la presse a dit... - Compagnie emmanuel grivet

Transcription

la presse a dit... - Compagnie emmanuel grivet
RamDam
N°
88
JANVIER / FÉVRIER 2011
Tic Tac
LA DERNIÈRE CRÉATION D'EMMANUEL GRIVET,
TIME IS / OVER MET A L'ÉPREUVE LA TEXTURE DU TEMPS.
Propos recueillis par VIRGINIE PEYTAVIE
Votre dernière création interroge notre
rapport au temps. De quel temps s'agit-il ?
C'est un thème qui m'intéresse depuis
longtemps. Une pièce chorégraphique s'inscrit
toujours à la fois dans l'espace et dans le temps.
C'est une matière première. Time is / over n'est
pas une pièce sur le temps de l'existence, la
mémoire, ce que j'avais évoqué avec Temps(s)
pièce qui retraçait l'histoire de la compagnie. Il
s'agit plutôt d'explorer notre perception de la
durée, l'impression que tout s'accélère dans
notre société, tandis que d'autres temps existent.
Pourquoi ce titre qui sonne comme un coup
d'arrêt ? Le fait d'avoir rencontré des cultures
autres, notamment en Afrique noire m'a mis en
relation avec une approche différente du temps.
Il est au présent, se joue dans la relation. C'est
une façon de se situer au quotidien, de
l'envisager comme une matière élastique
intérieure, et non comme une référence
extérieure. Je me suis rendu compte que mon
rapport au temps était rigide et que
l'accumulation des tâches dans une même
journée le compressait terriblement. Mon
accélération personnelle était arrivée à un point
de rupture, j'ai alors pensé que ce temps-là était
fini : cette sensation permanente de courir après
la vie, après les projets, d'emmener mes états,
mes énergies d'une action dans une autre, dans
un sorte de continuité qui ne se pose jamais.
Sauf sur scène : le temps se pose là.
Comment avez-vous choisi de retranscrire
cette superposition ? La pièce est structurée
en deux parties : la première joue du temps
organique. La deuxième essaye d'explorer
comment, de façon poétique, chaque paysage,
chaque situation génère un temps propre. Ce qui
forme un jeu sur la temporalité, entre le temps du
spectacle et celui des images projetées en
arrière-plan, tournées souvent à la volée, par
téléphone portable notamment, lors de voyages
de la compagnie.
Les Mots
N°123 / FÉVRIER 2011
Time is / over :
au fil du temps
Le danseur et chorégraphe Emmanuel Grivet
interroge notre rapport au temps. Si Time is /
over sonne comme une fin de partie de jeu
vidéo, son approche évoque plutôt les effets
d'une société victime de l'accélération
oppressante du temps. Seul sur scène, le
danseur expérimente les réactions du corps,
se joue des énergies, de la plus lente à la
plus fulgurante. Epaulé par des séquences
vidéo, tantôt une foule urbaine – devant
laquelle il s'immobilise –, tantôt un désert –
où tout mouvement prend de l'importance,
tantôt la nature organique, le chorégraphe
finit par se mettre à nu (pour de vrai !). Le
temps de nous rappeler « le vrai de la chair
et de l'être » dans un monde évanescent. A
méditer.
Ariane Melazzini-Dejean
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4 février 20h30
Salle Alizé, Muret (31)
www.cieemgrivet.com
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Le Clou dans la Planche
Publié le 03 Octobre 2010
Time is / over
Tempus vincit omnia (le temps vient à bout de tout)
L'homme par tous les temps
(…) Car tel est le danseur dans cette pièce affrontée à l'instant : marcheur,
après que la pendule ait cliqueté tout son soûl dans le noir, arpenteur aux
bras immobiles de lignes perpendiculaires, vif et mécanique. Du moins
jusqu'à ce que la machine se dérègle, que la rupture s'interpose dans le
rythme jusqu'à faire du marcheur sûr de ses voies un pantin désarticulé, plus
tard un nageur ivre dans un cercle de lumière, jouet d'un temps
inconnaissable, sans plus de cause que de but.
(…) Vaudrait-il mieux le temps des villes, cette durée compressée, ce
mouvement accéléré par l'invention mécanique ? Qu'importe, finalement :
même vêtu de ses oripeaux d'animal social, l'homme reste nu face au temps,
ce mouvement sans substance qui n'existe que par l'évolution de la matière,
de la conscience. Ainsi la disparition de l'homme annule-t-elle le temps, et
seuls restent le noir et le silence.
De l'intemporalité de l'instant
Selon son créateur même, Time is / over (titre éloquent s'il en fut, et bien
dans la manière contemporaine) n'est pas une pure pièce dansée ; ce serait
plutôt – et là c'est nous qui le disons – l'expression visuelle et gestuelle du
rapport de l'homme au temps. Emmanuel Grivet s'est appuyé pour cette
étude sur les apports de la physique à la compréhension du temps, de ses
cycles et de son élasticité (qu'on pense ici aux curieux comportements du
temps qu'imposent la théorie de la relativité autant que ses développements
et tempéraments), comme sur les réflexions menées par Jan Colleman et Ian
Lungold à partir du calendrier maya autour de la compression, de
l'accélération contemporaines de ce qu'on pourrait appeler le "temps social".
(…) Il y a donc dans la pièce de la marche, beaucoup, donnée comme le
symbole primordial de l'inscription de nos actions dans la temporalité, et tout
de même assez de danse. Du vide, de l'obscur, du lent conjoint à l'immobile.
Du costume. De la chair nue. Des lumières à l'image du temps – dans tous
leurs états.
Jacques
Jacques Olivier Badia
FRITURE Mag
1er février 2011,
par Ariane Mélazzini-Dejean
Dans “Time is / over”, le danseur et chorégraphe Emmanuel Grivet expérimente
en solo les effets d’une société oppressée par l’accélération du temps. À la manière
d’un philosophe ou d’un sociologue, il nous prédit une mutation irréversible. À
méditer sérieusement !
En résidence à Tournefeuille (31) depuis dix ans, directeur de la
compagnie Emmanuel Grivet, l’artiste n’en est pas à son coup d’essai.
Depuis 2003, il se passionne pour notre rapport au temps et au corps,
en menant plusieurs expériences : l’intervention de plusieurs danseurs
en centre-ville qui, doucement, diminuent leur rythme d’activité,
jusqu’à le réduire à néant ou celle d’un danseur assis, qui s’ennuie sur
scène, laissant le temps s’étirer à l’envie. « Cette pièce solo clôt une
recherche personnelle, sur ma façon de penser, de bouger, d’avoir une
vie sociale. Cela fait plusieurs années que je ressens une accélération du
temps. Il y a de plus en plus de choses en même temps, de moins en
moins d’espace entre les choses. Cette façon de fonctionner me fait
perdre la respiration, le rythme. J’ai l’impression d’être tout le temps en
train de courir, comme beaucoup de gens », explique-t-il.
Sur scène, le chorégraphe évolue en temps réel au milieu de séquences
vidéo, accompagnant chaque situation. En plein centre-ville de Séoul,
perdu dans l’immensité désertique ou face à l’évolution de la nature, le
danseur joue avec les énergies, de la plus lente à la plus fulgurante, pour
mieux exister. « Le temps influe sur les rythmes biologiques comme sur
les rythmes sociaux. Aujourd’hui, on ne prend plus le temps de la
relation personnelle. La société occidentale est touchée par une frénésie
du ‘toujours plus en même temps’. Pourtant, on continue à respirer à la
même vitesse ! Sachant que la technologie n’a pas de raison de s’arrêter
d’elle-même et que la biologie va rester ce qu’elle est, cette limite va
demander une adaptation de l’homme, comme il s’est toujours adapté
auparavant. C’est en train d’arriver », anticipe E. Grivet.
Plus optimiste que sceptique, le chorégraphe endosse volontiers, dans
Time is / over, le rôle politique de l’artiste qui, par sa sensibilité, peut
être un « révélateur » et tente d’éveiller la sensibilité des autres. Enfin,
dernière entorse aux conventions, il se met à nu (pour de vrai !), pour
retrouver « le vrai de la chair et de l’être dans une société qui le prend
de moins en moins en compte ». Car, selon lui, il est peut-être encore
temps « de reprendre les choses à zéro »…

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