C`était une petite fille blonde, bien avant 2007

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C`était une petite fille blonde, bien avant 2007
APF ECOUTE INFOS
C'était une petite fille blonde,
bien avant 2007...
Jean-André FERRANTI
Grenoble. 14 février. 2007
1959. J’avais vingt cinq ans, et je venais de rencontrer, à travers les brumes d'un
hasard incroyable, Michèle, celle qui devait éclairer tous les jours de ma vie à venir. Je
l’observais repassant sa robe pour la joie de mes yeux ; lorsque je serrai sa main, je la
sentis trembler un peu.
Elle avait du bleu dans ses yeux, pas dans le regard qui était limpide comme de l’eau de
source, mais dans ses yeux ; et cette teinte me servait de printemps avant qu’il arrive,
d’été avant la Saint jean, de forêt, de campagne calme et vallonnée, ou de mer
tranquille sous une houle lente et bleue, et tout cela vivait aussi dans ses cheveux
flous, bouclés, souples et légers, vaporeux.
1959. Elle avait un petit pull jaune en mohair, si doux… presque aussi doux que tout ce
qu’il recouvrait et qu'en élève docile, j'apprenais avec délicatesse et délice à connaître.
Disparu, ce petit pull jaune ?...
C’était une petite fille blonde, avec des yeux de porcelaine qui conservaient l’enfance en
la retenant, comme on le fait d’un oiseau entre les mains. Née, presque par hasard, un
jour de décembre 1940… dans une Seine et Marne pleine de jardins potagers, car alors
on était en guerre, et qu'il fallait bien pouvoir subsister.
Son rire sautillait comme des sons de guitare, ses lèvres lisses sentaient la fleur de
violette confite dans le sucre comme on en trouve à Nice, et tout en elle n’était que
douceur des nuits de juin. Ses yeux de porcelaine, ses joues de pêche et son rire, ô son
rire qui s’entortillait à vous comme une vigne … tout cela demeure intact en moi…
C’était une petite fille blonde, frisée comme une agnelle, avec des gestes de poupée,
des étonnements de gamine, des joies sans raison apparente ; elle paraissait flotter
entre des clins d’œil, des battements de temps et de cœur.
Rêve sur la terre, express permanent, elle sortait d’un songe comme on quitte un sofa
ou un voile de nuage, en s’étirant, un peu lascive sans trop le savoir, et cependant on
eût dit un ange, en provenance de nulle part, petite, délicate, fragile, à manipuler avec
précaution, comme une frêle argile, belle, mais importante et surtout sensible. En fait,
elle avait dû s’échapper d’un rêve ou d’un conte de Perrault, ou alors de ces légendes
du Nord, peut-être même a-t-elle été une amie d’Hansel et Gretel ? ou bien encore
nous vient-elle de ces mystérieuses histoires de l’Est, de la Forêt Noire ?...
Elle paraissait avoir vécu toutes les vies suspendues aux toiles d’araignées après la
rosée, des vies de libellules, immobiles sur des nénuphars placides, celles des fleurs
sans nom qui défient les encyclopédies et les dictionnaires les plus élaborés, de ces
fleurs simples sans armoiries ; elle avait vécu l’heure féline et l’heure végétale ; elle
arrivait sur terre, attendue, auréolée de sa candeur, ravissante comme un lever de
soleil.
Mars 2007
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1944. Elle paraît toute menue, blonde, dans son joli petit manteau grenat, avec dans le
dos une martingale qu'elle dut, un jour, défendre contre les mains taquines d'un soldat
allemand, dans le Métro parisien. Ses petites mains cachées dans des gants blancs, des gants brodés par sa mère, le soir, à la lumière d’une lampe à pétrole munie d’un
abat-jour décoré de fleurs, coloriées par elle-même dans sa jeunesse, - de fins gants de
coton blanc, comme dans mon enfance j’en portais moi-même le dimanche, et dans
lesquels je ressentais au bout de mes doigts engourdis, des picotements de froid.
1944 ! : Elle avait quatre ans. J’en avais dix. Au troisième étage de notre maison, Rue
Cornélie Gémond, à Grenoble, j’avais depuis ma chambre, une vue imprenable, sur la
caserne Dode, en face de nous, pleine de soldats allemands ; - du début de ma vie,
jusqu’en 1940, j’avais observé les soldats français et leurs revues à cheval dans la cour
; - ils furent remplacés brièvement par les soldats du Duce qui se retrouvèrent euxmêmes prisonniers des Boches de ce temps-là ...
Puis, bien plus tard, un jour, la guerre, avec ses horreurs et sa barbarie, prit fin.
Durant cette enfance, avec le tramway, j'allais avec ma mère à Fontaine, dans cette
campagne, aujourd’hui elle aussi disparue ; et là, à court de souffle, après des jeux
toniques, ma grand-tante Marie me disait en roulant les r « - Mais, regarde-toi donc
! mon garçon ! tu es rouge comme une pivoine ! »
Mais, allez-vous dire,
<< - Et cette petite fille blonde ? >>
- Chut ! Elle est là, tout près ?...
Noël 1959 ! Elle arrive au milieu de la fumée de la gare ! Oui, la voilà qui effleure
notre pavé gras et luisant, humide ou mouillé, du bout de ses ailes claires…
1960 ! Juin nous lie l’un à l’autre, jusqu’à ce que, entre meilleur et pire, bonheur et
mort s’ensuivent.
Vingt années s'écoulent, d'étés en hivers, d'automnes en printemps ; vingt années de
petits bonheurs, mais vingt années de solitude à deux, et puis... Survient l'incroyable
nouvelle qui me laisse incrédule...
1980, juillet, à Rome, Marisa ma cousine, à qui Michèle apprit "son état", alla chercher
dans une armoire une poignée de petits bavoirs, - elle revint en disant et riant, toute
excitée : " - C'est le bébé ! C'est le bébé !!!" Je ne parvenais toujours pas à y
croire... Je répliquais alors « Mais vous êtes folles toutes les deux ! » car c'était...
tellement !...
Tout passe, les vacances aussi… Au moment de partir, pour le retour, mes cousins
multiplièrent les recommandations !!!
1981 ! Avril, le 30, son ciel et son soleil sont là, avec Michèle, pour accueillir une autre
petite merveille avec des yeux de porcelaine, des cheveux noirs d'abord, blonds
ensuite, des cris et des gestes de bébé. Née de la veille, Camille, notre Camille est tout
de même bien "la Belle de Mai" !
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Comme un oiseau sous le lavoir, superbe, vive et légère, sans peine, sans effort, elle
est entrée dans nos vies ! Il était grand temps... C'est fait ! elle est là ! Enfin !
Certes, - tout comme je me suis peu à peu dégradé, devenu un de ces vieux sangliers
solitaires, revenu de tant de choses au cours de ma chienne de vie, grâce à des gens
qui se sont chargés de me désillusionner, - elle aussi, cette petite fille blonde des
années 40, a probablement vu sa beauté se lézarder quelque peu.
Que m’importe l’usure du temps sur elle !
Pour moi, elle demeure belle, vivante, indéracinable, bien qu’elle soit horriblement
torturée par une obscure infortune, vivant discrètement, en permanence, de très
cruelles et silencieuses souffrances.
Car mon Amour, un jour, a sombré sous les coups d’une sournoise maladie.
Sur ses lèvres si douces, son sourire ne fleurit plus que dans le souvenir du parfum des
feuilles de l'Aspérule, la flouve odorante des fenaisons estivales, disparue, que je
cherche en vain… Ses jambes ont soudain perdu toute vie, absorbées insidieusement
par un mal terrible et douloureux qui la dévore, qui prend maintenant possession de ses
mains, elles si fines, légères et agiles, qui savaient à la perfection dessiner, coudre,
broder, tricoter, tisser... Aimer...
Le temps, qui a déjà anéanti le petit pull jaune des années 60, durant ces vingt années
détricotées elles aussi, rang après rang, - ce temps a vu couler inexorablement la
goélette de nos vies ; il nous emporte dans un inéluctable et mortel tourbillon noir qui a
déjà eu raison de notre futur…
C’était une petite fille blonde, avec des yeux de porcelaine et des gestes de poupée...
Elle était, elle est toute ma vie !
En 2007… maintenant. Qu’est-elle donc devenue ? Qui me l’a volée ? Qui nous a volés
l’un à l’autre ?
Elle est là, elle est près de moi, toujours, - et la monstrueuse catastrophe
dévorante aussi... Nos destins sont si étroitement liés que personne au monde ne
pourrait faire passer le moindre souffle entre elle et moi. Je l'aime, à mort.
Sois calme, tais-toi, ô ma douleur !
Mais personne, non, personne ne peut me voir lorsque je me réfugie dans le secret de
mon bureau, pour une raison, bien ordinaire et simple... là, un peu à la manière des
chats et des oiseaux qui se cachent pour mourir, je pleure, je verse ma propre
souffrance, loin de tout regard, mon amour désespéré et ma détresse... Je souffre
d'être toujours aussi incapable de pouvoir prendre ses souffrances et de partager ses
douleurs....
Au tout début de la maladie, innocent... ignorant... j'avais dit " - je la tuerai cette
bête immonde, cette charogne qui te fait tant souffrir !..."
Et puis…... rien …
Cela a renforcé ce sentiment d’inutilité.
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Alors, si par hasard il arrive que je survive à mon Amour, j’irai, peut-être, un jour, vers
le Sud, abandonner ma vie au pays de mon père, à Bracciano, non loin de Rome, là, où
en été, - près de ce lac plein d'anguilles, dont le sable de la plage est le sombre vestige
d'un lointain passé volcanique, - à la tombée de la nuit, les fleurs s’envolent dans
l’irréelle et folle sarabande des lucioles.
A moins que... Mais non. C’est bien trop tard !
Les épines de ma souffrance sont bien trop profondément enfoncées dans mon cœur,
dans mon corps. Désormais, tout est morne, glacé, bouleversé, brisé, détruit à jamais…
Oh ! comme je t'aime !... …… Mais, tu le sais.....
Jean-André FERRANTI
Grenoble. 14 février. 2007
« Cet amour tout entier si vivant encore
et tout ensoleillé C’est le tien c’est le mien »
Jacques Prévert
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