GRAND ANGLE L`ARGENTINE DES HAUTS PLATEAUX

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GRAND ANGLE L`ARGENTINE DES HAUTS PLATEAUX
GRAND ANGLE L’ARGENTINE DES HAUTS PLATEAUX
Par Patrick Boisvert, texte et photos
Au bout du monde, tournez à gauche.
Vous ne sentez pas comme un
parfum d’aventure et de mystère ?
Normal, vous venez de trouver
l’Argentine, un pays aux dimensions
hors norme. Respirez un grand coup,
cette expédition déroule son itinéraire
à plus de 3 500 mètres d’altitude…
RENCONTRE
AUX SOMMETS
Des montagnes à perte de vue,
des panoramas sidérants de
beauté, d’étonnants dégradés
de couleurs et toujours pas un
chat à l’horizon : c’est ça
l’Argentine… et bien plus
encore.
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❶ Avant de poser notre camp à San Antonio de Los Cobres, le soleil couchant habille d’une
lumière surréaliste ces hauts plateaux posés à plus de 3 500 mètres d’altitude. ❷ Sous son air
un peu bourru et sa démarche de cow-boy sauce latine, le gaucho cache un vrai sens de l’accueil.
Et quelle classe ! ❸ Si le parcours ne présente aucune difficulté majeure, certains passages un peu
techniques laisseront des traces… humides. ❹ Photo souvenir à Abra El Acay, le plus haut col
franchi durant ce périple. On frôle quand même les 5 000 mètres, là ! ❺ En Argentine comme
partout ailleurs dans le monde, la boue et les pneus sans crampons ne font pas bon ménage.
❻ Les paysans des montagnes sont éloignés de tout dans leurs maisons en terre séchée.
Les conditions climatiques difficiles n’arrangent pas les choses non plus.
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GRAND ANGLE L’ARGENTINE DES HAUTS PLATEAUX
Demandez le programme !
Ce formidable voyage,
n’ayons pas peur des mots,
a été concocté par Florence
et Philippe Perrenoud,
de l’agence Trail Rando.
Ces grands spécialistes des
évasions motorisées en tous
genres viennent juste de
finaliser cette nouvelle
destination qui viendra
enrichir un catalogue déjà
bien fourni. Onze nuits,
10 étapes et un total
d’environ 2 500 km sont au
programme de ce circuit
baptisé les Hauts plateaux
andins. Son prix ? 5 600 €
hors billet d’avion.
Si l’aventure vous tente,
les prochains départs
sont prévus en octobre,
novembre et décembre.
Contacts : www.trail-rando.
com, [email protected],
tél. :04.94.32.63.02.
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1 Salta-Cachi 200 km
>Etape
>
2 Cachi-Cafayate
230 km
>Etape
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3 Cafayate-Antofagasta
de la Sierra 400 km
>Etape
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4 Antofagasta de la
Sierra-Tolar Grande 300 km
>Etape
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5 Tolar Grande-San
Antonio de Los Cobres 200 km
>Etape
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6 San Antonio de los
Cobres-bivouac 250 km
>Etape
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7 bivouac-La Quiaca
250 km
>Etape
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8 La Quiaca-Tilcara
250 km
>Etape
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9 Tilcara-San Antonio
de los Cobres 150 km
>Etape
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10 San Antonio de los
Cobres-Salta 260 km
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❶ Le parc national Los Cardones tire son nom des cactus candélabres qui tapissent le paysage
par milliers. Certains atteignent près de 10 mètres et vivent plusieurs siècles ! ❷ La végétation brille
en revanche par son absence sur ce désert de sel dû à l’évaporation d’un lac il y a quelques
millions d’années. ❸ Dans le nord de l’Argentine, art, culture et cuisine restent très influencés par les
traditions indiennes. ❹ La ville de Salta, capitale du nord, bénéficie d’un patrimoine architectural
très bien conservé. Monuments religieux et édifices coloniaux invitent à des balades
contemplatives. ❺ L’Argentine compte moins de 45 millions d’habitants au sein desquels subsistent
quelques communautés indigènes comme les Diaguitas-Calchaquies. ❻ Dans ce décor de
western, des pistes désertes succèdent à d’autres pistes désertes. Un paradis pour les trails…
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❶ Les pistes serpentent doucement autour des montagnes et ne réclament aucun bagage technique
particulier. Mais attention à certaines sorties de route, ça pique ! ❷ La Recta Tin Tin, c’est une ligne
parfaitement droite de 18 km qui fend en deux le parc national de Los Cardones. Il règne ici un petit
parfum de Colorado, non ? ❸ Lors des ascensions, la température extérieure chute en très peu de
temps. Il n’est pas rare de perdre 20° en une heure ! Une bonne couche de vêtements supplémentaire
s’impose donc vite… mais rien ne vous oblige non plus à vous plier au folklore local !❹ Le fameux
piment d’Espelette vient d’Amérique du Sud et a été introduit dans le Pays basque au XVIe siècle.
Egalement toujours produit en Argentine, il couvre de rouge, pourpre et vermillon les collines des vallées
d’avril à mai.
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GRAND ANGLE L’ARGENTINE DES HAUTS PLATEAUX
A
mateurs d’immensités et de
dépaysement, vous allez être servis.
La patrie du tango (ou de Lionel
Messi, question de culture…)
s’étend sur une superficie
équivalente à cinq fois celle de la
France. Et pas moins de 5 121 kilomètres séparent
La Quiaca, à l’extrême nord, d’Ushuaia, capitale de la
province argentine la plus méridionale ! Un sacré
morceau donc, trop grand pour être consommé d’un
coup durant ses petits congés payés. Notre choix s’est
porté sur le nord, où les Indiens restent encore assez
nombreux et où se perpétuent fêtes et danses
traditionnelles. C’est aussi et surtout la région des
hauts plateaux, des montagnes et des déserts de sel.
Autant de spectacles naturels permanents projetés en
cinémascope dont l’accès, parfois difficile, a le grand
mérite de tuer toute possibilité de tourisme de masse.
Ici, la moto reste le moyen de locomotion le plus
efficace et les gros trails bavarois et japonais règnent
en maître. Enfin surtout chez les loueurs,
car l’autochtone, lui, se déplace la plupart du temps
sur une 125 cm3 basique siglée Motomel, la marque
locale. Il faut savoir que les produits venus de
l’étranger sont hypertaxés. Une R 1200 GS neuve,
au hasard, vaut l’équivalent de 60 000 € ! Avec un
Smic autour de 500 € par mois, je vous laisse calculer
les années de sacrifices…
Notre aventure débute à Salta dite la linda (la belle)
qui doit son surnom aux superbes bâtiments
coloniaux composant son cœur historique. Mais la
capitale du nord grouille de monde et sa traversée en
deux-roues nécessite une attention de tous les
instants. Comme en Asie, c’est celui qui klaxonne le
plus fort qui passe ! Il faut une bonne heure de route
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On trouve de
nombreux camélidés
en liberté sur les
routes argentines. Des
lamas bien sûr, mais
aussi leurs cousins
guanacos, alpagas et
vigognes.
pour ressentir enfin l’impression d’avoir quitté la ville.
Sans transition, l’effervescence urbaine devient un
lointain souvenir, rapidement oublié par la quiétude
et la majesté du paysage en gagnant le Tucuman.
Posées sur un fond de ciel d’un bleu azur profond et
d’une rare pureté, d’immenses étendues désertiques
piquées de cactus candélabres plantent le décor dans
lequel nous allons évoluer les prochains jours. Au loin,
comme une promesse, les chaînes montagneuses
ocre envahissent déjà le fond de l’écran… C’est
sublime et tellement gigantesque que nous perdons
nos repères dans ces lieux sauvages où de maigres
maisons en pisé constituent les seules traces de
présence humaine.
Une route, quelle route ?
La Ruta 40 tranche le pays en deux. Route est
d’ailleurs un bien grand mot pour qualifier une artère
défoncée où l’asphalte cède souvent la place à la
terre. Pas de quoi faire reculer nos trails qui, vu leur
état de fraîcheur relatif, en ont vu d’autres ! Au fil des
kilomètres, le paysage change de dominante, passant
des couleurs chaudes à un dégradé de verts
marquant le retour à des terres irriguées, propices à
l’élevage et aux cultures. Après avoir traversé - et
dégusté - la vallée de Cafayate qui accueille les
vignobles les plus hauts du monde, la piste va
s’imposer. C’est également à partir de là que
l’ascension, la vraie, débute. D’abord
progressivement, puis de manière sérieuse du côté
d’Antofagasta de la Sierra. Désormais, nous ne
descendrons plus jamais en dessous de 3 500 mètres !
A cette altitude, les moteurs respirent mal, mais tous
ne sont pas logés à la même enseigne, les injections
des F 650/700 GS et des Transalp 700 assurant une
bien meilleure alimentation que les vieux carbus des
KLR 650. Idem pour les bonshommes : certains
franchissent les plus hauts cols avec un léger mal de
tête, d’autres en bavent et paient cash le moindre
petit effort. Arrivés à Abra del Acay, point culminant
de notre séjour avec 4 967 mètres d’altitude, certains
membres de l’équipée n’en mènent pas large. Ils ont
beau mâcher des feuilles de coca, s’hydrater et faire
régulièrement appel à leur bonbonne d’oxygène
portative, rien n’y fait, le souffle reste court et le
visage gonflé ! Ils retrouveront forme humaine à la
descente, quelques kilomètres plus loin.
Sur la piste, toute notion de vitesse est à bannir.
Entre la topographie tourmentée, les virages en
épingle, les volumineux pick-up croisés, les animaux
plus ou moins domestiques et les pierres roulantes,
tenir le 50 km/h de moyenne représente déjà un bel
objectif. Tant mieux, ça laisse le temps de baver
d’admiration devant ces panoramas à couper le
souffle… et pas seulement à cause de leur altitude.
Plein les yeux
Et dire que ce documentaire saisissant, digne d’un
Arthus-Bertrand à son meilleur niveau, est en plusieurs
épisodes ! De retour sur les hauts plateaux, c’est la
rencontre avec le salar de Pocitos qui va nous mettre
cette fois en émoi. Formé par l’évaporation d’un lac il y a
quelques millions d’années, ce désert de sel d’une
platitude parfaite étale sur 60 km un décor lunaire
surréaliste. Seuls au monde, aveuglés par la
réverbération et perdus dans un silence sidérant, nous
savourons cet endroit à la beauté énigmatique, avec la
certitude de vivre un moment rare. Le soir venu, à San
Antonio de los Cobres, trois bouteilles de Torrontés et
d’énormes portions de bife de chorizo ne seront pas de
Ernesto “Che”
Guevara était un
enfant du pays. Et
avant de devenir le
révolutionnaire que
l’on sait, il a parcouru
le continent sudaméricain à moto.
trop pour nous remettre de ces émotions.
Notre ascension se poursuit jusqu’à La Quiaca, ville
frontalière avec la Bolivie (et son cortège d’échoppes à
souvenirs made in China) et bifurque plein sud en
direction de Salta avec, déjà, le spleen du retour.
Mais pour faire passer la douleur, la Quebrada de
Humahuaca, un monumental canyon inscrit au
patrimoine de l’Unesco, se pose là. Comme souvent, les
mots manquent pour décrire une telle représentation
et retranscrire les émotions qui accompagnent sa
découverte. On se contentera donc de vous dire que
c’est grandiose.
Puis c’est au tour de Purmamarca d’épater la troupe. Ce
hameau typique des villages andins vient se nicher au
pied du Cerro de los Siete Colores, la montagne aux
sept couleurs (j’ai compté, c’est pas de la pub
mensongère !). Fracture de la rétine assurée ici encore.
Et que dire des Salinas Grandes qui nous attendent à
l’entrée de la province de Jujuy ? Cet autre désert de sel,
plus spectaculaire encore, déballe ses 212 km2 de
surfaces parfaitement planes et d’une blancheur
immaculée aveuglante. Le site est hélas un peu squatté
par les touristes, mais quelle claque ! Plus loin, la route
retrouve des envies d’ascension fulgurante et grimpe
de nouveau vers les nuages via La Cuesta de Lipan, ses
99 lacets d’affilée, ses 2 000 mètres de dénivelé et son
point culminant à 4 170 mètres. Une heure d’extase
motocycliste durant laquelle nous en prendrons autant
dans les mirettes que dans les bras ! Mais comme les
bonnes choses ont une fin, Salta pointe au loin son
petit nuage de pollution. Tandis qu’un dernier cactus
nous salue sur le bord de la route, une énième épave de
Renault R12 confirme le retour à la civilisation. Et avec
lui, la fin d’un trip réellement hors norme. La machine à
souvenirs peut maintenant prendre le relais…●
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