. p. I-1897, pt. 21.
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
la moitié de la marchandise. Plusieurs questions préjudicielles ont été
posées à la Cour parmi lesquelles celle de savoir si le droit
communautaire, et en particulier les articles 30 et 95 du traité, s'oppose à
une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui
prévoit une méthode de calcul de la valeur imposable, comprenant
notamment le renvoi au règlement n°1224/8011, aux fins de l'imposition
d'une taxe sur le chiffre d’affaires (TCA), d'un droit de timbre, d'une taxe
spéciale à la consommation et d'une taxe de régulation.
Position de la Cour : La Cour a rappelé qu’un système de taxation
n'est compatible avec l'article 95 du traité que s'il est aménagé de façon à
exclure en toute hypothèse que les produits importés soient taxés plus
lourdement que les produits nationaux similaires. Elle a jugé,
conformément à une jurisprudence antérieure, que les marchandises
d'occasion importées et celles achetées sur place constituent des produits
similaires ou concurrents. Ensuite, elle a considéré que l'article 95 du
traité CE (devenu, après modification, article 90 CE) s'oppose à une
réglementation nationale, telle que celle en cause, qui prévoit une
méthode de calcul de la valeur imposable aux fins de l'imposition d'une
TCA, d'un droit de timbre et d'une taxe spéciale à la consommation si
cette méthode diffère selon qu'elle porte sur des taxes perçues sur des
produits nationaux ou sur des produits importés, de sorte qu'elle aboutit à
grever ces derniers d'une charge fiscale plus lourde. La Cour a ajouté que
l'article 95 du traité ou les articles 9 et 12 du traité CE (devenus, après
modification, articles 23 et 25 CE) s'opposent à une réglementation
nationale relative à l'application d'une taxe, telle que la taxe de régulation
en cause, qui prévoit que les marchandises provenant d'un autre Etat
11
Il s’agit du règlement (CEE) n°1224/80 du Conseil, du 28 mai 1980 relatif à la
valeur en douane des marchandises, aux fins de la détermination de la valeur
imposable des produits provenant d’autres Etats membres. Selon la cour, ce
règlement n’est pas en soi contraire au traité CE.
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membre sont assujetties à cette taxe alors que les marchandises
équivalentes produites sur le territoire national n'y sont pas assujetties.
2- Libre circulation des personnes
Sommaire : Travailleurs - Egalité de traitement - Impôt sur le
revenu - Résidence séparée des conjoints - Imposition collective pour les
couples mariés - Article 39 § 2 (ex. article 48 § 2) du traité.
- Cour de justice des communautés européennes - 16 mai 2000 Affaire C- 87/99 - Patrick Zurstrassen - Conclusions D. Ruiz - Jarabo
Colomer, J.D.I. n° 2, 2001, p. 635 ; Rec. I, 2000, p. 3337.
Faits d’espèces : M. Zurstrassen et son épouse sont de nationalité
belge. M. Zurstrassen exerce une activité salariée au Luxembourg, où il
réside, tandis que son épouse, sans profession, et ses enfants continuent à
résider en Belgique. La quasi-totalité des revenus du ménage provient de
ses revenus professionnels au Luxembourg. L'administration
luxembourgeoise des contributions directes a réclamé à M. Zurstrassen un
impôt applicable aux célibataires. Ce dernier a introduit, de ce fait, deux
recours « tendant à la réformation sinon à l'annulation » des bulletins de
l'I.R. Il a soutenu que les décisions litigieuses avaient un caractère
discriminatoire. Le T.A. de Luxembourg a décidé de surseoir à statuer et
de poser à la Cour la question de savoir si l'article 48 § 2 du traité
s'oppose à une réglementation nationale qui, en matière d'I.R., soumet le
bénéfice de l'imposition collective des conjoints à la condition que ces
derniers soient tous deux résidents sur le territoire national et refuse
l'octroi de cet avantage fiscal à un travailleur résidant dans cet État, dans
lequel il perçoit la quasi-totalité des revenus du foyer, et dont le conjoint
réside dans un autre État membre.
Position de la Cour : La Cour avait considéré que la décision des
autorités fiscales luxembourgeoises de considérer M. Zurstrassen comme
contribuable célibataire sans charges de famille, bien qu'il soit marié et
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
qu'il ait des enfants, au motif que son épouse, qui n'a pas de revenus
propres, a conservé sa résidence dans un autre État membre ne saurait être
justifiée. Par ailleurs, la Cour avait refusé que le droit luxembourgeois
soit justifié par l’argument tiré de « la facilitation du recouvrement de
l’impôt » que permet la solidarité des époux imposés collectivement.
Selon la Cour, l'article 48 § 2 du traité s'oppose à l'application d'une
réglementation nationale qui, en matière d'impôt sur le revenu, soumet le
bénéfice de l'imposition collective des conjoints non séparés ni de fait ni
en vertu d'une décision de justice à la condition qu'ils soient tous deux
résidents sur le territoire national et refuse l'octroi de cet avantage fiscal à
un travailleur résidant dans cet État, dans lequel il perçoit la quasi-totalité
des revenus du foyer, et dont le conjoint réside dans un autre État
membre.
Sommaire : Liberté d’établissement - L’imposition des plusvalues latentes prévue à l’article 167 bis du CGI en cas de transfert de
domicile hors de France est contraire à la liberté d’établissement.
- Cour de justice des communautés européennes - 11 mars 2004
- Affaire C-09/02, de Lasteyrie du Saillant, D.F. 20/2004, comm. 483,
Bernard BOUTEMY et Eric MEIER, p. 880-884.
Faits d’espèces : M. de Lasteyrie du Saillant, détenteur de
participations substantielles dans différentes sociétés, a transféré son
domicile fiscal en Belgique alors que la valeur vénale des titres était
supérieure à leurs prix d’acquisition, se trouvant ainsi soumis à l’exit tax
conformément aux dispositions de l’article 167 bis du CGI12. M. De
12
La France, à l’instar de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark, du Royaume-Uni
et de la Suède, a instauré en 1998 un régime de taxation des plus-values latentes sur
les titres de participation appartenant à des contribuables français transférant leur
domicile fiscal à l’étranger. Cette imposition connue sous le nom « d’exit tax », a été
créée en vue notamment de « prévenir la délocalisation à des fins purement fiscales
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
Lasteyrie du Saillant a demandé au CE d’annuler le décret n° 99-590 pour
excès de pouvoir en excipant de l’illégalité de l’article 167 bis susvisé au
motif qu’il est contraire au droit communautaire. Estimant que le litige
dont il est saisi présente une difficulté sérieuse au regard de la portée des
règles communautaires applicables, le CE a saisi la CJCE en lui posant la
question suivante : « Le principe de la liberté d’établissement posé par
l’article 52 du traité CE (devenu après modification, article 43 CE)
s’oppose-t-il à ce qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention
d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values
en cas de transfert du domicile fiscal, tel que celui décrit ci-dessus ? ».
Position de la Cour : La Cour a conclu à l’existence d’une entrave
à la liberté d’établissement13. Ce principe, selon la Cour, s’oppose à ce
qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention des risques d’évasion
fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values latentes, tel que celui
prévu à l’article 167 bis du CGI, en cas de transfert du domicile fiscal
d’un contribuable hors de cet Etat. Ainsi, la jurisprudence de la Cour a
condamné le système français de « l’exit tax ». Elle a considéré que la
réduction des recettes fiscales et la lutte contre la fraude fiscale ne
peuvent justifier les restrictions à la liberté d’établissement. La première
n’est pas considérée, d’une manière générale comme un motif légitime ;
la seconde est évidemment admise par la Cour, mais les moyens utilisés
doivent être « proportionnés » par rapport à l’objectif de lutte contre
l’évasion fiscale.
13
des contribuables fortunés ». Bernard BOUTEMEY et Eric MEIER, D.F. 20/2004,
comm. 483, p. 880.
L’article 43 (ancien art. 52) du traité CE pose le principe de l’interdiction des
restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le
territoire d’un autre Etat membre. La liberté d’établissement comporte l’accès aux
activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion
d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, al. 2 (art. 43, ancien
art. 52, al. 2). Juris-Classeur fiscal, 11, 2000, Fasc. 116-63, n°4, p. 2.
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
3- Libre prestation de services
Sommaire : Prestation de services - Restrictions - Taxe
communale sur les antennes paraboliques instaurée par une collectivité
locale - Entrave à la réception de programmes télévisés diffusés par
satellite - Inadmissibilité - Article 49 (ex. article 59) du traité.
- Cour de justice des communautés européennes - 29 novembre
2001 - Affaire C-17/0 - François de coster - Conclusions D. Ruiz - Jarabo
Colomer, J.D.I. n°2, 2002, p. 585 ; Rec. I, 2001, p. 9445.
Faits d’espèces : Un Conseil communal belge avait prévu la
perception d’une taxe communale, frappant uniquement les antennes
paraboliques, due par le propriétaire de l’antenne. La commune invoquait
que cette taxe avait été instaurée afin de tenter d’endiguer la prolifération
anarchique de telles antennes sur le territoire de la commune. M. De
Coster a introduit une réclamation contre la taxe sur les antennes
paraboliques mise à sa charge en considérant qu’elle engendre une
entrave à la libre réception des programmes de télévision en provenance
d’autres Etats membres qui est contraire au droit communautaire. La
question de savoir si la taxe est compatible ou non avec les dispositions
de l’article 59 du traité est posée à la Cour.
Position de la Cour : La Cour a constaté la violation de la libre
prestation des services. Elle a considéré que l’instauration d’une taxe sur
les antennes paraboliques impose à la réception d’émissions télévisées,
diffusées par voie de satellite, une charge qui ne pèse pas sur celle
d’émissions transmises par câble : ce dernier moyen de réception n’est
pas soumis à une taxe similaire à la charge du destinataire. Selon la Cour,
une pareille taxe est de nature à dissuader les destinataires de services de
radiodiffusion télévisuelle établis sur le territoire de la commune de
rechercher un accès aux émissions de radiodiffusion, en provenance
d’autres Etats membres, dès lors que la réception de telles émissions est
soumise à une charge qui ne pèse pas sur celles des émissions émanant
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
d’organismes de radiodiffusion établis en Belgique. En admettant qu’une
mesure fiscale nationale entravant l’exercice de la libre prestation de
services pouvait constituer une mesure prohibée, la Cour affirmait qu’il
est indifférent que la mesure fiscale en cause émane, comme dans le litige
au principal, d’une collectivité locale et non de l’Etat lui même.
Sommaire : Prestation de services - Impôts sur les revenus et
bénéfices - Retenue à la source - Artistes et sportifs – La retenue assise
sur les revenus bruts des non-résidents est contraire au traité CE.
- Cour de justice des communautés européennes - 12 juin 2003Affaire C-234/01, Arnoud Gerriste, D.F. 13/2004, comm. 374, concl.
Léger ; Rec. 2003, p. 5933, concl. Léger ; R.J.F. 2003, n°1189.
Faits d’espèces : M. Gerriste, qui réside aux Pays-Bas, a accompli
en Allemagne une prestation temporaire, pour laquelle il a perçu des
revenus dont l’imposition est contestée devant la juridiction de renvoi
(Finanzerich Berlin). Ladite juridiction a décidé de surseoir à statuer et de
poser à la CJCE la question de savoir si les articles 59 du traité CE
(devenu après modification, art. 49 CE) et 60 du traité CE (devenu art. 50
du traité CE) s’opposent à une législation nationale qui, en règle générale,
d’une part, prend en compte, lors de l’imposition des non résidents, les
revenus bruts sans déduction des frais professionnels alors que les
résidents sont imposés sur leurs revenus nets après déduction de leurs
frais professionnels et, d’autre part, soumet les revenus des non-résidents
à un impôt définitif au taux uniforme de 25%, retenu à la source, alors
que les revenus des résidents sont imposés selon un barème progressif
incluant une tranche de base non imposable.
Position de la Cour : La Cour a décidé qu’est contraire aux
articles 49 et 50 du traité CE, relatifs à la libre prestation de services, la
retenue à la source pratiquée en Allemagne, au taux de 25 %, au titre de
prestations artistiques, sportives ou similaires réalisées sur le territoire
national par des non-résidents qui est effectuée sur les revenus nets, après
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
déduction des frais professionnels. Pour la Cour, « une réglementation
nationale qui refuse aux non résidents, en matière d’imposition, la
déduction des frais professionnels, accordée en revanche aux résidents,
risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres
Etats membres et comporte donc une discrimination indirecte selon la
nationalité ».
En revanche, les articles 49 et 50 du traité ne s’opposent pas à
cette même législation en tant qu’elle soumet les revenus des nonrésidents à un impôt au taux uniforme de 25%, alors que les revenus des
résidents sont imposés selon un barème progressif incluant une tranche de
base non imposable, à la condition que le taux de 25 % ne soit pas
supérieur à celui qui serait effectivement appliqué selon le barème
progressif aux revenus nets majorés du montant correspondant à la
tranche de base non imposable.
Dans ses conclusions, M. l’avocat général LEGER, souligne que
« la non déductibilité des frais professionnels des non-résidents n’est pas
justifiable par le principe dit de la « cohérence du système fiscal ». La
législation allemande qui prévoit l’imposition des revenus d’un nonrésident au taux forfaitaire de 25 % n’implique en aucune manière, et ce,
même au titre de la cohérence du système fiscal, que ce soient les revenus
bruts dudit non-résident qui soient imposés ».
4- Libre circulation des capitaux
Sommaire : Capitaux - Restrictions - Régime d’autorisation
préalable pour les investissements directs étrangers - Ordre public et
sécurité publique - Violation du principe de sécurité juridique - Article 58
§ 1, sous b (ex-art. 73 D § 1, sous b) du traité.
- Cour de justice des communautés européennes - 14 mars 2000Affaire C-54/9 - Association Eglise de Scientologie de Paris -
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Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
Conclusions A. Saggio - Rec. I, 2000, p. 1335 ; J.D.I. n°2, 2001, p. 648.
Faits d’espèces : L'association Église de scientologie de Paris,
association de droit français, et le Scientology International Reserves
Trust, trust britannique, ont demandé au Premier ministre d'abroger
certaines dispositions réglementaires françaises prévoyant un régime
d'autorisation préalable des investissements directs étrangers. Suite au
rejet de leur demande par ce dernier, ils ont contesté ladite décision pour
excès de pouvoir devant le C.E. Ils ont invoqué la méconnaissance des
règles communautaires relatives à la libre circulation des capitaux. Le
Conseil d'État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la
question préjudicielle suivante : Les dispositions de l'article 73 D § 1,
sous b)14, du traité, permettent-elles à un Etat membre de maintenir un
régime d’autorisation préalable pour les investissements directs étrangers
de nature à mettre en cause l'ordre public ou la sécurité publique ?
Position de la Cour : La Cour semble condamner, en toutes
hypothèses, le jeu de l’autorisation préalable des investissements
étrangers. Le décret français du 14 février 1996, modifiant celui du 29
décembre 1989, maintient en effet un régime d’autorisation préalable des
investissements étrangers « de nature à mettre en cause l’ordre public, la
santé publique ou la sécurité publique ». Or, la règle est jugée par la Cour
indéterminée. Elle ne permet pas aux investisseurs d’être informés des
« circonstances spécifiques » dans lesquelles une autorisation préalable
est nécessaire, et les empêche, contrairement à l’impératif de sécurité
juridique, de connaître l’étendue de leurs droits et obligations découlant
de l’article 73 B du traité (devenu art. 56 CE).
14
L’article 73 D § 1 sous b) du traité (devenu article 58 § 1 sous b) CE), interdisant
toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres ne porte pas
atteinte au droit qu’ont les Etats membres de prendre des mesures justifiées par des
motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique.
274
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
II- JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES
DROITS DE L’HOMME
La CEDH a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des
allégations de violation de la Convention européenne des droits de
l’homme signée en 195015.
1- Contentieux fiscal
Sommaire : Procédures fiscales - Droits et obligations de
caractère civil - Applicabilité de l’article 6 § 1 de la convention
européenne des droits de l’homme aux contentieux fiscaux - Procès
équitable - Délai raisonnable - Droits et obligations de caractère civil.
- Cour européenne des droits de l'homme (grande chambre) - 12
juillet 2001 - Ferrazzini C/Italie, D.F. 2002, p. 438
Note : Dans cette affaire, la Cour confirme que les procédures
fiscales ne sont pas soumises au délai raisonnable garanti par la
Convention européenne des droits de l'homme. L'arrêt Ferrazzini s'inscrit
dans une jurisprudence constante. Celle-ci pourrait cependant être remise
en cause.
Selon la jurisprudence de la Cour, la notion de "droits et
obligations de caractère civil " ne peut être interprétée uniquement par
référence au droit interne de l'Etat défendeur. A plusieurs reprises, la
Cour a affirmé le principe de " l'autonomie " de cette notion au sens de
l'article 6 paragraphe 1er de la Convention. Elle a considéré, en second
15
En 1998, la CEDH est devenue permanente, mettant ainsi fin au système initial où
deux organes fonctionnant à temps partiel, la commission et la CEDH, examinaient
successivement les affaires. V. Communiqué du Greffier Paul Mahoney dans
l’affaire FERRAZZINI c. Italie. V. ci-dessus.
275
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
lieu, qu’une procédure fiscale a évidemment un enjeu patrimonial, mais le
fait de démontrer que le litige est de nature " patrimoniale " n'est pas
suffisant à lui seul pour entraîner l'applicabilité de l'article 6 paragraphe
1er sous son aspect civil. Pour la Cour « le contentieux fiscal échappe au
champ des droits et obligations de caractère civil en dépit des effets
patrimoniaux qu’il a nécessairement quant à la situation des
contribuables »16.
L’interprétation donnée par la Cour n’est pas favorable au
contribuable qui pourrait être, comme tout justiciable, victime de la
lenteur de la justice en dépit de la possibilité d’obtenir le sursis de
paiement de l’imposition contestée17. Dans le cadre du contentieux fiscal,
la nécessité de garantir un délai raisonnable pour trancher un litige trouve
son fondement paradoxalement dans le droit interne18.
Le contentieux fiscal relève des deux ordres de juridiction et il
existe des solutions spécifiques qui sont dictées soit par des textes
législatifs, soit par la jurisprudence elle-même. Pour les juridictions
judiciaires, c’est l’article L. 781 du code de l’organisation judiciaire qui
régit la question en ce sens que « l’Etat est tenu de réparer le dommage
causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette
responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de
16
17
18
Cette position est également retenue par le Conseil d'Etat français qui a jugé que
l'article 6-1 n'est pas applicable aux litiges relatifs à l'assiette de l'impôt ou à son
recouvrement, à la différence de la Cour de Cassation française ( Cass. 14 juin 1996,
Kloeckner « Mais attendu que si le droit de toute personne à un procès équitable,
garanti par l'article 6-1 … peut être invoqué devant toute juridiction civile statuant
en matière fiscale » ).
V. par exemple CE 8ème et 3ème sous sect., 6 novembre 2002, req. n°246830 SA Le
Micocoulier, sur la demande de suspension de l’imposition, D.F. 2003, n°9, p. 376.
Maurice-Christian, « Une nouvelle garantie pour le contribuable : le litige fiscal doit
être jugé dans un délai raisonnable », Petites affiches, 11 avril 2003, n° 7, p. 11.
276
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
justice ». Traditionnellement, le déni de justice est qualifié d’une manière
large comme un manquement de l’Etat à son devoir de protection
juridictionnelle de l’individu. Le retard anormal mis par une juridiction à
rendre sa décision est susceptible de constituer un déni de justice surtout
lorsque la juridiction s’abstient de répondre dans les délais raisonnables
ou lorsque le juge ne procède à aucune diligence pour faire juger l’affaire
en temps utile19.
En ce qui concerne les juridictions administratives, la condition
de l’existence d’une faute lourde dans l’exercice de la fonction
juridictionnelle était exigée pour engager la responsabilité de l’Etat20.
Mais à travers l’arrêt du 28 juin 200221, le CE ne s’est véritablement pas
placé sur le terrain de l’appréciation de la faute de l’Etat. Le requérant a
invoqué exclusivement la violation de la notion du délai raisonnable
consacrée par l’article 6 de la CEDH. Le CE, dans l’arrêt précité s’est
fondé sur la notion du délai raisonnable. Il a considéré que ce délai doit
s’apprécier d’une manière globale en tenant compte des exercices de
voies de recours et de la complexité de procédures et compte tenu des
circonstances du litige et de sa nature à ce qu’il soit tranché rapidement.
Cette formule retenue par le CE était proche de celle de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a rappelé la
spécificité du contentieux administratif français et les règles de procédure
devant le juge administratif selon lesquelles la procédure est
inquisitoriale, secrète et écrite. Il appartient dès lors au juge administratif
19
20
21
Trib. Ins. Paris 7ème arrondissement, le 10 juillet 1999, Ponnau c/ Trésor, pour les
requêtes en interprétation ou en omission de statuer laissées pendant presque un an.
Trib. gr. Inst. Paris 30 mai 1990, Vaney c/ Trésor, Grief d’abstention contre un juge
d’instruction, juris-data n° 45-194.
CE du 29 décembre 1978, Darmont, D.S 1979, jur. P. 278 avec la note de M.
Vasseur, Rec. Leb. P. 542.
CE 28 juin 2002, Gaz. Pal. du 13 octobre 2002.
277
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
d’exercer ses pouvoirs relatifs au déroulement rapide et loyal de la
procédure. Le délai raisonnable « apparaît désormais, non seulement
comme étant un principe général de droit, mais comme faisant partie du
socle des droits fondamentaux qui gouvernent les Etats signataires de la
convention européenne des droits de l’homme »22.
2- Fraude fiscale
Sommaire : Fraude fiscale - Manquement continu à l’obligation
de déclaration des revenus - Infraction continue - Peine appliquée
rétroactivement - Violation de l’art. 7 § 1 de la convention.
- La Cour européenne des droits de l'homme - Affaire Veeber c.
Estonie req. n° 45771/99, Arrêt Strasbourg 21 janvier 200323.
Faits d’espèces : Le requérant est propriétaire de la société AS
Giga. Après avoir découvert que la société n’avait pas acquitté certains
impôts auxquels elle était assujettie, l’administration fiscale municipale
lui enjoignit de payer les sommes dues. Le requérant fut accusé de fraude
fiscale, d’usage de faux documents et d’avoir conclu un contrat fictif pour
contourner la législation fiscale. Le tribunal municipal ordonna au
requérant de verser à l’administration fiscale municipale le montant des
impôts non payés. Aucune amende ou majoration d’impôt ne fut infligée
à l’intéressé. La Cour d’appel de Tartu confirma la condamnation du
requérant. Elle estima qu’il s’était engagé dans des activités délictueuses.
L’intention délictueuse était établie du fait que l’intéressé avait dissimulé
consciemment et volontairement des matières imposables et s’était
soustrait au paiement des impôts. La Cour suprême, souscrivant au
raisonnement de la Cour d’appel, confirma que le manquement continu
d’une personne à l’obligation de déclarer ses sources de revenus et de
22
23
Jean-François FRIEGH, Le délai raisonnable : office du juge et office de l’autorité
publique, Petites affiches, 26 juin 2003, n°127, p. 4.
Peut être consultée sur le site Internet : www.echr.coe.int
278
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
payer les impôts dus engendrait une situation délictueuse continue. Le
requérant allègue en particulier que sa condamnation constitue une
application rétroactive du droit pénal, au mépris de l’article 7 § 1 (pas de
peine sans loi) de la convention des droits de l’homme.
Position de la Cour : La Cour rappelle que, par définition,
une « infraction continue » est un type d’infraction commise sur une
certaine période. Elle constate que le requérant a été accusé et reconnu
coupable d’avoir intentionnellement, de façon continue et sur une grande
échelle, dissimulé des sommes imposables et soumis à l’administration
fiscale de fausses informations sur les dépenses des sociétés pendant une
certaine période. Si le point de départ de l’activité délictueuse du
requérant est antérieur à l’entrée en vigueur de la disposition légale en
vertu de laquelle il a été condamné, les tribunaux ont estimé que cette
activité avait entraîné une situation délictueuse continue qui s’est
poursuivie après la date en cause. La Cour observe que, conformément au
texte de l’article 148-1 du code pénal avant sa modification en 1995, une
personne pouvait être tenue pour responsable au pénal pour fraude fiscale
seulement « sous réserve qu’une sanction administrative lui eut été
infligée pour une infraction similaire ». Cette condition constituait donc
un élément de l’infraction de fraude fiscale, sans lequel une
condamnation pénale ne pouvait pas être prononcée.
La Cour relève en outre qu’un nombre considérable des actes pour
lesquels le requérant a été condamné remonte exclusivement à une
période antérieure à janvier 1995. La peine infligée à l’intéressé tenait
compte des actes commis tant avant qu’après janvier 1995. La Cour
estime que les juridictions internes ont appliqué rétroactivement la
modification législative de 1995 à des activités qui ne constituaient pas
auparavant une infraction pénale. Il en résulte qu’il y a eu violation de
l’article 7 § 1 de la convention.
279
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
III- JURISPRUDENCE FRANÇAISE
La justice française comporte deux ordres juridictionnels. Selon la
nature de l’impôt, objet de la contestation, l’ordre administratif ou l’ordre
judiciaire pourront être compétents pour trancher le contentieux fiscal24.
1- Acte anormal de gestion
Sommaire : BIC- Acte anormal de gestion - Subvention accordée
à une société sœur sans contrepartie - Défaut de stipulation d’intérêt Acte anormal (oui).
- Cour administrative d’appel, Nancy - 2ème ch., 4 juillet 2002,
rec. N° 99-752, Sté Usines Claas France, DF 2003, n° 8, comm. N° 140,
p. 325.
Sommaire : BIC - Acte anormal de gestion - Prêts sans intérêt
accordés par une filiale à la société mère- Justification d’une contrepartie
commerciale - Acte anormal (non).
- Cour administrative d’appel, Paris - 2ème ch., 29 novembre
2001, rec. N°98-4454, Société Sogers, DF 2003, n°8, comm. N°139,
p. 325.
Note : La Cour administrative d’appel de Nancy a jugé que
l’octroi d’une subvention sans contrepartie à une société sœur est un acte
anormal de gestion surtout en l’absence d’intérêt sur les montants à
rembourser. Mais lorsqu’une filiale accorde un avantage à sa société mère
qui est en difficulté, cette opération n’est pas considérée comme un acte
anormal de gestion et c’est ce que la Cour administrative d’appel de Paris
24
V. avec plus de détails : Frédéric ARNOUX, Julien BERNARD, Romuald
PEIGNOT, « La répartition des compétences juridictionnelles en matière fiscale »,
Rapport de recherche, DESS Contentieux et procédures d’exécution, Université
d’Aix-Marseille III, UFR de sciences juridiques, mars 2001.
280
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
a décidé dans l’arrêt du 29 novembre 2001. En l’espèce, les difficultés de
la société mère étaient de nature à compromettre la poursuite des activités
commerciales de la filiale. La Cour administrative d’appel de Paris a
considéré que le fait pour une filiale de renoncer à percevoir des intérêts
sur les prêts consentis à sa société mère ne constitue pas un acte anormal
de gestion. Malgré le caractère excédentaire de ses résultats
d’exploitation, la société mère qui avait perdu plus de la moitié de son
capital et connaissait d’importants reports à nouveau négatifs, se trouvait
dans une situation financière difficile. Ainsi, l’abandon de l’intérêt
consenti pour sauvegarder les propres intérêts commerciaux ne constitue
pas un acte anormal de gestion.
2- Contrôle fiscal
Sommaire : Distinction entre le droit de communication et la
vérification de comptabilité- Définition- Critères de distinction- Les
garanties des contribuables lors de la vérification.
- Conseil d’Etat - 6 octobre 2000, req. n°208765, SARL Trace,
R.J.F. 12/00, n°1497 avec chronique de J. Maïa, p. 895, D.F. n° 36,
Année 2002, p. 1113, comm. n°657.
Note : Le droit de communication et la vérification de
comptabilité sont des prérogatives de l’administration fiscale qui
permettent à celle-ci d’exercer son droit de contrôle sur la situation fiscale
du contribuable. Il s’agit cependant de deux procédures différentes qu’il y
a lieu de distinguer. «L’intérêt de cette distinction tient à ce que les
garanties dont sont assorties, pour le contribuable, les opérations de
contrôle, ne sont pas les mêmes selon que l’on se trouve dans le champ de
l’une ou l’autre procédure »25.
25
Laurent OLLEAN, « Quand la vérification de comptabilités absorbe le droit de
communication », RJ.F 1/03, Chronique, p. 3.
281
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
Les critères de distinction entre le droit de communication et le
droit de vérification de comptabilité n’ont pas été fixés par les textes
fiscaux. Il revient alors au juge de déterminer les critères de chaque étape
de contrôle. C’est dans ce cadre que s’insère la décision du CE du 6
octobre 2000 qui a jugé que le droit de communication a « seulement
pour objet de permettre au service, pour l’établissement et le contrôle de
l’assiette d’un contribuable, de demander à un tiers, ou éventuellement,
au contribuable lui-même sur place ou par correspondance, de manière
ponctuelle, des renseignements disponibles sans que cela nécessite
d’investigations particulières, ou dans les mêmes conditions de prendre
connaissance et, le cas échéant, copie de certains documents existants qui
se rapportent à l’activité professionnelle de la personne auprès de
laquelle le droit est exercé ». La haute assemblée a profité de cette
décision pour actualiser la définition de la vérification de comptabilité
donnée par la jurisprudence antérieure26. Le CE a estimé ainsi qu’ « en
vue d’assurer l’établissement d’impôts ou de taxes totalement ou
partiellement éludés par les intéressés, …contrôle sur place la sincérité
des déclarations fiscales souscrites par cette entreprise ou ce
contribuable en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces
justificatives dont elle prend alors connaissance et dont le cas échéant
elle peut remettre en cause l’exactitude ». L’importance de la distinction
entre ces deux procédures est liée aux garanties reconnues au contribuable
et, notamment, au danger de voir l’administration fiscale abuser des
facilités qui lui ont été offertes lors de l’exercice du droit de
26
CE, 13 mars 1967, n°62338, Conclusions de M. le commissaire de gouvernement
LAVONDES, DF n° 45, 1967, p. 10 ; CE, 3 juin 1983, req. n° 34253, Trépied, DF
n° 19, 1984, p. 492.
282
Chronique de la jurisprudence fiscale comparée
communication27. La soumission de l’exercice du droit de communication
à un formalisme minimal, risque de permettre l’absorption du droit de
communication par la vérification de comptabilité, et par conséquent, de
priver le contribuable des garanties instituées par le législateur lors d’une
vérification de comptabilité. Il était, donc, nécessaire de définir le droit de
communication. La définition apportée par la jurisprudence du CE a été
jugée de précieuse et fructueuse car, non seulement elle constitue pour
l’administration une invitation constante à la rigueur et à la clarté, mais
aussi, elle est de nature à « dissiper certaines des craintes suscitées par
l’extension du droit de communication et à renforcer l’effectivité des
garanties légales accordées aux contribuables »28.
Le droit de communication s’analyse comme un instrument
juridique du contrôle d’assiette exercé sans formalités particulières29 alors
même qu’il peut être effectué sur place à l’instar de la vérification de
comptabilité qui est enserrée dans un formalisme assez rigide servant de
protection aux contribuables30. La vérification de comptabilité est entourée
de garanties plus substantielles pour le contribuable.
27
28
29
30
Sur l’intérêt de la distinction, V. Jack MEURANT, « La distinction entre droit de
communication et vérification de comptabilité : Application aux entreprises et aux
sociétés », Revue des sociétés, 1984, n°102, p. 489.
Jean MAIA, Les outils du contrôle fiscal et leur combinaison : Précisions sur les
domaines respectifs du droit de communication et de la vérification de comptabilité,
R.J.F. 2000, n° 12, p. 902.
C.E., 6 octobre 2000, req. n°208765, « SARL Trace », D.F. 2000, n°49, comm. 975,
concl. G. Bachelier.
Gilbert TIXIER et Michel PROUZET, Cours de finances publiques, Paris, Les cours
de droit, 1972-1973, p. 601.
283

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