Du nouveau dans le traitement de l`alcoolisme
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Du nouveau dans le traitement de l`alcoolisme
FOCUS 286 Par Mohamed Ali Gorsane* Du nouveau dans le traitement de l’alcoolisme L’abstinence exclusive n’est plus le seul objectif, la consommation contrôlée est aujourd’hui proposée. De nouvelles molécules s’ajoutent aux 3 déjà disponibles. F ace à la maladie alcoolique, nous disposons actuellement de moyens thérapeutiques nombreux et variés, qu’ils soient psychosociaux ou pharmacologiques. Les objectifs des interventions médicamenteuses sont le traitement ou la prévention du syndrome de sevrage, l’aide au maintien de l’abstinence, la prise en charge des comorbidités psychiatriques ou somatiques et, plus récemment, l’aide à la réduction de la consommation d’alcool. ■ Médicaments classiques Dans l’aide au maintien de l’abstinence, 3 molécules avaient jusqu’en 2014 l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. Le disulfirame (Espéral), traitement aversif dit à effet antabuse, induit une réaction d’intolérance avec flush facial lors de la consommation d’alcool (il bloque la dégradation de l’acétaldéhyde). L’acamprosate (Aotal), de mécanisme d’action incomplètement élucidé, agirait en compensant l’effet renforçateur de l’alcool, en réduisant l’anxiété. Il n’aurait peu ou pas d’effet sur le craving (désir intense et pressant de consommer). La naltrexone (Revia), essentiellement antagoniste des récepteurs opiacés μ, réduit par cette voie l’activation du circuit de la récompense induite par l’alcool et freine le renforcement de la consommation et l’envie d’absorber le produit. L’acamprosate a démontré une efficacité supérieure à celle de la naltrexone pour le maintien de l’abstinence mais peu de * Service de psychiatrie, pôle 75G04, hôpital Henri-Ey, groupe public de santé PerrayVaucluse, 75013 Paris. [email protected] patients (seulement 20 à 30 %) répondent à ce traitement. La naltrexone est plus efficace que l’acamprosate pour la réduction du craving, des rechutes et des jours de fortes consommations. Néanmoins, ses effets indésirables (hépatotoxicité, nausées, vomissements, céphalées) limitent son utilisation. L’efficacité clinique du disulfirame est grande, fondée sur la dissuasion. Néanmoins, cette molécule est réservée au traitement de deuxième intention après acamprosate ou naltrexone étant donné ses contre-indications (rénales, hépatiques, neurologiques, cardiovasculaires, grossesse), la possible dangerosité de l’effet antabuse et les interactions médicamenteuses. Le disulfirame est donc une option intéressante pour des patients motivés, sous réserve d’une surveillance régulière et d’une information adéquate (patient et entourage) sur les risques de l’effet antabuse lors de toute prise d’alcool et sur les complications (hépatotoxiques et neuropathiques).1 ■ Nalméfène (Selincro) C’est le premier médicament disposant d’une AMM européenne pour la réduction de la consommation, autre option que l’abstinence pour les patients alcoolodépendants et à haut risque. Il a une structure chimique comparable à celle de la naltrexone mais leurs profils récepteurs sont différents. Le nalméfène est un antagoniste des récepteurs μ et δ opioïdes mais aussi agoniste partiel des récepteurs κ opioïdes. Ainsi, comme la naltrexone, il réduit le craving de récompense (transmission μ). Il a spécifiquement une affinité plus importante pour les récepteurs opioïdes centraux, une biodisponibilité supérieure et n’a pas d’hépatotoxicité dose-dépendante. Il a une plus grande affinité pour les récepteurs k au niveau de l’axe hypothalamique-pituitaire-surrénal (système du stress), sachant que ce dernier interagit avec le système opioïde dans l’alcoolisme. Son efficacité pour éviter la rechute pourrait donc être due à son intervention dans le renforcement négatif. Par ailleurs, la transmission k au niveau de l’aire tegmentale ventrale est impliquée dans les symptômes de dysphorie via son action sur le niveau de dopamine. Le nalméfène est indiqué, selon son AMM, en prise non systématique, si le patient en ressent le besoin, suivant une approche de réduction des risques. De préférence 1 à 2 heures avant le moment où le malade prévoit une consommation ou une envie d’alcool ou en perçoit le risque (pas plus de 1 comprimé/jour). Ce médicament peut même être pris immédiatement après qu’il ait commencé à boire. Il permet de diminuer le nombre de jours de forte alcoolisation et la prise d’alcool sur une période allant de 12 à 28 semaines. La diminution de la consommation totale a été corroborée par la régression significative des taux plasmatiques des enzymes hépatiques. Le nalméfène a montré un effet plus prononcé chez les patients alcoolodépendants avec un niveau de consommation élevé ou très élevé (≥ 60 g/j chez l’homme et ≥ 40 g/j chez la femme). Les effets indésirables sont classiques : nausées, sensations vertigineuses, insomnies et céphalées.2 Il est contre-indiqué chez les patients prenant des analgésiques opioïdes, ou ayant des antécédents récents de dépendance aux opioïdes, des symptômes aigus de sevrage aux opiacés ou pour lesquels une consommation récente est suspectée. LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 30 l N° 959 l AVRIL 2016 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE !286!_MG959_FOC-gorsane.indd 286 31/03/2016 17:01 FOCUS 287 L’ESSENTIEL ➜ Les traitements classiques de maintien de l’abstinence ont une efficacité modérée et nécessitent un monitoring (disulfirame et naltrexone notamment). ➜ Le nalméfène est indiqué pour la réduction de la consommation, au besoin. Son hépatotoxicité est moindre. ➜ Le baclofène peut être prescrit en RTU à doses élevées, jusqu’à 300 mg/j. Indication : maintien de l’abstinence ou réduction de la consommation. On peut l’utiliser dans les stades avancés de maladie alcoolique du foie. Autres contre-indications : insuffisance hépatique sévère et insuffisance rénale sévère (DFG < 30 mL/min/1,73 m2). n Baclofène (Liorésal 10 mg, Baclofène Zentiva 10 mg) n Gamma-hydroxybutyrate (GHB) Agoniste des récepteurs GHB et GABA-B mais aussi GABA-A, indiqué initialement comme anesthésique mineur et dans la narcolepsie (oxybate de sodium, Xyrem), il est commercialisé depuis les années 1990 en Autriche et en Italie pour le traitement de l’alcoolodépendance et du sevrage alcoolique (Alcover) ; il n’a pas l’AMM en France dans cette indication. À la dose de 50 mg/kg, Le GHB a démontré une efficacité supérieure à celle du disulfirame et de la natrexone dans le maintien de l’abstinence et la réduction du craving après sevrage, sans entraîner plus d’effets indésirables. Il existe néanmoins un risque addictif considérable chez les patients ayant une comorbidité psychiatrique ou addictive.4 Le GHB a fait l’objet d’une étude multicentrique en France et en Europe dans le maintien de l’abstinence. Un dossier de demande d’AMM a été déposé. Mais, son usage détourné à des doses élevées a terni son image, il est communément qualifié de drogue du viol ». n Perspectives D’autres médicaments sont encore en cours d’évaluation et certains représenteraient des pistes intéressantes, comme le topiramate, l’ondansétron, la prégabaline, la gabapentine… D’une manière générale, les problèmes liés à l’alcool sont de plus en plus considérés comme des troubles hétérogènes et complexes nécessitant des traitements personnalisés. Cette approche devrait tenir compte d’éléments prédicteurs de réponse, dont les dimensions cliniques prédominantes, les comorbidités somatiques et surtout psychiatriques nécessitant une prise en charge multimodale. l RÉFÉRENCES 1. Dematteis M, Mallaret M. Les thérapies médicamenteuses. In: Benyamina A, ed. Addictions et comorbidités. Paris: Dunod; 2014: 448. 2. Soyka M. Nalmefene for the treatment of alcohol dependence: a current update. Int J Neuropsychopharmacol 2014;17:675-84. 3. Gorsane MA, Kebir O, Hache G, et al. Is baclofen a revolutionary medication in alcohol addiction management? Review and recent updates. Subst Abus 2012;33:336-49. 4. European Association for the Study of Liver. EASL clinical practical guidelines: management of alcoholic liver disease. J Hepatol 2012;57:399-420. 5. Skala K, Caputo F, Mirijello A, et al. Sodium oxybate in the treatment of alcohol dependence: from the alcohol withdrawal syndrome to the alcohol relapse prevention. Expert Opin Pharmacother 2014;15:245-57. L’auteur déclare avoir participé à des interventions ponctuelles pour Lundbeck. Cet agoniste sélectif des récepteurs GABA-B a été initialement développé comme antiépileptique, puis utilisé en traitement de la spasticité neurologique jusqu’à la dose de 80 mg/j. Il diminue les propriétés renforçantes de l’alcool en baissant notamment la libération de dopamine dans le système de récompense (noyau accumbens et aire tegmentale ventrale) et réduit ou supprime la réponse conditionnée produite par l’alcool, mais aussi la cocaïne, la nicotine, l’héroïne… Dans l’addiction à l’alcool, des études cliniques (ouvertes, randomisées et contrôlées) à faibles doses (30 mg/j) ont retrouvé des résultats contradictoires. Le cas d’un médecin français qui s’est traité pour une dépendance alcoolique sévère associée à un trouble anxieux a suscité un grand engouement. Il a augmenté la posologie de baclofène par palier jusqu’à éprouver, à 270 mg/j, une suppression prolongée du craving et l’absence de symptômes de dépendance. Il l’a ensuite réduite à 120 mg/j en raison d’effets indésirables (somnolence). Une étude française suivant ce même design expérimental montre un arrêt ou une réduction significative de la consommation d’alcool chez 88 % des participants et retrouve l’indifférence à l’alcool et les effets anxiolytiques. Avec un recul de 4 décennies, cette molécule est généralement considérée comme bien tolérée et sûre. Les effets indésirables les plus décrits, somnolence, fatigue, vertiges sont souvent transitoires.3 Le baclofène a montré une sécurité d’utilisation dans les stades avancés de maladie alcoolique du foie ainsi que son efficacité en prévention de la rechute dans cette population (EASL 2012). Deux essais randomisés contrôlés (Bacloville et Alpadir) ont été mis en place en France afin de l’évaluer à forte dose et les résultats ne sont pas encore connus. En mars 2014, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) a accordé une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) permettant d’encadrer, de manière exceptionnelle et temporaire, sa prescription hors AMM à des doses pouvant atteindre 300 mg/j et ce, pour le maintien de l’abstinence et la réduction de la consommation jusqu’au faible niveau de consommation tel que défini par l’OMS (≤ 40 g/j chez l’homme ; ≤ 20 g/j chez la femme). Le traitement ne doit pas être initié en association à tout autre médicament utilisé dans la prise en charge de l’alcoolodépendance, en cas de pathologies somatiques graves (rénales, cardiaques, pulmonaires, hépatiques, épilepsie…), de comorbidités psychiatriques sévères (schizophrénie, trouble bipolaire, dépression sévère), de coaddictions (sauf tabac), de grossesse. L’instauration doit être très progressive pour une meilleure tolérance (3 prises/j). Des seuils doivent être respectés : au-delà de 120 mg/j, nécessité d’un 2e avis médical ; à 180 mg/j : avis collégial en structure addictologique (CSAPA ou structure addictologique hospitalière) ; la posologie de 300 mg/j ne doit jamais être dépassée. Il est possible de redescendre à une dose d’entretien après une phase à très forte dose. L’arrêt est progressif, sur 1 à 4 semaines. LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 30 l N° 959 l AVRIL 2016 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE !286!_MG959_FOC-gorsane.indd 287 31/03/2016 17:01