Consigne 2 : Ecrire quand on était le plus jeune possible, écrire à ce

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Consigne 2 : Ecrire quand on était le plus jeune possible, écrire à ce
Consigne 2 : Ecrire quand on était le plus jeune possible, écrire à ce petit garçon pour lui écrire ce qu’il va devenir plus tard. Laisser monter des voix singulières. Etre audacieux, ou pas, à notre mesure. Cher Vincent, J’ai expressément demandé au postier du Temps de te donner cette lettre en main propre aujourd’hui, car je sais trop bien qu’il s’agit d’un jour très grave pour toi. Le jour de ta première désillusion professionnelle. Je te vois encore, au Cabirol, à côté du lac des ragondins, avec Maman ! Cette après-­‐midi, Maman, droite comme un i, les sourcils froncés, l’air vraiment très très grave, t’a appris la plus terrible des nouvelles : Papa Noël ne peut pas être à la retraite, tu ne pourras jamais le succéder au guidon de ses rennes, n’y penses plus. Plus jamais. Maman avait le visage si dur, crispé, un peu quand plus tard, elle t’apprendra le vrai décès de vraies personnes, et pourtant, pour cette nouvelle là, tu avais besoin d’un sourire, même le plus condescendant des sourires, pour te faire avaler cette atroce pilule : Papa Noël n’a jamais existé. Voilà, on promène Mica une après-­‐midi ensoleillée, et on te balance l’info à la gueule comme ça, avec autant de désinvolture que le bout de bois que tu lances au chien : voilà, Vincinou, il faut que tu saches que… Papa Noël est mort, tellement mort qu’en fait il est même pas né. C’est drôle, quand j’y pense, ton premier désir aura été de faire plaisir au monde entier, en leur offrant ce qu’ils ont commandé – et en ramonant au passage leur cheminée. Plus tard, ton comportement aura évolué, crois-­‐moi bien : tu cesseras assez vite de te préoccuper du bonheur des gens, il n’y en aura que pour ta pomme, et il suffira que ton cerveau murisse un peu pour que tu sois capable de suivre le journal télévisé pour te dissuader de tout compassion planétaire. Oui, je sais que ma lettre commence fort, mais ça me fait trop rire de te taquiner, ce jour si terrible me paraît si bénin à présent ! Tu n’as que huit ans, tu es toujours d’une innocence sans fonds, eet à cette heure-­‐ci, tu n’as qu’un seul malheur à te mettre sous la dent, c’est celui-­‐là, donc forcément, ‘faut que tu chiales. La Maman de 51 ans qui lira aussi cette lettre (dis lui qu’elle a l’autorisation) va forcément rigoler. Tu jugeras le rire de ta mère comme étant le comble de la cruauté, mais si tu demande à tes neurones de se cotiser pour augmenter un peu plus ton esprit critique, rien que pour cette fois, tu comprendras vite que, dans ta vie, c’est bien la chose la moins grave qui t’arrivera. Apprends à rire, Vincinou. Revois toi donc à Noël, la dernière fois que tu as failli approcher cette grande star barbue, tout de rouge vétue. Quelle mise en scène ! On nous avait tous réunis, tous les enfants, dans la cuisine, pour admirer la dinde bronzer dans le four, et puis, soudain, des cris. Maman, Papa, Mam’Hu, Tatie Sou, Tonton Michel, Minet, tout le monde se sont affolés – de vrais hystériques. Ils nous ont poussé, tiré, bousculé, pour qu’on arrive le plus vite possible dans la salle à manger. Là, le sapin de noël qui – il y avait à peine dix minute – avait le tronc nu, était brusquement immergé dans une masse de cadeaux multicolores. Ces gens que tu pensaient être ta famille, tes sœur, tes parents, tes oncles, tantes et grands cousins, se mettent à plusieurs pour te raconter les plus vilaines salades de ta vie : « Le Père Noël est passé, regarde, il a bu son café et son croissant, puis il est parti aussitôt, mais par la porte d’entrée, malgré le café et le croissant, il n’a plus eu la force de re-­‐grimper jusqu’au bout de la cheminée, et regarde un peu, il est tellement étourdi, le filou, qu’il a laissé sur son chemin des petits cadeaux par terre comme le petit poucet, et oh ! le vilain, il a même mis des miettes ici, et ici, et là une tâche de café ! ». Et là le bouquet – ou comment frôler un arrêt cardiaque à sept ans -­‐ à la fenêtre, dehors Papa qui lance ce cri : « Venez vite, il est là, tout là haut ! ». Et on s’est tous rués sur le trottoir, on nous a issé sur les plus grandes épaules qui étaient disponibles, pour nous montrer du doigts Papa Noël et ses rennes passer devant la lune comme dans E.T. Tu te souviendras longtemps, quand on achèvera ton plus intense des espoirs par un très long : « Ooooooh mince, on le voit plus, il est trop loin, il faut croire qu’ils marchent au diésel ces rennes, ils ont disparu d’un coup, il est vraiment trop trop loin, plus loin qu’une fourmi. Regarde, il n’y a plus rien dans le ciel. » Oui effectivement, il n’y a plus rien, il n’y a jamais rien eu… Tu te sens sûremet bête en te rappelant ce souvenir – qui doit être bien plus frais que le mien. Rassure toi, ceux qui auront vraiment eu l’air le plus con dans cette histoire ce n’est ni toi, ni tes petits cousins, mais bien vos tortionnaires. Plus tard, tu auras encore des désillusions professionnelles de ce genre, un peu plus dures à avaler : il sera vraiment pas évident de passer ta vie à faire ton cinéma, à raconter tes histoires aux gens. Mais tu as des parents formidables, qui te soutiendront pour peu à peu te risquer à t’exprimer, avec toutes les couleurs, toutes les notes de musique et tous les beaux mots que tu veux. N’oublie pas de câliner fort Pierre, Mamé, et aussi les bestioles, Féline et Mica, et quand tu iras en vacances à Bagnuls sur mer, fais une bise à Tatie Yvette. Dites leurs qu’ils me manquent. Allez Vincent, essaie de la maitriser, cette lettre à Elise, même si tu la trouves moche, tu pourras draguer avec, et attends un peu que Marie revienne d’Allemagne, elle va te faire découvrir l’histoire la plus dingue et géniale de ta vie de gosse bienheureux : celle d’Harry Potter. A plus minus, V PS : Savoure bien ton innocence et ta petitesse.