Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents

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Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents
institut du développement durable et des relations internationales – 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris – France – Tél. : 01 53 70 22 35 – [email protected] – www.iddri.org
GOUVERNANCE MONDIALE
Satisfaire la croissance
énergétique des pays
émergents
Bertrand Chateau (Enerdata)
Ce texte a été présenté lors
d’une session du séminaire
« Pays émergents et aide
publique au
développement », organisé
par l’Iddri, avec le soutien
du ministère des affaires
étrangères (DgCID).
This paper has been
presented at the
Development Assistance
and Emerging Countries
Tous droits réservés
workshop. It was organized
by IDDRI with the support
of DGCID (French
Ministry of Foreign Affairs).
Satisfaire la croissance énergétique des pays
émergents
Bertrand CHATEAU
Ingénieur ECL, docteur en économie de l’énergie, co-fondateur et président d’Enerdata SAS
Le constat est aujourd’hui alarmant : au vu des besoins inédits des grands pays émergents, la
généralisation du modèle énergétique de l’OCDE ne semble plus conciliable avec le
développement durable. L’analyse des raisons de cette incompatibilité conduit à s’interroger sur le
lien entre développement socio-économique et croissance des besoins énergétiques : le modèle
historique de l’OCDE est-il, de ce point de vue, universel, ou traduit-il des circonstances historiques
particulières ?
En termes de stratégie énergétique, le paradigme qui domine le monde depuis plus d’un siècle est
fondé sur l’histoire industrielle de l’Europe et des États-Unis. S’il est vraiment impossible à
généraliser à l’ensemble de la planète dans la perspective du développement durable, des
alternatives crédibles existent-elles ? La prospective invite à penser autrement la satisfaction des
besoins en énergie croissants des pays émergents, pour tenter de mieux concilier exigences de
développement, tensions sur les ressources énergétiques et montée des périls environnementaux.
CROISSANCE DES PAYS EMERGENTS ET MONTEE DES PERILS
En termes de ressources énergétiques comme de menaces sur l’environnement, la planète ne
pourrait supporter une généralisation de la consommation d’énergie des grands blocs développés
(Amérique du Nord, Europe) aux puissants blocs émergents que constituent la Chine, l’Inde, voire
le Brésil. Elle semble pourtant déjà à l’œuvre : sur les quinze dernières années, près de 80 % de
l’augmentation de la production mondiale de combustibles fossiles, notamment du pétrole, a servi à
faire face à la montée de la demande énergétique des pays émergents, en Asie et en Amérique
latine principalement. Le charbon, à égalité avec le pétrole, compte pour 40 % dans cet
accroissement de consommation de fossiles dans les pays en développement
Rapporté à leur poids dans la population mondiale (74 %), le prélèvement des pays en
développement sur les ressources fossiles de la planète (35 %) reste aujourd’hui minime comparé
à celui des pays industriels. Mais si, comme tout le laisse à penser, le rythme auquel se
développent les besoins de la Chine, de l’Inde et du Brésil se poursuit pendant encore deux à trois
décennies, et s’applique à un nombre croissant de pays émergents, notamment dans le reste de
l’Asie et en Amérique latine, alors on assistera à un bouleversement complet dans la géographie
des besoins énergétiques et des flux d’échanges.
Dans les projections de référence établies avec le modèle POLES 1 pour la Commission
européenne (World Energy Technology Outlook-H2), les pays en développement, qui consomment
aujourd’hui 1,5 fois moins d’énergie que les pays développés, en consommeront en 2050 plus de
1,5 fois plus. Nul doute que leurs répercussions économiques et géopolitiques seront
considérables, comme l’illustre la projection des soldes d’importation et d’exportation de pétrole par
région (Figure 1).
1
POLES est une des principales références internationales de modèle mondial du secteur énergétique. Il est
basé sur le principe des équilibres partiels : équilibre offre / demande par grands pays et grande région du
monde ; équilibre offre / demande sur les grands marchés énergétiques mondiaux.
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
■ Figure 1 : Evolutions des flux pétroliers
Source : WETO, 2006
L’immense nuage brun qui survole la plus grande partie de l’Asie de façon quasi permanente donne
une première mesure du coût environnemental de la croissance énergétique de l’Asie. Mais cela
reste, d’une certaine façon, un problème régional, qui n’interfère que faiblement avec le reste de la
planète. Il en va différemment des émissions de gaz à effet de serre. Selon la même projection de
référence, les émissions mondiales de CO2- énergie pourraient plus que doubler d’ici 2050, de 5,5
à 12 MteC par an, celles des pays en développement étant multipliées par 5 sur la même période.
Si la responsabilité des pays industriels dans ces émissions reste aujourd’hui écrasante, la
croissance énergétique attendue des grands pays émergents, si légitime soit-elle, pose à
l’ensemble de la planète un défi environnemental sans précédent.
Au-delà du prélèvement sur les ressources, la croissance énergétique des pays émergents va
également s’accompagner d’investissements et de besoins de financement considérables dans les
infrastructures énergétiques, notamment électriques. La projection précédente implique un
quadruplement de la capacité de production électrique d’ici 2050 dans le monde : cela représente
360 000 MWe à construire chaque année, soit 350 milliards d’euros de besoins annuels
d’investissement pour les centrales, et quasiment l’équivalent pour les infrastructures de réseau.
Le système financier international a la capacité de mobiliser des financements à cette hauteur
compte tenu des perspectives de croissance économique envisagées. On peut en revanche
s’interroger sur les conditions économiques, institutionnelles et politiques susceptibles de garantir,
d’un côté, la rentabilité de ces investissements et, de l’autre, l’adéquation des capacités de
financement aux besoins. Les options que retiendront les pays émergents en matière de
libéralisation des marchés se révéleront certainement déterminantes. Certaines crises récentes
(Californie, Brésil) ont montré par exemple les limites de modèles de marché où les prix de vente
ne pouvaient garantir la rentabilité des investissements.
2
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
Le tableau mondial brossé par ces projections est donc préoccupant. Mais elles ne doivent pas être
prises comme des prédictions. Leur intérêt majeur est d’attirer l’attention sur les conséquences
d’une généralisation progressive des modes de vie et de production actuels des pays industriels
aux pays émergents.
Il est d’ailleurs vraisemblable que les choses se passeront très différemment : ces évolutions sont
en soi trop porteuses de conflits d’intérêt entre les grandes régions du monde pour qu’il n’y ait pas,
ou bien un chemin pacifié radicalement différent – si ces conflits sont suffisamment anticipés et
gérés collectivement –, ou bien une issue conflictuelle avec des gagnants et des perdants, s’ils ne
le sont pas. La recherche de développement durable renvoie aux issues pacifiées de ces conflits
d’intérêts, seules à même de garantir à tout un chacun le droit au développement. La construction
d’autres scénarios prospectifs permet d’explorer le contenu de telles issues et leurs conditions de
réalisation.
DEVELOPPEMENT ET ENERGIE : PLAIDOYER POUR UNE RELECTURE
La plupart des prospectives énergétiques concernant les pays en développement, en particulier
celles de l’AIE, s’appuient sur la reproduction d’un modèle de développement extrapolé de celui
qu’ont connu les pays de l’OCDE depuis un siècle et plus. En particulier, elles reproduisent la façon
dont la croissance économique a induit celle des besoins énergétiques, alors même que la
robustesse de cette relation doit être interrogée au regard de l’avenir des pays en développement.
Re-questionner l’intensité énergétique
Le concept d’intensité énergétique est au cœur de la représentation du lien entre croissance
économique et croissance énergétique. Les courbes historiques de l’intensité énergétique des pays
industriels depuis un siècle ont une allure de cloche (2), généralement interprétée comme suit.
L’industrialisation, première phase du développement, entraîne une croissance des besoins
énergétiques plus rapide que celle de l’économie : l’intensité énergétique croît avec le PIB. Dans
une seconde phase du développement, les activités de service, moins consommatrices d’énergie,
prennent progressivement le relais des activités industrielles dans la croissance du PIB. L’énergie
ralentit progressivement sa croissance en comparaison du PIB : l’intensité énergétique plafonne,
puis se met à décroître de façon continue.
La comparaison entre pays industriels montre en outre que plus les pays ont démarré tôt leur
industrialisation, plus le pic de l’intensité énergétique a été précoce et élevé. D’aucuns y voient une
sorte de décroissance des pics d’intensité énergétique avec le temps : plus le décollage industriel
sera tardif, plus le pic d’intensité sera faible. On aurait ainsi, en prévoyant les dates d’émergence
industrielle des pays en développement, une bonne appréhension des relations futures entre
croissance économique et besoins énergétiques. Qu’en est-il réellement ?
La décroissance des pics d’intensité énergétique est généralement expliquée par un argument
technologique. Grâce au progrès technique, à la maîtrise de l’information et à leurs relais politiques
via la maîtrise de l’énergie, la tendance montre qu’il faut de moins en moins d’énergie pour produire
une unité de PIB, toutes choses égales par ailleurs. La technologie devenant de plus en plus
universellement partagée, cet effet se répercute dans tous les pays, y compris les plus pauvres :
aussi, plus ils émergeront tard, plus la technologie sera devenue globalement efficiente, et plus le
pic sera faible. Pour certains, les politiques d’efficacité énergétique peuvent même être des leviers
2
MARTIN-AMOUROUX (Jean-Marie), « L’intensité énergétique de l’activité économique dans les pays
industrialisés : les évolutions de très longue période livrent-elles des enseignements utiles ? », Economie et
Société, série « Economie de l’Energie », n°4, pp 9-27, 1988.
3
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
suffisamment puissants pour « creuser » un tunnel dans le pic d’intensité énergétique (dit « effet
tunnel 3 »), évitant ainsi aux pays concernés toute la phase de plus forte intensité.
Il faut également prendre en compte la forme d’énergie sur laquelle s’appuie l’industrialisation. Les
pays émergents s’industrialisent pour beaucoup sur le pétrole et le gaz (4b, énergies plus efficientes
que le charbon sur lequel s’est appuyée l’industrialisation des pays développés. Ces raisonnements
sur la technologie, pour solides qu’ils soient, n’expliquent qu’une partie du ratio d’intensité
énergétique : son numérateur, l’énergie. Il faut également s’interroger sur les modèles de
développement économique et les ressorts de la croissance. Que peut-on dire du dénominateur, le
PIB ? Étalon monétaire du développement économique, le PIB est lié aux besoins énergétiques de
deux façons :
• il dépend des quantités de biens et services que l’on produit et que l’on consomme en utilisant de
l’énergie(les tonnes d’acier, les voitures…) : c’est l’effet « volume », dont on vient de voir qu’il
évoluait avec les phases d’industrialisation ;
• il mesure la richesse créée et donc la capacité des agents économiques non seulement à acheter
les biens et services produits, mais aussi leur qualité, leur utilisation et l’énergie qui leur est liée (le
carburant d’une voiture, l’électricité d’une climatisation…) : c’est l’effet « richesse ».
Le poids respectif de ces deux effets dépend notamment de la façon dont on tire de la valeur des
quantités produites. Autrement dit, l’évolution de l’intensité énergétique traduit aussi l’évolution
d’ensemble du système de prix. On est là au coeur du modèle de développement économique, tant
pour ce qui est du mode de formation des prix, que pour les relations avec le monde extérieur. Par
exemple, on peut voir dans la baisse spectaculaire de l’intensité énergétique de la Chine ces
dernières années une amélioration considérable de son efficacité énergétique. Mais on peut y voir
également un formidable effet « richesse » consécutif au basculement d’une économie planifiée à
une économie de marché.
Remettre l’homme au centre du débat
Pour appréhender correctement la relation du développement à l’énergie, il faut commencer par
replacer l’homme au cœur de cette relation. On ne consomme in fine de l’énergie que pour
satisfaire les besoins des individus, soit directement comme pour la climatisation ou la mobilité, soit
indirectement pour produire des biens et des services. Mais l’homme est aussi le facteur premier de
la production et de la création de richesse, qui lui donneront les moyens techniques et financiers de
satisfaire ses propres besoins.
Dans le ratio d’intensité énergétique, l’homme est le déterminant premier, tant du numérateur,
l’énergie, que du dénominateur, le PIB. Première question donc, la démographie, qui a un effet
direct, mécanique, tant sur les besoins énergétiques que sur la production et la création de
richesse. Quel est son effet sur le ratio des deux, l’intensité énergétique? Le rapport de la
démographie à la croissance est bien sûr plus complexe qu’un simple effet de volume. Outre le
nombre d’habitants, plusieurs facteurs majeurs entrent en jeu :
• la population active employée, c’est-à-dire la part des gens ayant un travail rémunéré dans la
population totale. Elle est notamment déterminée par la pyramide des âges et les règles sociales
en vigueur (emploi des enfants, retraite), et le taux d’emploi rémunéré effectif de cette population
est très largement déterminé par le stock de capital productif en place ;
• le temps consacré au travail rémunéré, puisque c’est le volume global d’heures de travail
rémunéré qui conditionne réellement la production et la création de richesses. Ce temps est
3
BERRAH (N.), « Energie et développement : l’effet tunnel », Revue de l’Energie, n°356, pp 409-415, 1994.
La Chine et l’Inde constituent des exceptions notables. Le charbon pourrait retrouver un rôle majeur, tout en
gagnant en efficacité.
4
4
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
largement conditionné par les règles sociales et culturelles en vigueur (durée de la journée de
travail, jours de congés, etc.), lesquelles expriment plus profondément les grands arbitrages sur
l’usage du temps réalisés par la collectivité nationale. Cet arbitrage entre temps passé au travail ou
disponible pour la consommation joue d’ailleurs inévitablement sur le profil des besoins à satisfaire,
donc sur l’énergie ;
• la productivité de l’emploi, c’est-à-dire la capacité à produire et à créer de la richesse avec une
heure travaillée. Celle-ci est autant affaire de capital technique en place que d’aptitude à s’en
servir: si le capital technique s’harmonise avec la globalisation, il n’en va pas de même pour le
niveau de formation des travailleurs, dont l’évolution reste un processus long, fortement marqué par
l’évolution de la pyramide des âges. Pour les pays émergents en fin de transition démographique,
de faibles niveaux de formation dans les années passées peuvent être un frein notable à la
progression future de la productivité, en particulier dans les pays ayant une attitude restrictive à
l’égard du sexe féminin dans ce domaine.
L’information est globalement un puissant déterminant de l’efficacité avec laquelle on produit et on
consomme l’énergie (5). Il ne s’agit pas tant ici de l’efficacité énergétique du capital technique en
général, que de l’efficacité du capital technique réellement installé, et de celle avec laquelle on
utilise ce capital. Ainsi, l’élévation du niveau de formation des travailleurs accélère la production et
la création de richesses (effet de productivité) et ralentit la croissance des consommations
énergétiques (effet d’efficacité), conduisant à un ralentissement de la progression de l’intensité
énergétique, puis à sa décroissance, celle-ci devenant de plus en plus rapide. On a là une autre
explication des courbes en cloche des intensités énergétiques des pays industriels évoquées plus
haut.
La formation initiale est au coeur des politiques de développement dans la plupart des pays du
monde. Certes, l’accès aux niveaux supérieurs de formation reste encore aujourd’hui souvent
limité, mais la croissance économique instaure dans ce domaine un cercle vertueux, qui devrait
dominer la progression de la formation dans une grande partie du monde dans les prochaines
décennies – avec une ampleur moindre dans certains pays dont les politiques sociales ou
culturelles limitent volontairement l’accès à la formation (en particulier des filles). L’harmonisation
des niveaux de formation et d’information aura partout des conséquences considérables, tant sur la
productivité de l’emploi que sur l’efficacité énergétique.
Les transitions démographiques
La transition démographique est un phénomène observé dans tous les pays industriels et dans un
nombre croissant de pays émergents, au terme duquel on passe d’un modèle familial fondé sur le
nombre (ménages de 5 personnes et plus en moyenne), à un modèle familial fondé sur l’économie
(ménages de moins de 3 personnes en moyenne).
Liée aux valeurs matérialistes, qui accompagnent notamment la croissance économique, la
transition démographique est aujourd’hui achevée dans la plupart des pays industriels et dans les
pays émergents socialistes, dont la Chine. Ces pays devraient observer dans les prochaines
décennies un déclin de leur population, avec une déformation rapide de la pyramide des âges au
bénéfice des personnes âgées (effritement de la part de la population en âge de travailler), une
forte augmentation de la part des ménages d’une ou deux personnes et une poursuite de
l’urbanisation.
Pour les pays en développement, ou bien la transition démographique a déjà commencé,
notamment dans les autres pays émergents, ou bien elle devrait s’amorcer dans les deux
décennies à venir. Tous sont susceptibles de connaître encore une forte croissance
5
CHEN (Xavier), Information et Energie. Rôle de la maîtrise de l’information dans le rapport entre la croissance
économique et la consommation d’énergie, Thèse de Doctorat en sciences Economiques, Grenoble, 1994.
5
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
démographique dans les décennies à venir. Ainsi l’Inde devrait devenir le pays le plus peuplé au
monde, devant la Chine ; la population africaine pourrait exploser d’ici 2050 si les grands fléaux
actuels, porteurs d’une grande mortalité, sont jugulés suffisamment rapidement. La part de la
population en âge de travailler va s’accroître partout, sans que nécessairement les opportunités de
travail rémunéré augmentent au même rythme du fait de pesanteurs sociales et culturelles ou
d’obstacles financiers.
Dans les pays industriels et les grands pays émergents, les prochaines décennies vont être le
théâtre d’affrontements majeurs dans l’usage du temps : plus de temps au travail, donc de
richesses, mais moins de temps pour en profiter (le stress du manque de temps6), ou plus de temps
disponible, mais moins d’opportunités (le stress du manque d’argent). Le vieillissement de la
population, en pesant pour une augmentation de la part consacrée au travail, va contre le sens de
l’histoire, qui est celui d’une quête constante des travailleurs pour diminuer cette part. La façon dont
se dénouera cet affrontement aura des conséquences majeures sur la dynamique des besoins
énergétiques, notamment l’évolution de la mobilité.
Pour les autres pays en développement, le phénomène dominant restera pour quelque temps le
basculement du temps consacré à la fonction alimentaire dans les systèmes ruraux traditionnels
vers le temps consacré au travail rémunéré, davantage concentré dans les zones urbaines. Deux
conséquences majeures en découleront au regard de l’énergie : l’accroissement de la production et
de la création de richesse, avec l’accroissement corrélatif des besoins énergétiques ; le
déplacement des populations du monde rural vers les villes où les modes de vie génèrent des
besoins d’énergie des individus incomparablement plus élevés.
Une autre prospective des besoins énergétiques
Cette analyse conduit naturellement à caractériser les besoins de services énergétiques selon les
grandes fonctions socio-culturelles (encadré 1). On peut observer dans ce domaine plusieurs faits
prospectifs marquants.
Le premier est la forte croissance des besoins de services énergétiques de la fonction alimentaire
qui accompagne la baisse du temps consacré à cette fonction (besoins dans le système productif
agro-alimentaire, besoins à l’intérieur des ménages7). On s’attend globalement à un doublement
des besoins à l’échelle mondiale pour une population ne croissant que d’un tiers. Cette croissance
s’accompagnera, notamment dans les pays en développement, d’une évolution vers des services
de plus en plus concentrés (industrialisation et urbanisation), et vers des services exigeant une
forte « disponibilité énergétique », ou exergie : conservation des aliments…
Le second fait majeur tient à l’explosion attendue de la mobilité dans les pays en développement
(plus de kilomètres parcourus, plus vite), qui pourrait voir les besoins de services énergétiques
correspondants multipliés par cinq au cours de ce siècle. Selon la conjecture de Zahavi, les gens
consacrent en moyenne une heure à se déplacer par jour, et ce partout dans le monde et de tous
temps (8). À mesure que leurs disponibilités financières augmentent, ils cherchent à élargir leur
espace de déplacement au sein de cette contrainte de temps par des modes de déplacement de
plus en plus rapides : cheval, bicyclette, bus, train, voiture, TGV, avion. L’histoire de l’OCDE
suggère une forte relation entre la vitesse moyenne des déplacements et le PIB, liée à la
dynamique historique de la mobilité motorisée dans ces pays. Extrapolée à l’ensemble du monde,
elle rendrait inévitable l’explosion des besoins de service pour la mobilité. Toutefois les finalités
sociales et individuelles de la mobilité ne s’expriment pas fondamentalement en kilomètres à
parcourir, mais en liberté de mouvement et en accessibilité. Il est indifférent de ce point de vue
6
LINDER, BURENSTAM, The Harried Leisure Class, New York, University Press, 1970
Aux États-Unis, la fonction alimentaire absorbe 27 % de l’énergie totale consommée ; en France, 21 %.
8
ZAHAVI (Y.), RYAN (J.-M.), « Stability of Travel Components over Time », Transportation research records,
n°750, pp 19- 26, 1980.
7
6
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
d’aller plus loin et plus vite ou moins loin et moins vite, pourvu que la satisfaction in-fine soit la
même pour des coûts équivalents.
Le troisième fait d’importance, qui concerne d’abord les pays industriels et les grands pays
émergents, est la croissance du temps pour soi et ses conséquences sur les besoins de services
énergétiques. La première est l’explosion des équipements d’information et de communication, et
des besoins d’électricité qui leur sont liés : ils pourraient être multipliés par 16 d’ici la fin du siècle.
La seconde porte sur le tourisme, en particulier les opportunités de tourisme lointain qu’offriront une
richesse accrue, vecteur potentiel d’un très fort développement du transport aérien et des besoins
de services énergétiques correspondants.
■ Encadré 1 : De nouveaux concepts pour appréhender les besoins à très long terme
L’appréhension des besoins dans une approche de très long terme s’appuie sur des concepts
permettant de saisir au plus profond les modes de vie et les comportements, indépendamment du
système de production et des usages de l’énergie tels que nous les connaissons aujourd’hui.
- Les produits énergétiques ne sont jamais utilisés pour eux-mêmes, mais pour le service qu’ils
apportent : confort, conservation des aliments, mobilité… Le « besoin de service énergétique »
caractérise ainsi ce que chacun est en droit d’attendre du fait de son appartenance à un
environnement socio-culturel, économique et physique particulier. On définit en général ce besoin
en étroite référence aux fonctions élémentaires de la vie économique, sociale et culturelle
rassemblées en cinq grandes « fonctions socio-culturelles » : se nourrir, se loger, travailler,
s’accomplir, se mouvoir.
- Les services énergétiques combinent différents usages de l’énergie : par exemple, le confort
thermique combine du « chauffage », de la « ventilation », de la « climatisation », etc. Ils font appel
à différents « paquets technologiques » définis par des produits énergétiques spécifiques et des
types d’équipement spécifiques – auxquels ils imposent généralement des conditions spécifiques
(puissance unitaire, continuité/intermittence, qualité, densité spatiale, etc.).
- Pour mesurer, comparer et agréger des besoins de services énergétiques aussi différents, par
exemple, que la mobilité individuelle motorisée et l’irrigation, on les exprime dans une unité
commune : la joule d’énergie utile requise pour satisfaire ces besoins dans le contexte
technologique d’aujourd’hui. Il ne faut pas confondre cette mesure avec celle de besoins physiques
d'énergie à satisfaire : l’équivalence physique entre l’énergie nécessaire à un même service
aujourd’hui et et à l’horizon considéré ne peut être établie que si le paradigme technologique mis en
œuvre pour y répondre est défini dans le scénario prospectif.
Pour le reste, on notera que les besoins de services énergétiques liés à la fonction « logement »,
qui répondent à une recherche de confort quasiment continue, n’apparaissent limités que par les
contraintes financières des agents économiques si l’on en croit l’histoire de l’OCDE. Le rôle des prix
apparaît donc central dans la dynamique de ces besoins, les conditions climatiques influant
davantage sur la structure des besoins que sur leur volume à même niveau de contraintes
financières. Aux prix actuels de l’énergie, ces besoins tripleraient au niveau mondial dans le siècle
à venir, avec là aussi une forte concentration spatiale (urbanisation) et des niveaux d’exigence
accrus en matière d’exergie (climatisation, éclairage, etc…).
Globalement, les besoins de services énergétiques (mesurés selon les conditions techniques
d’aujourd’hui) seraient multipliés par 2,5 sur ce siècle, avec une profonde transformation dans leur
distribution géographique par rapport à la situation actuelle (Figure 2)9. Ces évolutions
9
VLEEM consortium, VLEEM – Very Long Term Energy Environment ModellingEC/DG Research Contract
ENG2-CT-2000-00441, Final report, August 2002; “VLEEM 2”, EC/DG Research Contract ENG1-CT 200200645, Final report, May 2005
7
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
s’accompagnent de changements majeurs en termes techniques : on observerait ainsi une baisse
de moitié des besoins diffus, de faible puissance et de faible exigence de qualité, mais aussi une
baisse significative des besoins très concentrés, à forte puissance unitaire, contre une progression
de 70 % des besoins concentrés spatialement mais de faible puissance unitaire, avec de fortes
exigences de qualité.
■ Figure 2 : Evolution des besoins de services énergétiques
Source : VLEEM
PARADIGME(S) ENERGETIQUE(S) ET DEVELOPPEMENT DURABLE
Quelles sont les limites au développement du système énergétique actuel face à cette montée des
besoins énergétiques ? Quelles en seraient les implications pour les grands pays émergents d’Asie
et d’Amérique Latine ?
La première contrainte est celle des ressources, manifestée notamment par l’existence, selon la loi
de Hotelling (10, d’un pic prochain de la production annuelle mondiale de pétrole avant une
décroissance inéluctable. La date d’occurrence de ce peak oil fait encore l’objet de controverses,
liées par exemple au développement attendu des pétroles non conventionnels (sables
asphaltiques, schistes bitumineux, pétrole extra-lourd) et de possibles décrochements entre
croissance économique et besoins énergétiques. Mais les experts s’accordent en général à fixer ce
pic avant 2050, certains le situant bien avant (2020 voire 2010).
Selon cette vision, si rien n’est mis en place entre-temps pour anticiper et accompagner en douceur
ce « déclin » prévisible, celui-ci deviendra rapidement source d’une concurrence exacerbée pour
l’accès au pétrole. Il faut alors s’attendre à des impacts considérables en termes économiques et
10
HOTELLING (H.), « The economics of exhaustible resources », Journal Polit. Econom. 39, pp 137-175, 1931.
8
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
géopolitiques propres à casser le moteur du développement dans de nombreuses régions du
monde. Les stratégies actuelles de la Chine et des Etats-Unis vis-à-vis du Moyen Orient et des
pays pétroliers en général donnent un avant goût du prix à payer pour ce laisser-faire.
Aux limites de ressources s’ajoutent les limites environnementales globales, au premier rang
desquelles le changement climatique. Cette préoccupation, et les politiques destinées à y faire
face, sont aujourd’hui surtout le fait des pays industriels. Mais toutes les projections concordent
pour dire que les grands pays émergents devront très rapidement se mettre au diapason – sans
quoi il faut s’attendre à des catastrophes climatiques majeures, ou encore à un affrontement dur
entre pays industriels et pays en développement sous prétexte de sauvegarde de la planète. Les
dates d’occurrence de ces problèmes majeurs peuvent varier selon la dynamique des besoins
énergétiques dans les pays émergents, mais le risque est clairement d’handicaper le
développement d’un grand nombre de pays du Sud.
La troisième limite possible est celle du financement. Répondre à une concentration croissante des
besoins énergétiques, avec des exigences de qualité accrues, demande, dans le paradigme actuel,
des investissements de plus en plus lourds par tep d’énergie consommée, pour produire,
transformer, acheminer, stocker, livrer, l’énergie. Mais il est tentant, pour assurer l’accès à l’énergie
des particuliers comme des professionnels, jugé indispensable au développement, d’en limiter le
coût (soit en s’en remettant à une concurrence exacerbée entre producteurs, soit via le contrôle des
prix, si besoin à l’aide de mécanismes de subvention). Or la pression à la baisse sur les prix de
l’énergie peut se révéler inconciliable avec le niveau de rentabilité des investissements exigé par
les investisseurs privés ou les grands établissements financiers. Le conflit entre ces deux
exigences risque là aussi de freiner le développement.
Quel développement dans le système énergétique actuel ?
Pour paraphraser Bernard Laponche, il existe effectivement de fortes présomptions qu’« il n’y a pas
de développement durable compatible avec ce modèle [l’OCDE] et ce paradigme énergétique.»
11
Si certains auteurs relativisent l’ampleur de cette incompatibilité8 ( ), les études qui explorent les
chemins praticables dans le cadre du paradigme actuel montrent que ceux-ci reposent sur des
conditions très contraignantes et l’apparition, très incertaine, de solutions techniques à certains
problèmes. Les projections basées sur le modèle POLES, déjà citées, et l’étude VLEEM éclairent
respectivement ces questions à l’horizon 2050 et au-delà.
Ces projections proposent une vision du monde énergétique avec la poursuite du paradigme actuel
à l’horizon 2050, sans contrainte forte relative à l’effet de serre. Elle conclut que les contraintes de
ressources sur le pétrole et le gaz pourraient être surmontées moyennant de fortes hausses des
prix. Elle décrit un monde où, entre autres :
• l’Asie à elle seule consomme et importe plus d’hydrocarbures en 2050 que tous les pays
industriels aujourd’hui ;
• le charbon, dont les ressources connues sont beaucoup plus considérables que celles de pétrole
et de gaz, devient l’énergie fossile majeure du monde ;
• le centre de gravité du commerce mondial du pétrole et du gaz se déplace très à l’Est de l’Europe.
Au-delà de 2050, l’étude VLEEM montre qu’un développement soutenable des pays en
développement fondé sur les énergies fossiles reste possible jusqu’à la fin du siècle au moins, le
11
JACCARD (Marc), Sustainable Fossil Fuels: The Unusual Suspects in the Quest for Clean and Enduring
Energy, Cambridge University Press, 2005.
9
Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
charbon s’imposant de plus en plus dans tous les compartiments du système énergétique, hormis
quelques usages où le pétrole restera très difficile à remplacer à des coûts acceptables, le transport
aérien notamment.
D’une façon générale, ces études envisagent une poursuite de la croissance de la demande fondée
sur les mêmes relations à la croissance économique que celles observées historiquement dans les
pays industriels. Mais elles insistent aussi sur le fait que les contraintes climatiques et les
contraintes de ressources ne pourront être surmontées qu’avec un renforcement de l’efficacité
technique avec laquelle l’énergie devra être utilisée, qui sans remettre en cause les fondements du
paradigme actuel, n’en sera pas moins significatif : bâtiments neufs très bien isolés, véhicules
automobiles très performants, etc…
Ainsi ces études dessinent les attributs d’un paradigme « fossiles » jugé soutenable. Dans cette
vision, les limites de ressources sont essentiellement réglées par un recours croissant au charbon,
jusqu’à 70 % de la consommation primaire d’énergie. Le problème de l’effet de serre est maîtriséd
en articulant étroitement deux évolutions :
• un développement massif des vecteurs énergétiques non carbonés dans les usages finals
(électricité ou hydrogène essentiellement produits à partir d’énergies fossiles), développement
cohérent avec l’évolution de la structure des besoins de services énergétiques ;
• la capture-séquestration du CO2 produit par les grandes installations de combustion et les
équipements de transformation des énergies, dont l’importance ira croissante avec le recours aux
vecteurs non carbonés. On suppose donc une maîtrise du stockage en aquifère profond à des
coûts acceptables, permettant de stocker jusqu’à 60 % des émissions.
Mais tout cela suppose d’une part que tous les pays producteurs d’énergie fossile seront prêts à
produire et exporter, en temps voulu, toutes les quantités demandées, sans restriction ; d’autre part
que la maîtrise technique et économique de la capture-séquestration sera effective en temps voulu
pour des volumes de stockage considérables ; qu’enfin tous les pays, consommateurs et
producteurs mettront en place les conditions institutionnelles et les mécanismes de marché propres
à garantir un taux de rentabilité acceptable pour tous les investissements requis.
Or, ce que l’on constate aujourd’hui n’incite guère à l’optimisme. Les tensions actuelles sur le
marché du pétrole viennent en partie de la réticence des pays producteurs du Golfe à augmenter
significativement leur production pour faire face à la croissance de la demande mondiale à un prix
correspondant aux fondamentaux du marché. En d’autres termes, ce n’est pas parce que les
réserves sont là, et exploitables à des conditions économiques favorables, que la production
s’aligne nécessairement sur les besoins. Enfin, les « black-out » qui accompagnent ici et là la
libéralisation du secteur électrique montrent que dans ce domaine aussi l’offre ne s’adapte pas
mécaniquement à la demande.
Quelles alternatives énergétiques pour le développement ?
Ainsi il n’est pas acquis que les pays du Sud puissent assurer leur développement, a fortiori
durable, dans le cadre du paradigme énergétique actuel. Aussi est-il nécessaire de considérer
d’autres avenirs, fondés sur d’autres paradigmes énergétiques, et de s’interroger sur leurs
conditions d’émergence. Deux alternatives sont généralement prises en compte à l’échelle du
siècle : le nucléaire et les renouvelables. Mais d’abord, faut-il réellement parler d’alternatives, ou
simplement de combinaisons (« fuel mix ») variables, avec plus ou moins de nucléaire et plus ou
moins de renouvelables ?
Quand on parle de paradigme fossile, on parle en fait d’un système technique dominant fondé sur
la combustion, qui impose des technologies particulières pour répondre aux besoins, un mode
d’organisation particulier pour produire, transporter, transformer, distribuer, stocker des produits
énergétiques bien particuliers, voire des comportements spécifiques induits par les technologies
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Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
utilisées. Les structures industrielles jusqu’au milieu du 20ème siècle ont été façonnées par le couple
charbon-machine à vapeur, tandis que l’urbanisation et l’aménagement de l’espace ont été
façonnés depuis lors par le couple dominant pétrole-moteur à combustion interne.
d Au sens d’une stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à moins de 650
ppmv d’équivalent CO2 . Les pays industriels réduisent leurs émissions de 10 % tous les 10 ans à partir de
2010, les pays en développement suivent le même mouvement une fois qu’ils ont atteint le niveau de
développement de 1990 des pays industriels.
En ce sens, dans leurs usages actuels, le nucléaire ou les renouvelables s’inscrivent parfaitement,
bien qu’à la marge, dans le paradigme fossile. Il en irait tout autrement si le nucléaire devenait le
moyen dominant de produire des vecteurs énergétiques (électricité, hydrogène), qui envahissent
tous les usages grâce à des technologies spécifiques (pile à combustible par exemple), avec une
organisation particulière et induisant des comportements spécifiques (voiture urbaine monofonction par exemple). De même, si les renouvelables s’imposaient, induisant par exemple un
bouleversement complet dans la conception des bâtiments et de leur équipement énergétique,
faisant de ceux-ci des ensembles autonomes (dont des réalisations existent déjà) ou interagissant
entre eux au sein de micro-réseaux locaux.
Il s’agit de développements techniques et organisationnels en bifurcation complète par rapport au
modèle dominant, conduisant progressivement à marginaliser les énergies fossiles en général et le
pétrole en particulier. On cessera progressivement d’utiliser le pétrole, non pas faute de ressources,
mais simplement parce qu’on en aura de moins en moins besoin (comme l’âge de pierre ne s’est
pas achevé faute de pierres…).
Dans la plupart des pays en développement, on est encore très loin de pouvoir envisager un
basculement en faveur du nucléaire. D’abord parce qu’il faudra encore de nombreuses décennies
avant que ne soient maîtrisées des filières nucléaires suffisamment sûres, efficaces et non
proliférantes, pour pouvoir s’étendre à l’ensemble de la planète sans engendrer de syndrome «
iranien » ou « coréen », et pour s’accommoder de la faiblesse des ressources mondiales
d’uranium. Ensuite parce que le caractère très capitalistique du nucléaire en fait un mauvais
candidat pour les pays en mal de capacités financières.
Les renouvelables apparaissent donc comme l’alternative la plus sérieuse aux fossiles. Il faut
cependant se garder des utopies dangereuses. Bien que très abondantes, inépuisables, très bien
réparties sur la terre, les renouvelables se heurtent à un paradoxe fondamental : leur caractère le
plus souvent diffus et intermittent, voire aléatoire (hormis la biomasse), face à des besoins de plus
en plus concentrés, avec des exigences de qualité croissantes, tant en matière de potentiel
énergétique, qu’en continuité de service. Cet écart qualitatif entre offre et demande a un coût,
aujourd’hui parfois exorbitant.
S’appuyer massivement sur les énergies renouvelables n’est donc envisageable que si les
technologies, les modes d’organisation et les comportements constitutifs d’un tel paradigme
permettent de limiter drastiquement ce coût. L’évolution prévisible des besoins de services
énergétiques décrite précédemment apparaît de ce point de vue très favorable. De plus, dans le
scénario « renouvelables », la forte croissance de besoins de services énergétiques ne repose que
faiblement sur une croissance de la demande d’énergie commerciale. Celle-ci reste à des niveaux
compatibles avec des potentiels solaires, éoliens et biomasse respectueux de l’usage des sols. Le
concept de bâtiment solaire autonome illustre parfaitement cette évolution.
Le coût d’un basculement énergétique sera d’autant plus élevé que les infrastructures en place,
bâtiments, transport, plates-formes industrielles, seront développées, et que les besoins
d’infrastructures nouvelles seront limités. Par chance, c’est généralement la situation inverse qui
prévaut dans des pays en développement. De grands pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le
Brésil pourraient être parmi les premiers à « sauter le pas ». Ils disposent des atouts nécessaires
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Satisfaire la croissance énergétique des pays émergents, B. Chateau
(marché intérieur, potentiels industriel, financier et intellectuel) pour prendre un leadership mondial
dans la production de technologies et de systèmes intégrés inscrits dans ce nouveau modèle.
LES DEFIS A RELEVER
Si elle suit le modèle des pays industriels, la demande d’énergie des pays en développement
devrait connaître une formidable croissance dans les prochaines décennies, susceptible de
menacer les grands équilibres, tant sur les marchés de l’énergie que sur l’environnement. Il n’est
toutefois pas fatal que les pays en développement s’inscrivent dans le modèle d’offre et le
paradigme fossile sur lesquels se sont appuyés les pays industriels. D’une part, la croissance de
leurs besoins de services énergétiques pourrait être mieux maîtrisée. D’autre part, des alternatives
au paradigme fossile sont envisageables, principalement basées sur les énergies renouvelables.
Ces évolutions complexes ne seront pas mises en oeuvre sans une volonté politique considérable.
A plus court terme, les défis énergétiques des pays en développement viendront d’abord du
renchérissement inévitable de l’énergie fossile. Outre son possible impact direct via la balance
commerciale et la balance des paiements, ce renchérissement favorisera le recours à des
technologies de transformation énergétique à plus fort contenu en investissement et plus faible coût
opératoire : les efforts consacrés à l’énergie peuvent alors engendrer un effet d’éviction sur d’autres
secteurs de l’économie nécessaires au développement. En outre, les structures de prix, notamment
de l’électricité, et les politiques commerciales induites par le développement d’infrastructures très
capitalistiques risquent de pénaliser fortement les progrès d’efficacité énergétique, pourtant la seule
arme disponible pour contrer les effets néfastes du renchérissement des fossiles sur la balance des
paiements. Qu’il s’agisse de promouvoir l’efficacité énergétique ou l’utilisation des énergies
domestiques, ou qu’il s’agisse de garantir la rentabilité d’investissements de plus en plus
capitalistiques, le système de prix des énergies aux consommateurs finals constituera le nerf de la
guerre. Là aussi, le défi est considérable : il faut concilier des structures de marché aptes à
convaincre les investisseurs, avec des mécanismes institutionnels aptes à prendre en compte les
impératifs du développement à long terme, et des politiques sociales soucieuses de protéger les
populations les plus défavorisées. C’est un jeu subtil entre respect de la concurrence, fiscalité et
subventions dont l’issue est souvent incertaine, comme l’ont montré quelques crises récentes dans
le secteur électrique.
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