Organisation temporelle de la parole et dysarthrie parkinsonienne
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Organisation temporelle de la parole et dysarthrie parkinsonienne
Organisation temporelle de la parole et dysarthrie parkinsonienne Danielle DUEZ, Laboratoire Parole et Langage, CNRS UMR 6057 Université de Provence [email protected] La maladie de Parkinson est un dysfonctionnement du système nerveux central qui se caractérise par la dénervation dopaminergique nigrostriatale progressive dont la conséquence la plus marquante est un dysfonctionnement chronique du système des noyaux gris centraux (Viallet et al., 2002). La lésion dopaminergique est à l’origine de déficits moteurs qui affectent les trois systèmes anatomiques majeurs qui gouvernent le contrôle moteur de la parole : respiration, phonation et articulation. Ces déficits, se traduisent par des troubles de production de la parole, qui sont regroupés sous la notion de dysarthrie parkinsonienne ou dysarthrie hypokinétique. Au niveau acoustique, ces troubles de production de la parole peuvent se traduire par une moindre variabilité de la fréquence fondamentale (Duffy, 1995 ; Viallet et al., 2000), une réduction significative des segments de la parole avec une imprécision des consonnes et des voyelles, et une certaine désorganisation temporelle de la parole (Canter,1963) La parole est un processus linéaire qui se déroule dans le temps, elle consiste en une chaîne d’événements temporels qui interviennent à différents niveaux. L’organisation temporelle reflète donc les différents processus impliqués dans la production de la parole, tels que la recherche lexicale, la planification, la structuration syntaxique, la mise en ordre des mots, l’articulation, la relation avec l’autre. L’organisation temporelle transmet une information linguistique sur le sens et le contenu du message et une information extralinguistique sur le locuteur, ses origines et son état de santé. L’analyse de l’organisation temporelle permet donc une meilleure compréhension du fonctionnement de la parole, elle est aussi une source d’information sur les dysfonctionnements de la parole. Ce chapitre examine l’incidence de la maladie de Parkinson sur l’organisation temporelle de la parole. Avant de faire une présentation des travaux qui ont tenté d’apporter des éléments de réponse à cette question fondamentale, nous apporterons dans la première partie de cette étude quelques précisions sur les concepts de base d’organisation temporelle. Ensuite, dans une deuxième partie nous ferons un bilan des résultats obtenus dans les études portant sur la dysarthrie parkinsonienne et l’organisation temporelle, nous y développerons en particulier les résultats que nous avons obtenus en comparant la lecture d’un extrait de la chèvre de Seguin (Daudet, 1869) par dix sujets contrôles et dix sujets souffrant de la maladie de Parkinson. Enfin dans une troisième partie, nous discuterons des implications de ces résultats pour le rôle des ganglions de la base dans certains aspects de la production de la parole, les conséquences de la désorganisation temporelle sur l’intelligibilité de la parole. I. Définition de quelques notions de base 1.1. organisation temporelle et parole Le temps est une donnée fondamentale de la production et de la perception de la parole. Il est actualisé au niveau acoustique par la durée (des pauses, des syllabes et des voyelles et consonnes). L’information qui dérive de la durée concerne une variété de processus linguistiques qui concernent l’articulation des segments individuels, la réalisation syntaxique de l’énoncé, l’expression des émotions. Au niveau segmental, la durée a un rôle critique en ce qui concerne l’identification des segments. Dans toutes les langues, chaque segment a une durée intrinsèque qui participe à son identification. En français, par exemple, les voyelles nasales sont significativement plus longues que les voyelles orales ouvertes, qui a leur tour sont significativement plus longues que les voyelles fermées (Di Cristo, 1984). Dans les langues à accent lexical telles que l’anglais et l’espagnol, la durée est également un paramètre fondamental qui permet de distinguer les syllabes accentuées des syllabes inaccentuées. La précision de la durée des segments et des syllabes est donc essentielle à l’identification des segments et la compréhension de la parole. L’organisation temporelle véhicule également une information fondamentale sur l’organisation syntaxique de l’énoncé. L’organisation syntaxique de la parole est fortement hiérarchisée, chaque unité d’ordre supérieur se subdivisant en unités d’ordre inférieur. Ainsi peut-on décomposer le paragraphe en phrases, les phrases en propositions et les propositions en syntagmes. La structuration de l’énoncé en unités syntaxiques se fonde sur l’information prosodique où la durée joue un rôle primordial (Vaissière, 1991). Les frontières des unités sont réalisées par un allongement de durée, le plus souvent associé à une pause silencieuse dont la durée est contrainte par des nécessités de cohésion de l’unité. Aux unités de rang supérieur correspondent des allongements de durée plus marqués et des pauses plus longues et plus fréquentes. D’une certaine manière on peut considérer que la hiérarchie des durées reflète la hiérarchie des unités syntaxiques, elle est donc fondamentale à la compréhension de la parole. Une analyse complète de l’organisation temporelle de la parole nécessite une investigation des durées à tous les niveaux (segmental, lexical et syntaxique, elle est donc extrêmement complexe et procède par niveau. Dans cette présentation nous nous limitons à l’analyse de la vitesse de parole et à ses composantes principales (pauses et séquences sonores) et secondaires (dysfluences). 1.2. Les variables temporelles de la parole Lorsque l’on écoute de la parole, on observe une succession de séquences sonores et de silences. Les silences, que l’on nomme pauses silencieuses ont longtemps été négligés dans les études portant sur la parole. Ce manque d’intérêt était du en grande partie à la nature acoustique et articulatoire de la pause considérée comme un temps vide ne recouvrant que du néant. Ces quarante dernières années, s’est manifesté un intérêt sans cesse renouvelé pour les pauses, amorcé en 1968 par les travaux de Goldman-Eisler (1968) dont la contribution est fondamentale. En comparant des tâches linguistiques différentes, Goldman-Eisler à montré que bien loin d’être des temps morts, les pauses recouvrent une intense activité cognitive. Le locuteur marque une pause dans son énoncé pour respirer, pour chercher un mot, pour marquer une frontière de groupe syntaxique, pour mettre un mot, une idée en valeur. La pause apparaît donc comme un élément complexe : l’interprétation de sa fonction dépend fortement de sa distribution dans l’énoncé et de la tâche linguistique à laquelle le locuteur est confronté. Dans les travaux portant sur les variables temporelles et les pauses, le temps total de parole est donc subdivisé en temps total de pause qui correspond à la somme des pauses silencieuses et en temps total d’élocution. Le temps de pause total se subdivise à son tour en nombre de pauses et durée moyenne d’une pause, le temps d’élocution total en nombre de suites sonores et durée moyenne d’une suite sonore. La durée et la fréquence des pauses sont aussi analysée en relation avec la localisation des pauses dans le discours. On distingue les pauses distribuées aux frontières syntaxiques (paragraphes, phrases, propositions et syntagmes) et celles qui interviennent à l’intérieur des syntagmes entre des éléments étroitement liés (sujet et verbe, article et non) et à l’intérieur des mots. A ces variables temporelles, il est courant d’ajouter la vitesse globale de parole et la vitesse d’élocution. La vitesse de parole est obtenue en divisant le nombre total de syllabes par le temps de parole, elle prend en compte le temps de temps de pause auquel elle est étroitement corrélée.. La vitesse d’élocution est extrêmement variable au sein d’une même lecture (Miller, Grosjean et Lomanto, 1984) ; pour rendre compte de cette variabilité, on calcule le nombre de syllabes pour chacune des séquences sonores. La parole produite spontanément contient des diffluences qui sont liées au type de production. Dans la parole spontanée, elles correspondent en partie au temps requis pour la planification de l’énoncé et l’accès lexical. Ces diffluences sont classiquement classées en pause remplie (euh, hein), en répétitions de mots lexicaux ou grammaticaux, de faux départs non repris, repris différemment ou complétés, et en allongements de syllabes ou de voyelles qui ne pas causés par la réalisation d’une frontière ou d’une proéminence (Maclay et Osgood, 1959). Il est clair que dans les tâches de lecture, ces achoppements ne sont pas la trace d’une hésitation, ils peuvent être liés à des difficultés d’apprentissage chez certains enfants, ou à des problèmes moteurs dus à des maladies neurologiques, on les regroupe alors sous le terme de dysfluences. Dans la suite de cette présentation, les dysfluences incluent les pauses remplies, les répétitions, les faux départs et les allongements, ainsi que les omissions et les additions de syllabes, de mots grammaticaux et lexicaux, de syntagmes qui introduisent également une rupture dans la fluidité ou le contenu de l’énoncé Un récapitulatif des variables temporelles principales et des dysfluences est présenté Fig.1. Temps total de parole Vitesse de parole (Nbre de syllabes/sec) / Temps total de pause (Nbre de pausesX Durée moyenne des pauses) \ Temps total d’élocution (Nbre total de suites sonoresX Durée moyenne des suites sonores) Vitesse d’élocution (Nbre de syllabes/sec) Nbre de dysfluences Répétitions Pauses remplies Faux départs Allongements Omissions Additions Figure 1. Variables temporelles de la parole (d’après Grosjean, 1978) 2. Variables temporelles et dysarthrie parkinsonienne 2.1. Etat des études antérieures Ce qui frappe dans les résultats obtenus à partir de la comparaison d’extraits produits par des sujets souffrant de la maladie de Parkinson et des sujets contrôles, c’est leur extrême variabilité. Dans son article sur les caractéristiques acoustiques de la dysarthrie parkinsonienne, Canter (1963) obtient à la fois une vitesse de parole plus lente et une vitesse de parole plus rapide chez les sujets malades. Les résultats obtenus par Metter et Hanson (1986) sont semblables à ceux de Canter. Les travaux portant sur les pauses silencieuses que l’on sait étroitement corrélées à la vitesse de parole n’offrent pas plus d’unanimité. Certaines études ne révèlent aucune différence significative pour la durée moyenne des pauses des deux groupes (Canter, 1963; Volkmann, Hefter, Lange and Freund, 1992), d’autres notent des groupes de souffle (séquences comprises entre deux pauses) plus brefs et des pauses plus longues dans la parole des sujets souffrant de la maladie de Parkinson (Hammen et Yorkston, 1996; Metter et Hanson, 1986; Solomon et Hixon, 1993). Quant à la distribution des pauses, bien qu’indispensable à une meilleure compréhension d’une certaine désorganisation temporelle, elle reste peu étudiée. On peut cependant citer les travaux de Hammen et Yorkston (1996) qui examinent les effets des variations de la vitesse de parole sur les variables temporelles d’un groupe de malades et d’un groupe témoin. Trois tendances majeures émergent de leur étude. La première est que la majorité des pauses est localisée en frontière de groupes syntaxiques dans les deux groupes, la deuxième est que les sujets atteints de la maladie de Parkinson ont un nombre de pauses marquées à l’intérieur de syntagmes plus élevé que les contrôles, la troisième enfin est que le ralentissement de la vitesse se traduit par un nombre plus élevé de pauses syntaxiques dans les deux groupes. Les études portant sur les dysfluences sont également rares alors que les dysfluences sont une caractéristique de la dysarthrie parkinsonienne et un symptôme précoce chez certaines personnes de la maladie de Parkinson (Anderson et al, 1999; Leder, 1996). Les études portant sur les dysfluences examinent surtout le lien qui existe entre le bégaiement et la maladie de Parkinson. Shahed et Jancovic (2001) observent par exemple que la ré-émergence du bégaiement chez des individus qui avaient pu surmonter ce handicap alors qu’ils étaient enfants (Shahed and Jancovic, 2001). Les résultats reportés ci-dessus sont en partie contradictoires, ils s’accordent cependant pour montrer que la maladie de Parkinson se traduit par une altération de l’organisation temporelle. 2.2. Variables temporelles : analyse, comparaison et résultats Dans la suite de cet exposé, nous présentons les résultats obtenus pour l’analyse et la comparaison d’un extrait de la chèvre de monsieur Seguin lu par dix sujets souffrant de la maladie de Parkinson et de dix sujets contrôles. Notons que les sujets des deux groupes ont le même âge (M : 57 ans, DS : 8), et que les atteintes de la maladie de Parkinson sont modérées (UPRDS moyen : 38, DS : 16). Les extraits ont été enregistrés directement sur un PC, ils font partie d’une base de données créée par F. Viallet et B. Teston. Les séances d’enregistrement sont faites à l’hôpital d’Aix en Provence sous le contrôle d’un neurologue et selon les règles définies par le comité d’éthique. Les malades sont en situation de sevrage de L-Dopa. L’analyse des variables temporelles est faite à partir d’oscillogrammes et de spectrogrammes et d’une écoute auditive attentive de l’extrait (Des exemples d’oscillogrammes sont donnés en annexe). L’analyse des différentes variables temporelles est faite selon les critères définis plus haut. Notons que l’analyse d’extraits lus permet d’exclure les pauses d’hésitation et que la vitesse de parole et la vitesse d’élocution sont soigneusement distinguées, évitant ainsi toute confusion dans l’analyse des résultats, confusion qui est peut être à l’origine des contradictions relevées plus haut. 2.2.1. Vitesse de parole. Tableau 1. Variables temporelles des textes lus par 10 sujets souffrant de la maladie de Parkinson (SMP) et 10 sujets contrôles (SC). Les variables sont les suivantes : temps total de parole (TTP), rapport du temps de pause/temps de parole (TP/TTP), durée moyenne d’une pause (DMP), NP (nombre de pauses), DMSS (durée moyenne d’une suite sonore), vitesse d’élocution (VE) et vitesse de parole (VP) exprimées en nombre de syllabes par seconde. Les écarts types pour la durée moyenne d’une pause et d’une suite sonore sont entre parenthèses. TTP TP/TPP DMP NP DMSS VE VP (ms) (ms) Syll/sec Syll/sec SMP 637” 27% 609 287 1558 5.3 4.05 (461) (938) (0.9) SC 723” 23% 534 267 1660 5.47 4.5 (337) (961) (0.8) Ainsi qu’on peut le voir au tableau 1 la vitesse de parole des malades est plus lente (4,05 syll/sec) que celle des sujets contrôles (4,05 syll/sec). Cette lenteur paraît être corrélée à un temps de pause plus élevé (sujets contrôles : 23% ; sujets malades : 27%). 2.2.2. Pauses silencieuses Toujours au tableau 1, on peut noter un temps moyen de pause plus long chez les malades (609 ms) que chez les contrôles (534 ms), cette différence est significative [F(2, 820)=3.6, p=0.02). En revanche, il n’y aucune différence significative pour la durée moyenne des suites sonores. En ce qui concerne la distribution des pauses silencieuses, une corrélation très forte apparaît entre la durée et la fréquence des pauses et l’organisation syntaxique chez les malades comme chez les contrôles (voir Fig. 2 et 3). Le nombre de pauses est identique en frontières de paragraphes, de phrases et de propositions, et relativement proche en frontières de syntagmes dans les deux groupes. Une hiérarchie des durées correspond également à la hiérarchie des frontières : les pauses marquées aux frontières de paragraphes sont plus longues que celles qui sont localisées aux frontières de phrases, ces dernières pauses étant à leur tour plus longues que les pauses localisées en frontières de propositions. 1600 1400 Durée 1200 ( ms) 1000 SC SMP 800 600 400 200 0 IM IS FS FPr FPar FPh Localisation Figure 2. Durée moyenne des pauses en fonction de la répartition dans le paragraphe. Les localisations suivantes sont définies : frontière de paragraphe (FPar), de phrases (FPh), de propositions (FPr), de syntagmes (FS), intérieur de syntagmes (IS) et de mots (IM). Les résultats concernent les sujets souffrant de la maladie de Parkinson (SMP) et les sujets contrôles (SC) 120 100 N o m b r e 80 SC 60 SMP 40 20 0 IM IS FS FPr FPh FPar Localisation Figure 3. Nombre total de pauses en fonction de la répartition dans le paragraphe. Les localisations suivantes sont définies : frontière de paragraphe (FPar), de phrases (FPh), de propositions (FPr), de syntagmes (FS), intérieur de syntagmes (IS) et de mots (IM). Les résultats concernent les sujets souffrant de la maladie de Parkinson (SMP) et les sujets contrôles (SC) Au respect du schème distributionnel des pauses vient cependant s’ajouter ou se superposer la réalisation de pauses à l’intérieur d’unités étroitement liées. Dans le groupe des malades, les pauses localisées en frontières de propositions et de syntagmes sont approximativement de même durée, des pauses sont également marquées à l’intérieur de syntagmes et de mots. Dans le groupe contrôle, il existe une hiérarchie de durée entre les pauses réalisées en frontières de propositions et de syntagmes. L’analyse des fréquences confirme cette tendance : 21 pauses interviennent à l’intérieur des syntagmes chez les sujets malades, contre 2 seulement chez les contrôles ; 7 pauses silencieuses sont marquées à l’intérieur des mots chez les premiers, aucune chez les contrôles. Cette répartition est d’ailleurs significativement différente ([χ2= 23, p=0.009].) 2.2.3. Vitesse d’élocution La vitesse d’élocution et le coefficient de variation du groupe de malade (5,3 syll/sec ; CV :0.17) sont très proches de celui des contrôles (5, 57 syll/sec ; CV :0.14), ce qui peut suggérer une durée syllabique similaire. 2.2.4. Dysfluences En ce qui concerne les dysfluences, la comparaison de leur nombre révèle de grandes différences entre les deux groupes. Pour les contrôles, on ne note qu’une omission et qu’une addition de mots grammaticaux. Pour les sujets ayant la maladie de Parkinson 48 dysfluences sont relevées. Les omissions sont les dysfluences plus fréquentes : 3 omissions de syllabes à l’intérieur de mots lexicaux, 11 omissions de mots grammaticaux, et une omission de mot lexical (voir exemple.1). Viennent ensuite les faux départs, 14 en tout. Cinq d’entre eux interviennent à l’intérieur d’un mot, ils sont tous associés à une pause silencieuse, seuls 3 d’entre eux sont repris et corrigés (Voir exemples 2 et 3). Les 9 faux départs restant interviennent à l’intérieur d’un syntagme en frontière de mot, ils sont tous associés à une pause silencieuse, repris et corrigés (voir exemple 4). Les répétitions sont au nombre de 11. Quatre d’entre elles sont produites à l’intérieur d’un mot, ce sont 2 répétitions de syllabes de mots lexicaux accompagnées d’une pause silencieuse (voir exemple 5) et 2 répétitions de fragments de mots lexicaux (2) dont une seule est accompagnée d’une pause silencieuse. Des 7 répétitions produites en frontières de mots, 5 sont des répétions de syllabes, les deux restantes sont respectivement une répétition de fragment de syntagme et une répétition de syntagme entier, elles sont toutes associées à une pause silencieuse (exemple 6). On trouve aussi deux pauses remplies (euh) et une erreur non corrigée (voir 7) Produit (1) Le ∅ les mangeait Phonologique le loup les mangeait (2) .de leur mèr/pause/tre de leur maître (3) était con/pause/ consterné était consterné (4) I le /pause/caressait/pause/ni les caresses ni les caresses (5) De bon/pause/de bonheur avec de bonheur (6) Et je n'en garderai pas une/ pause/ je n'en garderai pas une je n’en garderai pas une (7)Il eut besoin Il eut soin 2.2.5. Variables temporelles : analyse interindividuelle Tableau 2. Variables temporelles obtenues par chacun des sujets. Pour chacun d’entre eux sont reportés l’UPRDS (inconnu pour PD8), la durée moyenne (M) et la déviation standard (DS), la vitesse d’élocution moyenne (M) et la déviation standard, et le nombre de dysfluences (Ndys) Sujets atteints de la maladie de Parkinson Pauses Vitesse d’élocution Dysfluences Sujets contrôles Pauses Dysfluences M DS (ms) Vitesse d’élocution M DS (ms) NPNS NDys M (ms) DS M (syll/sec) DS NPNS NDys PD1 PD2 PD3 732 604 605 782 265 250 4.6 5.2 5.6 1.0 0.7 0.7 16 0 0 15 1 2 C1 C2 C3 485 453 760 301 295 430 5.7 5.8 5.8 0.6 0.8 0.5 - 1 - PD4 454 238 6.1 0.6 3 3 C4 530 208 4.7 0.6 - - PD5 545 293 5.3 0.7 0 4 C5 428 274 5.7 1.3 - - PD6 354 172 6.0 0.4 1 4 C6 376 248 5.0 0.7 - - PD7 577 270 4.9 0.9 6 11 C7 605 481 5.0 0.6 - 1 PD8 742 333 5.1 0.5 0 1 C8 553 319 5.5 0.7 2 - PD9 575 466 5.6 0.8 2 4 C9 549 291 5.7 0.6 - - PD10 696 354 5.7 0.5 0 3 C10 641 269 5.3 0.5 - - Y a-t-il des tendances communes aux individus des deux groupes ? Les variables temporelles permettent-elles de définir différents groupes ou profils de malades ? La première tendance qui émerge de l’examen des données reportées au Tableau 2 est une extrême variabilité dans les durées moyennes de pauses et la vitesse d’élocution moyenne pour le groupe des malades et le groupe des contrôles. Les variables temporelles, en particulier la vitesse d’élocution sont spécifiques au locuteur (Duez, 1997), ce que confirment les résultats obtenus ici. L’analyse des variables temporelles des sujets contrôles révèle également une grande variabilité dans l’association des variables temporelles. Une vitesse d’élocution rapide (5.7 ou 5.8 syll/sec) est aussi bien associée à une durée moyenne de pause élevée (C3) qu’à une durée moyenne (C9) ou brève (C2). L’utilisation des variables temporelles relève donc de stratégies de parole individuelles. Chez les sujets malades trois groupes émergent de l’analyse des variables temporelles. Dans le premier il y variabilité dans l’association de la durée des pauses et la vitesse d’élocution comme chez les sujets contrôles. Dans le second, les sujets ont une vitesse d’élocution rapide (de l’ordre de 6 syll/sec) et une durée de pause brève (e.g. PD4 et PD6). Dans le troisième groupe enfin, la vitesse d’élocution lente est associée à une durée de pause longue, à un nombre élevé de pauses distribuées à l’intérieur de syntagmes et de mots et à de nombreuses dysfluences (voir. PD1 et PD7). 3. Désorganisation temporelle : causes et implications Les résultats obtenus pour le groupe et pour chacun des malades montre un effet du dysfonctionnement des ganglions de la base sur l’organisation temporelle de la parole. Généralement le temps de pause est plus long chez les sujets malades, corrélé à une durée moyenne de pause plus élevée, ce qui est tout à fait en accord avec les résultats publiés antérieurement (Hammen et Yorkston, 1996 ; Metter et Hanson, 1986 et Solomon et Hixon, 1993). Notons cependant qu’il existe une grande variabilité entre les sujets : certains malades parlent très vite, d’autres lentement, d’autres ont des résultats proches de ceux des sujets contrôles. L’analyse de la distribution des pauses montre qu’il existe un lien étroit entre la structure syntaxique de la phrase et du paragraphe et la hiérarchie des durées et de la fréquence des pauses dans les deux groupes, ce qui confirme les résultats obtenus pour la parole dite normale (Duez, 1982, Grosjean et al., 1979) et la parole de sujets souffrant de la maladie de Parkinson (Hammen and Yorkston, 1996). Le dysfonctionnement des ganglions de la base ne paraît donc pas atteindre le schéma distributionnel des pauses qui reste prégnant dans la parole lue des parkinsoniens. Un certain nombre de travaux portant sur la compréhension de phrases à structure syntaxique complexe ont lié ces difficultés à un déficit grammatical (Grossman et al, 1991 ; Lieberman et al, 1990) ou à une limitation dans les ressources exécutives (Lee et al, 2004). L’étroite correspondance qui existe entre la structure syntaxique et le schéma distributionnel des pauses va à l’encontre du déficit syntaxique lié au dysfonctionnement des ganglions de la base. Un certain nombre de pauses non syntaxiques rompent cependant la correspondance qui existe entre l’organisation syntaxique et l’organisation temporelle. Ces pauses, le plus souvent associées à des dysfluences, interviennent à l’intérieur de syntagmes ou de mots : dans la plupart des cas le locuteur conscient d’avoir mal prononcé ou omis une consonne ou une syllabe s’interrompt et reprend le cours de sa lecture en s’efforçant de corriger l’erreur commise. Ces pauses introduisent une rupture dans l’énoncé et dégradent la prosodie du discours. Le rôle des ganglions de la base dans leur occurrence est difficile à interpréter. Un certain nombre de travaux récents portant sur la compréhension et la production de la prosodie par des personnes souffrant de la maladie de Parkinson suggèrent que les ganglions de la base outre leur fonction motrice ont un rôle dans l’association des différents niveaux de représentation (Lloyd, 1999) et l’organisation temporelle de la parole. L’accélération ou le ralentissement de la vitesse de parole paraît causé(e) par un dysfonctionnement d’une horloge interne qui serait contrôlée par les ganglions de la base (Gandour et al., 2002). Dans la présente étude les pauses non syntaxiques paraissent plutôt relever de déficits moteurs. L’organisation temporelle a un rôle fondamental dans la structuration de l’énoncé. L’allongement final qui est réalisé par des différences de durée et des pauses silencieuses (Duez, 1993) signale les frontières des unités linguistiques et permet le traitement et l’intégration des unités linguistiques. Les pauses anormalement longues, les pauses localisées à l’intérieur des syntagmes et les dysfluences rompent la cohésion des unités linguistiques, déçoivent les attentes perceptives des auditeurs (Fraisse, 1974) et dégradent l’intelligibilité de la parole (Kempler and Van Lancker, 2002). Ces ruptures sont une caractéristique de la parole parkinsonienne: elles sont d’ailleurs intégrées dans les grilles d’évaluation perceptive de la dysarthrie parkinsonienne (Özsancak et al., 2002). La manière dont elles sont traitées et perçues reste cependant méconnue, on sait également peu de choses sur leur impact véritable sur la communication. Une analyse du rôle respectif des différentes anomalies segmentales et prosodiques dans la perte l’intelligibilité devrait permettre de mieux évaluer leur rôle dans la dégradation de la parole et d’établir une hiérarchie des anomalies qui pourrait trouver des applications en rééducation de la parole. Références Anderson, J. D. , Hughes, L. J. , Gonzalez Rothi, L. J. , Crucian, G. P. and Heilman, K. M. , (1999). Developmental Stuttering and Parkinson’s Disease : the Effects of Levodopa Treatment. Journal of Neurological and Neurosurgical Psychiatry, 66, 776-778. Canter, G. J. (1963). 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SM : Syntagme majeur, Sm : syntagme mineur. Les pauses silencieuses réalisées sont donc classées en fonction de leur distribution aux différentes frontières. Rappelons que les textes lus par les sujets malades présentent un certain nombre de pauses distribuées à l’intérieur des syntagmes et à l’intérieur des mots. Monsieur Seguin /SM/ n’avait jamais eu /SM/ de bonheur /Sm/ avec ses chèvres. /Ph/ Il les perdait toutes /SM/ de la même façon; /Prop/ un beau matin /SM/ elles cassaient /SM/ leur corde,/Prop/ s’en allaient /SM/ dans la montagne et là-haut /SM/ le loup /SM/ les mangeait. /Ph/ Ni les caresses /Sm/ de leur maître/SM/, ni la peur /Sm/ du loup, /SM/ rien ne les retenait. /Par/ C’était, /Prop/ paraît il, /Prop/ des chèvres indépendantes, /SM/ voulant /SM/ à tout prix /SM/ le grand air /SM/ et la liberté./Par/ Le brave monsieur Seguin /Prop/ qui ne comprenait rien /SM/ au caractère /Sm/ de ses bêtes, /Prop/ était consterné, /Prop/ il disait : /Prop/ c’est fini, /Prop/ les chèvres /SM/ s’ennuient /SM/ chez moi, /Prop/ je n’en garderai pas une. Cependant /SM/ il ne se découragea pas, /Prop/ et après avoir perdu /SM/ six chèvres /Sm/ de la même manière, /SM/ il en acheta /Sm/ une septième, /Prop/ seulement /SM/ cette fois, /SM/ il eut soin /Sm/ de la prendre /SM/ toute jeune /Prop/ pour qu’elle s’habituât mieux /SM/ à rester /SM/ chez lui. A quelle était jolie /SM/ avec ses yeux doux /SM/ sa barbiche /Sm/ de sous officier /SM/ ses sabots noirs et luisants /SM/, ses cornes zébrées /SM/ et ses longs poils blancs /Prop/ qui lui faisaient /SM/ une houppelande. Oscillogrammes de quelques extraits contenant une pause silencieuse. Pauses réalisées en frontière de paragraphe et en frontière de proposition 0.5922 0 -0.3878 19.328 23.0895 Time (s) Rien ne les retenait 1037 ms /pause/ 974 ms C’était, /pause/ paraît-il …. 534 ms /263ms/ 656 ms Dans cet exemple, on note deux pauses. La première de 974 ms intervient au terme d’un paragraphe ; la seconde est brève (263 ms) : elle est réalisée entre deux propositions Pause réalisée en frontière de phrase. 0.539 0 -0.4299 14.7951 18.1948 Time (s) Le loup les mangeait. 957 ms /pause/ /633 ms/ Ni les caresses de leur maître, 1310 ms Dans cet exemple une pause de 633 ms sépare deux phrases. Pause réalisée à une frontière de syntagme 0.742 0 -0.4712 9.39404 0.4482 Un beau matin 767 ms 12.3357 Time (s) /pause / /645 ms/ elles cassaient leur corde 1189 ms Dans cet exemple, on note une pause de / 645 ms/ après le syntagme « un beau matin ». 0 -0.3871 29.6199 31.6212 Time (s) Pause réalisée à l’intérieur d’un syntagme 0.4482 0 -0.3871 2.2906 0 Time (s) Rien ne les 714ms /Pause/ /330 ms/ retenait 653 ms Dans cet exemple, une pause de /330 ms/ intervient à l’intérieur du syntagme après le pronom complément « les », causant une interruption inattendue entre deux éléments étroitement liés (pronom personnel complément+verbe). Cette rupture peut avoir une impact sur l’intelligibilité de la parole. Pause réalisée à l’intérieur d’un mot associée à la répétition de la syllabe « bon » du mot bonheur 0.462 0.4622 0 0 - 2.4257 6.1871 Time Monsieur Seguin n’avait jamais eu de bonh/pause/ de bonheur 2280 ms -0.3968 Dans cet exemple, 2.4981 /416ms/ 652 ms la pause de 416ms intervient à l’intérieur du mot bonheur dont la première 6.04251 syllabe est répétée. Cette pause inattendue peut dégrader l’intelligibilité, d’autant plus qu’elle Time (s) est associée à une dysfluence. 0.491 0 -0.4358 0 4.87056 Tim e (s)