chapitre 1 problematique genera~e de la traduction

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chapitre 1 problematique genera~e de la traduction
CHAPITRE 1
PROBLEMATIQUE GENERA~E DE LA TRADUCTION
Notre objectif de !'optimisation de Ia didactique de Ia traduction en tant que pratique
professionnelle ou comme discipline universitaire en Inde, nous a revele, d'une part,
les enjeux de la fonnation en traduction dans un contexte multilingue et post-colonial
et d'autrepart les critiques de divers acteurs du domaine de traduction, c'est-a-
din~
les professeurs, les etudiants, les traducteurs et des donneurs de travail/donneurs
d'ceuvre. D'ou vient la question classique: peut-on enseigner a traduire?
1.1
Langues maternelles, langues etrangeres, langue de culture
Dans cette section, nous faisons etat de divers regards partes sur !'importance
economique des langues etrangeres et de la traduction en discutant du lien entre
l'economie et les langues etrangeres, etape indispensable pour foumir l'eclairage
necessaire
a· la
comprehension du contexte actuel et precis de notre travail. Nous
traitons ensuite des caracteristiques du milieu multilingue et post-colonial et de la
variante de I'anglais, facteurs susceptibles d'avoir une influence sur le but de notre
etude, a savoir !'elaboration d'une methodologie adaptee a notre cadre de travail.
1.1.1
Langues etrangeres et economic
Avant de proceder
a l' elaboration de notre problematique generale, nous souhaitons
jeter un regard sur des considerations economiques qui sous-tendent !'utilisation des
langues etrangeres. Comme !'analyse economique de la langue n'est pas un domaine
de recherche fermement etabli, il convient, en premier lieu, d'enumerer differents
arguments avances pour l'appuyer. 11 est incontestable que !'utilisation des langues
2
etrangeres est liee aux aspects economiques et done interesse les acteurs suivants pour
n'en citer que les plus importants:
Les gouvernements des pays developpes qui font valoir les avantages
a
tirer de l'apprentissage des langues etrangeres pour le commerce
international, et certains pays font activement Ia promotion de leur propre
langue al'etranger.
Les pays en developpement ou le debat ne tourne pas tant autour du
choix d'une langue etrangere- celui-ci etant largement tributaire du passe
colonial et commande par la volonte de s'integrer aux grands reseaux
internationaux,
Les entreprises, et notamment les multinationales qui semblent etre les
plus conscientes des repercussions des langues etrangeres sur leurs
resultats et deviennent done des actives promotrices de l'apprentissage et
!'utilisation des langues etrangeres.
Nous ne cherchons pas
a presenter un tableau international complet du lien entre les
langues et l' economie mais plutot de faire un survol des cas ou l'emploi des langues
etrangeres semble presenter une valeur economique. Par exemple, au Canada et aux
Etats-Unis, le role de la langue etrangere est d'elargir des possibilites socioeconomiques des minorites pour qui la competence dans la langue majoritaire est
avantageuse dans le marche du travail; dans I'Union Europeenne, les politiques
linguistiques sont liees aux politiques commerciales; Ia Francophonie et
Commonwealth sont des blocs linguistiques internationaux qui visent
le
a promouvoir
.
3
l'activite commerciale entre leurs Etats membres; le choix des langues nationales en
Tanzanie,
a
Hong Kong, en Malaisie et
a
Singapour obeit largement
a
des
considerations economiques, en plus d'etre lie a des facteurs politiques et culturels; le
marche europeen integre, enfin, illustre bien comment des societes multinationales ont ·
ete incitees
adevenir multilingues.
L'analyse economique des langues, c'est un domaine d'etude relativement nouveau.
Dans un article de 1997, sur !'approche economique des langues minoritaires,
Frans;ois Grin 1 du Departement d'economie politique, Universite de Geneve et
Frans;ois Vaillancourt du Departement de sciences economiques, Universite de
Montreal, explorent Ia relation entre competences linguistiques, appartenance
linguistique et revenu du travail en Suisse et au Canada. Les donnees mesurent les
niveaux de competence en langues non-matemelles par type (comprehension orale,
expression orale, lecture, ecriture). Selon eux, la maitrise de la langue frans;aise par
les Suisses alemaniques ou de la langue allemande par les Suisses romandes leur
donne un revenu plus eleve de 5
a 15 % en fonction des niveaux de competence. De
merne, des rendements de l'ordre de 5
a 10
% sont associes au
bilingui~me
des
francophones au Quebec.
Albert Breton et Peter Mieszkowski expliquent comment une langue peut etre
assimilee a une forme de capital :
L'acquisition d'une seconde langue exige du temps, de l'effort et
de l'argent. Ces ressources etant peu abondantes, elles ·ont une
valeur economique,ou de rarete. Or, les avantages que procure
Ia connaissance d'une seconde langue sont repartis dans le
temps. Le fait d'apprendre une seconde langue constitue done
un investissement ou !'acquisition d'un actif. Plus precisement,
on peut dire qu'une deuxieme (troisieme ou quatrieme) langue
1
GRIN F.et VAILLANCOURT F., «La Langue comme Capital Humain >>,Options politiques, juillet /aout- 1997,
p. 69-72
4
est une fonne de capital humain, susceptible, comme tout
capital, d'etre augmente ou deprecie- bien que, contrairement
aux biens materiels, celui-ci ne se deteriore pas a !'usage- ou
encore de devenir perime 2
De ce fait, les langues deviennent des biens de consommation et suivent les regles
de l'offre et de Ia demande. Or, si les langues constituent un placement, elles doivent
avoir un rendement, lequel determine Ia langue a acquerir.
Par ailleurs, Ia traduction en langue etrangere, activite professionnelle en plein essor
avec Ia mondialisation, se trouve egalement influencee par Ia vague d'extemalisation
qui se generalise dans tous les secteurs de l'economie. La traduction, n'etant pas
l'activite principale des grandes industries, et l'inutilite d'avoir des traducteursmaison pour chaque langue etrangere fait que les textes se trouvent envoyes
a une
agence exteme pour les fain! traduire. Ces agences offrent, entre autres, Ia traduction
en plusieurs langues, meme des langues r:ares, des traducteurs specialistes du
domaine, l'economie de temps et d'argent et elles sont equipees de dictionnaires et de
glossaires specialises sans parler d'outils informatiques de pointe.
Cependant, si l'apprentissage des langues etrangeres a un pouvoir economique, il ne
permet pas d'expliquer entierement les politiques linguistiques, qui obeissent
egalement
a des considerations culturelles, nationales ou sociales ou les decisions de
planification linguistique sont motivees et limitees par des considerations
sociolinguistiques et politiques avant tout.
2
BRETON, Albert et MIESZKOWSKI Peter, «The Economics of Bilingualism», In OATES Wallace E. (ed.),
The Political Economy of Fiscal Federalism, Lexington, MA: Heath, 1977,p. 155
5
1.1.2
Les enjeux du multilinguisme et du contexte post-colonial
11 est incontestable que le multilinguisme, phenomene qui influence la vie des indiens
est un element omnipresent en Inde. La multiplicite des langues, des religions et des
races n'est pas un phenomene post-colonial exclusif, la diversite culturelle du pays
existait meme pendant la periode vedique
a croire les anciens textes.
Le pluralisme
culture} reste done la pierre angulaire de la pensee indienne et }'expression meme de
son identite. Le probleme se pose, pourtant, au moment ou la politique linguistique du
pays investit certaines langues du pouvoir et marginalise d'autres, transformant ainsi
une reserve socioculturelle en un sujet politique.
Apres l'independance, l'Inde fut divisee en etats au niveau linguistique. Comme le
Hindi etait une langue comprise par un nombre superieur des Indiens par rapport aux
autres langues, il fut decide que cette langue aurait le statut de lingua franca. Les
autres regions, percevant cela en la dominance d'une region sur les autres, ont opte
pour I'anglais comme alternative.
Le conflit entre le hindi et I'anglais a fini par !'adoption d'une formule atrois langues,
a savoir,
la combinaison de la langue maternelle, le hindi et I'anglais. Le hindi est
reste la langue des medias, de la television et du cinema. L'anglais et le hindi sont
utilises pour !'administration. Pourtant, il est incontestable que I'anglais reste la
langue de communication la plus repandue au niveau national. Aujourd'hui, bien que
l'anglais soit la langue de l'elite, cette langue n'est pas associee uniquement aux
traditions occidentales, comme pendant la periode coloniale.
6
En meme temps, Ia croissance economique a fait de I'anglais Ia langue de lien ou de
communication au niveau national ainsi qu'au niveau international.. Une economie
agraire a cede a une economie industrielle et commerciale. La classe moyenne a du se
deplacer pour profiter des debouches dans l'industrie. Done la formule
a trois langues
a pris une nouvelle dimension ou les trois langues dans un etat comme le
Maharashtra, par exemple, etaient Ia langue de Ia region du domicile (le marathe), Ia
langue nationale (le hindi) et Ia langue intemationale (I'anglais) et s'y ajoutait
egalement Ia langue matemelle (le fran9ais). Comme le hindi n'avait pas de
terminologie necessaire pour satisfaire a Ia nature dynamique de !'interaction entre Ia
langue et Ia science, I'anglais a domine dans les universites scientifiques et les ecoles
techniques, un phenomime tout
a fait
normal dans les pays en developpement
comme le constate Hans Raj Dua:
.. it needs to be pointed out that in most developing multilingual
societies, English or the language of wider communication is used for
science education . . . whereas indigenous languages are used at the
level of school education ... 3
L'essor de Ia science et de Ia technologie et Ia revolution dans le domaine de la
communication rapprochent le monde. Ces developpements entrainent Ia globalisation
qui,
a son
tour, oblige !'adoption de quelques langues. Ce n'est pas surprenant
qu'elles soient les langues des colonisateurs qui sont des langues fonctionnelles et
intemationales. La formation fonctionnelle devient ainsi importante.
L'activite de traduction devient importante pour repondre aux besoins economiques et
pragmatiques. Ceci remet en question la generalite de certains presupposes de la
3
DUA Hansraj, Science Education and language dominance In RAMAKRISHNA Shantha, (oo) ( 1997), op.cit.,
p.60
traduction qu'il ne faut traduire que dans sa langue matemelle, doctrine qui ne marche
pas dans un contexte plurilingue comme le signale Paul St. Pierre :
Whereas this may well, in a monolingual or even bilingual society, be
perfectly acceptable and even desirable, on cultural as well as
linguistic grounds, in a plurilingual context such as that of India it is at
once impractical. .. 4
11 continue cette discussion pour souligner qu'en Inde il est difficile de definir de
fa9on precise la notion de la langue matemelle qui est en general, la langue dont il se
sert dans la vie quotidienne. Pomtant il peut lui arriver de manier plus d'une langue
dans la communication de tousles jours. Tres souvent il s'agit de l'anglals, la langue
de !'education appelee la langue de culture, le hindi, la langue nationale qui est un
choix politique et une langue regionale comme le marathi par exemple qui est la
premiere langue parlee du traducteur. Le choix politique de la formule
atrois langues
pour resoudre le probleme linguistique semble en creer d'autres. Indranath Choudhari
deplore que cette politique qui consiste a se servir du formule a trois langues, non pas
comme une strategic mais comme un but en soi,a entraine une decroissance de la
competence linguistique en disant,
I shall like to point out that because of the displacement of hinguage
from the centre of education and use of the three-language formula
more as a goal and not just a strategy, the language competency has
miserably gone down so much that the new education policy shows
concern for it 5
En 1938 deja, Raja Rao, dans la preface de Kanthapura avoue qu'il est difficile
d 'ecrire comme un Anglais parce que
One has to convey in a language that is not one's own the spirit that is
one's own ... we cannot write like the English. We should not... our
method of expression therefore has to be a dialect which will someday
4
5
STPIERRE Paul, «Translation in a plurilingual post-colonial context», ibid, p.l36
CHOUDHARI Indra Nath, « Plurality oflanguages and Literature in Translation» ibid p.30
8
prove to be as distinctive· and colorful as the Irish or the American.
Time alone will justify it6 .
1.1.3
L'anglais en Inde
Il est generalement accepte que I'Inde soit un pays oil la traduction fait partie de la vie
quotidienne des gens comme ils manient deux
a trois ou bien meme quatre langues
dans Ia vie quotidienne et la plus grande partie de Ia population instruite parlent plus
de deux langues. Dans les societes post-coloniales, les langues se caracterisent d'une
part, par une complexite et d'autre part, par une hybridite et une mutation constante.
C'est I'anglais qui est la force unificatrice meme si cette langue s'etend pour inclure
des mots hindoustanis et des expressions typiquement indiennes. Cette variante de
I'anglais assume une identite pan-indienne et s'appelle «Indian English» ou
« Indish » (l'anglo-indien), resultat de ce que Kachru 7 appelle « transfert » et Todd8
appelle « reflexification » de Ia langue matemelle en anglais, oil les locuteurs se
I
servent du vocabulaire anglais mais des structures et des rythmes indigenes. La
variante anglo-indien de I'anglais est une sorte de traduction litterale plutot que la
traduction per se, et cette reflexification est plutot comme. une approximation
transparente tout en englobant Ia translitteration, Ia paraphrase et le transfert. Il s'agit
ici d'un phenomene qui caracterise toutes les societes post-coloniales oil les langues
se caracterisent par leur hybridite et leur dynamisme. Dans un ouvrage sur le postcolonialisme, Bill Ashcroft dit que
6
RAO Raja, Preface de Kanthapura ( 1963) p. vii, cite par NEW W.H. «New Language, New World», In
ASHCROFT B. GRIFFITH Gareth and TIFFIN Helen (eds),The Post Colonial Reader, Routledge, London and
New York 1995 p.307
7
Kachru B., English in India, The lndianisation of English, The English Language in India, Oxford University
Press, New Delhi, 1983
8
TODD Steven, The African Palimpsest, lndigenization in the West African Europhone Novel Cross
Cultures, Amsterdam and Atlanta, Rodopi 1991
(l
Language in post-colonial societies, characterized as it is by
complexity, hybridity and constant change, inevitably rejects the
assumption of a linguistic structure or code, which can be described by
the distinction of"standard" and "variant". 9
Comme l'enseignement de Ia langue n'est pas effectue par des locuteurs natifs depuis
la peri ode coloniale, tres souvent, et plus particulierement dans I'usage quotidien, les
Indiens ont la tendance de penser dans leur propre langue et
a traduire en anglais. Ce
phenomene caracterise I'anglais tel qu'on le parle en Inde et Ia marque par rapport
a
la langue britannique.
Par ailleurs, les Indiens commencent
a communiquer en anglais, langue associee au
pouvoir economique et de ce fait, les groupes qui ont adopte cette langue ont acquis la
possibilite de participer integralement a l'activite economique au niveau national ainsi
qu'au niveau international. Si l'on mesure le dynamisme aux termes de la creativite,
de Ia qualite et Ia quantite de la production, .de sa valeur pour la croissance
economique et Ia mobilite sociale, et de sa capacite de creer des reseaux de
communication et etendre ses fonctions et son usage, il est certain que les autres
langues indiennes n'ont pas le dynamisme dont jouit I'anglais. En general, les
personnes qui ne possedent pas une competence fonctionnelle en anglais ont des
possibilites socio-economiques limitees dans leur choix de carriere.
Sur le plan des competences de la langue, il existe deux poles en Inde. D'une part, se
trouvent une minorite de lccuteurs qui parlent un anglais tres proche
a la
langue
britannique et de l'autre des locuteurs d'une variante tres deviante de I'anglais
«standard». Entre ces deux groupes se trouvent des millions d'indiens qui ont une
9
ASHCROFT Bill« Constitutive Graphonymy »In ASHCROFT B., GRIFFITH Gareth and TIFFIN Helen (eds)
(1995),op. cit. , p 300
10
competence variable sur cette echelle. Dans !'introduction de l'ouvrage «Indian and
British English» cette heterogeniete dans le niveau d'anglais est mise en evidence
.. at one end are speakers who are virtually indistinguisable from
educated British speakers of the language: at the other are speakers of
a highly deviant form of English, with millions of users of the
language somewhere in between 10
La difference reside non seulement dans Ia prononciation et dans l'accent mais dans
!'usage meme de Ia langue, usage souvent issu de Ia mauvaise traduction des
expressions idiomatiques indiennes ..
Sans entrer dans le debat de l'acceptabilite de ces usages
a ce
stade de notre
recherche, il faut avouer que !'aspect pan-indien de ces caracteristiques est indeniable
et done susceptible de porter sur 1'ecriture en Inde, que ce soit Ia litterature en anglais
ou la traduction.
1.1.4
Le
fran~ais
en Inde
Dans le contexte indien, bien que I'anglais soit etabli comme langue de cuiture en
lnde en raison de son histoire coloniale, le fran9ais s'est egalement cree un foyer en
Inde soit pour des raisons historiques (anciens comptoirs fran9ais) ou pour des
poursuites litteraires, ou
plutot les deux. La tendance francophile des ecrivains
indiens n'est pas inconnue non plus. Premchand, le grand ecrivain indien qui a traduit
«Thai's» en hindi en 1923, dans ses essais sur « Kahani kala» ou « L'art de Ia
fiction», avoue la superiorite de Ia litterature fran9aise par rapport
a Ia litterature
anglaise qui selon lui
10
NIHALANI Paroo, TONGUE R.K. et HOSALI Priya (eds), Indian and British English- A Handbook of
Usage and Pronunciation, Oxford India Paperbacks, Oxford University Press 1998 p. 3
1l
.. cannot stand comparison with the creations of Guy de Maupassant,
Billzac or Pierre Loti. French short stories are extremely delightful. 11
Il est certain qu' Anatole France n'etait pas le seul
a etre traduit en hindi.
D'autres
ecrivains franc;:ais comme Moliere, Flaubert, Hugo, Dumas, et Camus pour ne citer
que les plus populaires, continuent
a etre
traduits dans les differentes langues
indiennes. Ainsi apres Ia litterature anglaise, c'etait Ia litterature franc;:aise qui a eu la
plus grande influence sur la litterature indienne.
Dans ce scenario, favorable aux etudes de franc;:ais en tant que langue etrangere en
Inde, le Gouvernement franc;:ais est intervenu dans la diffusion de Ia langue et de la
culture franc;:aises, que ce soit par l'etablissement des Alliances franc;:aises en Inde, par
!'implantation des Attaches Linguistiques ou par le don de bourses d'etudes aux
etudiants-chercheu~s
et aux professeurs de langues. En meme temps, dans les ecoles
privees anglophones, dont une grande partie est geree par des jesuites et qui
accueillent, en particulier, les enfants des hauts fonctionnaires indiens, la formule
a
trois langues comprend souvent le franc;:ais que les etudiants choisissent coinme la
troisieme langue au lieu d'opter pour Ia langue regionale.
Au moment ou la
globalisation dicte !'importance des langues internationales et europeennes, ce n'est
pas surprenant que le franc;:ais soit deja ancre dans le systeme educatif de l'Inde. ·
11
Cite par TRIVEDI Harish, «The Post-colonial Translation triangle», RAMAKRISHNA Shantha (oo) (1997),
p.256
op.cit.,
12
1.2
La formation des traducteurs
Des que 1'on commence
a relier la langue avec 1'economie, la formation en langue
etrangere assume une importance incontestable dans le contexte de la traduction. La
question se pose de savoir si l'enseignement de la traduction, le resultera-t-il de la
prise de conscience des avantages directement lies a la pratique de la traduction?
1.2.1
Former ou ne pas former
Les problemes de la formation des traducteurs sont multiples. Elle touche non
seulement a la discipline de traduction mais egalement aux problemes generaux de la
formation. Avant d'aborder les questions soulevees dans notre problematique, il
importe de pn!ciser le cadre theorique de notre recherche, a savoir la formation avec
ses multiples dimensions. Comme notre etude est centree sur Ia didactique de la
traduction, .nous serons amenes a situer la notion de programme de cursus et de
methodologie, les principaux composantes de la formation par rapport ala formation
proprement dite.
Selon le Dictionnaire Actuel de }'education, le terme formation est defini
~omme:
Ensemble de connaissances, des savoir-faire, des attitudes, des
comportements et des autres competences necessaires a l'exercice d'un
metier ou d'une profession. Ensemble des objectifs d'habilete d'un
programme d'etudes 12
Le Grand Dictionnaire Terminologique definit ainsi la formation:
Ensemble des mesures, procedes, methodes, activites et actions visant
essentiellement a permettre !'acquisition des capacites pratiques, des
connaissances et des attitudes exigees pour occuper un emploi relevant
d'une profession, d'une fonction ou d'un groupe de professions, dans
une branche de l'activite economique 13
12
13
LEGENDRE, Dictionnaire Actuel de l'education,2• edition, Quebec-Paris, GUERIN -ESKA, 1993, 1500 p.
Le Grand Dictionnaire Tenninologique,
http://w3 .granddictionnaire.comlbtml!fra/r_ motclef/index800_l.asp
·
13
Ces deux definitions mettent en evidence l'ampleur du domaine de Ia formation qui
doit integrer les elements suivants: objectifs, programme, methodes, mesures,
connaissances,
savoir-faire,
attitudes,
comportements,
competences/capacites
pratiques, profession, activite economique.
Dans le contexte qui nous interesse,
a savoir la traduction, la formation comprendra
un programme d'etudes avec des objectifs, avec des methodes et des mesures prises
pour !'acquisition des competences et des capacites pratiques, un savoir-faire dans un
domaine professionnel. La formation professionnelle vise la preparation a une activite
economique.
·1.Par
le mot cursus nous comprenons
Ensemble organise des programmes d'etudes d'un ordre d'enseignement
ou d'une institution, sanctionnes par des unites de valeur et conduisant
a !'obtention d'un diplome. Cycle des etudes universitaires considere
comme un ensemble d'etapes a franchir et sanctionne par une serie
echelonnee de diplomes 14
Pendant longtemps le programme d'etudes consistait en une liste de connaissances
a
acquerir mettant I' accent sur Ia matiere a enseigner. La 8e edition du Dictionnaire de
L'Academie franyaise, (1932-5) definit un programme tout simplement comme « une
annonce des matieres d'un cours ». Aujourd'hui cette conception s'est modifiee pour
englober non seulement le contenu, son decoupage et son organisation mais aussi les
objectifs poursuivis, les competences ou le savoir-faire et l'evaluation et ses
modalites.
Apres avoir defini les notions generales qui sous-entendent toute formation, nous
no us orientons vers I' objet de notre etude, Ia formation des traducteurs pour discuter
14
LeGrand Dictionnaire Tenninologique
http://w3 .granddictionnaire.comlbtmVfra/r_ motclef/index800_l.asp
14
de !'importance de la fonnation en traduction et pour determiner les niveaux et le
public auquel s'adresse cette formation.
Malgre le fait qu 'un grand nombre de programmes de formation en traduction se sont
manifestes, soit dans les universites et les ecoles de langues, soit sous forme d'ecoles
et d'instituts de traduction, la formalisation d'une formation systematique a fait !'objet
de grandes discussions. Dans un memoire faisant reference aux annees 40, epoque des
premiers cours de traduction de l'Institut de Traduction a Montreal, Jean Gregoire, la
directrice rapporte :
II faut noter que Ia creation de cours de L' Institut de Traduction avait
soul eve des I' abord plusieurs commentaires plut6t pessimistes.
L'opinion se faisait mal a l'idee «que la traduction s'enseigne comme
toute autre matiere. On pensait que, pour qui connait bien les deux
langues, point n'est besoin de cours pour apprendre a traduire ( ... ] 11 a
bien fallu reconnaitre que le «metier» pouvait s'enseigner, comme
tous les autres metiers, et qu'a competence egale, les dipl6mes des
cours de traduction tiraient un meilleur parti de leurs co:rmaissances et
donnaient un meilleur rendement. 15
Dans un article dans le META en 1966, I.J. Citroen fait echo des sentiments des
praticiens de la traduction sur la pertinence de la formation en traduction en disant :
There appears to be much uncertainty among practising translators as
to the character that training for the profession should have, and even
whether a formal training for translators is really desirable. After all,
the majority of the translators active at present never had a direct
schooling for the trade they ply, nor have they ever felt a need for it.
Some have been educated as linguists, others are persons who have
learned languages abroad, many are gifted people who managed to
master the required skills in their own ways. 16
15
GREGOIRE Jean, Directrice de IT de Montreal cite dans un article sur l'enseignernent de Ia traduction
Montreal, Journal des traducteurs,\957 pp 150-151.
.
16
CITROEN I. J. «Targets in Translator training», META, Vol II, No 4, Decembre 1996 p.\-2
a
Sans chercher
avances
a rouvrir ce debat, nous examineront brievement quelques arguments
a cet egard. En 1959 Jean Paul Vinay a lance Ia question suivante : « Peut~on
enseigner Ia traduction ? >> Cette idee semblait faire allusion
a Ia question « Peut-on
enseigner l'art aux artistes?» Ainsi, il a montre qu'il etait non seulement possible de
fonner les traducteurs mais qu'il etait necessaire d'avoir une formation systematique.
II a propose le stylistique comparee comme methode pour resoudre les problemes de
la traduction et pour la premiere fois son manuel concretisait l'enseignement de la
traduction. Ce manuel a non seulement inspire d'autres methodes de traduction mais il
continue aetre utilise meme de nos jours.
A ceux qui croient que c'est en traduisant qu'on devient traducteur, C. Huges repond
"\·:
que c'est Ia mauvaise et incorrecte pratique qui est responsable de Ia creation des
mauvais traducteurs, car,
That practice makes perfect is not nescessarily so. Practice makes
pemianent.... Incorrect practice, bad practi~e will eventually produce
permanent bad habits 17
Reflechissant sur sa propre formation, sur un ton humouristique,.. Viaggio apporte un
autre argument en faveur de la formation structuree. Dans une communication
intitulee « Translators and Interpreters : Professionals or Shoemakers », il dit
I would have become a better professional in a shorter time and with
more sanity had someone taught me what I was forced to discover on
my intuitive o·wn 18
17
Cite par PElTON Andre, La Version Anglaise, Presses Universtaires de Rennes, 1995, p.9
VIAGGO, Sergio. ( 1992) «Translators and Interpreters. Professionals or Shoemakers? » in Teaching
. Translation and Interpreting: Training, Talent and Experience. Papers from the First Language International
Conference, Elsinore, Denmark, 31 May- 2 June 1991. DOLLEROP Cay et LINDDEGAARD Anne (eds).: John
Benjamins, Amsterdam/Philadelphia p. 3
18
16
Pour conclure Gile semble appuyer notre propre optmon sur le probleme de Ia
traduction
It is increasingly recognised that formal training in liT schools is the
most practical way to teach and test abilities to supply the market with
reliable professionals {... } training methods are still empirical and
.
• .
.
19
reqmre optimization .
Apres av01r examine !'opinion de divers chercheurs s'exprimant au sujet de Ia
fonnation nous pouvons conclure que comme dans le cas de toute activite
professionnelle, Ia logique demande qu'il y ait une certaine formation disponible pour
les pratiquants dans ce domaine. En meme temps, comme dans toute discipline, Ia
traduction exige, elle aussi, certaines predispositions pour exceller. La question se
pose don~ de savoir Ia maniere de former de« bons traducteurs »en vue d'obtenir une
performance optimale ce qui et constitue, a notre avis, la question centrale de Ia
formation
1.2.2
La traduction dans une classe de FLE
Dans l'enseignement.du FLE, l'attachement ala traduction
dem~ure
une realite et la
traduction reste un composant significatif de I' enseignement des langues etrangeres
partout dans le monde.
John Williams, dans !'introduction de «Performance and Competence in Second
20
Language Acquistion » parle de l'utilite de cette demarche pour l'apprentissage des
langues en disant que hi traduction est une tache qui entraine une competence
19
GILE, Daniel ( 1995): Basic Concepts and Models for Interpreter and Translator Training,
Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 1995, p. ix
20
WILLIAMS J. dans !'introduction de BROWN G., MALMKJAER K. , WILLIAMS J. (eds)
Performance and Competence in Second Language Acquisition, Cambridge University Press,
Cambridge, 1996, p. 2
17
multilingue. Selinker21 pense egalement que Ia traduction est une strategie importante
pour I' apprenant comme elle lui permet de jeter un regard sur un autre systeme
linguistique.
La traduction est utilisee dans l'enseignement des langues avec la methode dite
« grammaire-traduction » au XIXeme siecle. Cette methodologie a ses origines dans
I' enseignement des langues mortes (grec ancien et, surtout, le latin) et vise
essentiellement Ia lecture, voire le dechiffrage de textes litteraires. II est evident que
ce n'est pas de communication dont il est question car Ia langue (etrangere) apparait
comme un simple objet d'etude. Rappelons que la grammaire-traduction mettait
I' accent sur Ia traduction systematique des mots et des structures grammaticales. Ainsi
"\:
Ia langue est-elle consideree comme un code. Le resultat en est que l'on accorde une
grande importance aux correspondances linguistiques ce qui, dans la pratique,
debouche sur un transcodage souvent abusif. II s'agit d'une traduction litterale ou inot
a mot.
Les methodes directes qui en suivaient, avanyaient les premiers arguments contre Ia
traduction qui ne laissent aucune place a !'aspect oral de la langue. Pour aller vite, on
peut constater qu'en FLE les approches communicatives ont, depuis le milieu des
annees 1970, permis d'accorder la place qu'elle merite
place accordee
a la communication mais la
a la traduction depend de parametres difficiles a cemer, la traduction
etant preconisee pour certaines activites faisant appel au raisonnement.
Nous entendons par ce terme [l'appel au raisonnement] le fait que les
apprenants en langue devraient etre conscients de ce qu'ils font quand
ils entreprennent des taches langagieres : ils devraient etre amenes a
s' apercevoir que ces taches renvoient a la fayon dont ils utilisent leur
propre langue a des fins veritables de communication. Ce principe
21
SELINKER L. «On the notion of« il Competence» in early SLA research : An aid to understanding some
baffling current issues ». ibid p. I 03
18
nous conduit naturellement a associer Ia langue a apprendre a celle que
I' apprenant connait deja et a no us servir de Ia langue comme on en use
nonnalement [... ]
Ce que no us cherchons a faire, c' est amener l' apprenant a apprehender
la langue etrangere de la meine fa90n qu'il apprehende sa propre
langue; et a l'utiliser de la meme fa90n en tant qu'activite de
communication. Cela etant, il semblerait raisonnable de faire appel a la
connaissance que
l'apprenant possede deja de la maniere dont sa
langue matemelle sert ades fins de communication. En d'autres tennes
il semblerait raisonnable de recourir a la traduction. 12
La permission
a traduire accordee, bien qu'elle soit conditionnelle, l'idee de se servir
de la traduction dans une classe de langue a trouve une forte opposition. Selon Kirsten
Malmkajaer23 , Lado (1964) etait contre }'utilisation des exercices de traduction parce
qu'il n'existait pas toujours des equivalences de termes dans les deux langues, et
"~ parce que Ia traduction allait au-dela des quatre competences de la langue a acquerir.
Gatenby (1967),
a son tour, pensait que Ia traduction etait une mauvaise pedagogie et
inutile comme un etudiant serait parfaitement capable de comprendre un texte mais
incapable de l'exprimer dans une autre langue. D'autres objections avancees contre Ia
traduction sont entre autres:
qu'elle prend beaucoup de temps et done n'est pas adapte au travail dans la
classe.
qu'elle empeche les etudiants de penser dans Ia langue etrangere, c'est-a dire
qu'elle encourage la pensee dans une langue et le transfert dans l'autre
qu'elle entraine une interference de Ia langue matemelle
qu'elle donne !'impression que le niota mot est possible dans Ia traduction
qu'elle porte atteinte
a
l'oral,
a
l'autonomie et aux strategies de
communication.
22
WIDDOWSON H. G.,« Une approche communicative de l'enseignement des langues )), CrCdif-Hatier, Coli.
LAL, 1981
23
MALMKJAER Kirsten dans ]'introduction de Translation and Language Teaching, St Jerome Publishing,
Manchester, 1998.p 4-5
19
qu' elle est un phenomene de mode.
Loin d' etre. un simple phenomene de mode, il faut cependant preciser que les
apprenants prennent de plus en plus conscience du fait que l'une des professions ou
meme Ia profession sur laquelle l'apprentissage d'une langue etrangere, en
!'occurrence le fran9ais, peut debaucher, c'est la traduction. En adapt!lnt les propos de
M. Ballard
24
,nous pouvons affinner que dans Ia traduction linguistique, l'objectif
I
n'est pas de traduire, mais,
a travers
Ia traduction, d'acquerir et d'asseoir les
competences linguistiques,d'affiner les connaissances, d'apprendre
a apprendre. et a
retlechir. Parmi les avantages cites pour Ia traduction dans une classe de FLE, on
trouve les suivants :
Ia capacite
a traduire s'avere souvent, plus encore que les autres,
necessaire
dans Ia vie professionnelle. D'autre part, la traduction permet de repondre aux
objectifs de reflexion linguistique et de formatiop intellectuelle assignee
a
l'enseignement des langues vivantes.
Si dans !'etude d'une langue etrangere, les comparaisons,ponctuelles entre la
"langue source" (langue maternelle) et la "langue cible" sont frequentes, c'est
par l'exercice de Ia traduction qu'on precede, a la comparaison systematique de
la structure et du lexique respectifs des deux langues. Ce va-et-vient oblige
permet d'en approfondir Ia connaissance et d'elargir Ia conscience linguistique
de l'eleve .
Toute traduction prete
a
discussion, et ce, de maniere directement
proportionnelle au degre de litterarite du texte. Loin de representer un
BALLARD Michel, «La traduction de Ia conjonction 1 and 1 en fran~ais »in: BALLARD M. (ed.) Relations
discursives et traduction, Lille, PUL, (collection:« Etude de Ia traduction»), 1995 p 36.
24
?0
obstacle, ce tait agit comme un stimulus: par l'examen critique des differentes
traductions possibles, I'eleve est amene a se poser des questions, a developper
sa capacite d'analyse, a ordonner dans son esprit ce qu'il sait deja, pour
apprehender les nuances de maniere de plus en plus fine
Par le biais de la comparaison et de la reflexion qu'elle suscite, la traduction
est - d'une fa9on moins abstraite que l'etude de la civilisation et moins aride
que celle de la grammaire - la clef d'acces a la comprehension d'une fonne
mentale differente, trame sur laquelle s'est tissee une autre culture. Or, tout ce
qui permet de mieux connaitre l'autre nous apprend ale respecter
La traduction permeF de verifier la comprehension d'un texte (version) et
d'obliger l'eleve a mobiliser ses connaissances grammaticales et lexicales
(theme); elle constitue aussi un excellent moyen pour mettre en lumiere et
demeler certaines confusions, frequentes au college ( par exemple entre les
notions d'epithete et d'attribut), et pour combler des lacunes redhibitoires
a
~~t?J;~~;
!.:~/ i:::·· '\
(usage de la ponctuation et emploi des majuscules )
,t'"''
"(.'~ 1:
\\,.~~
Les nouveaux programmes universitaires mentionnent explicitement Ia
traduction parmi les capacites a atteindre a la fin des etudes. En reproduction,
Ia traduction de phrases et de petits textes est un complement utile au travail
grammatical; en reformulation, l'eleve doit apprendre aresumer en fran9ais un
texte anglais (et vice versa), adapte a son niveau de connaissances generales
:traduction-reformulation).
] parait profitable d'entrainer les eleves a des taches de traduction des le debut
le l'apprentissage
21
\
C..j
::.....
.n
,:i
\'(:t;~£
Dans une enquete menee aupres des les universites britanniques, dix-neuf sur vingt et
une institutions etaient d'accord pour dire que « Ia traduction ameliorait les
competences langagieres des etudiants »25 et Ia traduction servait non seulement
a
renforcer !'expression ecrite mais aussi la comprehension ecrite. De meme, Sewell 26
pense qu'il n'y a aucun doute que les amateurs de langues trouvent Ia traduction une
activite motivante et il faut justement exploiter cet aspect des apprenants dans une
classe de langue. Leurs attentes font done que les enseignants sont en quelque sorte
accules au changement.
Poutant,
la methodologie traditionnelle (grammaire-traduction) semble avoir
.,
beaucoup influence ce qui aujourd'hui tient lieu d'approches en classedans Ia piupart
des cours de langues partout dans le monde et, sur le terrain, les vieilles habitudes de
la tradition " grammaire-traduction " prevalent toujours. Nous constatons que les
pratiques de classe ·se caracterisent globalement par un cho~x de textes essentiellement
litteraires au profit des textes tires de sources usuelles (joumaux, materiel de
vulgarisation, magazines,etc.). En effet, les enseignants de theme et de _version
privilegient des textes litteraires classiques et ce pour presque les memes raisons qui
etaient identifiees naguere · : ces textes sont censes renfermer une langue
grammaticalement correcte. II s'agit done de modeles dont on doit s'inspirer. En
matiere d'approches Ia fidelite au mot semble etre erigee en methode de travail. Nous
sommes done obliges de nous interrogee sur Ia fidelite en traduction pooagogique
(theme- version)
25
ANDERMAN Gunilla, «Finding the right word», MALMKJAER Kirsten, (ed) (1998), op. cit. .p45
SEWELL, P. « Translation in the Curriculum »,dans SEWELL pet HIGGINS I (ed) Teaching Translation in
Universities, Present and Future perspectives, cite par ANDERMAN Gun ilia, ibid,.p 46
26
22
Ce qui est sur, c'est que Ia traduction linguistique ne vise guere Ia communication au
vrai sens du terme,comme c'est le cas de Ia traduction professionnelle. Le but de Ia
traduction est de faire comprendre en faisant traduire mais les apprenants, surtout au
niveau superieur, veulent etre en mesure de traduire pour faire comprendre ·a un
destinataire, rut-il virtuel comme un grand nombre d' apprenants apprennent Ia langue
dans le but de devenir traducteurs (professionnels).
L'un des problemes majeurs du cours de traduction pedagogique est le fait que la
langue etrangere y constitue essentiellement un objet d'etude. La seule approche
linguistique ne saurait permettre
a l'apprenant de
faire eventuellement comme le
traducteur professionnel car malheureusclnent, dans la traduction pedagogique, c'est
l'acte meme de traduire et non le sens d'un texte qui est souvent privilegie. Ainsi la
traduction vise-t-elle tantot le perfectionnement linguistique ou la fixation de
structures grammaticales, tantot }'evaluation ou la 'Comprehension de l'apprenant d'un
texte, souvent litteraire. Cela tient, dans une grande mesure, au fait que l'apprenant
maitrise souvent mal Ia langue etrangere, en }'occurrence le fran9ais qui est tantot
langue de depart (version), tantot langue cible (theme).
Pour cette raison, une idee claire de certaines differences fondamentales entre
l'apprentissage d'une langue etrangere et celui de la traduction sera necessaire
a
souligner a ce stade. Jean Delisle a tres clairement formule ce point particulier, sur Ia
transition de l'etude d'une langue a celle de Ia traduction :
La traduction scolaire n'a que peu en commun avec la traduction
professionnelle. Elles n'ont pas la meme finalite ; la premiere est
totalement integree avec une methode d'acquisition d'une langue, alors
que la demiere est un processus communicatif. La traduction scolaire
23
precede, par definition, Ia traduction professionnelle. En consequence
Ia methodologie du processus d'apprentissage doit etre conc;ue avec in
fine a l'esprit Ia traduction professionnelle et non Ia traduction scolaire.
Lier differents concepts, afin de formuler un message suivant des
imperatifs de communication, n'est pas Ia meme chose que
!'assimilation d'une langue etrangere ou de Ia culture qui constitue son
habitat. 27
Lors de l'etude d'une langue etrangere, l'eleve est expose aux techniques usuelles
d'enseignement des langues : Ia traduction lexicale combinee a Ia diction,
comprehension orale,
a Ia
a Ia conversation et aux exercices grammaticaux. Done, Ia
traduction aux fins d'apprentissage d'une langue reste tres differente de Ia traduction
pour produire un texte, ce qu'on est suppose apprendre lors de l'etude de Ia traduction
"1:
aun niveau universitaire.
Ensuite, le texte est souvent cree specifiquement ou adapte de tel1e fac;on que les
cleves rencontrent certaines difficultes et pas d'autres, et que les difficultes
rencontrees par un eleve sont au meme niveau que sa connaissance de la langue
etrangere. Le texte utilise est souvent le meme, et sa correction devient mecanique car
l'enseignant connait deja les erreurs que les cleves sont susceptibles de commettre et
auxquelles on peut s'attendre. 11 pourrait y avoir de diverses solutions de traduction
pour une phrase donnee, mais elles doivent satisfaire a une condition necessaire :
l'enseignant doit etre sur que l'eleve a acquis certaines notions et a compris le sens et
la syntaxe de Ia phrase.
Un autre probleme de se lancer dans un exercice de traduction
a un niveau debutant,
c'est que l'enseignant se trouve oblige de partir par Ia traduction phrastique laquelle
fait tres souvent partie meme des epreuves des etudiants. Les phrases sont le plus
DELISLE, J., L'analyse du discours comme methode de traduction. Initiation a Ia traduction fran~ise de
textes pragmatiques anglais. Ottawa, Editions de l'Universite d'Ottawa, 1984 pp. 45-46
27
24
souvent tirees d'un manuel de texte francyais ou bien tout simplement invente par
I' enseignant.
Lors de l'enseignement de Ia traduction professionelle, il est avant tout important de
dire que le texte n'est en aucune fac;on artificiel, autrement dit que le texte n'a pas ete
invente pour inclure des difficultes particulieres de Ia langue, qu'il est done un texte «
reel » cree spontanement par un narrateur verbal ou ecrit. Cela a plusieurs
implications sur l'enseignement de Ia traduction pedagogique si celle-ci doit faciliter
l'apprentissage ulterieur de la traduction professionnelle.
Premierement, les phrases et les textes donnes ne presentent guere de difficulte
d'interpretation. Les diverses traductions peuvent faCllement etre marquees comme «
bonnes » ou « erronees », et c'est .exactement le role de l'enseignant, qui pourra alors
evaluer le niveau de langue atteint par l'eleve. Dans les phrases prononcees
spontanement dans Ia langue matemelle de leur auteur et otees de leur contexte (Ia
situation dans laquelle ces phrases sont prononcees) et du co-texte (les termes
immediatement avant et apres chaque phrases) !'interpretation peut etre difficile ou
ambigue.Pour cette raison, une partie importante du cours .do it etre dediee
!'interpretation,
aux
possibilites
interpretatives
ou
ambiguites
qui
a
existent
intrinsequement dans un texte, et a la fac;on de les traiter.
Une autre difference entre un texte scolaire et un texte authentique est dans les outils
qui peuvent etre utilises pour les traduire. Dans un texte scolaire, l'outil principal est
un dictionnaire bilingue. De ce fait l'apprenant se refugie dans Ia limite de ces
dictionnaires et le transcodage, souvent abusif, marque ses traductions. Est-il hesoin
de dire qu'au moment de traduire, il saisit malle sens ? Toujours est-il qu'on traduit
25
comme si cela permettait eventuellement la comprehension. Dans la realite, on ne
traduit que quand on a compris.
Une troisieme difference entre un texte scolaire et un texte authentique est liee au but
de la traduction. Les eleves traduisant
a l'intention
de leur professeur de langue
doivent produire un resultat qui montre leur niveau de langue. La phrase produite avec
cette fonction n'est habituellement pas evaluee pour sa valeur linguistique, mais
comme preuve de la connaissance de certaines regles et du vocabulaire. Prenons
I' exemple des phrases prises au hasard chez Dondo 28
1.
We wash ourselves and we dress : Nous nous lavons et nous nous
''i:
habillons.
2.
My sister must go and see her Aunt Amelia and her ·cousin Mary : Ma
smur doit rendre visite a sa Tante Amelie eta sa cousine Marie.
Je pense que l'enseignant se verrait satisfait par les resultats de son eleve. D1autre part,
si les phrases sont examinees de plus pres, certaines caracteristiques sont evidentes.
Tout d'abord, ce sont des phrases qu'aucun orateur ne prononcerait dans sa langue
naturelle en dehors du contexte d'un cours de langue. Ensuite, on ne sait pas
.a
qui
s'adresse la phrase et enfin l'eleve ne s'occupe que d'une langue artificielle ayant un
registre artificiel.
En d'autres termes, l'etudiant en langue produit une phrase devant etre evaluee, alors
qu'un traducteur produit un texte qui sera utilise, soit pour etre lu, soit pour etre
entendu et en meme temps pour etre juge et evalue par le lecteur ou par les critiques.
28
DONDO Mathurin, Modern French Course, Oxford University Press, 1930 p 152 et p.358
26
Nombreux sont les chercheurs qui soutiennent qu'en traduction didactique ou
academique il n'y a guere d'approche bien detinie. Meme si le point de depart de
1'operation de la traduction selon tous les chercheurs est Ia comprehension, en realite
!'inverse est vrai. Stephen A. Syme, professeur a l'Universite de Cape Coast, Ghana
conclut que
La traduction academique en langue etrangere achoppe sur un
probleme redoutable : les apprenants-traducteurs maitrisent souvent
mal la langue qu'il s'agit de traduire. D'ou le paradoxe : on traduit
pour comprendre au lieu de comprendre pour traduire29
La traduction pedagogique peut mieux s'inspirer de la traduction professionnelle si
"j•
l'on accepte le principe que l'on traduit pour faire comprendre dans un contexte
precis. Et pour ce faire, il ne faut traduire que quand on a compris.
Les professeurs de langue tireraient profit de fair~ faire des exer:cices de
comprehension, voire de dechiffrage du sens d'un texte avant de passer ala traduction
proprement dite. Ceci conduirait ala bonne maitrise de la langue qui est une c<:mdition
sine qua non pour une vraie activite traduisante. Il convient, dans ce cas d'habituer les
eleves a apprehender le texte dans sa globalite et a mobiliser leurs capacites sociolinguistiques et culturelles, afin de bien !'interpreter avant de le traduire. En travaillant
sur des proverbes, des expressions idiomatiques, des formules de politesse, on mettra
.
I>
tres tot en evidence les ecueils de la traduction. Une progression dans l'apprentissage
de cette technique vade pair avec celle du cours lui-meme: depuis la traduction des
phrases simples jusqu'a celle d'un texte litteraire, des reflexes seront crees sur le plan
linguistique ainsi que sur le plan methodologique. En developpant les capacites
29
SYME Stephen, Le fran~ais dans le monde, N°314, Mars-avri12001 p.23.
27
strategiques de l'eleve, l'enseignement de Ia traduction contribuera
a le
rendre
autonome. En outre la traduction vers sa langue matemelle est un premier pas vers
!'expression personnelle. Elle peut faire !'objet d'activites plus ludiques, notamment
a
l'oral : ecouter une histoire lue en fran<;:ais puis la resumer en anglais; reperer et
corriger des erreurs volontaires de traduction;jouer
a l'interprete
ou
a tout
autre jeu
inspire de la vie reelle et faisant intervenir la rapidite et la spontaneite dans
l'expression.Ceci est egalment indicateur du fait qu'on ne peut pas aborder le theme
et la version de la meme fa<;:on et done une seule methodologie ne marcherait guere
pour ces deux exercices en question.
1.2.2
La traduction al'universite ·
Nous savons deja que Ia pratique de la traduction a existe bien avant les activites de
formation, ceci pour des raisons expressives et culturelles. Mais c'est au cours des
trois demieres decennies qu'elle est devenue une activite professionnelle a part entier.
Selon Carmen Valero Garces 30 de I'Universite de Alcal~ en Espagne, les raisons
principales de cet interet accru pour la traduction sont les suivantes: !'intensification
des relations intemationales et des echanges culturels; Ia cpnsolidation de Ia
traduction comme discipline independante; les nouveaux champs d'interets de la
traduction tels que le sous-titrage, le doublage et !'interpretation simultanee, les
domaines croissants de specialisation Guridique, techniques ... ); le nombre croissant
des conferences et des publications et I'interet des universites dans la formation des
traducteurs.
30
GARCES Cannen Valero,« Translating as an Academic and Professional Activity)), META,XLV, 2,2000
p.378
28
De ce fait, de differentes formations en traduction se sont multipliees ces dernieres
annees, nees d'un besoin d'ouverture des etudes dites professionnelles et encouragees
par un marche demandeur en traduction technique Aujourd'hui, en dehors des instituts
et des ecoles de traduction, ce sont les universites, partout dans le monde, qui se
chargent de Ia formation des traducteurs au sein de leurs departements de langues,
tache qui se fait en conjonction avec le perfectionnement linguistique dans Ia langue
en question.
A vee Ia creation des premieres ecoles de traduction et les cours de traduction dans de
differentes institutions et avec l'etablissement de la Federation Intemationale des
Traducteurs en 1953, la traduction est sortie de son cadre amateu['ipour devenir une
profession exigeant une formation universitaire. Dans les annees 60 et 70 de
nombreux programmes de traduction ont ete crees dans les universites et offerts dans
les Departements de langues partout dans le monde. Leur objectif etait de preparer des
traducteurs aux besoins du marche.
lnitialement centre sur la litterature, ces programmes sont evolues vers des textes
pragmatiques avec un accent mis sur la traduction pedagogique.,c'est
a dire
la
traduction au service de l'enseignement des langues. La traduction pooagogique se
veut !'utilisation de la traduction pour des fins linguistiques. Selon Gile31 les activites
de traduction pegagogique vise
a faire
rooiger des textes en langue etrangere
conformement aux choix lexicaux et syntaxiques, a savoir
to write foreign language texts following lexical and syntactic choices
induced by the source language text
31
GILE D. (1995), op.cit. p. 22
29
tanms que dans le cas de la traduction professionnel vise le destinatiare qui s'interesse
au texte.
. .. aimed at a Receiver.. essentially interested in the text.
Les cours de traduction assures dans les Departements de langue dans les universites
presentent quelques caracteristiques specifiques. lis sont convus en general pour
maitriser Ia langue avec un accent mis sur I'usage correct de la langue. Les textes
'
exploites dans Jes classes sont des textes litteraires ou bien joumalistiques, les
premiers ayant le plus souvent des solutions toutes faites, les demiers alourdis par des
jeux de mots, des metaphores et des references culturelles. De plus Ia tradition
demande que les cours universitaires soient doses d' un contenu p·r~tot theorique.
Doter des apprenants des competences professionnelles rentables ne relevent pas de
leur philosophie.
Christine Klein-Braley et Peter Frank.lin32enumerent les problemes institutionnels
confrontes par les formateurs en traduction dans un cadre universitaire. Tout d'abord,
les diplomes .universitaires offrent une approche extremement restreinte en ce qui
conceme l'enseignement des competences. S'y ajoutent les problemes de lecture et
d'ecriture, habitudes manquantes pour ce genre de travail. Les types de textes utilises
en classe sont rarement de «reels» textes qu'on aura
a
traduire dans sa vie
professionnelle. Les professeurs d'universite se servent, en general, soit des textes
litteraires celebres dont les traductions sont toujours disponibles quelque part, comme
par exemple, un extrait de L'Etranger de Camus ou bien des textes joumalistiques
interessants pour retenir I' attention et la motivation de l'etudiant comme par exemple,
32
KLEIN-BRALEY Christine et FRANKLIN Peter, «The Foreigner in the Refrigerator», MALMKJAER
Kirsten ( 1998) op.cit., p. 59
30
·~u
...... '-'.\;;;:)
;:)~;;u:;auu 1 ui~;;l;:) u~;; r
au:;
lVlaL~n,
Lt;XLt;:; Iait;IHt;IlL Lraaun par nos traaucteurs
dans leur vie professionnelle. De plus les ·dictionnaires sont utilises, comme
d'habitude, pour verifier les mots inconnus, et Ia difference entre Ia signification et le
sens est ignoree. Aussi, Ia simulation de la situation de traduction (travail de groupe,
revision par un autre) n'est pas possible
a l'universite et
Ia tache primordiale que se
donnent les professeurs de traduction, reste, de faire reussir les etudiants a l'examen.
En plus, ce sont les enseignants qui jouent le double role de reviseurs-correcteurs et
de formateurs-evaluateurs et ils doivent relever le defi que posent les exigences
parfois contradictoires d'une formation professionnelle et d'un contexte universitaire.
D'oilla question, est-ce que Ia pratique de la traduction comme exercice uri1versitaire
classique peut servir
a former des traducteurs,
et dans queUe mesure une formation
universitaire est-elle capable de devenir une formation reellement professionnelle?
Selon Egan Valentine, ce scepticisme existe meme au Canada ou,
Malgre I' apport des programmes a I' amelioration de 1' exercice
de Ia profession, les responsables de programmes, les
formateurs, le praticiens et les formes eux-memes s'accordent a
dire que la formation suscite des remises en question et des
interrogations. 33
Valentine signale egalement qu'au Canada, comme partout dans le monde, les
programmes de formation des traducteurs qui existent dans les universites, done, font
l'objet de critique non seulement des acteurs de cette formation, c'est
a dire
les
formateurs et les etudiants mais egalement par des donneurs d'ordre (les clients).
33
VALENTINE Egan, ( 1997), op.cit., p. 19
31
Les candidats pour les cours de traduction dans les universites sont critiques tout
d 'abord pour leur insuffisance linguistique vis-a vis la langue de depart et la langue
d'arrivee, pour des lacunes serieuses au niveau de la culture generale et pour
l'insuffisance des etudes anterieures qui implique un manque de pensee analytique et
des problemes de redaction entre autres. Autrement dit, la selection des candidats rie
semble pas etre assez rigoureuse pour satisfaire aux exigences du metier.
Les candidats, de leur part, se plaignent de ne pas etre informes quant a Ia nature des
etudes de traduction. lis accusent les formateurs d'etre trop theoriques et d'ignorer Ia
realite quotidienne de Ia profession. lis trouv~nt que le programme est souvent trop
court et la structure administrative trop rigide. Les objectifs du cours ne sont pas J·lairs
et la progression en est absente. Les activites pedagogiques sont souvent empiriques
et il n'y a aucune place pour les outils de traduction. La plupart des candidats
souffrent de la quantite de thoorie enseignee qui .selon eux n'est pas essentielle. Le
manque de specialisation et du non-maintien de !'aspect multidisciplinaire de Ia
traduction sont deux sujets qui troublent les apprenants de Ia traduction. En meme
temps il ne faut pas oublier non plus les candidats qui restent de9us, non pas du cours
mais de la limite de leur propre capacite de traduire.
Le traducteur, quant a lui, fait souvent face aux problemes de non-reception de la
documentation, d'impossibilite d'acces au produit dont traite la documentation a
traduire, d'impossibilite d'acces ala terminologie maison, de limitation excessive des
delais, de sous-investissement dans la traduction etc.
32
D'une maniere generale, les employeurs et donneurs d'ordre ont tendance
en question !'interet et Ia pertinence des programmes de formation qui
a remettre
a leur avis ne
reflete pas le caractere pratique de Ia traduction. En meme temps il est vrai qu'ils font
preuve d'une meconnaissance totale de Ia traduction et souvent d'un mepris du
traducteur.
Par ailleurs, tout etudiant serieux de langue qui s'inscrit
a l'universite
pour un
dipl6me universitaire semble avoir trois choix devant lui. II peut devenir traducteur,
postuler pour un poste de professeur de langue/litterature ou bien se ·contenter du
dipl6me dans le but de poursuivre Ia recherche ou bien d'opter pour un travail
quelconque dans un milieu bilingue
acquises ou
a l'aide des competences complementaires
a acquerir ulterieurement.
d~ja
De toutes les fa9<}ns, trouver un travail reste
une tache difficile pour un jeune dipl6me partout dans le monde avec la penurie des
postes d'enseignant. S'il desire etre traducteur, il faut entrer dans un marche
concurrentiel ou existe deja un certain nombre de traducteurs etablis. Reste asavoir si
les dipl6mes en traduction sortant des universites sont en mesure d'entreprendre les
activites professionnelles avec les. savoirs et les competences acquises pendant les
etudes.
La question qui se pose done est de savoir a) quels savoirs et queUes competences il
faut impartir b) avec quel contenu etc) a l'aide de quels outils technologiques.
II est certain que la reponse a ces questions varie selon les coritextes en cause. Sans
avoir la pretention de trouver la bonne reponse a tous ces problemes, il faut avouer
qu'ils contribuent de maniere precieuse a !'orientation de notre recherche et de notre
reflexion dans cette matiere.
33
1.2.3
Les traducteurs autodidactes
Le nombre de traducteurs professionnels pratiquant dans le marche va de croissant.En
regardant le profil des traducteurs proposant des traductions sur l'Intemet, on constat
que la plus grande partie parmi eux se declarent « autodidacte » ou « self-taught »
Selon Le Leur l'autodidaxie ou l'autofonnation, 34
recouvre la demarche pedagogique qui consiste a assurer soi-meme
!'acquisition de connaissances choisies_ en principes hors des systemes
educatifs, done sans enseignant. Elle represente les apprentissages par
soi-meme sans la presence d'un professionnel de la formation.
L'autodidaxie se revele un mode d'apprentissage existentiel ou cognitif
dans lequel le sujet social apprenant conserve toute la responsabilite
sur son action formative.
A toutes les epoques, dans toutes les classes de la societe, il existe
les ati.todidactes,
ceux qui apprennent par eux-memes. La nature de cette autodidaxie :est tel ·que la
personne garde et assume l'entiere responsabilite du choix du oon.tenu et des
ressources ainsi que celle de la gestion de son projet d'apprentissage, c'.est-a-dire ces
individus entreprennent, de leur propre chef et hors de tout milie\1, des apprentissages
qu'ils ont eux-memes definis. De ce fait, l'autodidaxie se trouve a l'un des poles de la
formation. Gaston Pineau35 definitce pole d'autoformation comme la «situation ou le
pouvoir est au sujet qui se forme selon des objectifs, objets et moyens non imposes
par un autre ». L'autre pole, l'heteroformation, « se caracterise de fa90n pure par le
pouvoir preponderant d'un formateur responsable qui impose les objets, objectifs et
moyens de formation, le forme n'ayant qu'un role d'assimilation. ))
34
LE LEUR G. « Les nouveaux audidactes » in Neoautodidaxie et formation. Quebec,; Lyon Chronique Sociale,
Les Presses de l'Universite Laval, 1998
35
PINEAU Gaston, Produire sa vie: autoformation et autobiographie, Montreal, Editions Saint-Martin,l983,
. p. 45
34
Les rmsons pour l'autodidaxie sont variees. Seize traducteurs interrogees dans le
cadre de notre enquete sur les traducteurs professionnels ont juge un cours
universitaire absolument inutile. Reponse revelatrice, etant donne que sur les 63
traducteurs interroge au total,pour 55, la traduction n'etait pas l'activite principale et
seuls 17 avaient suivi une formation en traduction. Bien entendu, la majorite des
autodidactes accepte que la formation aide
a leur performance globale mais ils etaient
peu motives pour la poursuivre. Ces traducteurs ont donne des reponses types
suivantes:
Manque de confiance dans le systeme 'iuniversitaire pour repondre
besoins: «C 'est en traduisant qu'on .apprend
a traduire.
Pas
a leurs
a l'universite »
« La traduction se fait par intuition. Les cours n'ont pas de valeur » « Les
professeurs al'universite ne sont pas traducteurs. »
Manque d'infonnation sur les enjeux et les exigences de Ia traduction: «La
seule exigence qu'un traducteur doit respecter. ... c'est la connaissance de
deux langues » , « J'ai de tres bons dictionnaires informatiques. Je trouve
presque tous les termes Ia dedans »
Manque de temps pour suivre des cours universitaires: « Je n'ai pas le temps
de refaire les etudes. J e suis trop prise par la traduction », « Suivre un cours
pendant deux ans .... c'est trop. Je me debrouille tres bien sans une formation
formelle »
Autodidaxie respecte leur temperament, rejoint certaines caracteristiques de
leur personnalite et correspond
a leur nature independante et autonome.
« Je
35
prefere travailler seule et independamment: « Je n'aime pas passer les
examens » « La traduction s'apprend sur le tas. On apprend tousles jours. »
Besoin de liberte d'action pour apprendre ou pour utiliser leur creativite : « La
traduction est un acte creatif.... un talent. Je suis doue pour les langues. Pour
mois la traduction, c'est facile»
Respect de leur rythme personnel : « J'ai des livres sur la traduction que je lis
quandj'ai le temps libre »
Manque de volonte por suivre le programme entier : « A l 'universite on sera
oblige de faire de la litterat;~e. La litterature, c'est ennuyeux »
La traduction s'apprend toute seule: « Chacun a des points forts ... les points
faibles. II faut travailler sur ses points faibles. Par exemple, moi, je ne savais
pas utiliser un or:dinateur. Maintenant je suisun pro»,« Je suis ·en mesure de
me servir de mon experience et d'utiliser les nouvelles connaissances et
habiletes assez rapidement ))
Nida
36
ne semble pas contredire ce que disent ces traducteurs lors qu'il exprime
l 'idee que le traducteur doit posseder des aptitudes innees et que la capacite de
traduire serait un don .. En citant des exemples d'excellents traducteurs qu'il a eu
!'occasion de cotoyer et qui n'ont recru aucune formation systematique, il affirme:
I have been forced to conclude that in a sense translators are not made,
they are born. Of course I would not depreciate the importance of
training of translators, because persons with certain gifts can always
improve their abilities.
36
NIDA Eugene A. Contexts in Translating. John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia,
2002. p.214
36
Pourtant, il souligne I'importance de la formation car elle permet meme
a ceux qui
sont doues d'ameliorer leurs capacites innees.
Gaston Pineau 37 fait Ia distinction entre deux categories d'autodidactes. La premiere
est constituee des autodidactes «de luxe »,qui se consacrent
a leurs activites a temps
partie!, dans leur temps de loisir. lis se livrent a l'apprentissage d'un hobby qui parfois
peut devenir leur occupation principale. La deuxieme categorie d'autodidactes, c'est
celle pour qui l'autodidaxie est une necessite. N'ayant qu'une formation initiale
minime, ils doivent tout apprendre par eux-memes pour s'en sortir. Pour eux, c'est une
condition de vie; ils doivent -1se former seuls pour survivre economiquement et
culturellement.
Dans le domaine de Ia traduction, il faut egalement distinguer entre les traducteurs qui
sont des professionnels dans de differents domaines mais qui se servent de leur
expertise pour traduire des textes dans leur domaine de specialite et des traducteurs
professionnels pour qui la traduction ,est la vocation principale. Comme un professeur
en mathematique qui traduit un livre sur les mathematiques de fran<;ais en anglais ..
Les traducteurs dits professionnels sont normalement des dip!Omes ( B.A. au
minimum) avec des connaissances de langues etrangeres appris, soit dans les cours de
langue a un niveau avance ou bien lors des sejours al'etranger.
Dans The Self- Taught Translator ; From Rank Amateur to Respected Professional,
Schmit (1966) fait valoir que le traducteur ne choisit pas son metier: il doit sa
situation
37
a un
accident de parcours,
a un
concours de circonstances et non
a une
PINEAU Gaston (1983),op. cit., p. 45
37
formation specifique. Selon lui, le traducteur doit au depart posseder certaines qualites
et il peut parfaire ses connaissances, combler ses lacunes en suivant quelques cours de
langue, au besoin. La formation se ramenerait done a des cours de perfectionnement
en langue, le traducteur etant artisan de sa propre formation:
Most translators are the product of a combined accident that finds
them bi or multilingual and untrained in those courses which are
required for such occupations as law, engineering, medecine-or
plumbing. In brief they are self-taught. By the nature of its
membership, the translating profession is thus akin to public relations,
advertising, creative writing or politics where innate ability plus
experience are the major qualifications» 38
A la difference des proftl>sions medicales ou legales, la traduction professionnelle
n'exige aucune qualification academique ou professionnelle precise, situation
heureuse pour les personnes douees qui veulent se lancer dans ce domaine mais
difficile pour ceux qui cherchent
a identifier de vrais professionnels. Pour cette raison
les traducteurs se demandent pourqoui une personne « douee » passerait~eUe quatre a
six ansa suivre un cours quand ils peuvent tres bien faire sans.
L'originalite de ces traducteurs qui sont entres dans ce domaine par «accident» se
trouve dans la fa<;:on dont its apprennent le metier.
Selon Helene Bezille,
l'autodidaxiedes traducteurs est surtout de type« reparatrice »39 servant acombler les
manques de connaissances ou a les actualiser, y compris dans le champ professionnel
plutot qu' « initiatrice », qui peut prendre la forme d'une initiation au sein d'une
association et constituer l'amorce d'une orientation professionnelle. En meme temps
38
SCHMIT Claude.« The Self- Taught Translator, From Rank Amateur to Respected Professional)), META, Vol.
II, No.4, 1966, p 123.
39
BEZILLE Helene « Competences et autodidaxie. Entre pratiques et representations, Questions de
recherche en Education, >> INRPtEducations, 1999 in Christian Verrier, Elements pour une approche
de l'autodidaxie BBF 2002- Paris, t. 47, no 3, p. 17-21
38
l'autodidaxie est un recours egalement d'un traducteur professionnel ayant deja suivi
une formation traditionelle mais sa situation etant telle qu'il se trouve oblige de mettre
a jour ses competences par l'autoformation a l'exterieur, a travers les medias, les
reseaux
de
relations,
les
diverses
sources
d'information
presentes
dans
l'environnement. L'evolution des savoirs et des savoir-faire exige de chacun un effort
d'autoformation a tout age, pour accroitre son efficacite au travail, sa patiicipation
sociale et son epanouissement personnel. Le Leur appelle cela la neo-autodidaxie40
qm
designe un phenomene social educatif majeur produit aujourd'hui par
la societe post-industrielle. Celle-ci oblige les personnes a se resituer
en p.r;;rmanence
sur les plans existentiels et socio-professionnels. Ainsi
•t
la societe appelle des apprentissages ininterrompus de savoirs recents
dans tous les domaines. La neo-autodidaxie utilise en particuiier les
nouveaux moyens pooagogiques d-e pius en plus disponibles. La neoautodidaxie prend de l'ampleur et correspond encore davantage
qu'autrefois a un mode de travail pedagogique qui confie a l'apprenant,
au sens fort du terme, tous les contr6les sur sa formation quels que
soient son instruction originelle, son age et sa classe sociale.
Ces demieres annees, on voit de plus en plus .des cours de traduction en ligne et dans
certains cas les programmes entiers de certificat sont enseignes en.ligne. Comme nous
sommes un produit d'un programme traditionnel de formation en classe, nous nous
sommes interesses
d'enseignement «
a la
fayon dont ces cours se deroulaient. Un cours type
a distance»
en ligne suit les modalites suivantes41 •
Un cours de traduction Fram;ais-Anglais, par exemple, extge une bonne
connaissance de franyais, un BA de franyais et/ou un sejour en France ou un autre
pays francophone (6-8 semaines selon un de ces programmes), environ dix heures de
40
41
LE LEUR, G. (1998) op.cit.
http://nts.lll.hawaii.edu/cits/
39
travail par semaine et un ordinateur equipe de courriel et d'Internet. Pour suivre les
le9ons en ligne, une identite et un mot de passe sont assignes au candidat sur
!'inscription. Les objectifs de ces cours sont assez generaux et Ia matiere enseignee
comprend des concepts de bases, des techniques de traduction, de Ia theorie, des
problemes de traduction, !'utilisation des dictionnaires entre autres et les textes
a
traduire sont tires des journaux et des revues. Nonnalement le candidat doit traduire
un texte par semaine (20 textes pendant un cours d'un an). La plupart des cours
aboutissent en un Certificat de Traduction et ils sont offerts par les universites
principalement en Grande Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis.
II existe une multiplicite
d'ouvrages sur la -pratique de Ia traduction publies depuis
.,.
«La Stylistique Comparee de I'anglais et du fran9ais » de Vinay and Daberlenet.
Tandis que le terme « manuel » ou « textbook » a des connotations scolaires, les
titres comme « Guide de ... », «Apprendre
a»
«Handbook» donnent !'impression d'etre
.a
« Initiation
a»
« Pratique de » et
la portee de la main de tous et
deviennent une autre source d'information pour un autodidacte en traduction.
1.3
Conclusion
L'etude de Ia problematique generale de la traduction nous indique les defis suivants
devant les universites en ce qui concerne la formation en traduction en Inde
•
II n'y a aucun doute que les langues etrangeres par le biais de la traduction
professionnelle jouent un role important dans l'economie du pays
•
Le multilinguisme et la formule
a
trois langues ont contribue au
developpement de Ia traduction en Inde mais sont en partie responsable du
declin de la competence linguistique des etudiants.
40
•
La presence de l'activite de Ia traduction de fratwais au niveau professionnel
en Inde exige des programmes de traduction pour fonner Ies traducteurs
fiables et capables d'exercer ce metier.
•
La traduction a toujours existe comme un exerctce de classe en vue
d'acquisition de Ia langue. Pourtant, cette .conception Iinguistique de Ia
traduction doit etre reorienter pour repondre aux besoins socio-professionnels
en Inde.
•
Faute des ecoles de traduction, ce sont les universites indie1mes qui doivent
entreprendre Ia tache de fonner Ies traducteurs professionnels.La fonnation
autodidacte qui se fait par tatonnement est enterprise par un nombre important
.,: de traducteurs professionnels aujourdh'hui. La mise en place des programmes
qui sont souples eta l'ecoute du marche pourrait repondre aleurs besoins.
41