RAPPORT SCIENTIFIQUE FINAL DU PROGRAMME

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RAPPORT SCIENTIFIQUE FINAL DU PROGRAMME
RAPPORT SCIENTIFIQUE FINAL DU PROGRAMME CHARC
(Connaissances de l’écologie et de l’HAbitat de deux espèces de Requins Côtiers sur la côte ouest de
La Réunion)
Etude du comportement des requins bouledogue (Carcharhinus leucas)
et tigre (Galeocerdo cuvier) à La Réunion
AVRIL 2015
Résumé
L'étude des requins bouledogue et tigre à La Réunion, menée dans le cadre du programme
CHARC, a permis de marquer 45 requins tigre (Galeocerdo cuvier) et 38 requins bouledogue
(Carcharhinus leucas). A partir des observations recueillies et des analyses effectuées entre
décembre 2011 et décembre 2014, nous avons obtenu les résultats suivants : (1) le requin tigre
est très peu détecté dans le réseau côtier de stations d'écoute, il occupe une zone plus au large
que le requin bouledogue. L'étude a donc portée essentiellement sur le requin bouledogue; (2)
les deux espèces ont des habitats distincts mais non exclusifs ; (3) le requin bouledogue n’est pas
territorial : il ne défend pas un espace contre d'autres individus, appartenant à la même espèce.
C’est un animal qui, au contraire, explore l’ensemble du littoral réunionnais; (4) les requins
bouledogue ne sont pas inféodés aux zones littorales et sont capables de quitter l'île de La
Réunion pour le milieu pélagique océanique ; (5) les premières analyses de génétique des
populations montrent que les requins bouledogue de La Réunion pourraient interagir avec les
populations de cette même espèce au Mozambique, ils pourraient ainsi former une seule et
même grande population dans la zone sud-ouest de l'océan Indien ; (6) le requin bouledogue à
La Réunion s’agrège saisonnièrement (entre mars et juin) sur des sites spécifiques où il pourrait
s’accoupler ; (7) le requin bouledogue présente une activité rythmée par l’alternance jour-nuit. Il
occupe l'ensemble de la colonne d’eau plus près des côtes à partir du début de l’après-midi et
devient plus actif près des côtes pour chasser dès le crépuscule ; (8) la richesse globale en
poisson sur la côte Ouest, la houle, les précipitations et la turbidité de surface sont les facteurs
qui influent le plus sur la présence des requins bouledogue à la côte. La présence des tortues
marines ou des mammifères marins, pas plus que les activités nautiques ne semblent avoir un
effet sur cette présence.
Ainsi, la variabilité des présences du requin bouledogue sur les côtes réunionnaises
s'explique, pour partie, par trois phénomènes majeurs : (1) leur capacité à migrer hors de l'île en
milieu pélagique océanique,(2) leur comportement de reproduction qui les conduirait à s'agréger
saisonnièrement pour s'accoupler sur des sites particuliers et (3) leur activité exploratoire de
recherche de nourriture rythmée selon un cycle jour-nuit, alternant des périodes au cours
desquelles ils occupent davantage une zone au large des côtes (en début de journée) et des
périodes au cours desquelles ils se rapprochent du littoral (l'après-midi et la nuit).
Cette étude a permis de cerner les périodes annuelles et journalières favorables à la présence
des requins bouledogue et les facteurs environnementaux susceptibles d'influer sur la présence et
la répartition spatiale de ces requins à la côte en structurant probablement leur habitat. Certains
sites seraient des sites possibles de chasse et d'autres des sites favorables à l'accouplement;
cependant les données recueillies n'ont pas permis de caractériser de façon précise ces sites
particuliers. Il reste un travail important d'analyse à mener et la nécessité de recueillir davantage
de données sur les traits de vie de ces espèces afin de mieux cerner leur mode d'occupation
spatiale, de préciser leur place dans l'écosystème et de pouvoir prédire, dans une certaine
mesure, les périodes de plus forte fréquentation de requins bouledogue à La Réunion.
Cependant, ces premiers résultats devraient aider à mieux appréhender la question du risque
requin à La Réunion et fournir des données pour la prise de décision des pouvoirs publics.
1
2
Table des matières
RAPPORT SCIENTIFIQUE FINAL PROGRAMME CHARC ............................................................... 0
Table des matières ................................................................................................................................... 3
Liste des auteurs....................................................................................................................................... 5
CHAPITRE 1 ........................................................................................................................................... 7
INTRODUCTION .................................................................................................................................. 7
Préambule ............................................................................................................................................................8
1.1 Contexte scientifique ......................................................................................................................................8
1.2 Données recueillies dans la littérature sur la biologie des deux espèces côtières étudiées..........................9
1.3 Méthodologies et recueils des données sur le site d'étude .........................................................................11
1.5 Le requin bouledogue (Carcharhinus leucas) ...............................................................................................15
CHAPITRE 2 ........................................................................................................................................... 17
ETUDE DU COMPORTEMENT EXPLORATOIRE DU REQUIN BOULEDOGUE ......................... 17
A LA REUNION ..................................................................................................................................... 17
2.1 Analyse de la répartition spatiale des requins bouledogue à La Réunion ...................................................18
2.2 Analyse du mode d'occupation spatiale des requins bouledogue à La Réunion à partir des détections
enregistrées sur les stations d'écoute ................................................................................................................20
2.3 Cas particulier des requins bouledogue à déplacements restreints ............................................................23
2.4 Analyse du comportement exploratoire des requins bouledogue...............................................................24
2.4.1 Occupation de la colonne d'eau ............................................................................................................24
2.4.2 Répartition en fonction de la distance à la côte ....................................................................................28
2.4.3 Dynamique spatiale des requins bouledogue .......................................................................................29
2.4.4 Comportement migratoire d'exploration ..............................................................................................31
2.4.5 Analyse des déplacements à grande l’échelle par double marquage (marques Vemco et Wildlife
Computer).......................................................................................................................................................36
CHAPITRE 3 ........................................................................................................................................... 41
ETUDE DES RYTHMES BIOLOGIQUES DU REQUIN BOULEDOGUE A LA REUNION ........... 41
3.1 Analyse de la variabilité spatio-temporelle des présences de requins bouledogue à La Réunion ..............42
3.1.1 Temps moyens d’absence et de présence.............................................................................................42
3.2 Les rythmes biologiques saisonniers des requins bouledogue ....................................................................43
3.2.1 Exemples de patterns saisonniers altérés ou robustes .........................................................................47
3.2.2 Le cycle biologique de reproduction du requin bouledogue ................................................................49
3.3 Rythme nycthéméral chez le requin bouledogue ........................................................................................56
3.4 Tentative d'évaluation de la taille maximale de la population de requins bouledogue à La Réunion ........64
CHAPITRE 4 ........................................................................................................................................... 67
3
INTERACTIONS ENTRE LE REQUIN TIGRE ET LE REQUIN BOULEDOGUE ET ECOLOGIE
TROPHIQUE DES DEUX ESPECES .................................................................................................... 67
Introduction ........................................................................................................................................................68
4.1 Analyse des interactions entre les requins bouledogue et tigre à partir des données de marquage
acoustique ..........................................................................................................................................................68
4.2 Écologie trophique des requins tigre et bouledogue ...................................................................................71
4.2.1 Introduction ...........................................................................................................................................71
4.2.2 Intérêt des études d’écologie trophique ...............................................................................................71
4.2.3 Objectifs de l'étude................................................................................................................................73
4.2.4 Echantillonnage .....................................................................................................................................73
4.2.5 Principaux résultats et discussion..........................................................................................................76
4.2.6 Synthèse et perspectives .......................................................................................................................84
CHAPITRE 5 ........................................................................................................................................... 87
CARACTERISTIQUES DE L'HABITAT DU REQUIN BOULEDOGUE A LA REUNION .............. 87
Introduction ........................................................................................................................................................88
5.1 Caractéristiques de l'habitat en fonction des conditions environnementales.............................................89
5.2 Variables environnementales déterminantes et études de cas spécifiques ................................................91
5.2.1 Approche exploratoire générale............................................................................................................91
5.2.2 Etude de cas spécifiques........................................................................................................................92
5.3 Mesure de l'influence des conditions environnementales sur la présence des requins marqués à partir de
la méthode statistique des arbres de décision ou forêts aléatoires ................................................................107
5.3.1 Effet des précipitations ........................................................................................................................108
5.3.2 Effet de l'abondance relative en poissons commerciaux ....................................................................109
5.3.3 Effet de la houle...................................................................................................................................111
5.3.4 Effet de la turbidité de surface ............................................................................................................113
5.4 Conclusion ..................................................................................................................................................114
CONCLUSION ET PERSPECTIVES................................................................................................... 117
Conclusion générale .........................................................................................................................................117
Perspectives ......................................................................................................................................................120
Ouvrages et articles consultés ................................................................................................................ 123
4
Liste des auteurs
Marc Soria, ingénieur de recherche IRD, UMR MARBEC
Sébastien Jaquemet, maitre de conférences, Université de La Réunion, Laboratoire ECOMAR
Clément Trystram, doctorant, Université de La Réunion, Laboratoire ECOMAR
Pascale Chabanet, directeur de recherche, IRD, UMR ENTROPIE
Jérôme Bourjea, ingénieur Halieute - docteur en Biologie Marine, Ifremer DOI
Claire Jean, chargée d'études, Service scientifique, RMR-Kélonia
Stéphane Ciccione, directeur du RMR-Kélonia
Mayeul Dalleau, chargé de mission, docteur en Biologie Marine - Service scientifique CEDTMKélonia
Lionel Bigot, ingénieur d'étude, Université de la Réunion, Laboratoire ECOMAR
Arzhela Hemery, ingénieure de Recherche, contractuelle programme CHARC
Antonin Blaison, doctorant, Université de la Réunion, Laboratoire ECOMAR
Anne Lemahieu, doctorante, Université de la Réunion, UMR ESPACE-DEV
Violaine Dulau, responsable scientifique, association Globice
Vanessa Estrade, chargée de mission, association Globice
Hélène Magalon, maitre de conférences, Université de la Réunion Laboratoire ECOMAR
Christophe Révillion, ingénieur d'Etude, IRD, UMR ESPACE-DEV
Gwenaëlle Pennober, maitre de conférences, Université de La Réunion, UMR ESPACE-DEV
Stéphanie Goutorbe, ingénieure d'étude, contractuelle programme CHARC
Harold Cambert, chargé de mission, ARVAM
Jean Turquet, chargé de mission, ARVAM
Pascal Cotel, assistant ingénieur, IRD, UMR MARBEC
Agathe Pirog, doctorante, Université de La Réunion, Laboratoire ECOMAR
Nathalie Verlinden, ingénieure d'étude, contractuelle programme CHARC
Remerciements
Nous remercions l'ensemble des bailleurs de fond (Etat: DEAL et Préfecture, Région et Europe) et tous
ceux, partenaires et associés scientifiques de l'Ifremer, l'IRD, du Laboratoire Ecomar, de la Réserve
Marine, de Globice, de Kélonia, du CRPMEM, de Squal'idées, et du CRESSM), qui ont soutenu ce
programme et ses objectifs. Nos remerciements s'adressent en particulier aux personnes qui par leur
aide et leur ténacité ont permis de mener à bien les opérations délicates de pêche et de marquage des
requins étudiés et notamment : Antonin Blaison, Pascal Cotel, Estelle Crochelet, Geoffrey Bertrand,
Eric Hoarau, Michel Guillemard et Thierry Gazzo. Nous souhaitons également souligner le soutien sans
faille, de la représentation de l'IRD à La Réunion, des membres de l'administration de l'IRD et
notamment des directeurs scientifiques impliqués et des membres de la Direction de l'information et de
la culture scientifiques ainsi que des dirigeants de l'IRD.
5
6
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
7
Préambule
Le programme CHARC a été proposé suite au constat fait par la Préfecture de La Réunion de
la méconnaissance de la biologie et l’écologie des requins tigre et bouledogue incriminés dans les
accidents répertoriés sur les côtes de l’île depuis plus de 40 ans. Face à la recrudescence des
accidents en 2011 et afin de prendre des mesures appropriées, les pouvoirs publics devaient pouvoir
s’appuyer sur des connaissances scientifiques permettant d’expliquer les causes de ces événements.
Il est apparu qu’aucune hypothèse soulevée pour les expliquer n’avait été jusque là explorée et
encore moins démontrée. Dans l’impossibilité de répondre objectivement à la problématique, l’Etat
et la Région Réunion ont financé le programme CHARC. Ces organismes ont fait appel à leurs
fonds propres et 40% du financement ont été obtenus dans le cadre de la mesure européenne 3-21 du
FEDER. Cette mesure s’applique à la protection et la valorisation de la biodiversité. Son objectif est
de préserver l'environnement et les ressources dans le cadre d'un développement durable. C’est dans
ce cadre et pour répondre à ces questions que nous nous sommes engagés dans ce programme.
L’IRD a pourvu ce programme du personnel et des fonds nécessaires et a réalisé les démarches
pour qu’il se déroule dans les meilleures conditions. Les différents partenaires impliqués ont pris
leur part de responsabilités et ont tous été volontaires. Ce compte rendu témoigne de cet
engagement. Ce document fait état des travaux qui ont été menés depuis le début effectif du
programme en septembre 2012, date à partir de laquelle les moyens financiers ont été obtenus, les
dispositions administratives et juridiques prises et les commandes nécessaires aux observations de
terrain effectuées.
Les actions relatives à l’étude de l’écologie des requins se déclinent sur plusieurs axes de
recherche complémentaires. Elles concernent le comportement et la répartition spatiale et temporelle
des requins et l’effet de l’ensemble des conditions océanographiques et biologiques sur la
présence/absence des requins étudiés. Ces questions n’auront leur réponse qu’à travers l'analyse
globale des résultats présentés dans ce rapport. Néanmoins, plusieurs rapports intermédiaires ont été
rédigés et diffusés au cours de ce programme. Ces rapports ainsi que le document de référence du
programme peuvent être consultés sur le site IRD de La Réunion, à l’adresse suivante :
http://www.la-reunion.ird.fr/le-programme-charc. Ce rapport fait suite au dernier relevé des stations
d’écoute effectué en mai 2014. Il compile l’ensemble des données obtenues entre janvier 2012 et
mai 2014 soit sur une période de 28 mois.
1.1 Contexte scientifique
Le programme CHARC a pour but d’étudier l’écologie de deux espèces de requins côtiers de
La Réunion, le requin bouledogue (Carcharhinus leucas) et le requin tigre (Galeocerdo cuvier),
pour définir les caractéristiques de leur habitat respectif et leur distribution spatio-temporelle dans
ces habitats. Le concept d’habitat est utilisé pour décrire le milieu dans lequel une population
d’individus d’une espèce donnée peut normalement se développer (Chapman and Reiss 1999).
Ainsi, afin de mieux comprendre comment ces animaux utilisent leur environnement et s’y
8
s'adaptent, et de préciser leur rôle dans l’écosystème, le programme CHARC s’est attaché à collecter
des informations sur le comportement des individus des deux espèces et sur les conditions
environnementales des habitats que ces deux espèces occupent. Des marques acoustiques et des
marques archives (marques électroniques auto-largables) ont été implantées dans et sur les animaux
et suivies par un réseau de stations d’écoute ou par “tracking” (suivi en continu). La structuration de
l’habitat a été définie, d’une part, en cartographiant les structures géomorphologiques et/ou
singulières présentes dans la zone (réserve marine, dispositifs de concentration de poissons (DCP),
ferme aquacole, passes, plages ouvertes à fortes turbidités, estuaires et ravines) et, d’autre part, en
mesurant les variations des conditions du milieu (température, salinité, courant, turbidité) et la
présence des autres espèces de l’écosystème (proies potentielles, tortues et mammifères marins). Le
comportement alimentaire et la génétique des populations des deux espèces de requins ont
également été étudiés. L’étude de l’écologie alimentaire des requins permet de mieux comprendre
leur place et leur rôle au sein des écosystèmes, et d’identifier d’éventuelles perturbations dans la
structure et le fonctionnement de ces écosystèmes. L’étude de génétique des populations des deux
espèces de requin, à l’échelle de l’océan Indien Occidental, permet d’apporter des informations sur
la diversité génétique des populations (régime de reproduction - consanguinité) et sur la
différenciation des populations (flux de gènes, dispersion efficace au sein de l’océan Indien).
Concernant la gestion de la crise requin à La Réunion, il apparaît important de bien définir le
rôle de ce programme. Les différentes études présentées ci-dessous permettront d’améliorer les
connaissances sur les deux espèces de requins impliqués dans les attaques. Ils apporteront à l’Etat, à
la Région et aux Municipalités des éléments scientifiques d’aide à la prise de décisions.
1.2 Données recueillies dans la littérature sur la biologie des deux espèces côtières
étudiées
Les recherches concernant le requin bouledogue (C. leucas) et le requin tigre (G. cuvier) sur
l’ensemble de la planète sont peu nombreuses (Castro, 1983 ; Campagno, 1984). Trois raisons
majeures sont à l’origine de cette méconnaissance : -1) la complexité de l’écosystème dans le
domaine marin rend souvent illusoire tout déterminisme simple entre une cause et un effet ; -2) le
comportement de ces deux espèces de requins est complexe car il peut varier en fonction de l’âge,
du sexe, des périodes du cycle biologique et des conditions de l’écosystème ; -3) la caractérisation
de l'habitat nécessite des mesures des paramètres écologiques (concentration et type des proies,
densité des congénères ou d’individus d’autres espèces) et des paramètres environnementaux
(turbidité, courant, salinité, température) qui sont souvent difficiles à obtenir ou à échantillonner en
continu.
L’utilisation de l’habitat par différentes espèces de requins côtiers est étudiée depuis plusieurs
années (Heithaus et Dill 2000 ; Bruce et al. 2005 ; Maia et al. 2006 ; Heithaus and Delius 2009). Des
zones de nurserie ont été définies pour quelques espèces, notamment chez le requin citron,
Negaprion brevirostris (Feldheim et al. 2002), le requin pointe noire, Carcharhinus limbatus
9
(Heupel and Hueter 2002) ou encore le requin bouledogue (Castro 1993). Elles se caractérisent par
des zones côtières riches en proies et peu profondes qui fournissent donc une zone d’alimentation
abondante mais aussi une protection naturelle contre les plus gros prédateurs. Les zones de prédation
et de repos ont également pu être étudiées. Goldman et Anderson (1999) ont ainsi pu décrire les
mouvements de requins blancs (Carcharodon carcharias) autour d’une colonie d’otaries
(Arctocephalus pusillus) et décrire les comportements de prédation. Les zones de reproduction sont
très peu connues voire inconnues pour la majorité des espèces de requin. Seul le comportement
reproducteur du requin nourrice (Ginglymostoma cirratum) est bien caractérisé à l’heure actuelle
(Pratt and Carrier 2001). Les déplacements à macro-échelle sont beaucoup moins connus et les
premières études remettent souvent en cause les observations précédentes (Daly et al. 2014). Par
exemple, le requin bouledogue a longtemps été considéré comme une espèce uniquement côtière
(Campagno 1984 ; Last and Stevens 1994), jusqu’à l’étude de Brunnschweiler and Van Buskirk
(2006) qui ont démontré que ces requins aux îles Fidji, étaient capables d’aller en milieu océanique
et d’effectuer des plongées à plus de 100 m de profondeur.
Le requin tigre (Galeocerdo cuvier) est le deuxième plus grand poisson prédateur au monde
après le requin blanc (Carcharodon carcharias). Il mesure généralement entre 3 et 4 mètres pour un
poids compris entre 350 et 700 kilos. L’âge maximum estimé est de 27 ans. Le requin tigre est une
espèce côtière et pélagique capable de grandes migrations à travers les océans (Polovina et al. 1993;
Heithaus et al. 2002). La disponibilité en proies et la température de l’eau semblent jouer un rôle
important dans ses déplacements. Son régime alimentaire est le plus diversifié parmi les requins
(Heithaus 2001; Simpfendorfer et al. 2001). Il s’alimente principalement de poissons, de dauphins,
de dugongs, de tortues de mer, de serpents de mer, d’oiseaux de mer, de crustacés,
d’élasmobranches voire de mammifères marins et terrestres. Son alimentation peut être influencée
notamment par la disponibilité en proies, l’expérience de l’individu et son stade de maturité. Il est
l’unique ovovivipare de la famille des Carcharhinidés. Le cycle reproducteur serait d’au moins deux
ans et certains auteurs émettent l’hypothèse d’un cycle trisannuel (Branstetter et al. 1987 ; Withney
et Crow 2006). Les femelles ont des portées importantes (une trentaine de nouveaux nés en
moyenne) mais il y a un fort taux de mortalité chez les juvéniles (entre 27% et 62% selon les
observations) (Driggers et al. 2008). Le requin tigre a un taux de croissance élevé et une maturité
relativement tardive : l’âge de première maturité varie entre 7 et 10 ans (Branstetter et al. 1987 ;
Natanson et al. 1999). L’utilisation de l’habitat est très variable entre les individus, qu’ils soient
originaires ou non d’une même région. Dans les eaux côtières, les requins semblent limiter leurs
mouvements à des zones peu étendues (Heithaus et al. 2002). Les mouvements des requins tigre à
l’échelle d’une baie pourraient être liés à ceux de leurs proies préférentielles. Plusieurs individus
peuvent rester dans une même zone insulaire toute leur vie, d’autres vont étendre leur domaine vital
à l’ensemble d’archipels, et d’autres encore sont capables d’effectuer des migrations transocéaniques
(Holland et al., 2001).
Le requin bouledogue (Carcharhinus leucas) a une aire de répartition très étendue comprenant
les eaux chaudes tropicales et sub-tropicales. C’est une espèce côtière et semi-pélagique. Les
10
mouvements migratoires sont relativement restreints en comparaison des autres espèces. Il est
souvent observé dans les lacs, les zones d’estuaires et remonte régulièrement les fleuves (Richard et
al. 2005). La taille maximale estimée est de 4 m. Les requins bouledogue ont un régime alimentaire
diversifié. Il comprend en majorité des poissons (y compris les autres requins) mais aussi des
céphalopodes, des cétacés, des tortues juvéniles, des oiseaux et certains mammifères terrestres
(Schmid et al. 1990). Le cycle de reproduction est encore peu connu. Les femelles comme les mâles
ont une maturité tardive (9-10 ans). Le temps de gestation de 10 à 11 mois pourrait inclure un cycle
annuel, bisannuel ou trisannuel (Brunnschweiler and Baensch, 2011). Le requin bouledogue est une
espèce vivipare. Les premières études indiquaient des tailles de portées des femelles entre 1 et 9
nouveaux nés (Sadowsky, 1971; Jenson, 1976) et plus récemment 14 nouveaux nés ont été observés
aux Seychelles (Nevill et al., 2013) . Le taux de croissance des requins bouledogue est lent, variable
entre individus et dépendant du stade de maturité (entre 4 et 20 cm.an-1). Des différences dans le
développement biologique et comportemental d’une région à une autre sont observées et
s’expliqueraient en majeure partie par les caractéristiques de l’habitat dans lequel évolue la
population. Dans les zones côtières, la répartition des requins adultes semble dépendre
majoritairement de la structure bathymétrique des fonds, mais la température de l’eau, la salinité et
la turbidité auraient également un effet (Heithauss and Delius, 2009). Le requin bouledogue peut
vivre dans des eaux peu salées mais semble éviter les eaux trop dessalées (Simpfendorfer, 2005).
D'après la littérature, les nouveaux nés, les jeunes de l’année et les juvéniles montrent une grande
fidélité au site (Curtis 2008; Heupel et Simpfendorfer, 2008; Heithaus et al. 2009 ; Ortega et al.
2009). Les adultes passent la majorité de l’année au même endroit, sauf durant l’hiver où ils
disparaissent pour se reproduire dans d’autres régions du monde (Carlson et al. 2010). Les requins
bouledogue semblent augmenter la taille de leur aire de répartition au cours de leur croissance en
passant d’un milieu très côtier au stade juvénile à un milieu semi-pélagique au stade adulte.
1.3 Méthodologies et recueils des données sur le site d'étude
Afin de suivre le déplacement des requins dans leur habitat naturel, trois méthodes
d'observation ont été utilisées, à trois échelles différentes (cf. Annexe sur les protocoles
expérimentaux p. 126-144). Elles sont toutes basées sur les techniques d'acoustique passive utilisant
des émetteurs et des récepteurs acoustiques ou radio permettant de recueillir des informations sur la
position des requins marqués au cours du temps.
L’expérience à « micro-échelle » a consisté à suivre en continu un requin marqué en temps réel
pendant plusieurs jours, à l’aide d’un hydrophone embarqué. Cette méthode permet de connaître,
avec précision, les déplacements horizontaux et verticaux des requins marqués. Un seul requin tigre
a pu être suivi à « micro-échelle » au cours de ce programme.
L'expérience à méso-échelle a consisté à équiper d'émetteurs acoustiques une quarantaine
d'individus de chaque espèce (cf. Annexe p 128). La présence/absence de ces requins marqués a été
11
enregistrée par plusieurs stations d'écoute déployées autour de La Réunion pendant près de deux ans
(figure 1 et tableau en Annexe p. 131).
L’expérience à « macro-échelle » enfin, a consisté à fixer sur l'aileron des animaux une marque
archive (miniPAT pour « Pop-up Archival Tag) qui permet de suivre les déplacements à grandes
échelles comme les migrations transocéaniques. Cinq requins ont été équipés de ce type de balise.
Sainte-Marie
Le Port
Saint-Paul
Saint-Gilles
Sainte-Rose
Saint-Leu
Etang-Salé
Saint-Pierre
Figure 1. Positions des 58 stations d'écoute (points rouges) déployées,
autour de La Réunion, au cours du programme CHARC (les lignes
bleues indiquent les isobathes autour de l'île issues de la plate-forme de
modélisation hydrodynamique du littoral Réunionnais Hydrorun).
La caractérisation des régimes alimentaires des deux espèces de requins ciblées a été effectuée
sur l'analyse de 51 contenus stomacaux (issus du programme CHARC et de différents programmes
de prélèvements: West, CapRequin, Valorequin, cf. chapitre 5 sur l'écologie trophique).
L'identification des sources de nourriture dont les individus ou/et les espèces dépendent et la
recherche des habitats dans lesquels ils pourraient s’alimenter de façon régulière ont été entreprises à
partir de l’analyse comparative des isotopes du carbone, de l’azote, du soufre et des métaux lourds
contenus dans les échantillons prélevés dans le milieu (eau, sédiments et proies) et dans le muscle et
le sang des requins tigre (n=16) et des requins bouledogue (n=18). Enfin, l'analyse génétique des
requins côtiers a été initiée à partir d’échantillons de muscle de chaque espèce prélevés sur les
animaux pêchés ou marqués et à partir d’échantillons provenant de La Réunion et de deux autres
zones de l’océan Indien. Cent un échantillons de muscle de requins proviennent de La Réunion (52
bouledogues et 49 tigres), 18 bouledogues du Mozambique et 6 échantillons d’Afrique du sud (2
bouledogues et 4 tigres).
La structuration de l’habitat a été appréhendée à partir du recueil d'un ensemble de données
abiotiques (provenant de l'environnement) et biotiques (provenant du vivant). Les données
12
environnementales ont été enregistrées selon deux modes d’acquisition : des données de séries
historiques et des données acquises in situ.
– 1. Un certain nombre de données ont été acquises auprès des organismes d'Etat : les données
hydrologiques des réseaux existants de la DCE (23 points de suivi hydrologique du Réseau
Hydrologique du Littoral Réunionnais (RHLR) et du Réseau National d'Observation (RNO)), les
données sur la qualité des eaux de baignade recueillies sur 22 sites par l'Agence Régionale de Santé
de l'océan Indien (ARS-OI) et les données météorologiques (température et précipitation) de 30
stations d'intérêt, obtenues auprès de Météo-France afin d'évaluer et de quantifier l'importance de la
composante climatologique sur les conditions environnementales de la zone marine côtière. Les
valeurs de profondeurs sur la zone d'étude sont issues des données bathymétriques de la plateforme
Litto3D 1, développée dans le cadre du Projet Hydrorun de l'IFREMER. Enfin, les données de
cartographie morphosédimentologique des fonds marins côtiers de La Réunion (Cartomar, BRGM)
décrivant la nature des fonds et les formes sédimentaires ont été intégrées. La nature du substrat a
été classée selon la typologie suivante : sable biodétritique, roches (affleurantes et subaffleurantes),
sable volcanique, sable mixte (mélange des deux précédents) et zone de transit (zone perturbée de
dunes sédimentaires profondes). Un indice en a été extrait sous la forme d’un ratio exprimant, par
maille de 2 km, le pourcentage de la surface couverte par chaque type de substrat. Les données de
houle (période et hauteur) enregistrées au cours de la période d'étude et les années précédentes ont
été extraites de la base de données nationale de mesure de houle in situ, CANDHIS, recueillies et
traitées par le CEREMA (centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité
et l’aménagement).
– 2. Plusieurs campagnes hydrologiques ont été programmées au cours de l'étude afin
d'acquérir des séries de données terrain temporelles (cycles mensuels) simultanément aux
observations comportementales des requins (cf. Annexe p. 54-84). Sur la base de paramètres
environnementaux (salinité, température, oxygène, turbidité et courant), ces données ont été
collectées par le laboratoire ECOMAR en collaboration avec l’ARVAM, à l’aide de sondes
multiparamétriques ou de sondes CTD autonomes implantées sur 11 stations de référence. En
collaboration avec l’UMR ESPACE-DEV (IRD-Université de La Réunion), une estimation de la
turbidité par la couleur des eaux côtières de surface a été effectuée à partir du traitement et de
l’analyse des images satellites SPOT 4 et 5. Ces images à haute résolution (10 m) ont été acquises
par la station SEAS-OI de La Réunion, tous les 3 jours, et traitées afin de produire des cartes
d'indice de turbidité géoréférencées (cf. Annexe p. 93-107). Ces cartes permettent d'évaluer les
conditions de transparence des eaux et de mieux comprendre la dynamique et la résilience des
panaches turbides dans la zone d’étude.
Les données biotiques sont issues de différentes études, certaines qui étaient en cours, d’autres
effectuées spécifiquement dans le cadre de ce programme (cf. Annexe p. 6-53). Ces études ont
1
Les données bathymétriques proviennent des MNT (modèles numériques de terrain) de la "plate-forme de modélisation hydrodynamique du littoral Réunionnais" (projet
HYDRORUN coordonné par la Délégation Ifremer océan-Indien et le laboratoire Dyneco-Ifremer/Brest). Elles regroupent des données issues des campagnes
océanographiques (OEHLER (2005), ERODER (2006), FOREVER (2006), Litto3D(2009) et SHOM). Le Projet HYDRORUN a bénéficié, entre 2009 et 2012, du soutien
financier de l'Union Européenne (Fonds FEDER Réunion), du Conseil Régional de la Réunion, de l'Office de l'Eau de La Réunion, de l'Etat-DEAL de La Réunion et de
l'Ifremer.Hydrorun, Ifremer)
13
permis l'acquisition d'informations sur la présence et l'abondance des autres espèces marines côtières
et sur les activités anthropiques. Cela concerne : le suivi de la répartition spatiale et temporelle des
tortues vertes par survol ULM, l'étude par télémétrie satellite (marque SPLASH10-BF-296C de
Wildlife Computers) du comportement spatial à fine échelle des tortues vertes (Chelonia mydas)
immatures dans les eaux côtières de l’ouest de La Réunion, le suivi de la répartition spatiale et
temporelle des mammifères marins (baleines à bosse et dauphins), la collecte des informations
concernant les efforts de pêche et captures recueillies aux débarquements par le réseau d’enquêteurs
du Système d’Information Halieutique (SIH) de l’IFREMER, la dynamique des interactions entre la
petite pêche et les poissons prédateurs au large du littoral ouest (DIPPLO) de La Réunion, et le suivi
par survol aérien (ULM) de la fréquentation des plages et des activités nautiques.
Enfin, des éléments particuliers, ayant une influence supposée sur la présence des requins, ont
été pris en compte dans les analyses. Il s’agit des ports, des cours d’eau, des bouées de balisage de la
Réserve Naturelle Marine de La Réunion, des dispositifs de concentration de poissons (DCP), des
cages de la ferme aquacole dans la baie de Saint-Paul et des dates d'ouverture des cordons dunaires.
1.4 Cas du requin tigre (Galeocerdo cuvier)
Le nombre de détections et le temps de présence des requins tigre sont très faibles. Ils
représentent 3,2% du nombre total de détections et 2,8% de la somme globale des temps de présence
estimés. Les requins tigre sont donc presque absents de la zone d'étude. Seize requins tigre sur les 40
marqués ont été détectés sur trois DCPs déployés entre 5 et 9 kilomètres de la côte et ancrés sur des
profondeurs comprises entre 600 et 1600 mètres (figure 2). Ces détections sur DCP représentent
26% du temps total de présence de ces requins dans le réseau de stations. En comparaison,
seulement trois requins bouledogue ont été détectés sur ces DCPs et pendant 5% du temps total de
présence de ces requins dans le réseau. Ce résultat indique que l'habitat du requin tigre est plus au
large que notre réseau principal d'écoute.
Dans la suite du document, nous explorerons donc davantage les comportements des requins
bouledogue qui représentent l'essentiel des données recueillies. Néanmoins, nous ferons appel à ces
observations au cours des différents chapitres afin d'étayer notre propos et notamment dans le cadre
de l'étude des interactions entre requins tigre et requins bouledogue.
14
Figure 2. Positions des 4 DCPs (points au large) équipés de stations
d’écoute à l'île de La Réunion, avec la bathymétrie de la zone et la position
des autres stations à la côte. Les données bathymétriques proviennent des
MNT (modèles numériques de terrain) de la "plate-forme de modélisation
hydrodynamique du littoral Réunionnais" (projet HYDRORUN coordonné
par la Délégation Ifremer Océan-Indien et le laboratoire DYNECO de
l'Ifremer Brest).
1.5 Le requin bouledogue (Carcharhinus leucas)
Le tableau I résume les données acquises sur les requins bouledogue marqués. Le taux global
moyen de détections des requins bouledogue (pour 34 requins présents jusqu'au 26/05/2014), soit le
nombre de jours détectés sur le nombre de jours détectables, est de 30% ± 9%. Cela signifie que si
les requins bouledogue étaient distribués de façon homogène dans le temps et dans l’espace sur les
836 jours d'observation, un requin marqué serait détecté dans le réseau en moyenne tous les 3 jours
environ. Cinq requins par jour seraient détectés en moyenne (5,6 ± 1,2 (écart-type)) et ces requins
seraient détectés par une des stations approximativement une fois toutes les 40 minutes (moyenne 35
± 10 détections/jour), à raison d’une détection par minute en moyenne. L’analyse, détaillée au
chapitre suivant, des temps de présence et des visites, sur toutes les stations pendant les 28 mois
d’observation, montre que ces valeurs moyennes sont peu représentatives du comportement réel des
requins dans leur milieu. Ces valeurs cachent en effet de fortes variabilités tant entre individus que
dans l’espace et au cours du temps.
15
CODE REQUIN
Solene
Estelle*
Fanny*
Camille
Isis
Victoria*
Jade
Atalante*
Eleonore
Izidor
Bianca
Milo
Quezac
Julie
Fernand
Pénélope
Wendy*
Zaia
Ulysse*
Barbara
Neo*
Hector
Yaelle
Charlotte
Balboa
Danae
Natano
Gaia
Adelante
Tiphaine*
Xéna*
Oscar
Gwenn
Hermès
P.OBS
(jour)
544
496
496
461
606
506
606
496
454
434
461
427
568
429
452
568
506
475
405
91
496
438
496
225
807
225
261
607
806
514
502
572
448
606
D.DETEC
(jour)
523
217
204
353
258
341
398
153
129
239
309
279
95
213
274
118
83
109
22
68
40
115
11
46
9
25
14
17
78
2
3
11
2
2
TX.FREQ
96.1%
43.8%
41.1%
76.6%
42.6%
67.4%
65.7%
30.8%
28.4%
55.1%
67.0%
65.3%
16.7%
49.7%
60.6%
20.8%
16.4%
22.9%
5.4%
74.7%
8.1%
26.3%
2.2%
20.4%
1.1%
11.1%
5.4%
2.8%
9.7%
0.4%
0.6%
1.9%
0.4%
0.3%
M.DETEC
(Nb/J)
82.6
102.2
97.8
43.3
48.1
45.3
31.3
36.2
53.4
31.7
22.7
26.6
90.8
23.7
19.0
32.8
45.6
19.4
95.0
36.9
31.2
9.6
14.9
4.8
21.4
10.1
14.6
7.5
2.2
54.5
16.3
7.6
1.0
1.5
CRT
(heure)
3037
795
699
641
580
539
482
410
337
299
287
274
269
163
159
146
117
69
56
48
37
31
15
13
11
10
8
5
5
3
2
2
0
0
TX.PRES
23.26%
6.68%
5.87%
5.79%
3.99%
4.44%
3.32%
3.45%
3.09%
2.87%
2.60%
2.67%
1.97%
1.59%
1.46%
1.07%
0.96%
0.60%
0.57%
2.21%
0.31%
0.29%
0.13%
0.24%
0.06%
0.19%
0.12%
0.04%
0.03%
0.03%
0.02%
0.01%
0.00%
0.00%
Tableau I. Taux de fréquentation et taux de présence des requins bouledogue
marqués à La Réunion du 01/12/2012 au 26/05/2014. P.OBS : Nb de jours
détectables, D.DETEC : Nb de jours détectés, TX.FREQ : taux de fréquentation
(D.DETEC/P.OBS), M.DETEC : Nb moyen de détections par jour, CRT : temps
de présence cumulés (heure), TX.PRES : taux de présence (CRT/P.OBS). Les
code-requins avec un astérisque indique les individus équipés d'une marque plus
puissante.
16
CHAPITRE 2
ETUDE DU COMPORTEMENT
EXPLORATOIRE DU REQUIN BOULEDOGUE
A LA REUNION
17
2.1 Analyse de la répartition spatiale des requins bouledogue à La Réunion
Comment le requin bouledogue explore-t-il et occupe-t-il le milieu côtier de La Réunion? Pour
répondre à cette question, il est nécessaire d'étudier son comportement exploratoire, c'est à dire où et
comment l'animal se déplace. Le comportement exploratoire est le plus souvent dirigé vers un
élément particulier ou une situation de l'environnement : la recherche de nourriture, d'un lieu pour se
reproduire ou pour mettre bas. Cette recherche amène l'animal à explorer son environnement de
différentes façons et le conduit à trouver les zones favorables pour le but recherché. La chasse, par
exemple, est un aspect du comportement de prédation, qui implique, au préalable, une phase active
d'exploration.
Dans un premier temps nous avons étudié la répartition des requins dans le réseau de stations
d'écoute, selon quatre périodes définies en fonction des dates de redéploiement et de relevés des
stations. Les temps de présence cumulés, par site, de tous les requins bouledogue détectés sur la
zone d’étude ont été analysés. Les résultats montrent que les requins bouledogue occupent quatre
zones principales (figure 3) : la zone côtière au large du port de Saint-Gilles, la zone proche du
littoral de l’étang du Gol, la zone de la baie de Saint-Paul et le port de Sainte-Marie. Quelques
particularités propres à chaque zone sont à noter. La zone de l’Etang du Gol est principalement
occupée par un requin, une femelle sub-adulte. La zone de Saint Gilles n'est plus fréquentée par les
requins après octobre 2013, bien que la perte des stations du large Saint-Gilles et de Cap Aigrettes
pourrait en partie expliquer cette baisse de fréquentation. Les zones de Saint-Paul et de Sainte-Marie
ne se distinguent qu’à partir de novembre 2012.
Ces zones représentent des sites favorables appelés micro-habitats. Ces micro-habitats constituent
une partie de l'habitat global de l'espèce. Ils évoluent dans le temps et sont, chacun, plus ou moins
optimaux. Ces micro-habitats sont définis par des facteurs abiotiques et biotiques, spécifiques de
l'espèce pour chaque stade de son cycle biologique. Leur importance est variable. Soit ils sont
nécessaires à la survie (par exemple s'ils jouent le rôle d'un refuge transitoire notamment pour les
juvéniles), soit ils sont essentiels pour leur cycle de reproduction (par exemple s'ils jouent le rôle
d'un territoire d'accouplement transitoire), soit ce milieu permet de subvenir aux besoins
alimentaires et/ou constitue une zone de repos favorable (conditions de calme et de bonne qualité
des eaux). Pour reconnaître ou repérer l'habitat qui leur convient le mieux, les requins, comme les
autres animaux, détectent des signaux, ou stimuli, variés : olfactifs, acoustiques, électromagnétiques
ou visuels.
A partir de ce résultat nous pouvons déjà conclure que les requins bouledogue ne se
répartissent pas de façon homogène tout autour de l'île. Ils élisent des sites particuliers ou
micro-habitats favorables pour l'expression de leurs traits d'histoire de vie impliqués dans les
différentes phases du cycle biologique de l'espèce (alimentation, accouplement, reproduction).
18
Temps de Présence cumulés (en heure) des requins bouledogue de
décembre 2011 à mai 2012
0
STMARIE
HOULO
RIVDGAL
ARDA
CAPLAHOU
BRBOUCAN
PAINDESUC
BOUCANCM
BOUCANPS
CHEM
AIGSURF
AIGRBR
RONOIR
LASTGIL
BRBRIS
SUDBRI
ERMITA
SALINE
3BASSCM
BR3BASS
GRRAVI
POINTCHA
NDSTLEUBS
NDSTLEUCM
SUDSTLEU
PTSELND
PTSELSUD
SOUFFLE
DCPSTEL
RAVSABL
RAVAVIR
ETSALCM
ETSALBR
DCPETSAL
PTOISEAU
GOLFETSAL
ETDUGOL
RIVSTETIE
AEPIERFD
PTDIABL
STPJUMBO
RAVBLANC
STPIERPORT
PTRIVABOR
STROSE
DCPSTLOUI
100
200
NB requins marqués = 8
300
400
Temps de Présence cumulés (en heure) des requins bouledogue de
novembre 2012 à octobre 2013
Temps de Présence cumulés (en heure) des requins bouledogue de
juin 2012 à octobre 2012
0
500
STMARIE
HOULO
RIVDGAL
ARDA
CAPLAHOU
BRBOUCAN
PAINDESUC
BOUCANCM
BOUCANPS
CHEM
AIGSURF
AIGRBR
RONOIR
LASTGIL
BRBRIS
SUDBRI
ERMITA
SALINE
3BASSCM
BR3BASS
GRRAVI
POINTCHA
NDSTLEUBS
NDSTLEUCM
SUDSTLEU
PTSELND
PTSELSUD
SOUFFLE
DCPSTEL
RAVSABL
RAVAVIR
ETSALCM
ETSALBR
DCPETSAL
PTOISEAU
GOLFETSAL
ETDUGOL
RIVSTETIE
AEPIERFD
PTDIABL
STPJUMBO
RAVBLANC
STPIERPORT
PTRIVABOR
STROSE
DCPSTLOUI
100
200
NB requins marqués = 13
300
400
500
0
STMARIE
HOULO
RIVDGAL
ARDA
CAPLAHOU
BRBOUCAN
PAINDESUC
BOUCANCM
BOUCANPS
CHEM
AIGSURF
AIGRBR
RONOIR
LASTGIL
BRBRIS
SUDBRI
ERMITA
SALINE
3BASSCM
BR3BASS
GRRAVI
POINTCHA
NDSTLEUBS
NDSTLEUCM
SUDSTLEU
PTSELND
PTSELSUD
SOUFFLE
DCPSTEL
RAVSABL
RAVAVIR
ETSALCM
ETSALBR
DCPETSAL
PTOISEAU
GOLFETSAL
ETDUGOL
RIVSTETIE
AEPIERFD
PTDIABL
STPJUMBO
RAVBLANC
STPIERPORT
PTRIVABOR
STROSE
DCPSTLOUI
100
200
300
400
0
500
1552
NB requins marqués = 38
Temps de Présence cumulés (en heure) des requins bouledogue de
octobre 2013 à mai 2014 sans Solène
STMARIE
HOULO
RIVDGAL
ARDA
CAPLAHOU
BRBOUCAN
PAINDESUC
BOUCANCM
BOUCANPS
CHEM
AIGSURF
AIGRBR
RONOIR
LASTGIL
BRBRIS
SUDBRI
ERMITA
SALINE
3BASSCM
BR3BASS
GRRAVI
POINTCHA
NDSTLEUBS
NDSTLEUCM
SUDSTLEU
PTSELND
PTSELSUD
SOUFFLE
DCPSTEL
RAVSABL
RAVAVIR
ETSALCM
ETSALBR
DCPETSAL
PTOISEAU
GOLFETSAL
ETDUGOL
RIVSTETIE
AEPIERFD
PTDIABL
STPJUMBO
RAVBLANC
STPIERPORT
PTRIVABOR
STROSE
DCPSTLOUI
100
200
300
400
500
2830
NB requins marqués = 38
Figure 3. Somme des temps de présence cumulés enregistrés pour chaque station pour tous les requins bouledogue détectés pendant les six premiers mois (graphe de gauche), entre
juin et octobre 2012 (graphe du centre gauche), entre novembre 2012 et octobre 2013 (graphe du centre droite) et entre octobre 2013 et mai 2014 (graphe de droite). Le nombre
total de requins marqués est indiqué pour chaque période. Le cadre rouge indique l’étendue du réseau de stations d’écoute au cours de chaque période. Les étoiles rouges indiquent
les stations partiellement absentes pendant la période ou perdues. La barre et les nombres en bleu clair indiqués sur les deux graphes de droite indiquent le temps de présence de la
femelle sub-adulte qui a passé la majeure partie de son temps dans cette zone. Les graphes montrent la persistance de la zone préférentielle autour du port de Saint-Gilles jusqu'au
mois de septembre 2013. Les deux autres zones préférentielles apparaissent fin 2012 et correspondent à la zone de l’étang du Gol, de la baie de Saint-Paul et du port de SainteMarie.
19
Les questions suivantes auxquelles nous chercherons à répondre sont : quelles sont les variables
caractérisant ces microhabitats susceptibles de favoriser les traits écologiques de l'espèce (taux de
croissance, stratégie de reproduction, mode de dispersion)? Les traits écologiques sont décrits par
des variables caractérisant les affinités d’un taxon (sensibilité/tolérance) pour certaines
caractéristiques de l’habitat, comme ses préférences en matière d’habitat ou encore aux principaux
paramètres physico-chimiques: nutriments, matière organique, salinité, oxygénation, etc. Un des
principaux points de départ du développement de cette approche est l’« Habitat Templet » de
Southwood en 1977, selon lequel les modifications temporelles et spatiales de l’habitat induisent une
mosaïque de conditions biotiques et abiotiques qui jouent un rôle fondamental dans l’organisation
des communautés. Cela signifie que la distribution des organismes est fortement liée à la fréquence
des perturbations (définies comme des événements naturels ou anthropiques qui perturbent
l’écosystème, les communautés ou la structure des populations), qui modifie les ressources, la
disponibilité des habitats et l’environnement physique. Ces caractéristiques de l’habitat sont donc
considérées comme des filtres pour les traits biologiques et écologiques des espèces ce qui permet
de relier entre eux traits et gradients environnementaux. Quelles sont les conditions
environnementales spécifiques de ces habitats? Comment les requins sont-ils capables de les
détecter et de les choisir?
2.2 Analyse du mode d'occupation spatiale des requins bouledogue à La Réunion à
partir des détections enregistrées sur les stations d'écoute
La somme du nombre de détections par requin et par site (D) est en moyenne de 278 détections
par requin et par site mais la médiane n'est que de 31 détections par requin et par site tout au long
des 28 mois d'observations. L’analyse du mode d’occupation spatiale de chaque requin bouledogue
dans l’ensemble du réseau de stations d’écoute permet de distinguer 4 catégories d’individus selon
les déplacements observés (figure 4):
- les individus qui ont des déplacements importants sur l’ensemble du réseau. Ils sont détectés
sur tout le réseau, du Nord au Sud, y compris sur les sites de Sainte-Marie et de Sainte-Rose.
Les quatre zones principales d’occupation de ces requins qui explorent toute l'île sont les
quatre micro-habitats définis précédemment (sortie du port de Sainte-Marie, la baie de SaintPaul, les zones littorale et du large de Saint-Gilles et l’étang du Gol). Ces requins représentent
50% du nombre d’individus marqués;
- les individus pour lesquels on observe des déplacements plus restreints. Ils sont inféodés à
deux zones, celle du Nord autour des sites au large de Saint-Gilles et du Sud autour du site de
l’étang du Gol. Ils représentent 24% du nombre d’individus marqués. A l’exception de trois
requins qui ont des temps de présence relativement élevés, dont un sur un DCP, ces requins
sont peu détectés et peu présents sur la zone;
- les individus très rarement détectés qui représentent 16% du nombre d’individus marqués;
- et enfin les requins jamais détectés (10%). Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour
expliquer l’absence de détection de ces requins. La première serait que les individus soient
20
morts des suites de la pêche et/ou du marquage. Il se pourrait également que ces requins
passent la majorité de leur temps à la côte ou au large mais dans une zone hors du réseau de
détection. Il est possible que ces individus aient quitté définitivement l'île peu après le
marquage. Enfin, ces requins ont pu être pêchés avant qu’ils ne soient détectés sans que cette
information n’ait été divulguée.
Parmi les individus régulièrement détectés, on peut donc distinguer deux grands types de pattern
observés (le mot anglais "pattern" est souvent utilisé pour désigner un modèle, une structure, un
motif, un type, etc. Il s'agit souvent d'un phénomène que l'on peut observer de façon répétée)
d’utilisation de l’habitat chez les requins bouledogue à La Réunion : le "nomadisme" observé pour
une majorité d’individus qui fréquentent et explorent l’ensemble du réseau et la « sédentarité »
observés chez les requins dont le déplacement est limité à un espace plus restreint. Nous verrons
dans le paragraphe suivant, qu'à une exception près, cette dernière catégorie ne correspond pas
vraiment à un comportement de l'espèce mais à un biais d'observation.
21
59
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3
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5 #
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5 6
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4
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7
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# # # # # # Sud St-Leu # # # # # Etg du Gol # # # # St-Pierre SR
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8
6
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6
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9
1
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7
#
6
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1
2
3
4 4 4
8 #
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6
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2
4 3
#
8 #
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6
4
#
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#
#
#
#
1
6
#
6
#
2
4
#
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#
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#
#
#
#
#
#
#
#
#
#
#
#
2
#
#
7
6
4
#
#
4
#
#
#
#
#
6
20
5
6
4
#
4
2
2
2
6
#
#
#
#
#
#
6
5 #
4 8 1 1 #
4
4
1
1
5 2 #
# # # # #
3 #
1 1
7
# # #
# # # # #
# # # # #
4 # 1 6 #
1
8
27
6
12
56
3
9
26
8
66
1 8
3
1 5 81
#
2
2
3
3
# 3
2
# # # #
8
5
1 1
1
1
1
1
% requin
par classe
DCP
#
#
50% détectés sur l'ensemble du réseau
99 7 #
111 # #
#
65
#
1 #
46
#
143 # #
54 1 #
20 # #
621 # #
### # #
# #
496 # #
### # #
1
37 3 #
St-Gilles
5
24% peu détectés
SM Etg St-Paul 6 7 8 9 #
16% rares
Jade
Milo
Camille
Julie
Zaia
Barbara
Estelle
Eleonore
Fanny
Wendy
Isis
Ulysse
Bianca
Izidor
Pénélope
Victoria
Fernand
Hector
Adelante
Gaia
Oscar
Tiphaine
Solene
Atalante
Neo
Charlotte
Quezac
Natano
Danae
Balboa
Yaelle
Gwenn
Hermès
Xéna
Fred
Kara
Leila
Rose
% sites
visités
88%
88%
77%
73%
73%
63%
79%
83%
75%
75%
69%
69%
75%
81%
75%
73%
67%
67%
42%
29%
27%
25%
21%
15%
19%
15%
17%
17%
8%
4%
4%
6%
4%
4%
0%
0%
0%
0%
10% absents
Name
Figure 4. Variabilités individuelles de l’occupation spatiale (du Nord au Sud, SM=Sainte-Marie, SR=Sainte-Rose) et des modes d’utilisation du réseau de
station d’écoute des 38 requins bouledogue marqués au cours des 28 mois d’observation. Le ton des couleurs est proportionnel au nombre de détections (D) de
chaque requin sur chaque site selon les classes hiérarchisées suivantes ( D≥100, 50≤D<100, 1≤D<50, D<1).
22
2.3 Cas particulier des requins bouledogue à déplacements restreints
Parmi les requins détectés uniquement sur un ou deux sites proches, nous retrouvons la femelle
sub-adulte établie sur le site de l'Etang du Gol (Solène, longueur à la fourche = 140 cm, longueur
totale = 180 cm), détectée pendant 96% du temps d'observation. Nous verrons ultérieurement en
étudiant de plus près les autres comportements que ce requin est un cas atypique. Une réponse
possible de cette spécificité est peut-être liée à son stade de maturité. En effet, au cours de ce stade
sub-adulte, qui peut durer plusieurs années, les requins bouledogue ont des déplacements restreints.
Ainsi, le requin Solène utiliserait cette zone comme zone de confort, de repos ou comme refuge.
Concernant les six autres requins à déplacements restreints sur la zone Saint-Gilles, il est
important de signaler qu'ils n'ont été détectés qu'au cours de la période où le déploiement des
stations était limité à cette zone. Le caractère "sédentaire" est donc sans doute fortuit. Parmi ces
requins, deux requins femelles (Atalante et Charlotte), détectées respectivement pendant 30 et 20%
des jours d'observation, sont restés sur le site de Saint-Gilles. Le temps de présence de Charlotte est
néanmoins très faible (13 heures), soit 0.24% de la durée totale d'observation. Le suivi au cours du
temps des déplacements d’Atalante sur ce site montre deux phases d'occupation différentes : une
première phase, en été austral, où elle se déplace sur le site de Saint-Gilles-Boucan passant
régulièrement de la station du Cap La Houssaye jusqu'à celle au sud de la bouée Réserve des
Brisants et une seconde phase où, après avoir disparue du réseau pendant 4 mois, elle revient sur le
même site en hiver austral, mais n'est plus détectée que sur la station Large Saint-Gilles,
régulièrement, pendant 6 mois. Trois autres femelles (Danae, Balboa et Yaelle) et un mâle (Néo) se
sont également établis sur la zone de Saint-Gilles, mais avec un taux de fréquentation (en jour
détectés) inférieur à 10% et un nombre d'heures de présence totale très faible également (entre 10 et
30 heures, soit moins de 0.2% de la durée totale d'observation). Enfin un seul bouledogue, un mâle
adulte (Quezac) est détecté presque exclusivement sur un DCP du large, à 6 km de la côte la plus
proche et sur des fonds de 1100 m (taux de fréquentation = 17%, taux de présence = 2%), mais il
reste une exception. Tous ces requins (à part Solène) ont disparu du réseau de détection bien avant la
fin de vie estimée de leur marque. Ce constat laisse supposer que, soit ces requins ont été pêchés,
soit ils ont occupés d'autres zones de l'île hors du réseau d'observation, soit ils ont quitté les eaux
réunionnaises.
Ces faibles taux de fréquentation et de présence et la restriction de l'aire d'observation pendant
leur détection, suggèrent que le caractère "sédentaire" observé chez ces individus est davantage lié à
un biais d’observation qu’à une réalité biologique. De plus, dans le cas d'un mode de vie territorial,
les animaux défendent des espaces contre d'autres individus de même espèce. Les données obtenues
jusqu'à présent n'indiquent pas l'existence de comportements territoriaux de ce type.
Par contre, la zone de Saint-Gilles a été indéniablement, pendant l'année 2012 et 2013, pour ces
animaux, comme pour les autres individus, un site particulier. Les causes de cette association au site
de Saint-Gilles peuvent être multiples (zone préférentielle de repos d'alimentation ou de
23
reproduction) et nous proposerons des hypothèses possibles dans les sections suivantes, mais en tout
état de cause, la territorialité de l'espèce n'est pas démontrée.
2.4 Analyse du comportement exploratoire des requins bouledogue
2.4.1 Occupation de la colonne d'eau
Sur les 34 requins bouledogue marqués, 23 portaient des marques acoustiques comportant des
capteurs de pression et de température, ce qui a permis de suivre leur déplacement dans la colonne
d'eau. Parmi ces requins, deux ont été détectés très rarement et le capteur d'un autre requin n'a pas
fonctionné. Afin de comparer les stations entre elles, les valeurs de profondeur de chaque requin ont
été ramenées à la profondeur moyenne du site dans le périmètre de détection de chaque station
d'écoute. L'indice calculé correspond à la position des individus dans la colonne d'eau en
pourcentage (0 = requin sur le fond; 100 = requin en surface). L'étude a portée sur 21 requins et un
total de 18718 mesures de profondeur. Nous avons scindé les stations en deux classes : la classe des
stations "Côtières-Large" déployées au delà de 500 mètres de la côte, sur des fonds généralement
supérieurs à 50 mètres, et la classe des stations "Côtières-Littoral" déployées entre le rivage et 500
mètres du bord sur des fonds en moyenne d'une vingtaine de mètres. Dans la suite du document nous
emploierons, par commodité, les termes de "large" pour "côtier-large" et "littoral" pour "côtierlittoral". L'analyse du nombre total de détections par couche d'altitude en fonction de chaque classe
(figure 5) montre que, lorsqu'ils explorent la frange littorale de la côte, les requins bouledogue ont
tendance à occuper davantage la partie supérieure de la colonne d'eau. Ils occupent significativement
plus les deux premières couches près de la surface que les deux dernières près du fond. Sur la zone
du large, ils sont significativement plus près du fond (χ² =16.92; ddl=9; P< 0,0001).
De ce que l'on en sait (Nakamura et al. 2011; Afonso and Hazin, 2015), l'activité des espèces de
requins côtiers est souvent plus intense lorsqu'ils occupent la colonne d'eau que lorsqu'ils restent
près du fond. Les périodes d'occupation de la partie supérieure de la colonne d'eau peuvent être
notamment le signe d'un comportement de recherche de nourriture (Heithaus et al., 2002). Il est donc
possible que les requins bouledogue qui nagent habituellement sur le fond, effectuent alors des
excursions dans la colonne d'eau pour se nourrir. A l'inverse, lorsqu'ils restent sur le fond en nage
lente ou stationnaire, ils seraient davantage en phases de repos ou de veille. C'est tout au moins ce
qui a été observé sur le grand requin blanc en Afrique du Sud (A. Blaison, com. pers.) mais qui reste
à valider chez le requin bouledogue. Le comportement d'occupation de la colonne d'eau des requins
bouledogue sera précisé en fonction des heures de la journée (cf. § 3.3). Ces premiers résultats
montrent, tout au moins, des comportements différents selon la distance à la côte, avec une
occupation différente de la colonne d'eau qui pourrait être le signe d'une modification d'activité entre
la zone littorale et la zone du large.
24
Surface
Littoral
Large
9
NLarge = 8401
8
NLittoral = 10317
7
6
5
4
3
2
Fond
-40%
40%
-20%
20%
0%
20%
40%
Taux de détection
Figure 5. Nombre de détections (en % du nombre
total par classe) par couche de profondeur sur les
stations du large et du littoral, des 21 requins
bouledogue suivis pendant 28 mois.
Le requin sub-adulte femelle Solène n'a pas été pris en compte dans cette l'analyse car elle
présente un comportement vertical atypique. Nous l'avons vu précédemment, elle se fixe sur le
micro-habitat d'Etang du Gol. L'ensemble des 10533 mesures effectuées pendant 506 jours du 2
décembre 2012 au 25 mai 2014, montrent que ce requin est resté en permanence dans la partie
supérieure de la colonne d'eau (figure 6). Ce comportement serait lié au caractère sub-adulte
"juvénile" de cet individu. "Pristine" femelle sub-adulte marquée le 17 septembre 2014 en Baie de
Saint-Paul a également montré le même type de comportement vertical, confiné à la surface,
jusqu’au 24 septembre, puis du 28 novembre au 1er décembre 2014 (D. Guyomard, com. pers.).
Cependant, à défaut d'autres observations d'individus au même stade de croissance et d'informations
dans la littérature, cette hypothèse reste à confirmer.
25
CODE REQUIN SOLENE
Position dans la colonne d'eau (%)
100%
80%
60%
40%
20%
Moy enne
Moy enne±Erreur-Ty pe
Moy enne±0,95 Interv alle Conf .
0%
12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29
Com pteur MOIS
Figure 6. Positions moyennes dans la colonne d'eau (0% =
fond, 100% = surface), avec l'erreur-type (ou erreur
standard) et l'intervalle de confiance, du requin bouledogue
sub-adulte femelle Solène, du mois de décembre 2012 au
mois de mai 2014.
L'exploration des comportements verticaux a été enrichie des données obtenues à partir des
capteurs de marques mini-PAT fixées sur les requins pour suivre leurs déplacements sur de longues
distances et de longues durées (cf § 2.4.5). Deux requins bouledogue (un mâle et une femelle) ont
été suivis pendant environ 6 mois (respectivement du 15 mars au 6 septembre 2013, et du 2 mars au
9 août). Les données ont été enregistrées en moyenne toutes les 10 minutes. L'analyse des mesures
de profondeur enregistrées montre des maximums de plongée jusqu'à 250 mètres pour les deux
individus. Les valeurs moyennées sur la journée indiquent que ces requins occupent plus souvent la
tranche d'eau comprise entre la surface et 80 mètres pour le mâle et entre la surface et 40 mètres
pour la femelle (figure 7A). Le pattern général montre des phases où les requins restent à des
profondeurs constantes et des phases où ils explorent la colonne d'eau jusqu'à près de 200 mètres
(figure 7B). Ces résultats se rapprochent des comportements observés en Floride, où deux requins
bouledogue marqués avec une miniPAT passaient la majorité de leur temps à une profondeur
comprise entre 20 et 60 m et entre 40 et 80 m avec des maximums à près de 130 m (Carlson et al
2010). Précédemment, au Bahamas, Bunnschweiler et Buskirk (2006) avaient également fait les
mêmes observations en suivant 6 requins bouledogue équipés de miniPAT.
26
0
0
10
20
Profondeur moyenne
Profondeur moyenne
20
40
60
80
30
40
50
60
70
100
Bouledogue mâle Hector
80
A
Bouledogue femelle Julie
90
120
Jours de suivi
Jours de suivi
Détections entre le 03/05 et le 10/05/2013
0
20
40
Profondeur (m)
60
80
100
120
140
160
Bouledogue mâle Hector
180
Détections entre le 19/05 et le 26/05/2013
0
20
Profondeur (m)
40
60
80
100
120
140
160
B
Bouledogue femelle Julie
180
Figure 7. Profils des profondeurs enregistrées par les marques mini-PAT lors des
déplacements des deux requins bouledogue marqués, du 15 mars au 6 septembre 2013 pour
le requin mâle et du 2 mars au 9 août 2013 pour le requin femelle. A : valeurs moyennes
journalières des deux requins suivis. B : extraits des profils de profondeurs (valeurs brutes),
montrant les alternances de phases d'exploration en profondeur et de nage en surface.
Heure des détections au cours du suivi du 29/05/2013
42750
0
16:30
42850
18:00
42950
20:00
43050
21:30
43150
23:00
43250
1:00
43350
2:30
43450
4:00
43550
6:00
-50
Profondeur (m)
-100
-150
-200
-250
-300
-350
-400
Figure 8. Profil des profondeurs enregistrées au cours du "tracking" d'un requin tigre sur
les tombants du Sec de Saint-Paul le 29 et le 30 mai 2013 entre 16:30 et 6:00.
A titre de comparaison, nous présentons également les enregistrements des profondeurs
enregistrées lors du "tracking" du seul requin tigre qui a pu être suivi pendant 14 heures sur le sec de
Saint-Paul. Les patterns de migrations verticales mentionnés précédemment sont également assez
bien marqués, montrant des phases de nage à une profondeur relativement constante comprise entre
80 et 100 mètres et des phases d'excursions dans la colonne d'eau conduisant l'animal à explorer la
surface et les fonds jusqu'à 350 mètres (figure 8).
27
2.4.2 Répartition en fonction de la distance à la côte
L'analyse de la répartition des requins bouledogue selon la distance à la côte a été effectuée sur
les 20 requins bouledogue les plus détectés sur 34. Il est à noter que la comparaison des temps de
présence mesurés sur les stations littorales et du large peut être biaisée car le rayon de détection des
stations littorales pourrait être plus court sur cette zone. Néanmoins, nous avons minimisé ce risque
en considérant qu’un requin reste dans le périmètre d'une station d'écoute s'il est détecté au moins
deux fois à une heure d'intervalle (cf. Annexe page 130 et § 3.1.1). Ces résultats montrent que les
requins bouledogue occupent davantage les stations de la zone du large, au delà de 500 mètres de la
côte que les stations de la zone littorale entre le rivage et 500 mètres du bord. Le nombre de visites
et les temps de présence sont significativement supérieurs au large que près du bord (figure 9). Ce
constat est vrai pour la plupart des requins à l'exception de 3 requins sur 20 qui ont un pattern
inverse (tableau II). L’hypothèse pour expliquer cette différence est que ces 3 requins occupent un
site préférentiel différent des autres individus. Ils sont davantage détectés près du littoral de la côte
sud-ouest (Rivière des Abords, Pointe du Diable, Rivière Saint-Etienne, Etang Salé) et moins
présents sur les stations les plus au large du site de Saint-Gilles (Bouées de la Réserve d'Aigrettes,
Brisants et Large Saint-Gilles). La côte sud-ouest est plus abrupte et la limite côte-large est donc
moins tranchée que sur la côte ouest. Cette différence pourrait expliquer leur présence plus près du
littoral mais une analyse plus poussée devra être menée pour valider cette hypothèse.
Moyenne des temps de présence hebdo (heure) sans Etang du Gol
2,6
2,4
Côtier-Littoral
Moyenne
Moyenne±Erreur-Type
Moyenne±0,95 Intervalle Conf.
2,2
2,0
1,8
1,6
1,4
1,2
1,0
0,8
Côtier-Littoral
Côtier-Large
Temps de
Code Requin Nb visites
présence (h)
Fanny
254
134.0
Estelle
495
222.0
Milo
180
59.3
Isis
262
180.1
Atalante
103
32.7
Eleonore
177
95.9
Jade
314
100.8
Izidor
95
28.7
Zaia
51
18.1
Fernand
133
27.7
Pénélope
80
14.4
Adelante
7
1.2
Ulysse
76
13.3
Barbara
75
8.1
Hector
46
6.9
Wendy
105
49.9
Camille
595
180.1
Julie
356
97.8
Bianca
291
131.3
Victoria
694
202.2
Côtier-Large
Nb visites
1213
1178
595
651
366
370
507
244
193
269
163
42
102
95
51
109
577
211
118
337
Temps de
présence (h)
560.8
566.0
187.8
398.6
415.7
239.4
221.4
67.7
47.7
54.1
48.2
12.1
33.6
23.2
13.0
61.7
207.7
50.1
40.1
94.2
Figure 9. Moyenne des temps de visites sur les stations du large côtier et du littoral des requins
bouledogue qui explorent toute la zone. Tableau II. Nombre de visites et des temps de présence
selon le type d'habitat (Côtier-Littoral et Côtier-Large) par requin. La station de l'Etang du Gol,
occupée principalement par le requin Solène, et les DCP, très peu visités, ne sont pas pris en
compte dans les mesures indiquées.
28
Il est à noter que cinq requins bouledogue ont visité au moins une fois un DCP. Ainsi, un requin
bouledogue mâle a effectué 133 visites sur le DCP de Stella, situé à 6 kilomètres de la côte sur des
fonds de 1100 mètres de profondeur. Les enregistrements indiquent des profondeurs comprises entre
24 et 126 mètres.
D'après ces observations, nous pouvons affirmer que le requin bouledogue n'est pas un
requin inféodé exclusivement aux zones littorales. Il est capable de visiter les eaux du large à
des profondeurs pouvant atteindre plus de 200 mètres et à des distances d'au moins 5 milles
des côtes. Il pourrait ainsi côtoyer d'autres espèces de requins dont l'habitat est plus au large,
comme le requin tigre, le requin pointe blanche du large (Carcharhinus longimanus) ou le
requin mako (Isurus oxyrinchus). Il y aurait ainsi, dans certaines circonstances, un chevauchement
des habitats d'espèces différentes. Bien que leur capacité à quitter un milieu strictement côtier a déjà
été suggérée par Carlson et al. (2010), c’est la première fois que l’on observe des requins
bouledogue dans des eaux aussi profondes.
2.4.3 Dynamique spatiale des requins bouledogue
Les individus qui explorent toute la zone l’ont été tout au long de la période d'étude. Ce pattern rend
compte de la forte capacité exploratoire de ces animaux sur l'ensemble de la zone d'étude
principalement entre Le Port et Saint-Pierre. Parmi ces individus, ceux qui se "maintiennent" le plus
longtemps sur des sites spécifiques et dans des zones restreintes sont paradoxalement ceux qui
explorent le plus de stations sur l'ensemble du réseau. De plus, quand, au cours de la période
d'observation, certains requins à déplacements restreints ont semblé se fixer sur un site (cf. figure
10A), c’est exclusivement parce que le réseau de stations d'écoute était peu étendu (début de
l’expérience) et ne couvrait que le site en question. Cela souligne que les phases de "sédentarité"
initialement observées (cf. figure 4) sont vraisemblablement liées à un biais d’observation plus qu’à
une réalité biologique.
L'analyse détaillée de 18 requins bouledogue qui explorent toute la zone d'étude et au-delà permet
de distinguer trois classes différentes selon le mode d'occupation du milieu (figure 10). Ces classes
sont composées d'un nombre équivalent de requins. La première classe correspond à des requins
dont le micro-habitat de Saint-Gilles constitue une "résidence-base", une sorte de point fixe ou de
site préférentiel. A partir de ce site, les animaux partent essentiellement vers le sud, soit lors
d'excursions brèves au cours desquelles ils explorent le milieu, soit au cours de déplacements les
conduisant à se maintenir plusieurs jours sur un site éloigné de leur base principale. La seconde
classe correspond à l'identique à des requins dont le micro-habitat de l’Etang du Gol constitue la
base principale. La troisième classe regroupe soit des individus qui passent alternativement d'un site
à l'autre, soit des individus qui ne se fixent sur aucune base préférentiellement.
Cette utilisation préférentielle de certains sites correspond bien à la définition des micro-habitats
comme un habitat dévolu à une activité particulière. Se rajoute ici la notion de sélectivité variable
selon les individus. Les causes de cette variabilité sont à relier aux différentes fonctions de ces
29
micro-habitats. Ils peuvent correspondre à des points de rencontre: soit des aires d'accouplement
visitées saisonnièrement, soit à des sites d'approvisionnement, soit à des zones de repos ou de refuge
visitées régulièrement selon les besoins des individus. La ségrégation des individus sur deux
résidence-bases distinctes suggère la possibilité de groupes distincts mais également l'effet d'une
compétition intra-spécifique due à une densité importante de congénères. Cette compétition entre les
individus d'une même espèce pourrait être due à l'exploitation de la même source de nourriture
limitante ou aux choix de partenaires sexuels en nombre réduit. Cette compétition intra-spécifique
est une des hypothèses retenues pour expliquer les variations isotopiques mesurées dans le cadre de
l'étude sur le régime alimentaire et l'écologie trophique de ces espèces (cf chapitre 4). Cette
compétition peut donc varier dans l'espace mais également dans le temps, selon des périodes
différentes, notamment parce qu'elle dépend de la période du cycle de vie des animaux et des
conditions environnementales. Nous tenterons dans la section suivante de distinguer les causes de
cette disparité à travers l'analyse de la variabilité temporelle des comportements.
Ste
Marie
St
Paul
St
Gilles
Trois
bassins
St
Leu
Etg
Salé
Etg du
Gol
St
Pierre
Ste
Ste
Rose Marie
St
Paul
St
Gilles
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Ste
Mari
St
Paul
St
Gilles
Trois
bassins
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St
Leu
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Etg
Salé
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Etg du
Gol
St
Pierre
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B
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Ste
Rose
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C
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Ste
Rose
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St
Pierre
Code Requin: Julie
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Etg du
Gol
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Salé
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A
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St
Leu
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Trois
bassins
Code Requin: Izidor
Code Requin: Eleonore
Heure
28/02/13
01/03/13
01/03/13
02/03/13
02/03/13
02/03/13
03/03/13
03/03/13
03/03/13
03/03/13
03/03/13
04/03/13
04/03/13
04/03/13
04/03/13
04/03/13
04/03/13
04/03/13
05/03/13
05/03/13
05/03/13
05/03/13
05/03/13
05/03/13
05/03/13
05/03/13
06/03/13
06/03/13
06/03/13
06/03/13
06/03/13
12/03/13
12/03/13
13/03/13
14/03/13
14/03/13
14/03/13
14/03/13
14/03/13
15/03/13
15/03/13
15/03/13
15/03/13
15/03/13
16/03/13
17/03/13
17/03/13
17/03/13
18/03/13
18/03/13
18/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
19/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
20/03/13
21/03/13
21/03/13
21/03/13
22/03/13
22/03/13
23/03/13
23/03/13
23/03/13
23/03/13
23/03/13
23/03/13
24/03/13
24/03/13
24/03/13
24/03/13
25/03/13
25/03/13
06/04/13
06/04/13
06/04/13
16/04/13
17/04/13
17/04/13
17/04/13
17/04/13
17/04/13
17/04/13
17/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
18/04/13
19/04/13
19/04/13
19/04/13
19/04/13
19/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
20/04/13
21/04/13
21/04/13
21/04/13
21/04/13
21/04/13
21/04/13
21/04/13
21/04/13
22/04/13
22/04/13
22/04/13
22/04/13
22/04/13
22/04/13
22/04/13
23/04/13
23/04/13
23/04/13
23/04/13
23/04/13
23/04/13
23/04/13
23/04/13
24/04/13
24/04/13
24/04/13
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24/04/13
24/04/13
24/04/13
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24/04/13
25/04/13
25/04/13
25/04/13
25/04/13
25/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
26/04/13
27/04/13
27/04/13
27/04/13
27/04/13
27/04/13
27/04/13
27/04/13
28/04/13
28/04/13
28/04/13
28/04/13
28/04/13
28/04/13
28/04/13
29/04/13
29/04/13
29/04/13
29/04/13
29/04/13
29/04/13
29/04/13
29/04/13
30/04/13
30/04/13
30/04/13
30/04/13
30/04/13
30/04/13
30/04/13
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Figure 10. Chronologie (en heure, sur l'axe vertical) des déplacements dans le
réseau de stations d'écoute, rangées du Nord au Sud (de gauche à droite) de trois
requins bouledogue dont la résidence-base est A: le site de Saint-Gilles, B: le site
d'Etang du Gol ou C: qui ne se fixent sur aucune base préférentiellement.
30
2.4.4 Comportement migratoire d'exploration
Ces requins qui ont exploré et fréquenté toute la zone d'étude ont parcouru des distances variables
selon les individus. Les distances parcourues ont été estimées à partir des distances connues entre les
stations d'écoute visitées par chaque requin, en ne considérant que les trajets de plus de 5 minutes.
En deçà, les vitesses des déplacements entre deux stations sont surestimées car elles correspondent
le plus souvent à deux détections successives du même requin en bordure des rayons de détection de
chaque station. La distance parcourue entre ces deux détections est inconnue mais certainement
beaucoup plus faible que la distance entre les deux stations. Ce filtre a donc permis de sélectionner
des vitesses de déplacement acceptables comprises entre 0,2 et 20 km/h (N=11845; Médiane=2,03
km/h; Moyenne=2,20 km/h; Ecart-type (n-1)=1,88). Certains requins ont parcouru plus de 5000 km
dans le réseau de stations sur environ 16 mois d'observation, ce qui représente des distances de
l'ordre de la dizaine de kilomètres par jour. L'activité de ces requins peut-être estimée par différents
indices (tableau III). De façon globale, il semble que la majorité des requins établis sur la base de
Saint-Gilles sont actifs dans une zone restreinte. 91% des déplacements (parcours entre deux
stations) se font à l'intérieur du micro-habitat (compris entre le Cap La Houssaye et Sud Brisant).
Distance
Nb moyen
Distance
Distance
de stations
Nombre de totale (km)
totale
moyenne
Résidencedifférentes
jours dans ramenée au
Code Requin
parcourue
parcourue
base
visitées par
le réseau nb de jours
(km)
par visite
de présence
jour
Ulysse
Estelle
Fanny
Wendy
Isis
Eleonore
Victoria
Pénélope
Bianca
Izidor
Fernand
Hector
Julie
Jade
Zaia
Milo
Barbara
Camille
N
N
N
N
N
N
NS
NS
NS
NS
NS
NS
S
S
S
S
S
S
728
405
4361
496
2921
496
869
505
3326
605
1910
453
4954
505
1428
567
3900
460
3178
433
3269
451
1276
437
3734
428
5333
605
1372
474
4593
426
1255
90
6548
460
1.8
8.8
5.9
1.7
5.5
4.2
9.8
2.5
8.5
7.3
7.2
2.9
8.7
8.8
2.9
10.8
13.9
14.2
4.0
2.9
2.4
4.4
6.0
4.3
4.1
5.1
7.2
5.9
6.8
7.9
6.5
6.0
6.7
7.0
7.1
5.3
6.7
5.1
4.7
4.7
3.8
3.5
4.3
3.5
3.2
3.2
3.0
2.5
3.7
3.5
3.0
3.5
3.1
3.8
Tableau III. Caractéristiques des déplacements dans le réseau de stations d'écoute
des requins bouledogue centrés sur le site Nord de Saint-Gilles (N), le site Sud
(S) de l'Etang du Gol et ceux en alternance sur les deux sites (NS). Voir figure 10.
Sur le micro-habitat de l'Etang du Gol, 71% des déplacements se font à l'intérieur de ce microhabitat. Certains individus ont parcouru des milliers de kilomètres sur toute la durée de leur suivi,
31
notamment parce qu'ils ont exploré les côtes Ouest, Nord et Est de l'île, voire pour certains tout le
tour de l’île. C'est le cas de 16 requins bouledogue dont 15 font parties des 18 requins qui explorent
toute la zone d'étude étudiés précédemment (tableau IV).
Code
Requin
Izidor
Isis
Isis
Milo
Isis
Isis
Izidor
Jade
Wendy
Isis
Julie
Eleonore
Fanny
Jade
Milo
Eleonore
Wendy
Jade
Wendy
Bianca
Bianca
Estelle
Hector
Eleonore
Julie
Izidor
Barbara
Estelle
Victoria
Wendy
Julie
Bianca
Eleonore
Gaia
Pénélope
Hector
Milo
Eleonore
Hector
Victoria
Eleonore
Hector
Jade
Victoria
Victoria
Camille
Camille
Jade
Jade
Victoria
Début de la
Séquence
13/09/2013
04/05/2013
27/10/2013
29/09/2013
26/02/2013
20/03/2013
20/03/2013
03/12/2013
10/12/2013
21/09/2013
11/10/2013
25/03/2013
12/05/2013
11/07/2013
11/07/2013
23/10/2013
01/10/2013
29/12/2013
04/02/2013
07/11/2013
16/06/2013
12/05/2013
03/06/2013
22/07/2013
22/07/2013
11/05/2013
04/05/2014
06/10/2012
22/06/2013
22/08/2013
16/09/2013
13/01/2014
25/04/2014
31/12/2012
29/03/2013
17/08/2013
16/04/2013
09/05/2013
20/01/2014
12/07/2013
09/06/2013
05/05/2014
15/05/2013
15/05/2013
27/08/2013
25/03/2013
06/06/2013
09/09/2013
19/10/2013
01/12/2013
Fin de la
Séquence
30/12/2013
19/08/2013
13/12/2013
08/01/2014
16/03/2013
17/04/2013
22/04/2013
17/12/2013
20/12/2013
27/09/2013
01/02/2014
06/04/2013
20/05/2013
13/07/2013
13/07/2013
12/01/2014
27/10/2013
03/01/2014
06/05/2013
04/01/2014
27/08/2013
18/05/2013
17/08/2013
22/10/2013
03/08/2013
21/07/2013
20/05/2014
30/04/2013
29/06/2013
26/08/2013
19/09/2013
20/01/2014
16/05/2014
01/06/2013
11/08/2013
05/01/2014
22/05/2013
19/05/2013
11/03/2014
30/07/2013
14/06/2013
26/06/2014
19/05/2013
22/05/2013
01/09/2013
06/05/2013
09/06/2013
14/09/2013
21/11/2013
10/12/2013
Durée de la Nb de
séquence déplacem
(jour)
ents
108
107
47
101
18
28
33
14
10
6
113
12
8
2
2
81
26
5
91
58
72
6
75
92
12
71
16
206
7
4
3
7
21
152
135
141
36
10
50
18
5
52
4
7
5
42
3
5
33
9
84
214
61
107
16
49
10
8
5
14
12
5
5
5
5
4
5
6
60
60
97
10
35
10
11
29
12
8
6
6
6
22
10
23
8
8
9
15
7
22
6
6
6
6
6
5
5
4
5
5
Arrivée
STMARIE
15/09/2013
05/05/2013
01/11/2013
30/09/2013
27/02/2013
21/03/2013
22/03/2013
09/12/2013
18/12/2013
21/09/2013
13/10/2013
05/04/2013
19/05/2013
11/07/2013
12/07/2013
24/10/2013
25/10/2013
29/12/2013
27/02/2013
08/11/2013
05/07/2013
13/05/2013
24/06/2013
25/07/2013
23/07/2013
23/06/2013
07/05/2014
28/04/2013
24/06/2013
23/08/2013
17/09/2013
19/01/2014
26/04/2014
Arrivée
STROSE
25/04/2013
17/11/2013
19/06/2013
13/05/2013
07/06/2013
23/07/2013
24/07/2013
23/05/2013
09/05/2014
29/04/2013
27/06/2013
23/08/2013
17/09/2013
14/01/2014
25/04/2014
21/04/2013
30/07/2013
26/12/2013
21/04/2013
13/05/2013
06/02/2014
14/07/2013
11/06/2013
13/05/2014
16/05/2013
16/05/2013
28/08/2013
21/04/2013
06/06/2013
13/09/2013
05/11/2013
08/12/2013
Nb Jour Nb jours Détections Détections
sur
sur
sur
sur
STMARIE STROSE STMARIE
STROSE
65
62
33
21
12
11
5
4
3
2
2
1
1
1
1
1
1
1
22
17
5
4
4
4
3
2
2
1
1
1
1
1
1
2
4
8
2
15
3
2
2
1
1
1
1
1
2
5
11
6
5
5
3
3
3
2
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1065
2013
2342
110
176
126
52
90
63
18
25
1
20
2
1
8
31
7
525
432
54
56
59
42
32
64
46
87
37
2
8
10
3
11
36
18
5
44
9
3
3
1
3
1
1
3
2
10
81
9
11
20
3
9
9
5
2
4
3
9
3
2
1
1
4
Tableau IV. Caractéristiques des séquences de déplacement des requins qui ont visité la
station de Sainte-Marie au Nord de l'île (A), de Sainte-Marie et Sainte-Rose à l'Est (B) et
Sainte-Rose (C). Les séquences sont rangées pour chacune de ces trois catégories par ordre
d'importance du nombre de temps passé sur le sites de Sainte-Marie ou de Sainte-Rose.
Cinquante séquences concernant les sites de Sainte-Marie ou de Sainte-Rose ont été enregistrées
au cours de l'étude. Une séquence est définie par une série de déplacements ne comportant pas
d'interruption de plus de 2 jours sauf exception lorsque les sites visités juste avant ou juste après
32
Sainte-Marie ou Sainte-Rose l'ont été plus de 2 jours avant ou après. Les requins impliqués ont visité
en moyenne trois fois ces sites au cours de leur période d'observation (entre 1 et 6 visites selon les
requins) avec des temps de présence moyen par jour compris entre 2 minutes et 2 heures (max=15h
sur Sainte-Marie). Dix- huit séquences concernent exclusivement le site de Sainte-Marie, 17 celui de
Sainte-Rose. Quinze séquences impliquant 9 requins sur 16, concernent des déplacements effectués
au moins sur les deux sites (tableau IV). Ces résultats laissent supposer que ces requins ont été
capables d’effectuer de long parcours continus les amenant à explorer tout le pourtour de l'île.
Les échanges entre les sites de Sainte-Marie, Sainte-Rose et la zone principale d’étude à l’ouest
se font préférentiellement via les zones les plus proches : 60% des requins qui partent de SainteMarie sont détectés dans la baie de Saint-Paul et inversement 60% des requins qui arrivent sur le site
de Sainte-Marie proviennent de cette même baie. De même, plus de 70% des requins détectés à
Sainte-Rose partent ou proviennent des sites de Saint-Pierre et Etang-Salé au Sud de la zone
principale. Le requin bouledogue est donc une espèce qui occupe toute l'île de La Réunion. Les
quatre sites préférentiels à partir desquels les requins bouledogue pourraient se disperser et explorer
l’ensemble de l’île sont les résidences-base déjà identifiées : le site près du port de Sainte-Marie, la
baie de Saint-Paul, la zone large Saint-Gilles et l’Etang du Gol (figure 11).
L'analyse de la succession des visites effectuées sur chaque station permet d'affirmer qu'au moins
4 requins ont effectué le tour complet de La Réunion en une seule fois et trois requins des circuits
incomplets. Les itinéraires empruntés, au cours de ces longues séquences de déplacement, partent et
arrivent principalement soit de la baie de Saint-Paul, soit de l'étang du Gol et, pour un trajet, du site
de Trois Bassins (tableau V). La durée des parcours est variable selon l'itinéraire emprunté, le
nombre de stations intermédiaires visitées et le temps passé sur chacune d'elle. La durée la plus
courte est de 4 jours et celle la plus longue de 26 jours.
Les distances entre stations, parcourues successivement par le même animal, permettent d'estimer
les longueurs parcourues. Ces distances sont les distances "au plus court" entre stations. Les vitesses
moyennes des déplacements effectués par les requins qui ont fait le tour de l'île lors de la même
séquence sont lentes, comprises entre 1 et 2 km/h. Parmi les dix circuits analysés, les plus rapides
sont compris entre 4 et 8 jours avec des vitesses comprises entre 1,5 et 3 km/h. Bien que la plupart
des distances soient sous-estimées, car les animaux ne se déplacent vraisemblablement pas en ligne
droite, les vitesses correspondent à celles estimées chez cette espèce dans la littérature (Martin et al.
2005; Nakamura et al. 2011).
33
1
Wendy
N°Séquence
Code requin
Point Départ
STPAUL
3
Bianca
2
Barbara
17-avr.-13 STPAUL
4
Julie
5
Bianca
8-mai-14 ETDUGOL 15-juil.-13 ETDUGOL 16-sept.-13 ETDUGOL 16-janv.-14
STMARIE 21-avr.-13 STMARIE 8-mai-14 STMARIE 19-juil.-13 STMARIE 17-sept.-13 STPIERRE 17-janv.-14
Stations intermédiaires
(entre autres)
STROSE
25-avr.-13 STROSE
9-mai-14 STROSE
5-août-13 STROSE
17-sept.-13 STROSE
18-janv.-14
ETSALE
28-avr.-13 STLEU
20-mai-14 STPIERRE 7-août-13 RIVSTETIE 20-sept.-13
STPAUL
29-avr.-13 STGILLES 21-mai-14 ETDUGOL 8-août-13 ETDUGOL 22-sept.-13 ETDUGOL 20-janv.-14
STMARIE 19-janv.-14
Point Arrivée
STPAUL
20-janv.-14
Distance parcourue estimée
305 km
280 km
260 km
230 km
270 km
Durée
12 jours
13 jours
24 jours
6 jours
4 jours
6
Bianca
N°Séquence
Code requin
Point Départ
STPAUL
Stations intermédiaires
(entre autres)
7
Bianca
9
Estelle
8
Bianca
10-déc.-13 3BASSINS 1-juil.-13 STPAUL
12-nov.-13 STPAUL
12-mai-13
STMARIE 11-déc.-13 STLEU
1-juil.-13 STMARIE 12-nov.-13 STMARIE 13-mai-13
STROSE
4-juil.-13 STROSE
11-déc.-13 STROSE
17-nov.-13 STROSE
13-mai-13
ETDUGOL 13-déc.-13 STMARIE 5-juil.-13 STPIERRE 19-nov.-13
STMARIE 16-déc.-13 STROSE
Point Arrivée
STPAUL
7-juil.-13
STROSE
10
Wendy
STPAUL
29-avr.-13
STLEU
29-avr.-13
STMARIE 30-avr.-13
STROSE
24-nov.-13 STMARIE 17-mai-13
STMARIE 6-déc.-13
1-mai-13
STMARIE 2-mai-13
24-déc.-13 3BASSINS 9-juil.-13 STPAUL
8-déc.-13 STPAUL
18-mai-13
Distance parcourue estimée
330 km
490 km
440 km
300 km
STPAUL
255 km
Durée
14 jours
8 jours
26 jours
6 jours
7 jours
6-mai-13
Tableau V. Caractéristiques des séquences des requins qui ont effectué des déplacements tout
autour de l'île.
Aire 4
Aire 1
ST MARIE
ST PAUL
Aire 2
ST GILLES
.
ST LEU
ST ROSE
ETGSALE
Aire 3
ST PIERRE
Figure 11. Carte de l’île de La Réunion indiquant les principales aires d’occupation des
requins bouledogue observés pendant 28 mois et les échanges entre ces aires.
34
Interprétation
Les propriétés de ces déplacements complets ou incomplets autour de l'île sont caractéristiques de
déplacements exploratoires au cours desquels les animaux quittent leur environnement familier avec
la possibilité d'y revenir. Ces déplacements n'ont pas le caractère obligatoire des migrations de
retour comme par exemple les migrations de reproduction qui sont déclenchées selon des rythmes
bien définis. Elles permettent aux individus d'évaluer les ressources d'habitats non connues pour
éventuellement s'y installer ou les occuper temporairement. Cela peut être des comportements de
prospection qui correspondent à la visite de sites de reproduction par des individus qui ne sont pas
en phase de reproduction ou une stratégie pour évaluer l'abondance en nourriture. Ces déplacements
font également appel à un ensemble de capacités sensorielles et d'orientation qui peuvent être
complexes.
Dans le cas des déplacements le long des côtes, le modèle de mouvement que nous proposons est
à la fois le plus simple et le plus efficace. Il consiste en une série d'actions conduisant l'animal à
rectifier son déplacement en fonction de la situation spatiale perçue lors de la manoeuvre
précédente. Ces mouvements d'orientation dit "kinesthésiques" sont possibles grâce aux capacités
sensorielles acoustiques et tactiles de ces animaux dans le champ proche ou moyen et notamment
grâce aux cellules électro-réceptives ou ampoules de Lorenzini et aux canaux de la ligne latérale.
Ces structures sensibles aux champs électromagnétiques, ainsi qu’aux gradients de température
permettent à l'animal de se repérer dans l'espace. Le requin percevrait ainsi les pentes externes des
tombants et pourrait alors suivre un isobathe autour de La Réunion pour en faire le tour. C'est ce
type de mouvement que nous avons observé lors du tracking nocturne du requin tigre autour du Sec
de Saint-Paul (figure 12).
Figure 12. Trajectoire du requin tigre suivi sur le tombant du Sec de Saint-Paul les 29 et 30
mai 2013 entre 16:30 et 6:00 et dont le comportement de migration verticale est décrit figure
8.
35
2.4.5 Analyse des déplacements à grande l’échelle par double marquage (marques Vemco et
Wildlife Computer)
Trois requins bouledogue ont été marqués avec des marques acoustiques Vemco placées en
interne dans leur cavité générale pour les suivre dans le réseau de stations d’écoute et des marques
satellites fixées en externe (Wildlife Computer) pour suivre les requins pendant plusieurs mois sur
des longs déplacements (marque miniPAT). Ces marques possèdent également des capteurs de
température et de pression (profondeur). La géolocalisation du poisson marqué est réalisée en
effectuant la mesure journalière d’éclairement tout au long de son trajet (cf. Annexe page 142). La
longueur du jour est calculée en mesurant la durée écoulée entre la première valeur d’éclairement et
la dernière valeur de la même journée. La latitude peut ainsi être déterminée avec une précision de 1
degré. De cette durée du jour, on peut déduire l’heure de la mi journée, c’est-à-dire l’heure du plus
fort éclairement ; avec cette heure estimée où le soleil est à son zénith et la date, la longitude peut
être déterminée avec une précision de 0,5 degré, à la façon des points d’estime en navigation marine.
Des méthodes de traitement ont ensuite été développées, soit qui calculent au jour le jour la
longitude et la latitude à partir des courbes d’éclairement enregistrées, soit qui permettent d'effectuer
des corrections des positions estimées en croisant les informations complémentaires telles que les
données de températures enregistrées par la marque et les températures de surface mesurées par
satellite. Ces méthodes permettent de réduire l'incertitude de positions.
Deux miniPATs ont pu transmettre une partie de l’histoire de deux requins pendant 6 mois (de
mars à septembre 2013). Ces requins sont des bouledogues adultes, un mâle et une femelle de
respectivement 2,9 mètres et 3,1 mètres de longueur totale. Nous avons présenté les résultats de
leurs déplacements verticaux dans le chapitre précédent (figure 7). La troisième marque s’est libérée
prématurément après seulement 5 jours, suite à une immobilité prolongée du requin, ce qui n’a pas
permis d’obtenir de données sur ses déplacements.
Les résultats de l'analyse des trajectoires estimées indiquent que le requin mâle a effectué quatre
parcours océaniques dont trois majeurs (figure 13). Il a quitté La Réunion une première fois le 29
mars 2013, peu après son marquage (le 15 mars 2013), pour explorer une zone à environ 300 km au
sud sud-ouest de La Réunion, non loin d’un haut-fond connu des pêcheurs hauturiers, puis il est
revenu près des côtes de l’île, un mois après, le 27 avril 2013. La seconde large exploration
océanique a eu lieu entre le 01 mai et le 12 mai 2013 à environ 100 km de La Réunion, toujours au
sud sud-ouest de La Réunion.
36
Maurice
La Réunion
Point de départ
Point d’arrivée
Figure 13. Trajectoires estimées du requin bouledogue mâle (en vert) entre le 15 mars et le 6
septembre 2013 et du requin bouledogue femelle (en violet) du 2 mars au 9 août 2013.
Puis il est reparti une troisième fois entre le 27 juillet et le 5 août 2013 plus au nord également à
une centaine de kilomètres de l’île, non loin d’un autre haut-fond également connu des pêcheurs et
est ensuite revenu sur les côtes de l’île en fin de période d’observation (figure 13).
Le requin bouledogue femelle après être resté autour de l'île a parcouru environ 200 km dans une
direction également sud sud-ouest, entre le 27 mars 2013 et le 9 avril 2013 pour également revenir
vers l'île après plusieurs jours dans le "grand bleu". Ces individus ont donc été capables d’effectuer
de longs déplacements dans le milieu océanique et de séjourner loin des côtes. Ce résultat avait déjà
été obtenu lors d’une expérience similaire sur les requins bouledogue des îles Fidji en 2004. Nos
résultats confirment ces observations. Il est à noter que les dates des premiers départs de ces deux
requins sont presque synchrones à deux jours près (27 et 29 mars).
Nous avons également quelques informations concernant les migrations des requins tigre. En
effet, un requin tigre femelle sub-adulte de 3 mètres de longueur totale, marqué à La Réunion, le 6
décembre 2012 sur le tombant du sec de Saint-Paul à 3 km de la côte, a été pêché 9 mois plus tard, le
28 août 2013 à Morombé sur la côte ouest de Madagascar à une centaine de kilomètres au Nord de
Tuléar (figure 14). Ce requin n’a pas été détecté dans le réseau et a donc pu quitter La Réunion peu
après avoir été marqué. Il a ainsi parcouru au moins 1800 km, en 9 mois environ, en traversant la
partie Sud-Ouest de l’océan Indien entre les deux îles (figure 14). Cette observation est corroborée
par les données de pêches palangrières indiquant le requin tigre comme prise accidentelle de ces
pêcheries hauturières très au large.
37
Un autre requin tigre, un mâle de 3,2 mètres de longueur totale, marqué à La Réunion le 5 mars
2013, a été détecté à 50 km au sud de Durban le 19 janvier 2014 en Afrique du Sud (30°49'45.70"E
30°15'29.02"S). Ce requin a été peu détecté à La Réunion après son marquage (10 détections). La
dernière date de détection remonte au 21 avril 2013 sur le site du Golf Etang-Salé (GOLFETSAL).
Ce requin a donc pu parcourir plus de 2600 km en 274 jours maximum (9 mois). A l’inverse, deux
requins tigre marqués au large de Saint-Gilles lors de campagnes de marquage en 2010 ont été
repêchés en 2012 et 2013 au cours des opérations « Ciguatera », sur le sec de Saint-Gilles. Ces
requins ont pu parcourir plusieurs milliers de kilomètres en 3 ans et se déplaçaient dans tous l'océan
mais ce résultat témoigne néanmoins d'une certaine fidélité de ces requins à des sites particuliers. Si
l'aire de répartition des requins tigre marqués à La Réunion est relativement importante cela laisse
supposer que la population ou la sous-population de cette espèce au niveau de l'océan Indien occupe
une aire biogéographique très étendue.
Ces résultats sont en accord avec les connaissances acquises sur le cycle biologique de cette
espèce et les données de la littérature montrant que le requin tigre est capable d’effectuer des
migrations de longues distances (Meyer et al., 2009 et 2010). Les requins tigre de La Réunion
feraient donc partie d’une population ouverte (communiquant avec les autres populations de requins
de la même espèce). Il est néanmoins impossible avec une seule valeur d’estimer le taux de migrants
de cette espèce.
La Réunion
Lanfeust 21 avr il 2013
Durban
Lanfeust 19 janvier 2014
Figure 14. Positions de départ et d’arrivée et trajets indicatifs : - du requin tigre marqué à La Réunion et
capturé à Morombé à Madagascar (à gauche, trait violet), - et du requin tigre détecté au large de Durban en
Afrique du Sud (à droite, trait jaune).
Par contre, l'étude des marqueurs moléculaires utilisés en génétique, effectuée par le laboratoire
ECOMAR sur des échantillons de requins bouledogue issus de La Réunion et du Mozambique,
indique par des tests d’assignement à des groupes génétiques que, pour cette espèce, un seul groupe
génétique ("cluster") a été mis en évidence au sein des échantillonnages. Ce résultat est à
confirmer par l'analyse d'échantillons supplémentaires mais en première analyse, il existerait
38
une seule population pour cette espèce à l’échelle du Sud-Ouest de l’océan Indien (cf. Annexe
pages 2-4).
Ces résultats appellent plusieurs remarques. Ils confirment les observations précédentes indiquant
la présence de requins bouledogue à plusieurs kilomètres des côtes (sur les DCPs). Il est donc très
probable que le requin bouledogue ne soit pas un requin côtier strictement inféodé aux zones
littorales comme les scientifiques le pensaient auparavant (Bullen and Mann, 2000; Brunnschweiler
et al., 2010). Cette espèce serait ainsi parfaitement capable de visiter le milieu pélagique et de nager
en pleine eau dans des zones très profondes. La profondeur des fonds marins ne serait donc pas une
limite à de grands déplacements à l’échelle des océans. Le requin bouledogue est donc capable de
quitter les eaux réunionnaises et d’y revenir.
Interprétation
Les causes de ces migrations océaniques ne sont pas bien connues à défaut d'informations sur la
physiologie et la biologie de ces espèces. Ces déplacements peuvent correspondre à des migrations
exploratoires conduisant les requins à rechercher des sites favorables notamment pour s'alimenter.
Ces déplacements peuvent être dus soit à des variations de la qualité de l'environnement physique à
La Réunion, soit à la compétition entre congénères ou à des causes génétiques comme par exemple
l'évitement de la consanguinité qui pousse les individus à se disperser ou l'existence de gènes
coadaptés qui, au contraire, poussent à éviter de disperser sur de trop grandes distances. Dans tous
les cas, ces déplacements sont des moyens de dispersion de l'espèce. Le phénomène de dispersion
est complexe chez les animaux. Il dépend de la génétique des individus mais également des
comportements et des conditions de l'environnement. C'est un phénomène que nous ne
développerons pas dans ce document mais qui devra être étudié plus en détail à partir notamment
des approches de modélisation.
Les mécanismes de ces migrations impliquent tout autant des facteurs propres à l'animal (son état
physiologique, sa motivation, sa capacité d'apprentissage) que des facteurs externes : stimuli
environnementaux qui peuvent être soit des déclencheurs du mouvement soit des indicateurs
permettant de se situer et de s'orienter dans l'espace. Concernant les requins, ces indicateurs
d'orientation sur longues distances et dans un milieu océanique vaste et relativement homogène sont
en premier lieu les gradients que l'animal peut rechercher (notamment grâce à ses systèmes bisensoriels) et qu'il peut "remonter" ou "descendre". Les gradients de température et les fronts
thermiques ou les gradients d'odeur portée par les courants sont sans doute les plus faciles à utiliser
par ces espèces aux vues de leurs capacités physiologiques. Les trajectoires estimées montrent
également que les deux requins bouledogue partent vers une direction privilégiée (sud-sud-ouest) au
cours de la même période. Les requins sont également sensibles aux champs électromagnétiques et,
pour certains, au champ magnétique terrestre ce qui leur permettrait de s’orienter sans repère
particulier ni connaissance a priori de la topographie ou de la géographie des lieux. Il est possible
qu'ils aient pu également apprendre au cours de leur vie le trajet les conduisant sur ces lieux. Ces
39
mécanismes sont encore mal connus. Il faudrait des mesures plus précises de ces déplacements pour
les décrire plus en détails.
Les taux de migrants de la population de requins bouledogue et tigre qui partent ou qui arrivent à
La Réunion sont également inconnus. Concernant le requin bouledogue, l'analyse génétique laisse
supposer des échanges entre la population du Mozambique et de La Réunion. En outre, des requins
marqués sont revenus sur l'île après en être partis. Cette espèce est donc capable d'effectuer des
déplacements sur de très longues distances mais nous n'avons aucune preuve de l'existence de ces
migrations vers d'autres côtes. Concernant les requins tigre, à partir de nos observations, nous
pouvons considérer deux cas antagonistes. Si les événements observés sont des événements rares,
les taux de migrants pourraient être très faibles. A l'inverse, si les événements sont représentatifs des
comportements à l'échelle de la population, les taux de migrants pourraient être élevés (en
considérant que l'on a peu de chance de capturer les seuls requins migrants).
40
CHAPITRE 3
ETUDE DES RYTHMES BIOLOGIQUES DU
REQUIN BOULEDOGUE A LA REUNION
41
3.1 Analyse de la variabilité spatio-temporelle des présences de requins bouledogue à
La Réunion
3.1.1 Temps moyens d’absence et de présence
A partir du nombre de détections, c'est-à-dire du nombre de fois où les stations d'écoute ont reçu
une émission provenant d'une marque acoustique d'un requin marqué (émission qui est envoyée
régulièrement toutes les minutes en moyenne, (cf. Annexe page 133), il est possible de calculer des
temps de présence par requin et par station. Le calcul n’est néanmoins possible que si le requin est
détecté deux fois sur la même station et si, est définie au préalable, une durée maximale entre deux
détections au-delà de laquelle les deux détections ne sont plus associées et considérées alors comme
indépendantes. Après analyse, cette durée maximale a été fixée à 1 heure. Cette valeur est la valeur
optimale qui permet de stabiliser le nombre et la durée des visites et qui permet également de rendre
compte des variations au cours du nycthémère. Nous considérons donc qu’un requin qui a été
détecté deux fois à 1 heure (limite maximum) d’intervalle est resté 1 heure sur la station. Cet
intervalle est relativement important et peut surestimer les temps de présence mais permet de tenir
compte des possibles pertes d’émissions ou des variations des distances de détection des stations
sensibles au niveau de bruit ambiant.
Les temps d’absence et de présence des requins bouledogue, sur l'ensemble de la période
d'observation et sur l'ensemble des stations déployées, sont très variables d’un individu à un autre
(tableau VI). Il apparait clairement que les écarts à la moyenne, observés entre visites, sont très
importants, et qu'il est difficile, dans ces conditions, de s'appuyer sur ces valeurs moyennes pour
extraire une information pertinente à l'échelle de l'espèce.
Temps d'absence
Temps de présence
(heure)
(minute)
Nb. d'observations
17102
17102
Minimum
0.0
2.0
Maximum
9769.5
2791.4
1er Quartile
1.1
5.1
Médiane
2.3
11.7
3ème Quartile
6.5
34.6
Moyenne
13.6
33.7
Variance (n-1)
18381.1
78.8
Ecart-type (n-1)
135.6
68.8
Tableau VI. Statistiques sur les temps de présence et les temps
d'absence estimées à partir des détections enregistrées au cours de toute
la période d'étude et sur tous les requins bouledogue marqués et détectés
(N=32).
Statistique
De plus, globalement, le temps de présence des requins bouledogue dans le réseau est faible. Sur
toute la période (28 mois) et sur l’ensemble du réseau, la durée moyenne de présence des requins
42
bouledogue (sans la femelle bouledogue Solène détectée sur ETDUGOL, presque en permanence)
est de 210 ± 240 heures (écart-type). Cette durée moyenne par requin rapportée à la période
d’observation sur l’ensemble des stations représente un taux de présence moyen relativement faible
d’environ 5,5% (minimum = 0,3%; maximum = 15%; cf. tableau I).
Pour expliquer ces faibles taux et cette forte variabilité individuelle des temps de présence, trois
hypothèses sont plausibles et non exclusives : (1) nos stations ne couvriraient pas correctement la
zone d’étude, ce qui a été certainement le cas au tout début de l’expérience lorsqu’il n’y avait que
quelques stations immergées au nord de la zone, (2) les requins ne sont pas répartis de façon
homogène dans le réseau (hypothèse confirmée dans le chapitre précédent), (3) les requins ne sont
présents sur les côtes de l'île et/ou à portée des stations d'écoute uniquement de manière épisodique
ou au cours de périodes privilégiées. C'est ce que nous verrons dans les chapitres suivants.
3.2 Les rythmes biologiques saisonniers des requins bouledogue
La plupart des animaux organise leurs activités sur une base annuelle. Les saisons défavorables
sont évitées notamment par des comportements migratoires. Les saisons favorables sont le plus
souvent, mais pas systématiquement, propices à la reproduction.
Les requins bouledogue à La Réunion présentent ce type de cycle saisonnier. En effet, l'analyse
de l'évolution au cours de la période d'étude du nombre de requins bouledogue détectés indique que
ce nombre suit un rythme saisonnier marqué à partir de 2013, avec des pics de présence aux mois
d'avril et mai des années 2013 et 2014 (figure 15). L’analyse de la variabilité annuelle des temps de
présence des requins bouledogue marqués par semaine indique que les requins bouledogue restent
davantage dans le réseau de stations d'écoute également d'avril à mai mais aussi en novembre et
décembre (figure 16). Il est à noter que l'augmentation de la durée de présence en début d'été austral
(novembre et décembre) ne s'accompagne pas d'un nombre plus important de requins détectés. Cela
signifie que pour cette période, l'augmentation des temps de présence n'est due qu'à un nombre
restreint de requins. L'analyse des moyennes des temps de présence par mois au cours des 20
derniers mois, à partir d'octobre 2012, date à laquelle le nombre de requins marqués et de stations
déployées ont été suffisants, selon les classes de distance à la côte, montre parfaitement cette
saisonnalité avec une variation plus marquée sur les stations littorales que sur celles du large (figure
17).
A partir des données de température de l'eau de mer de surface et de force du vent recueillies
pendant dix ans à La Réunion de juillet 1993 à avril 2004, Conand et al. (2007) ont établi le cycle
annuel des conditions environnementales marines (figure 18). A partir de ces critères, la période
estivale s'étend de janvier à avril, la période de refroidissement entre mai et juin, la période d'hiver
de juillet à octobre et la période de réchauffement de novembre à décembre. Les données de
température et de salinité que nous avons recueillies au cours du programme sont cohérentes avec le
cycle annuel établi précédemment. Les périodes d'hiver, d'été et de transitions recoupent assez bien
les données moyennes mesurées sur une décade (figure 19)
43
16
Avril-Mai-Juin
Nombre de requins différents détectés
14
Avril-Mai
12
10
8
6
4
0
Semaine
43
45
47
49
51
53
55
57
59
61
63
65
67
69
71
73
75
77
79
81
83
85
87
89
91
93
95
97
99
101
103
105
107
109
111
113
115
117
119
121
123
125
2
Mois
11
12
1
2
3
4
5
6
2012
Année
7
8
9
10
11
12
1
2
3
2013
4
5
2014
Figure 15. Nombre de requins bouledogue détectés par semaine au cours des 20 mois
d'observation à partir d'octobre 2012. Données qui excluent les requins atypiques (Estelle,
Fanny, Solène) et les observations sur DCP.
0.2
0.18
Novembre
Avril-Mai
Avril-Mai
Décembre
0.16
Indice de présence
0.14
0.12
0.1
0.08
0.06
0.04
0.02
Mois
Année
43
45
47
49
51
53
55
57
59
61
63
65
67
69
71
73
75
77
79
81
83
85
87
89
91
93
95
97
99
101
103
105
107
109
111
113
115
117
119
121
123
125
0
Semaine
11
2012
12
1
2
3
4
5
6
7
2013
8
9
10
11
12
1
2
3
4
5
2014
Figure 16. Histogramme (orange) des indices de présence (somme des temps de présence
par requin marqué présent et par station déployée) au cours des 20 mois d'observation à
partir d'octobre 2012. Données qui excluent les requins atypiques (Estelle, Fanny, Solène)
et les observations sur DCP.
44
Temps de présence des requins bouledogue aux stations à la côte et au large sur un cycle annuel
80
Moyenne
Moyenne±Erreur-Type
Moyenne±0,95 Intervalle Conf.
70
60
Somme CRT (heure)
50
40
30
20
10
0
-10
1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12
Côtier Littoral
1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12
Côtier Large
Mois
Figure 17. Moyennes des temps de présence cumulés (CRT) par mois selon les
classes de distance à la côte (Littoral et Large)
Nous pouvons ainsi classer ces observations selon trois types de périodes annuelles :
- une période au cours de laquelle les requins sont peu nombreux et restent relativement peu
longtemps sur les côtes réunionnaises. Cette période correspond à la période d'hiver austral
où les températures de l'eau sont les plus basses (23-24°C) et constantes (figure 19). Elle est
bien marquée entre les mois de juillet et de novembre sur la zone littorale et un peu moins sur
les stations du large (cf. figure 17). Cette différence tend à montrer que pendant cette
période, les requins ne disparaissent pas des côtes réunionnaises mais s’en écartent
davantage.
- une période au cours de laquelle les requins sont peu nombreux mais où les présents restent
plus longtemps. Cette période est assez courte et correspond essentiellement au mois de
décembre et janvier. Elle fait immédiatement suite à la période précédente et pourrait
correspondre à une période de transition au cours de laquelle les requins changent de
comportement et se rapprochent de la côte.
- enfin une période au cours de laquelle les requins bouledogue sont plus abondants et se
maintiennent près des côtes. Cette période correspond aux mois de mars à juin avec un pic en
avril et mai. C'est la période de fin d'été austral et de début d'hiver. C'est une période de
transition climatique au cours de laquelle la température de l'eau diminue et la salinité
augmente (figure 19).
45
Figure 18. Cycle annuel des température de surface et de la pression du vent
enregistrées sur une décade de juillet 1993 à avril 2004 à La Réunion (Conand et al.
2007)
34
36
32
35
34
Moyenne journalière de température
Moyenne journalière de salinité
33
28
Salinité
Température
30
32
26
31
24
30
Transition
hiver-été
Transition étéhiver
Eté austral
Hiver austral
29
58
68
78
88
98
108
118
128
138
148
158
168
178
188
198
208
218
228
238
248
258
268
278
288
298
308
318
328
338
348
358
368
378
388
398
408
418
428
438
448
458
22
Transition
hiver-été
10
12
11
2012
1
2
3
4
5
6
Mois
7
8
9
10
11
12
1
2013
Figure 19. Moyennes journalières des températures et des salinités de l'eau de mer
enregistrées au cours de la période d'observation par les sondes déployées près du fond
(profondeurs comprises entre 20 et 30 mètres).
46
140
Site St-Gilles
Sites StMarie StPaul DCP
Sites du Sud
Temps de présence (heure)
120
100
80
60
40
20
Mois
0
1
2013
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
2013
12
1
2014
2
3
4
5
2014
Figure 20. Temps de présence des requins bouledogue au cours de la période d'observation
montrant une ségrégation spatiale de l'occupation temporelle des sites.
Le cycle saisonnier de présence des requins à La Réunion s'accompagne également d'une
occupation sélective des sites (figure 20). Les sites d'été et de transition été-hiver (des mois de mars
à juin) sont des sites peu ou pas occupés au cours de l'hiver austral et de la transition hiver-été (fin
juillet à début décembre). Ces sites correspondent principalement aux sites de Saint-Gilles (en 2013)
et du Sud-Sud-Ouest de l'île dont principalement le site de l'Etang du Gol (en 2013 et 2014) et dans
une moindre mesure ceux du sud de Saint-Leu, d’Etang Salé, de Saint-Pierre et de Sainte Rose. Il est
important de noter que le site de Saint-Gilles, occupé préférentiellement en avril et mai 2013, ne l'est
plus en 2014 à cette période, ni au cours des autres saisons (cf. figure 24). Les autres sites
principaux de Saint-Paul, Sainte-Marie, ainsi que les DCP, sont davantage occupés pendant une
période étendue allant de juin à décembre (figure 20).
3.2.1 Exemples de patterns saisonniers altérés ou robustes
Les processus de sélection de l'habitat sont complexes mais leur compréhension est fondamentale
pour déterminer la capacité d'une population à se régénérer surtout si cette population est de faible
effectif ou isolée. Nos résultats montrent par exemple que les requins ont quitté l'habitat préférentiel
de Saint-Gilles en 2014 (cf § 2.4.3 et figure 24). Il est difficile en l'espace de deux ans de donner des
raisons à ces modifications d'habitat. Est-ce la qualité de ce site qui s'est dégradée ? Est-ce la pêche
intensive sur cette zone pendant ces deux dernières années qui a fait fuir ces requins ? Sont-ce les
efforts des pêcheurs pour éviter d'évider leurs poissons dans le port de Saint-Gilles qui ont diminué
l'attractivité de ce site ? Est-ce au contraire un site sub-optimal qui a été occupé temporairement (un
ou deux ans) du fait de la dégradation des autres sites habituellement colonisés? Cette observation
est notamment renforcée par les observations des apnéistes du CRESSM basés à Saint-Gilles depuis
47
de nombreuses années et qui n'ont jamais vu, durant les 20 dernières années, autant de requins sur ce
site qu’au cours des années 2011 à 2013.
A l'inverse du site de Saint-Gilles, le site de Saint-Paul est toujours occupé préférentiellement en
hiver et ce, tout au long de la période d'observation (de 2012 à 2014). Ce pattern saisonnier est
régulier, robuste et n'est pas altéré par les événements qui ont pu avoir lieu dans la baie au cours de
l'étude et qui ont pu modifié les caractéristiques physiques de l'habitat. Parmi ces événements, nous
avons pu suivre celui concernant les activités aquacoles dans la baie. La suppression de l'activité
aquacole, des poissons d'élevage en avril puis des cages en septembre 2013, n’a eu aucun effet sur le
taux de fréquentation de ces requins dans la baie, pas plus que l'expérience de pêche par
« drumline » initiée en janvier 2013. L'effet des cages comme attracteur possible n'a pas été
démontré (figure 21). Reste l’effet lié à la seule présence des cages, qui aurait pu avoir un effet DCP
et attirer du poisson fourrage (petits poissons). Cette hypothèse n’a pas été validée non plus : la
suppression des cages en septembre 2013 n'a rien modifié au pattern saisonnier (figure 21). De plus,
l’étude qui a été menée pendant 5 ans, entre 2003 et 2008, dans la baie de Saint-Paul avait montré
que les cages aquacoles agrégeaient beaucoup moins les petits poissons pélagiques ("pêche-cavale"
et "bancloche") que les nombreux dispositifs de concentration de poissons (DCP-Récifs artificiels)
déployés par les pêcheurs artisanaux dans l’ensemble de la baie (Potin, 2009). En conclusion, la
présence des requins bouledogue dans la baie de Saint-Paul est régulière et ne semble pas dépendre
de la présence des cages.
3.5
Nombre moyen de requins détectés
3
Suppression des cages
d'aquaculture sept 2013
Suppression des poissons dans
cage d'aquaculture avril 2013
2.5
2
1.5
1
0.5
1 23 4 5 6 7
2012
8 9 101112 1 2 3 4
5 6 7
8 9
2013
10 11 12 1 2 3 45 6 7 8 9
2014
Mois
Figure 21. Taux de fréquentation des requins bouledogue (nombre moyen de requins
bouledogue détectés par semaine) dans la baie de Saint-Paul, estimés à partir de 4
stations d’écoute.
Les observations vidéo sous-marines, effectuées dans le cadre de ce programme (cf. Annexe
pages 114-122) au cours du mois de mars 2012, indiquent la présence de requins (5 à 6 différents au
48
total) hors de la période hivernale, dans la journée, le plus souvent seul et parfois en groupe (quatre
maximum). Sur toute la durée de l’expérimentation, les mêmes individus ont été vus régulièrement
mais avec des périodes d’absence de plusieurs jours. Ces résultats indiquent que les cages aquacoles,
à cette période de l'année (mars-avril), auraient été davantage une zone de passage pour les requins
bouledogues, c'est-à-dire une zone où les requins viennent régulièrement pour explorer le site mais
ne s'y maintiennent pas systématiquement, qu’une zone de prédation ou de repos.
Le pattern de présence des requins bouledogue dans la baie de Saint-Paul et sur le site de SainteMarie, centré sur la période estivale, laisse supposer un cycle régulier de présence récurrente. Cette
période correspond également à celle où les temps d'absence hors du réseau sont les plus longs
(figure 22) et où les départs de longue durée hors du réseau sont les plus nombreux. Dans ce cas, il
est possible que ces sites soient des sites particuliers où seulement quelques individus se rassemblent
et s'y maintiennent. Les causes de ces regroupements estivales sont pour l'heure inconnues.
0,16
Moyenne
Moyenne±Erreur-Type
Moyenne±0,95 Intervalle Conf.
0,15
Temps d'absence (jour)
0,14
0,13
0,12
0,11
0,10
0,09
0,08
0,07
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
Mois
Figure 22. Moyennes mensuelles des temps d'absence cumulés sur
l'ensemble du réseau des requins bouledogue marqués au cours de la
période d'étude, pondérées par le nombre de requins présents par mois.
3.2.2 Le cycle biologique de reproduction du requin bouledogue
L'utilisation de sites préférentiels différents au cours de l'année laisse supposer que les requins
bouledogue n'occupent pas ces sites pour les mêmes besoins. Ces sites correspondent à des choix
stratégiques de l'habitat fondés sur différentes sources d'information (qualité environnementale de
l'habitat, présence ou voire performance de congénères) et pour différents besoins (alimentaires ou
de reproduction pour l'essentiel).
49
L'hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer la présence saisonnière des requins bouledogue
sur les sites préférentiels de l'Etang du Gol et de Saint-Gilles entre mars et juin est qu'ils viennent
sur ces sites pour s'accoupler. Cette hypothèse est étayée par plusieurs résultats. Tout d'abord, nous
observons un cycle saisonnier régulier, ce qui sous-entend un contrôle direct des facteurs
physiologiques endogènes (hormonaux notamment), voire génétiques. Ce cycle physiologique est le
plus souvent déclenché par des stimuli-clefs ou déclencheurs issus de l'environnement dont l'animal
perçoit les variations saisonnières cycliques (température, par exemple) grâce à ses différents
organes sensoriels. Ces stimuli agissent comme des facteurs de contrôle du comportement
reproducteur.
Nous avons ensuite mené une étude plus poussée des appariements entre individus. A défaut de
pouvoir observer directement les animaux dans leur milieu naturel, nous avons étudié les fréquences
d'individus marqués qui sont détectés sur le même site. La sensibilité des appareils de mesure ne
permet pas de détecter, à coup sûr, deux ou plusieurs individus simultanément. Ainsi, le nombre de
détections simultanées (sur moins de 2 minutes) à une même station d'écoute est très rare (1%).
Nous avons donc considéré, dans un premier temps, que deux requins détectés à moins de 10
minutes d'intervalle, sur la même station, étaient potentiellement en situation de se rencontrer. Mais
ce critère est insuffisant pour considérer que les individus sont appariés. Par exemple, un requin
comme Solène, qui occupe essentiellement une seule station et y reste la plupart du temps, peut-être
associé à tous les requins qui passent à proximité de cette station, sans qu'il y ait obligatoirement une
interaction entre eux. Nous avons donc sélectionné parmi ces événements (au moins deux requins
détectés en moins de 10 minutes sur la même station), les cas où les requins associés sur une station
visitent soit la même station, soit une autre station (la plupart du temps voisine de la première) lors
du déplacement suivant et se retrouvent de nouveau détectés à moins de 10 minutes d'intervalle.
Nous parlerons dans ces cas, d'appariements entre individus.
Les résultats sont indiqués dans le tableau VII. Ils montrent que le taux de ces associations, avec
déplacement vers le même site, est relativement faible, en moyenne de 1.4% (max = 4%). Ils
impliquent cependant un nombre important de requins (26 requins sur les 34 observés), dont
fréquemment deux mâles (Izidor et Hector).
50
Code
Requin
Sexe
Izidor
Hector
Jade
Wendy
Fernand
Barbara
Victoria
Fanny
Eleonore
Bianca
Estelle
Camille
Milo
Zaia
Neo
Solene
Julie
Ulysse
Pénélope
Isis
Charlotte
Balboa
Danae
Atalante
Adelante
Gaia
M
M
F
F
M
F
F
F
F
F
F
M
M
F
M
F
F
M
F
F
F
F
F
F
F
F
Nombre
total de
visites
753
142
1148
230
655
214
1459
1486
569
651
1701
1583
873
262
104
2221
661
199
455
922
37
19
38
469
49
22
Occurrence
Taux
des
d'appariements
appariements
31
5
35
6
16
5
30
30
11
12
31
24
12
3
1
20
5
1
2
4
0
0
0
0
0
0
4.12%
3.52%
3.05%
2.61%
2.44%
2.34%
2.06%
2.02%
1.93%
1.84%
1.82%
1.52%
1.37%
1.15%
0.96%
0.90%
0.76%
0.50%
0.44%
0.43%
0.00%
0.00%
0.00%
0.00%
0.00%
0.00%
Tableau VII. Occurrences par requin bouledogue des appariements
(requin détecté avec au moins un autre requin, à moins de 10 minutes
d'intervalle sur la même station et qui sont toujours appariés lors du
déplacement suivant) et taux de ces indicateurs (nombre
d'appariement par rapport aux nombres de visites effectuées).
Parmi les 284 appariements, 50 appariements sont impliqués dans des déplacements associés de
requins (individus arrivés sur une même station et partis ensemble pour se retrouver sur une autre
station que la station d'origine). Les résultats sont résumés dans le tableau VIII. L'appariement
principal est celui composé des deux femelles Estelle et Fanny. Ces appariements de ces deux
requins femelles ne représentent que 17% du nombre total des déplacements associés. Le calcul des
taux d'appariement selon le sexe indique que le taux d'appariement femelle/femelle est dominant
avec la moitié des cas observés (50%). Le nombre de couple (appariement mâle/femelle) n'est
néanmoins pas négligeable et représente 37% des appariements. Seulement 7 mâles sont impliqués
dans ces appariements pour presque le double de femelle (13) mais le nombre de mâles marqués est
également plus faible que celui des femelles (13 mâles marqués pour 25 femelles).
51
Num
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Code Requin Code Requin
2
1
Jade
Victoria
Victoria
Bianca
Bianca
Estelle
Julie
Zaia
Pénélope
Izidor
Camille
Izidor
Camille
Camille
Camille
Milo
Hector
Izidor
Milo
Hector
Neo
Fernand
Hector
Izidor
Camille
Milo
Fernand
Hector
Fernand
Milo
Camille
Izidor
Milo
Camille
Fernand
Izidor
Ulysse
Victoria
Jade
Jade
Bianca
Solene
Julie
Eleonore
Jade
Solene
Barbara
Bianca
Fanny
Victoria
Solene
Fernand
Izidor
Izidor
Milo
Fernand
Sexes
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/F
M/M
M/M
M/M
M/M
M/M
Nb de
déplacements
associés
4
3
2
1
1
1
1
1
1
6
5
5
4
4
2
2
2
2
1
1
1
1
1
7
6
3
2
1
Num
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
Nb de
Code Requin Code Requin
Sexes déplacements
1
2
associés
Fanny
Victoria
Victoria
Jade
Bianca
Estelle
Victoria
Solene
Solene
Eleonore
Isis
Fanny
Jade
Zaia
Barbara
Victoria
Solene
Eleonore
Julie
Solene
Pénélope
Wendy
Estelle
Jade
Solene
Wendy
Jade
Eleonore
Estelle
Barbara
Bianca
Fanny
Eleonore
Isis
Solene
Jade
Jade
Barbara
Eleonore
Wendy
Fanny
Julie
Victoria
Victoria
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
F/F
24
7
5
4
3
3
3
2
2
2
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
Tableau VIII. Nombre et caractéristiques des appariements de requins bouledogue
marqués, avec déplacement sur une station différente de celle d'origine, observés à La
Réunion de janvier 2012 à mai 2014.
A la suite de ces observations, nous avons étudié la distribution spatiale et temporelle de ces
appariements entre congénères afin de rechercher s'il existait des périodes spécifiques au cours
desquelles ces appariements étaient prépondérants, et des lieux où ils étaient plus fréquents. Les
résultats montrent que ces appariements s'observent principalement aux périodes de transition étéhiver en 2013 et 2014 aux mois d'avril-mai (figure 23A).
Ces périodes sont celles où le nombre de détections et le nombre de requins différents détectés
sont également les plus importants (figure 23B). Le plus grand nombre d’appariements pourrait donc
être corrélé au plus grand nombre de détections. Ce n’est pas le cas. En effet, les périodes d'été
austral (décembre, janvier), soulignées par un cadre rouge sur le graphe de la figure 23B,
correspondent aux périodes de présence de requins, essentiellement sur les sites de la baie de SaintPaul et de Sainte-Marie (cf. figures 3 et 4). A ces périodes et sur ces sites, très peu d'appariements de
requins bouledogue ont été décelés alors que le nombre de requins différents détectés était
également important.
52
6
A
Nb d'appariements F/F
Nb d'appariements M/F
Nb d'appariements M/M
5
Mai 2013
Mai 2014
4
3
2
1
0
3
46 7
8 9
1 2
3
4
5
6
2012
7
1
8 9
2
3
2013
4
5
2014
Nb de détections journalières par station déployée et par requin marqué
B
1.8
1.6
1.4
1.2
1.0
0.8
0.6
0.4
0.0
10
11
12
14
15
17
19
21
22
23
25
26
28
29
31
32
34
35
36
38
39
42
43
46
47
49
50
51
53
54
56
57
59
60
62
63
64
66
68
69
70
72
73
75
76
78
79
80
82
83
85
86
88
89
90
92
93
95
96
98
99
100
102
103
105
106
108
109
110
112
113
115
116
118
119
120
122
123
125
0.2
3
4
5
6
2012
7
8
9
10
11
12
1
2
3
4
2012
5
6
7
2013
8
9
10
11
12
1
2
3
4
5
2014
Figure 23. Evolution des types d'appariements selon le sexe des requins (A) et du
nombre de détections ramenées au nombre de stations déployées et de requins présents
(B), par jour, au cours de la période d'observation de mars 2012 à mai 2014.
Ces résultats renforcent l'hypothèse selon laquelle les requins bouledogue s'accoupleraient à
La Réunion au cours de la période hivernale (englobant les périodes de refroidissement et
d'hiver, soit entre avril et septembre) et sur des sites privilégiés.
Cette hypothèse est confortée par deux arguments :
1. Les sites préférentiels, où les appariements de requins ont été les plus nombreux, sont
principalement ceux de Saint-Gilles et de l'Etang du Gol (figure 24). Du fait de la disparition
des requins bouledogue marqués en début de l'année 2014 sur le site de Saint-Gilles, les
appariements sur ce site ne sont observés qu'en 2013.
53
100
Somme des appariements
80
2013
2013-2014
60
40
0
STMARIE
HOULO
RIVDGAL
CM-LCLH
CM-BSSG
ARDA
CAPLAHOU
BRBOUCAN
AIGSURF
AIGRBR
LASTGIL
RONOIR
BRBRIS
SUDBRI
ERMITA
SALINE
3BASSCM
BR3BASS
GRRAVI
POINTCHA
NDSTLEUBS
NDSTLEUC…
SUDSTLEU
PTSELSUD
SOUFFLE
RAVSABL
RAVAVIR
ETSALCM
ETSALBR
PTOISEAU
GOLFETSAL
ETDUGOL
RIVSTETIE
AEPIERFD
PTDIABL
STPJUMBO
RAVBLANC
STPIERPORT
PTRIVABOR
CM-LSP
STROSE
20
Figure 24. Nombre d'appariements de requin bouledogue observés au cours
de l'étude sur les stations d'écoute du réseau d'observation (du nord au sud).
2. La détermination, par notre équipe et celle du laboratoire d'Ecologie Marine de l'Université de
La Réunion (Ecomar), du stade de maturité des requins marqués dans le cadre de ce programme
ou pêchés dans le cadre des programmes West ou Valorequin montre que les 17 requins
matures, sur les 61 requins analysés, ont été capturés principalement entre les mois d'avril et
d'août avec un pic en juin (figure 25).
6
Nb de requins matures
12
Moyenne de l'indice de capture par unité d'effort CPUE
Indice de CPUE
8
4
6
3
4
2
2
0
Nombre de requins matures
5
10
1
-2
-4
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
0
Mois de l'année
Figure 25. Nombre de requins matures et indices de captures
par unité d'effort (CPUE) par mois de l'année entre octobre
2011 et mai 2014.
Il est à noter que si la forte valeur des captures par unité d’effort (CPUE) en septembre, pour peu
de requins matures capturés, indiquerait la limite extrême de la période de reproduction, le faible
nombre de requins matures capturés en mars, par contre, pourrait être un biais dû principalement au
faible effort de pêche au cours de ce mois.
54
Interprétation
Nos résultats permettent de supposer que les requins bouledogue s'accouplent à La Réunion et
comme pour la plupart des espèces sur des sites et à des périodes privilégiés. Les rythmes
biologiques sont générés de plusieurs façons. Ils peuvent être commandés par une horloge endogène,
qui n'est pas influencée par des facteurs externes, ou, au contraire, entraînés pas des facteurs
exogènes (variations de température ou d'intensité lumineuse, par exemple). Pour l’heure, nous n’en
savons pas plus sur ces déclencheurs.
Ces résultats plaident également pour l'existence de territoires collectifs temporaires uniquement
réservés à l'accouplement ou « leks » dans lesquels les femelles qui s'y rassemblent rencontrent leur
partenaire lorsqu'elles visitent ces sites (Danchin et al., 2005). Cette hypothèse est à confirmer. Elle
suppose que les mâles, a priori moins nombreux sur ces sites d'après nos observations, pourraient
former des petits territoires temporaires dans des lieux qui attireraient les femelles ou qu'elles
fréquentent particulièrement. Cette situation pourrait conduire à une compétition intra-spécifique
forte entre mâles et par conséquent un niveau d'agressivité élevé bien que des exemples dans la
littérature sur d'autres espèces montrent que ce partage peut également se faire sans interaction
agressive. Les mâles qui exhibent certaines tactiques de parades plus efficaces s'accoupleraient avec
les femelles. L'avantage de ces sites collectifs est qu'ils permettraient aux mâles non dominants de se
reproduire.
Nous n'avons pas de preuve de la polygynie chez le requin bouledogue (un mâle qui se reproduit
avec plusieurs femelles); en revanche, nous avons une preuve directe de la polyandrie
(accouplement et fécondation d'une femelle avec plusieurs mâles) avec l'analyse de marqueurs
moléculaires des fœtus d'une femelle bouledogue capturée portant 11 embryons. Les tests génétiques
de paternité ont montré l'existence de deux pères à l’origine de la même portée, ce qui implique la
fécondation et donc l’accouplement avec plusieurs mâles. Ce type de régime de reproduction se
retrouve chez certaines espèces, des oiseaux aux mammifères, avec différentes formes ou modèles
parfois très différents. Il est pour l'heure impossible de vérifier l'hypothèse de territoires temporaires
d'accouplement, mais de nombreux arguments plaident en sa faveur.
55
3.3 Rythme nycthéméral chez le requin bouledogue
Les rythmes nycthéméraux résultent de l'alternance du jour et de la nuit. Ils caractérisent l'univers
de la plupart des organismes vivants. En s'ajustant aux différences entre le jour et la nuit (différences
de luminosité ou/et de température), les animaux organisent leur comportement selon une routine
journalière, leur permettant d'alterner des périodes d'activité et de repos, par exemple. Ces rythmes
sont le plus souvent sous l'influence d'une horloge interne: sous l'influence facteurs externes,
l’épiphyse secrète une hormone, la mélatonine, responsable de réactions métaboliques en cascade.
Ces réactions préparent l’organisme à une activité accrue. Ce système endocrinien permet ainsi aux
animaux de synchroniser leurs activités avec les conditions locales. A cette échelle de temps, les
activités sous-jacentes, qu'il est possible de mettre en évidence, concernent la façon dont les
individus d'une espèce occupent l'habitat, utilisent au mieux les ressources du milieu et comment ils
interagissent avec les autres espèces et leurs congénères. L'analyse de la répartition spatiale des
requins (cf. chapitre 2, figure 9) a montré que les requins bouledogue étaient davantage présents sur
les stations du large que du littoral. L'analyse de la somme totale des temps de présence de tous les
requins bouledogue marqués et détectés (32 requins bouledogue) en fonction de l'heure de la journée
et selon les zones "Large" et "Littoral" (figure 26) indique que cette présence accrue au large est
prépondérante en début de journée, alors que près du littoral, les requins sont présents davantage en
fin d'après-midi (entre 15h00 et 17h00).
14
Temps de présence normalisé (heure)
12
10
8
6
4
2
0
0
2
4
6
8
10 12 14 16 18 20 22
Heure de la journée
Côtier-Large
0
2
4
6
8
10 12 14 16 18 20 22
Heure de la journée
Côtier-Littoral
Figure 26. Somme des temps de présence estimés en fonction des heures de
la journée pour l’ensemble des stations du large (N L = 7123 visites) et près
du littoral (à moins de 500 mètres de la côte; N C =8668 visites), au cours
des 28 mois d’observation. Les valeurs sont pondérées par la durée de
déploiement des stations d’écoute dans le réseau.
56
La figure 27 montre l'évolution du nombre de visites (graphes A et B) et des durées moyennes
des visites (graphes C et D) en fonction de l'heure de la journée, pour les sites du large (A et C) et du
littoral (B et D). La période encadrée en rouge correspond aux heures de la journée de la figure 26
(de 15h00 à 17h00) où le temps de présence des requins sur le littoral est le plus élevé. L'analyse
détaillée des durées moyennes et du nombre de visites, en fonction du zonage littoral/large et de
l'heure de la journée, montre que le déplacement et l’activité des requins bouledogue sont
synchronisés avec la durée du jour. Sur les stations du large, le nombre de visites est beaucoup plus
élevé le jour que la nuit et chute entre 15h00 et 17h00. A l'inverse, sur les stations littorales, le
nombre de visites augmente rapidement à partir du début d'après-midi jusqu'au crépuscule, avec un
maximum entre 15h00 et 17h00.
Côtier-Littoral
JOUR
Côtier-Large
A
530
NUIT
480
480
430
430
Nombre de visites
Nombre de visites
530
380
330
330
280
230
230
180
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0 1 2 3 4 5
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0 1 2 3 4 5
Heure de la journée
Heure de la journée
Côtier-Littoral
NUIT
0.95
0.85
0.75
0.65
0.55
0.45
0.35
0.25
0.15
D
1.15
1.05
Duré moyenne d'une visite (h)
Duré moyenne d'une visite (h)
1.05
Côtier-Large
C
1.15
JOUR
NUIT
380
280
180
JOUR
B
JOUR
NUIT
0.95
0.85
0.75
0.65
0.55
0.45
0.35
0.25
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0 1 2 3 4 5
Heure de la journée
0.15
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0 1 2 3 4 5
Heure de la journée
Figure 27. Evolution du nombre cumulé de visites (A et B) et des durées moyennes des visites (C et D) sur 24
heures calculés pour l'ensemble de la période d'étude sur tous les requins bouledogue marqués et détectés, soit
sur les stations littorales (graphes A et C) soit sur les stations du large (graphes B et D).
Cette augmentation rapide du nombre de visites près du littoral, concomitante à la chute du
nombre de visites au large, correspondrait donc à un changement d'occupation spatiale au cours
duquel la plupart des requins bouledogue transfère leur activité vers le littoral au cours du
crépuscule, et donc change d'habitat. Cette hypothèse est en partie confirmée par le fait que la
diminution du nombre de visites sur les stations du large entre 15h00 et 17h00 (figure 27B) est
accompagnée d'une diminution significative du nombre de requins bouledogue différents détectés
57
(N 15h00 =533, N 16h00 =533, N 17h00 =533 ; ANOVA, F=6.82, ddl=2, p=0.00111) passant en moyenne de
0,76 requin par heure à 0,6 requin par heure. Concernant les durées moyennes des visites, elles
varient peu sur les stations du large au cours de la journée, mais sont significativement plus longues
au lever du jour (entre 5h00 et 7h00). A l'inverse, sur les stations littorales, les durées des visites
décroissent régulièrement au cours de la journée jusqu'au crépuscule, où elles sont les plus courtes.
Il est difficile à ce stade d'extrapoler ces informations pour caractériser les activités pendant le
jour et la nuit. En revanche, il est clair que l'augmentation du nombre de visites en fin de journée et
au crépuscule sur les stations littorales, concomitante à une diminution de leur durée, témoigne d'une
phase active exploratoire des requins au cours de laquelle les requins se déplaçant rapidement sont
donc enregistrés de nombreuses fois, mais sur un court laps de temps. Il est remarquable que le
nombre de sites visités près du littoral, au cours de cette phase crépusculaire, n'augmente pas
significativement (figure 28 en médaillon), ce qui laisse penser que cette activité exploratoire se
situe dans un rayon relativement restreint (moins de 2 km environ). En outre, cette augmentation du
nombre de visites crépusculaires sur les stations littorales ne s'observe que sur certains sites en
particulier (figure 28) et notamment ceux de Roches-Noires à Saint-Gilles, de Trois-Bassins, de la
Tortue à Saint-Leu et, dans une moindre mesure, au niveau de l'aéroport de Pierrefond, de la Pointe
du Diable et de la Rivière d'Abord à Saint-Pierre.
40
Stations littorales occupées principalement en fin de journée
Nombre de stations côtières visitées
24
35
22
Stations littorales occupées principalement le jour
20
18
16
14
12
30
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0 1 2 3 4 5
Heur e de la Jour née
Nombre de visites
25
20
15
10
5
0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
Heure de la Journée
Figure 28. Evolution du nombre de visites au cours du nycthémère sur
les sites spécifiques où apparait une augmentation de ces visites en fin
de journée (en bleu) en comparaison avec les sites occupés
principalement le jour (en orange). En médaillon, le nombre de
stations près du littoral visitées au cours du nycthémère.
Ce pattern jour-nuit, adopté par la plupart des requins bouledogue, cache néanmoins des
disparités entre requins. Certains requins occupent principalement la plage horaire de fin d'aprèsmidi (figure 29 A1 et A2) et du crépuscule et d'autres sont détectés toute la journée (figure 29 B). Le
58
requin femelle sub-adulte "Solène" se révèle être, là encore, un cas particulier. Ce requin, qui se
maintient exclusivement sur le site de l'Etang du Gol, est le seul individu "nocturne", détecté
principalement entre 20h00 et 8h00.
25%
Adelante
A1
Balboa
Charlotte
20%
Hector
Taux de détection
Danae
15%
10%
5%
0%
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Heure de la journée
Ulysse
Victoria
Zaia
Milo
Atalante
Barbara
Fanny
10%
A2
9%
8%
Taux de détection
7%
6%
5%
4%
3%
2%
1%
0%
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Heure de la journée
Bianca
Camille
Estelle
Fernand
Isis
Izidor
Eleonore
Jade
Julie
Pénélope
9%
B
8%
Taux de détection
7%
6%
5%
4%
3%
2%
1%
0%
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Heure de la journée
Figure 29. Pattern d'activité au cours de la journée
distinguant les requins plus actifs en fin d'après-midi et
au crépuscule (A1 et A2) et ceux détectés tout au long
de la journée (B).
59
Nous avons ensuite repris l’indice d’occupation de la colonne d’eau (calculé au paragraphe 2.4.1)
pour le comparer par tranche horaire (figure 28). Les résultats montrent que, sur l'ensemble des
stations d'écoute, la nuit les requins occupent davantage la partie supérieure de la colonne d'eau que
le jour. Les requins ont tendance à remonter progressivement vers la surface à partir de 14h00
jusqu'à la tombée de la nuit (figure 30A).
58%
Moyenne
Moyenne±Erreur-Type
Moyenne±0,95 Intervalle Conf.
56%
Altitude (%) estimée
54%
52%
50%
48%
46%
A
44%
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0
1
2
3
4
5
Heure de la journée
60%
Moyenne
Moyenne±Erreur-Type
Moyenne±0,95 Intervalle Conf.
56%
Altitude (%) estimée
52%
48%
44%
40%
36%
B
32%
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 0
1
2
3
4
5
Heure de la journée
Figure 30. Evolution des altitudes moyennes des requins
bouledogue (en % de la profondeur totale), sur 24 heures, pour
l'ensemble des stations d'écoute (A) et pour 10 stations littorales
où le pattern est le plus marqué (B), au cours de l'ensemble de
la période d'étude (janvier 2012 à mai 2014).
Ce pattern est assez net et l'est encore davantage sur certaines stations proches du littoral qui
sont davantage occupées en fin d'après-midi et au crépuscule (figure 30B). C'est le cas des stations
de l'Arda, d'Aigrette, de Roches-Noires sur la zone Saint-Paul et Saint-Gilles, des stations de TroisBassins, de la pointe des Châteaux près de Saint-Leu, du Souffleur, de la pointe d'Etang-Salé de la
station Golf-Etang-Salé et de la Rivière Saint-Etienne et de la pointe du Diable. Pour ces stations, la
position dans la colonne d'eau varie de 20%, en moyenne, entre 11h00 et 18h00. Ces variations
60
conduisent les requins à passer de la partie inférieure à la partie supérieure de la colonne d'eau. Ces
amplitudes moyennes ne sont pas très importantes mais elles sont néanmoins significatives. Elles
sont de plus calculées pour l'ensemble des requins détectés or, si ce pattern d'occupation verticale est
adopté par la plupart des requins bouledogue marqués, il existe également une variabilité
individuelle. Certains individus ne suivent pas ce rythme nycthéméral de remontée dans la colonne
d'eau en cours de journée. C'est le cas des requins femelle "Isis" et "Bianca" qui en moyenne se
maintiennent en pleine eau, du requin femelle "Eleonore" qui reste près du fond durant le jour et
également du requin femelle sub-adulte "Solène" qui montre, là encore, un comportement atypique
en se maintenant près de la surface de façon régulière et continue, au cours de toute la période
d'observation (figure 31).
90%
Eleonore
Isis
80%
Bianca
70%
Altitude moyenne (%)
Solene
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Heure de la journée
Figure 31. Patterns nycthéméraux atypiques d'occupation
spatiale de la colonne d'eau par des requins bouledogue suivis
sur l'ensemble du réseau (sauf pour Solène qui se maintient sur
le site d'Etang du Gol) pendant toute la période d'observation
(janvier 2012 à mai 2014). 0% correspond à une position sur le
fond et 100% à une position en surface.
Ce cycle nycthéméral jour-nuit se retrouve également sur les enregistrements des profondeurs
obtenus à partir des marques miniPAT fixées sur les deux requins bouledogue, qui ont effectué des
migrations hors de La Réunion en milieu océanique (cf. § 2.4.5) pendant des périodes allant jusqu'à
un mois (figure 32). Contrairement aux enregistrements précédents, qui sont obtenus uniquement
lorsque les requins sont détectés par les stations d'écoute, ces enregistrements correspondent à des
valeurs mesurées en continu (toutes les 10 minutes environ) sur le même animal. Ils représentent
plus de 15000 données de profondeurs traitées par requin.
61
Profondeurs MiniPAT
Coderequin : Julie
Coderequin : Hector
10
15
20
Profondeur (m)
25
30
35
40
45
50
6
7
8
9
10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
0
1
2
3
4
5
Heure de la journée
Figure 32. Rythmes de migrations verticales enregistrés chez
deux requins bouledogue adultes, un mâle et une femelle,
pendant 6 mois (de mars à septembre 2013) au cours de leurs
déplacements autour de l'île et de leurs migrations
océaniques.
Il apparait donc clairement que les requins bouledogue changent d'habitat, passant de la
zone du large à la zone littorale selon un rythme nycthéméral (jour/nuit) et migrent dans la
partie supérieure de la colonne d'eau au cours de l'après-midi.
Près des côtes réunionnaises, ils alternent une occupation nocturne près des côtes et diurne plus
au large. Les mouvements verticaux (dans la colonne d'eau) et horizontaux (large vers littoral) sont
vraisemblablement synchronisés par une horloge interne calée sur un ou plusieurs déclencheurs
externes. D’une façon générale, ces comportements correspondent à des rythmes physiologiques qui
permettent aux animaux d'optimiser leurs dépenses énergétiques en alternant des périodes d'activité,
au cours desquelles les animaux recherchent activement leur nourriture, et des périodes de repos.
Etant donné le rythme nycthéméral de ce phénomène, la lumière du jour doit constituer un élément
déclencheur. Néanmoins, il apparait que ces mouvements verticaux dans la colonne d'eau
commencent en début d'après-midi et semblent donc sous le contrôle d'autres facteurs
environnementaux, certainement en lien avec l'alternance jour-nuit mais qui restent pour l'heure
inconnus.
Interprétation
Nos résultats montrent que la plupart des requins bouledogue que nous avons observés modifient
leur mode d'activités en fin de journée entre 15h00 et 18h00, adoptant un comportement exploratoire
plus intense (cf paragraphe 2.4). Cette phase active exploratoire à cette période de la journée
serait l'indicateur pour ce prédateur d'un comportement de recherche de proies.
62
Plusieurs arguments sont en faveur de cette hypothèse. Tout d'abord, le mode de chasse des
requins côtiers, comme le requin bouledogue, est une chasse dite d'approche avec poursuite guidée.
Le plus souvent, cette chasse est précédée d'une approche dissimulée. Ainsi, les requins, comme la
plupart des prédateurs, ont avantage à chasser aux périodes de transition jour/nuit (crépuscule, par
exemple) où ils peuvent mettre à profit leur meilleure capacité sensorielle et donc « voir sans être
vu ». Les requins bouledogue profiteraient ainsi de la pénombre du crépuscule et des conditions
réduites de visibilité proches des zones du littoral (notamment du fait d'une turbidité généralement
plus importante qu'au large) pour attaquer leurs proies.
De plus, les prédateurs en chasse d'approche doivent impérativement, pour économiser leurs
forces et augmenter leur chance de succès, commencer leur poursuite à une distance de leur proie la
plus courte possible. Concernant les requins côtiers, cette exigence conduit les animaux en chasse à
explorer davantage la colonne d'eau. Les études sur le requin blanc montrent, par exemple, que lors
des périodes de chasse, les individus, qui sont détectés principalement près du fond, remontent dans
la colonne d'eau et l'explorent en décrivant des patterns en "yoyo" caractéristiques (Heithaus et al.
2001c; Nakamura et al. 2011). Nos données ne sont pas suffisantes pour décrire avec précision ce
type de comportement. Néanmoins, l'analyse des variations de profondeurs moyennes de nage des
requins bouledogue au cours du nycthémère témoigne de ces variations d'occupation de la colonne
d'eau en fonction des zones (Littoral-Large) et des heures de la journée.
Enfin, nous savons qu’une partie des poissons de roche ou de fond sont également des prédateurs
qui occupent la colonne d’eau la nuit pour se nourrir. C’est notamment le cas des planctonophages
qui suivent la migration verticale du zooplancton et montent ainsi en surface au crépuscule. Les
petits poissons pélagiques côtiers, en banc le jour, se dispersent au crépuscule et sont également la
proie des prédateurs. Ces poissons deviendraient plus accessibles et seraient ainsi les proies des
requins bouledogue à cette période de la journée (cf. chapitre 4).
Ces résultats doivent être approfondis mais ils suggèrent bien un changement
comportemental entre le jour et la nuit, conduisant l'animal à passer d'une phase de repos
près du fond à une phase active de chasse dans la colonne d'eau et près des côtes dès la fin
d'après-midi.
63
3.4 Tentative d'évaluation de la taille maximale de la population de requins bouledogue
à La Réunion
Les analyses génétiques préliminaires des échantillons de muscle prélevés sur les individus de
cette espèce à La Réunion et au Mozambique et les observations des déplacements à grande échelle
de deux requins bouledogue indiquent que la population de requins de cette espèce à La Réunion
n'est pas fermée. Une population fermée est une population qui se reproduit et croit isolément des
autres populations dans l'océan Indien. Il existerait donc des échanges entre les îles, et entre les îles
et le continent africain, qui favoriseraient la dispersion des individus. Néanmoins, pour l'heure, il est
impossible de connaitre ce taux d'échanges et son importance dans la régulation des populations de
cette espèce. Il en est de même pour l'espèce de requin tigre.
Nous pouvons néanmoins tenter d'évaluer la taille maximale de la population de requins
bouledogue à La Réunion en émettant plusieurs postulats : (1) il existe une capacité d'accueil
maximale de requins bouledogue à La Réunion, du fait d'un nombre limité de sites préférentiels; (2)
toutes les zones de la côte sont favorables à la présence de cette espèce; (3) le pas de temps d'une
semaine permet de rendre compte de l'ensemble des mouvements de requins et donc de la fréquence
moyenne des visites de tous les requins marqués autour de chaque station; (4) nos requins marqués
sont représentatifs des densités de requins bouledogue à La Réunion; (5) la distance moyenne entre
chaque station d'écoute (environ 2 km) est un bon indicateur de l'aire dans laquelle se déplacent les
requins bouledogue lorsqu'ils sont détectés.
A partir de ces postulats, nous avons cherché à estimer la densité maximale de requins
bouledogue. Lorsque l'on représente sur un graphe le nombre maximum de requins détectés par
semaine sur l'ensemble des stations, nous constatons que cette valeur fluctue au cours des mois,
suivant ainsi l'évolution temporelle saisonnière déjà révélée (figure 33). Le nombre maximal de
requins différents détectés par station et par semaine varie entre 4 et 12 avec une valeur moyenne de
6 requins par station et par semaine. Lorsque sur ce même graphe, nous représentons le nombre
maximal de requins détectés par mois, ce nombre n'augmente pas considérablement par rapport à
celui calculé par semaine. Sa fluctuation saisonnière oscille entre 6 et 15 requins alors que
l'échantillonnage est effectué sur un pas de temps quatre fois supérieur (4 semaines au lieu d'une).
Cette faible augmentation du nombre maximal de requins détectés suppose qu'il existe un nombre
limité de requins qui peuvent occuper le même site et qu'il y aurait donc bien une capacité maximale
d'accueil.
Etant donnés les 210 km de linéaire de côte à La Réunion, en admettant les postulats précités et
en supposant que les estimations hebdomadaires sont celles qui rendent le mieux compte de la
densité des requins bouledogue à La Réunion, le nombre maximum de requins bouledogue serait
d'environ 1200 requins (12 requins maximum par semaine x 210 km de côte / 2 km). Ce nombre
maximum serait atteint au cours des périodes de forte présence, entre le mois de mars et de juillet.
Cette valeur est certainement une estimation biaisée. D'une part, elle est sous-estimée car elle est
calculée à partir des données de requins bouledogue marqués et que nous n'avons pas d'information
sur la représentativité de la densité des requins marqués par rapport à celle de l'ensemble de la
64
population. Elle est, d'autre part, surestimée car nos observations sur la répartition spatiale des
requins bouledogue le long des côtes montrent bien que certains sites ne sont presque jamais
occupés par nos requins marqués au cours des deux ans de suivi et que donc a priori toute la ôte
réunionnaise n'est pas propice à accueillir des requins bouledogue. C’est néanmoins un ordre de
grandeur qui laisse supposer que le nombre maximal de requins bouledogue à La Réunion est
davantage de l'ordre de plusieurs centaines que de plusieurs milliers.
Maximum par station au cours du mois
16
Maximum par station au cours d'une semaine
14
12
10
8
6
4
2
2013
Mai
Avril
Mars
Février
Janvier
Décembre
Octobre
Novembre
Septembre
Août
Juin
Juillet
Mai
Avril
Mars
Février
Janvier
Décembre
Octobre
0
Novembre
Nombre maximum de requins bouledogue détectés
18
2014
Figure 33. Evolution, au cours de la période d'observation 2013-2014,
du nombre maximum de requins bouledogue détectés sur une station
au cours d'une semaine (en vert) et au cours d'un mois (en rouge).
65
66
CHAPITRE 4
INTERACTIONS ENTRE LE REQUIN TIGRE
ET LE REQUIN BOULEDOGUE ET ECOLOGIE
TROPHIQUE DES DEUX ESPECES
67
Introduction
Nous avons vu dans le chapitre 1 que les requins tigre marqués n'étaient que très peu détectés.
Leurs habitats préférentiels semblent être plus au large et sur des zones plus profondes que ceux du
requin bouledogue. Ils représentent environ 3% du nombre total de détections ou des temps de
présence dans le réseau et sont détectés essentiellement sur le tombant du sec de Saint-Paul et sur les
DCPs équipés du large, déployés à plus de 5 kilomètres de la côte et ancrés sur des profondeurs de
plus de 600 mètres. En théorie, les deux espèces ont des niches écologiques différentes et elles
exploitent la plupart du temps des ressources différentes. Néanmoins, il existe de nombreux cas,
notamment en milieu marin ouvert, où cette séparation n'est pas aussi tranchée. Nous présenterons
dans ce chapitre les premiers résultats que nous avons pu dégager de l'analyse des interactions entre
les requins marqués de ces deux espèces. Nous exposerons ensuite l'étude sur l'écologie trophique de
ces deux espèces effectuées par le Laboratoire ECOMAR.
4.1 Analyse des interactions entre les requins bouledogue et tigre à partir des données
de marquage acoustique
Les détections enregistrées au cours de notre étude permettent de rechercher si les domaines
vitaux de ces deux espèces se chevauchent et dans quelle mesure, ou si une espèce en exclut
systématiquement une autre.
Nos résultats montrent tout d'abord que la détection simultanée (dans la même journée) des deux
espèces sur la même station d'écoute est un événement rare puisqu'il ne se produit que dans 4% des
cas observés entre janvier 2013 et mai 2014 (320 fois sur 8600 événements). La distribution spatiale
de ces détections de requins tigre dans le réseau de stations n'est pas aussi large que celle des requins
bouledogue. Ces détections sont presque exclusivement enregistrées sur les stations du large et
uniquement sur certaines d'entre elles. Les principales stations sont outre les DCPs du large, celles
déployées sur le site ouvert vers le grand large, de la baie de Saint-Paul et au large du port de SaintPierre, sur le tombant du sec de Saint-Paul, qui forme un vaste plateau du Cap La Houssaye jusqu'au
port de Saint-Gilles, et à la pointe au Sel à Saint-Leu. Cette station avec les stations près du tombant
du Sec de Saint-Paul sont les seules stations à proximité de grands fonds.
Le requin tigre est une espèce capable de longues migrations transocéaniques mais d'après nos
observations, lorsque les requins tigre occupent un des sites de son aire biogéographique, comme La
Réunion, son habitat reste un habitat côtier et profond.
L'analyse par site montre quelques nuances dans le mode d'occupation spatiale et dans les
interactions que cette espèce peut avoir avec le requin bouledogue (figure 34). Nous pouvons
distinguer trois cas:
(1) où la présence des requins tigre n'exclut pas celle des requins bouledogue. C'est le cas, sur les
stations situées à la bouée de la Réserve de Boucan, à proximité de la Pointe au Sel et au Large de
Saint-Pierre.
68
(2) où les sites sont exclusivement occupés par des requins tigre. C'est le cas des deux stations
déployées sur le tombant du Sec de Saint-Paul. Cette zone poissonneuse est connue par les pêcheurs
pour concentrer les requins autour des pentes du Sec. Les requins tigre profiteraient de ce plateau
aux tombants abrupts pour occuper une zone profonde mais côtière.
(3) où une seule espèce est présente sur un site, soit à certaines périodes de l'année, soit à certains
moments de la journée. C'est le cas plus particulièrement de la baie de Saint-Paul, où les requins
tigre et bouledogue semblent alterner des périodes d'évitement et de cohabitation. Cette variabilité,
dans les modes d'interactions entre les deux espèces, pourrait s'expliquer par la variation des
conditions environnementales conduisant les requins tigre à certaines périodes, à se rapprocher des
côtes. Nos données ne sont malheureusement pas suffisantes pour tester cette hypothèse.
L'analyse des détections sur deux années successives montre que le requin tigre est présent dans
la baie de Saint-Paul entre le mois de mai et le mois d'août en 2013 et en 2014. Il existe néanmoins
deux particularités apparaissant au cours de l'année 2014. D'une part, les requins tigre sont détectés
en octobre, ce qui n'était pas le cas l'année précédente, et d'autre part, la présence des tigres cette
année est exclusive de celle des requins bouledogue (figure 32B). Cette ségrégation au cours de
l'année est également visible au cours du nycthémère. En effet, l'analyse de l'évolution des temps de
présence des deux espèces sur ces sites au cours de la journée montre que sur les sites où il y a
chevauchement des habitats, et principalement sur le site de la baie de Saint-Paul en 2013, les deux
espèces utilisent des plages horaires différentes (la journée pour le requin bouledogue, la nuit pour le
requin tigre). Il est néanmoins possible que cette alternance d'occupation d'un habitat par les deux
espèces puisse dépendre d'autres facteurs liés aux conditions environnementales plus favorables
pour une espèce que pour une autre. Mais pour l'heure nous n'avons pas assez de données pour faire
une analyse fine de ces interactions.
Ainsi, sauf pour ce cas particulier de la baie de Saint-Paul en 2014, il n'y aurait pas
d'exclusion d'une espèce vis-à-vis de l'autre mais un partage des zones où il existerait un
chevauchement possible des habitats distincts des deux espèces. Ce partage semble être
modéré et n'exclut pas que les deux espèces puissent s'éviter.
69
50
Somme des détections de
bouledogue
PTSELSUD
40
60
35
50
25
15
20
10
10
400
400
30
300
300
20
200
200
10
100
100
50
Somme des détections de bouledogue
ARDA
Somme des détections de tigre
45
40
35
30
25
20
15
10
5
40
50
30
Somme des détections de bouledogue
1400
60
1200
50
80
40
60
30
40
20
20
10
0
18/09/2014
18/08/2014
18/06/2014
18/07/2014
18/04/2014
18/05/2014
18/02/2014
18/03/2014
18/01/2014
18/11/2013
18/12/2013
18/09/2013
18/10/2013
18/08/2013
18/06/2013
18/07/2013
18/04/2013
18/05/2013
18/02/2013
18/03/2013
18/01/2013
18/11/2012
18/12/2012
18/09/2012
18/10/2012
18/08/2012
18/06/2012
18/07/2012
18/04/2012
18/05/2012
Somme des détections de bouledogue
Somme des détections de tigre
A
18/09/2014
18/08/2014
18/06/2014
18/07/2014
18/04/2014
18/05/2014
0
70
100
18/02/2012
18/03/2012
20
0
18/02/2014
18/03/2014
0
18/01/2014
0
40
20
18/11/2013
18/12/2013
10
40
18/09/2013
18/10/2013
20
10
60
60
Large Saint-Pierre
Somme des détections de tigre
100
ETGSTPAUL
90
80
1000
70
60
800
50
600
40
30
400
20
200
10
0
0
400
Bouledogue
80
18/08/2013
0
30
18/06/2013
18/07/2013
0
80
18/04/2013
18/05/2013
5
100
100
18/02/2013
18/03/2013
10
10
120
40
20
15
20
60
CAPLAHOU
120
18/01/2013
30
70
0
140
Somme des détections de bouledogue
Somme des détections de tigre
18/11/2012
18/12/2012
20
140
18/09/2012
18/10/2012
25
40
160
80
18/08/2012
50
90
18/06/2012
18/07/2012
30
Large Cap La Houssaye
Somme des détections de tigre
40
60
Somme des détections de bouledogue
50
18/01/2012
60
45
18/12/2011
50
0
18/04/2012
18/05/2012
BRBOUCAN
0
18/02/2012
18/03/2012
Somme des détections de
bouledogue
Somme des détections de tigre
0
35
120
40
0
70
140
500
Bord du Sec Saint-Paul
Somme des détections de tigre
5
0
80
600
500
Somme des détections de bouledogue
20
30
90
600
50
30
40
100
60
45
Somme des détections de tigre
18/01/2012
70
18/12/2011
80
0
B
Tigre
350
Nombre de détections
300
2014
2013
250
200
150
100
50
0
C
Requin Tigre
50
3.5
40
3
2.5
30
60
Bord Sec Saint-Paul
4
Requin Bouledogue
Requin Tigre
Somme des temps de présence (h)
60
Requin Bouledogue
20
1.5
40
40
30
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Heure de la journée
10
9
8
7
6
20
5
4
15
20
20
3
10
10
0
Requin Tigre
25
2
10
5
0.5
0
Requin Bouledogue
35
50
1
10
Pointe au Sel Large Saint-Pierre
30
30
2
40
Somme des temps de présence (h)
50
Baie de Saint-Paul
4.5
Somme des temps de présence (h)
60
0
0
1
0
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
Heure de la journée
Heure de la journée
Figure 34. Evolution du nombre de détections de requin tigre et de requin bouledogue au cours de la
période d'étude sur les stations principales où les espèces sont détectés dans la même journée (A), et
en particulier dans la baie de Saint-Paul (B). Evolution des temps de présence des deux espèces sur
24 heures sur les stations des sites de la baie de Saint-Paul, du bord du Sec de Saint-Paul et aux
stations de la pointe au Sel et du large de Saint-Pierre (C).
70
4.2 Écologie trophique des requins tigre et bouledogue
4.2.1 Introduction
Le programme CHARC s’est intéressé à l’écologie trophique des requins tigre et bouledogue. Il
s’agissait plus précisément, d’une part de décrire la diète des requins à partir de l’analyse des
contenus stomacaux d’individus pêchés, étudiés pour la valorisation des requins tués dans le cadre
d’autres programmes et, d’autre part, d’étudier la composition isotopique du sang et des muscles des
requins. Cette dernière est alors reliée aux compositions isotopiques de divers organismes
susceptibles d’entrer dans leur régime alimentaire, ainsi qu’aux sources de matière organique
pélagiques (colonne d’eau) et benthiques (sédiment), pour identifier d’éventuels habitats
d’alimentation. Enfin des mesures d’éléments traces ont aussi été réalisées dans les tissus des
requins, d’organismes marins et dans les sources de matière organique, afin de venir compléter les
analyses isotopiques.
4.2.2 Intérêt des études d’écologie trophique
L’étude de l’écologie trophique concerne l’identification des relations/interactions alimentaires
directes (prédation) et indirectes (compétition) entre espèces. La caractérisation du régime
alimentaire de ces espèces permet l’analyse des flux de matière et d’énergie qui les relient.
L’ensemble de ces flux forme un réseau trophique. Un réseau trophique est donc un système
dynamique composé de chaînes alimentaires, qui évolue sous l’action de forçages naturels et de
pressions d’origine humaine. Dans le milieu marin, le premier niveau du réseau est constitué
principalement de producteurs primaires qui réalisent la photosynthèse. Ces producteurs primaires
représentent les principales sources de matière organique qui vont contribuer au développement
d’organismes occupant des positions plus élevées au sein de ce même réseau. A l’autre extrémité des
chaînes alimentaires se situent les prédateurs apicaux, comme les grands requins ou de nombreux
mammifères marins. L’étude des interactions trophiques entre les prédateurs et leurs ressources
alimentaires permet une meilleure compréhension des processus qui structurent les communautés et
du fonctionnement des écosystèmes. L’alimentation est une fonction vitale des organismes vivants
qui va influencer directement et indirectement la dynamique de leur population et des paramètres
démographiques tels que la taille de la population, la fécondité des individus, la survie, le succès
reproducteur et l’âge à maturité. Etudier l’écologie trophique est donc essentiel pour identifier les
ressources exploitées par les organismes et les habitats d’alimentation. De telles informations vont
servir pour la gestion des populations, de prédateurs en particulier, que ce soit pour la conservation
ou pour une régulation volontaire d’espèces invasives ou nuisibles.
Les contenus stomacaux
Traditionnellement, les études sur l’écologie trophique des organismes marins ont été menées à
partir de l’analyse des restes alimentaires retrouvés dans les estomacs d’animaux morts, à la suite de
captures volontaires ou involontaires (prises accessoires) ou de façon naturelle. Cette technique a
71
l’avantage de reposer sur des observations directes des proies qui ont été consommées récemment
par les animaux étudiés, ce qui permet d’identifier clairement les interactions entre les prédateurs et
les espèces proies. Elle pose néanmoins de nombreux problèmes techniques et éthiques. La capture
massive d’animaux à des fins scientifiques est délicate, surtout lorsqu’il s’agit d’espèces
emblématiques, endémiques et/ou en danger d’extinction. La suppression des prédateurs marins peut
aussi avoir des conséquences sur le fonctionnement des écosystèmes et ces dernières sont
difficilement prévisibles. D’un point de vue technique, l’étude des restes alimentaires est souvent
compliquée par la digestion qui ne permet pas d’identifier de façon précise les proies consommées,
ni de quantifier précisément les rations alimentaires. De plus, certaines proies ont des temps de
digestion plus longs que d’autres ou des structures corporelles dures, qui peuvent rester plus
longtemps dans l’estomac du prédateur, et donc surestimer leur contribution relative au régime
alimentaire. Enfin, la description des restes alimentaires à un instant donné n’est pas nécessairement
représentative des habitudes alimentaires du prédateur. Pour s’affranchir de ces biais, il faut donc
étudier de nombreux spécimens et souvent réaliser des suivis à long terme, ce qui est coûteux et
parfois difficile à mettre en œuvre.
Depuis quelques années, des techniques complémentaires ont été développées pour mieux
caractériser l’écologie alimentaire des animaux. Elles se fondent sur l’analyse de traceurs
biogéochimiques. Il s’agit en particulier d’analyser les rapports isotopiques d’éléments stables, des
compositions en éléments lipidiques et des concentrations en éléments traces. L’étude de ces
traceurs est très répandue de nos jours et constitue un complément des analyses de contenus
stomacaux. Le pouvoir intégratif de cette méthode en fait un outil puissant pour résoudre de
nombreuses questions concernant les habitudes alimentaires, les stratégies de recherche alimentaire
des prédateurs, la structure, le fonctionnement et la variabilité des réseaux trophiques.
Les isotopes stables
Les isotopes stables sont plusieurs formes d’un même élément chimique, qui diffèrent par le
nombre de neutrons dans leur noyau et, de ce fait, par leur masse atomique. Ils sont dits stables, c’est
à dire qu’ils ne subissent pas de désintégration radioactive au cours du temps. Leurs concentrations
sont donc constantes dans un système isolé, mais elles peuvent être modifiées par des processus
physico-chimiques. Ainsi l’étude des isotopes stables renseigne sur la nature des réactions physicochimiques responsables de l’évolution de leurs concentrations entre deux compartiments biotiques
et/ou abiotiques. L’analyse des isotopes stables dans les matrices biologiques est utilisée, entre
autres, pour définir et comprendre les relations trophiques au sein des écosystèmes étudiés et pour
identifier les sources de carbone et d’énergie dont dépendent les organismes.
Les éléments traces
Les éléments traces sont considérés comme des polluants à cause de leur toxicité, de leur persistance
dans l’environnement, de leur faible capacité de biodégradation et de leur tendance à se concentrer
dans les tissus des organismes, via les processus de bioaccumulation (augmentation de la
concentration d’un élément obtenu à partir de l’environnement abiotique dans un organisme) et de
72
bioamplification (augmentation de la concentration d’un élément d’un niveau trophique à un
suivant). Ces éléments sont présents dans des environnements naturels non-perturbés généralement
en faibles concentrations, mais deviennent toxiques pour les organismes lorsqu’ils sont présents en
concentrations biodisponibles (assimilables) importantes. Ce sont des indicateurs de la qualité d’un
milieu quelle qu’en soit sa nature (sédiment, masse d’eau, …). En milieu marin, les éléments traces
sont à la fois des indicateurs de la qualité de l’eau (pollution industrielle, agricole, urbaine, …) et
des indicateurs d’apports terrigènes. L’étude de leur comportement dans l’environnement et les
réseaux trophiques peut aider à reconstituer la structure et le fonctionnement de ces derniers, en
établissant des relations entre compartiments présentant des éléments traces en commun à des
concentrations différentes.
4.2.3 Objectifs de l'étude
Dans le cadre du programme CHARC, l’objectif général était d’apporter des informations sur
l’écologie trophique des requins tigre et bouledogue pour mieux comprendre les interactions entre
les requins et leur environnement. Plus précisément, il s’agissait de : (1) décrire le régime
alimentaire des deux espèces à partir de l’étude des restes alimentaires retrouvés dans les estomacs
de requins pêchés par la petite pêche réunionnaise, (2) identifier les sources de production dont les
deux espèces dépendent, c’est-à-dire si elles sont plutôt rattachées à une chaîne alimentaire côtière
ou du grand large et pélagique ou benthique, (3) identifier d’éventuels habitats clés pour
l’alimentation des espèces le long du littoral Ouest de La Réunion, (4) identifier si les individus des
deux espèces restent à proximité de La Réunion ou s'ils sont migrants, et si ces patrons de
déplacement sont généralisés ou non.
4.2.4 Echantillonnage
Afin d’atteindre les objectifs annoncés initialement dans le cadre de cette étude, des prélèvements
de muscles blancs et du sang sur les requins tigre et bouledogue, marqués pour l’étude acoustique
ont été effectués. Les contenus stomacaux des estomacs d'individus prélevés par des pêcheurs locaux
ont été analysés. En parallèle, des organismes de différents niveaux trophiques et de nature
différente ont été collectés en tant que proies potentielles des requins.
L’ensemble des échantillons de requins et de proies potentielles récoltés dans le cadre du travail
pour les mesures d’isotopes et d’éléments traces est présenté dans le tableau IX. D’autres données
du laboratoire ECOMAR sont disponibles sur les valeurs isotopiques de poissons. Ces dernières ont
été utilisées dans le cadre des analyses, mais elles ne sont pas consignées dans le tableau IX.
73
δ13C (‰)
ESPECES
δ15N (‰)
δ34S (‰)
muscle sang muscle sang muscle sang
Eléments traces
(32 éléments)
muscle
sang
18*
12
15**
9
Requins
Galeocerdo cuvier
18*
12
18*
12
Carcharhinus leucas
15**
12
15**
12
10
4
6
Squalus megalops
12
12
12
Carcharhinus brevipinna
2
2
Coryphaena hippurus
4
4
3
4
Katsuwonus pelamis
8
8
6
8
Thunnus albacares
11
11
6
11
Acanthocybium solandri
1
1
Caranx ignobilis
6
6
Caranx sexifasciatus
1
1
1
2
Grands poissons
pélagiques
1
6
6
Petits poissons pélagiques
Decapterus kurroïdes
1
1
1
Selar crumenophtalmus
6
6
6
Herklotsichthys
quadrimaculatus
10
10
10
Poissons démersaux et côtiers
Scorpaena scrofa
1
1
1
1
Etelis carbunculus
8
8
6
8
Xyrichtys pentadactylus
4
4
4
4
Lethrinus
rubrioperculatus
1
1
1
1
Sufflamen bursa
2
2
2
Argyrops filamentosus
2
2
2
Holanthias borbonicus
1
1
1
74
Diodon sp.
1
1
1
Dactyloptena orientalis
9
9
9
Exocoetus volitans
1
1
1
5
5
5
10
10
Larves de poissons
Crustacé profond
Heterocarpus laevigatus
Tortue
Chelonia mydas
* : y compris 2 embryons mâles et 2 embryons femelles ; **: y compris 1 embryon mâle et 1
femelle
Tableau IX - Liste des échantillons pour lesquels les isotopes du carbone, de l’azote et du
soufre, et les éléments traces ont été mesurés en fonction des tissus.
Ce tableau met en évidence l’effort d’échantillonnage réalisé au cours de ce travail. La récolte des
poissons a été effectuée en collaboration avec le comité des pêches (CRPMEM), en particulier via le
projet DIPPLO 2. Les autres échantillons ont été acquis dans le cadre du programme CHARC. Parmi
les faiblesses de l’échantillonnage, on peut noter l’absence de céphalopodes dans les groupes
taxonomiques de proies potentielles. Cependant, certains spécimens ont été acquis récemment et
seront intégrés plus tard dans les analyses. Les mesures de soufre ont été réalisées sur un nombre
d’échantillons réduit (n=51) et ceci en raison de problèmes techniques au niveau des analyses et
d’un surcoût lié à ces mesures par rapport à ce qui avait été estimé dans le budget. Les résultats
n’ont pour le moment pas été interprétés.
Un total de 188 échantillons a été récolté et analysé pour étudier la matière organique à la base
des réseaux trophiques pélagiques et benthiques côtiers, sur la zone de déploiement du réseau
d’écoute acoustique entre Le Port et St Pierre (figure 35).
2
DIPPLO : Dynamique des Interactions entre la petite Pêche et les poissons prédateurs au large du Littoral Ouest de La
Réunion
75
10 km
Figure 35. Sites d’échantillonnage de la matière organique particulaire de la colonne d’eau et des
sédiments le long du littoral ouest. Chaque station est représentée par une croix rouge. Les
isobathes (10m, 20m, 50m, 100m et 500m) sont également représentées. SPi : Saint-Pierre, ES :
Etang-Salé, SL : Saint-Leu, TB : Trois-Bassins, SG : Saint-Gilles, SPa : Saint-Paul.
De l’eau de mer de surface et des sédiments ont été récoltés le long de 6 radiales situées en baie
de St Paul, face au port de St Gilles, à proximité de la passe de Trois Bassins, à St Leu, à Etang Salé
et à St Pierre. Sur chaque radiale, 5 stations ont été réalisées pour prélever de l’eau de surface sur
des fonds de 10m, 20m, 50m, 100m, 500m. Ces échantillons d’eau de mer ont été filtrés et
conditionnés pour que les rapports isotopiques du carbone et de l’azote de la matière organique
soient mesurés. La trop faible quantité de matière organique présente sur les filtres n’a pas permis de
mesurer les concentrations des éléments traces. En parallèle, des sédiments ont été récoltés à la
benne sur les mêmes radiales, sur les stations de 20m, 50m et 100m. Cet échantillonnage a été
effectué au début de l’été austral en 2012 et au début de l’hiver austral en 2013.
Enfin, 51 estomacs de requins ont été récupérés (19 bouledogues et 32 tigres) et analysés pour
l’étude du régime alimentaire sur les 76 requins disséqués depuis 2012, dans le cadre de la recherche
de biotoxines dans leur chair et dans le cadre des prélèvements post-attaques décidés par les services
de l’Etat. Parmi les 51 estomacs analysés, 4 ne proviennent pas des dissections, mais ont été
récupérés auprès de pêcheurs dans le cadre de différentes opérations. L’analyse des contenus
stomacaux en laboratoire a permis d’apporter les premières informations sur le régime alimentaire
des deux espèces.
4.2.5 Principaux résultats et discussion
Contribution relative des différentes proies potentielles au régime alimentaire des requins et part de
la production primaire benthique ou pélagique dans le régime alimentaire des requins
Les résultats des analyses des contenus stomacaux permettent de mettre en évidence de grandes
différences dans les habitudes alimentaires des deux espèces de requins (tableau X).
76
Nombre
total
d’individus
disséqués
Nombre
d’estomacs
récoltés hors
dissection
Proportion
d’estomacs
non vides
(%)
Masse
moyenne (±
e.s.) du
contenu
stomacal (g)
Nombre
moyen de
proies par
estomac (±
e.s.)
Carcharhinus
leucas
26
0
57,7
1669,5 ± 567,6
3,3 ± 0,6
Galeocerdo
cuvier
50
4
48,1
2690,1 ± 380,4
4,3 ± 0,4
Tableau X. Nombre d’estomacs étudiés dans le cadre de l’étude du régime alimentaire, masse moyenne
des contenus stomacaux non vides et nombre moyen de proies dans les estomacs non vides. e.s. : erreur
standard.
Le nombre d’estomacs de requins tigre disponibles depuis le début de l’étude (août 2012) est
deux fois plus important que le nombre d’estomacs de requins bouledogue. La proportion
d’estomacs non vides est de 48,1% pour les requins tigre et de 57,7% pour les requins bouledogue,
ce qui signifie que quasiment un estomac sur deux est vide quelle que soit l’espèce. La principale
raison est liée à la capture des individus, pendant laquelle les requins dévaginent leur estomac pour
tenter de se libérer de l’hameçon. Ainsi, il est difficile d’identifier le nombre d’estomacs réellement
vides, du fait d’une véritable absence de nourriture dans l’estomac avant la capture. Ceci est un
facteur important à considérer car une hypothèse qui pourrait expliquer la motivation des attaques
est le stress alimentaire, conséquent à une ressource peu abondante. Chez les deux espèces, la masse
des contenus stomacaux est peu élevée et extrêmement variable d’un individu à l’autre. Ceci est dû à
la taille des proies ingurgitées et à leur état de digestion. Compte tenu de l’état global de digestion
des proies retrouvées dans les estomacs, l’identification des proies et par conséquent l’estimation du
bol alimentaire réel (masse reconstituée des proies) ont été très difficiles à réaliser. Comme pour la
masse des contenus stomacaux, le nombre moyen de proies retrouvées par estomac est plus élevé
chez le requin tigre, mais plus variable chez le requin bouledogue. Ces premières données suggèrent
une plus grande variabilité entre individus dans le profil d’alimentation des requins bouledogue que
dans celui des requins tigre. Cette variabilité ne semble pas directement liée à la taille des individus.
La petite taille des contenus stomacaux et la grande variabilité dans la taille des proies retrouvées
sont deux caractéristiques compatibles avec une ressource peu abondante et non agrégée, qui oblige
les requins à exploiter une grande diversité de proies de façon opportuniste, afin d’avoir des apports
nutritionnels suffisants. A ce stade de l’étude et en l’absence de connaissances sur la structure des
communautés de poissons et autres organismes de la faune fourrage des requins autour de l’île, il est
prématuré de conclure définitivement sur la limitation des ressources.
La qualification et la quantification des restes alimentaires retrouvés chez les individus des deux
espèces nous permettent d’avoir un éclairage nouveau sur leurs mœurs alimentaires. Sur la figure 36
77
sont présentées de façon synthétique les principales composantes de l’alimentation des requins tigre
et bouledogue.
a)
N=118 éléments
b)
N=53 éléments
Figure 36. Importance numérique (%) des différentes catégories de proies et éléments exogènes
retrouvés dans les estomacs (a) des requins tigre (n=26) et (b) bouledogue (n=15).
Chez les deux espèces, les poissons téléostéens sont les proies les plus abondantes et les plus
fréquemment retrouvées (> 90% des estomacs contiennent du poisson chez les deux espèces), et les
céphalopodes les principales autres proies. Le régime alimentaire des requins tigre est beaucoup plus
diversifié que celui des requins bouledogue, bien que de nombreuses catégories de proies soient
rares (faible occurrence et faible nombre). Les requins bouledogue seraient spécialisés sur les
poissons téléostéens et consommeraient de façon secondaire des céphalopodes et des
élasmobranches (en nombre). Les proies secondaires des requins tigre sont plus diversifiées et
intègrent des organismes pélagiques et benthiques, ainsi que des animaux d’origine terrestre (chien,
tangue, poulet) en proportion non négligeable (6% des proies). Cette diversité de proies dans le
régime alimentaire des requins tigre est en accord avec la littérature scientifique, qui décrit l’espèce
comme un prédateur opportuniste et à tendance charognard. Il est à noter une abondance de
céphalopodes plus importante à La Réunion que sur d’autres sites d’études (Australie, Hawaii,
Floride). Ceci est certainement en lien avec la composition des communautés de proies présentes
autour de l’île. Cette observation est étayée par les taux de cadmium élevés dans les tissus des
requins tigre qui pourraient s’expliquer par une consommation importante de céphalopodes. En effet
les céphalopodes sont connus pour être des vecteurs de transfert de cadmium vers les niveaux
supérieurs des réseaux trophiques. Chez les requins bouledogue, les concentrations de cadmium sont
plus faibles et sont en accord avec les résultats des contenus stomacaux qui révèlent une
consommation moins importante de céphalopodes. Des restes de tortues ont été retrouvés dans trois
estomacs de requin tigre uniquement. La dentition particulière de cette espèce est adaptée pour
découper les carapaces des tortues, alors que ce n’est pas le cas chez les requins bouledogue, qui
sont néanmoins en capacité d’ingurgiter des tortues de petites tailles en entier. Bien que le nombre
78
d’estomacs soit encore limité, l’absence de tortues dans les estomacs de requin bouledogue ne
soutient pas, pour le moment, l’hypothèse avancée par certains usagers de la mer d’une
recrudescence de ces derniers près des côtes due à une augmentation significative des tortues dans
les eaux côtières de La Réunion. Enfin chez les deux espèces, des éléments exogènes tels que des
sacs et débris plastiques, des fils de pêche et des hameçons ont été retrouvés dans les estomacs (4%
et 6%, respectivement). La présence de ce matériel exogène indique que les eaux côtières de La
Réunion sont soumises à des apports terrigènes a minima. Ce n’est pas surprenant en soit, mais cela
souligne la nécessité de sensibiliser la population réunionnaise pour limiter ces apports, car ils
pourraient constituer des sources d’attraction pour les requins en milieu côtier.
Les poissons étant les proies principales des requins tigre et bouledogue, la figure 37 présente les
proportions numériques (%) des différentes familles de poissons retrouvées dans les estomacs des
individus des deux espèces.
a)
b)
Figure 37. Importance numérique (%) des différentes familles de poissons téléostéens
retrouvées dans les estomacs des requins tigre (a) et bouledogue (b). * : poissons suspectés
d’être des appâts ou des rejets en mer provenant des pêcheurs.
Le premier résultat qui émerge est le nombre important de restes de poisson non identifiés du fait
de leur état de digestion avancé et de l’absence d’éléments caractéristiques (otolithes, caudales, …).
Certains poissons retrouvés dans les estomacs sont suspectés d’être les appâts utilisés sur les engins
de pêche spécifiques aux [« drumlines » de la baie de St Paul (Chanidae), palangres verticales ou de
fond (Coryphaena, Scombridae, Istiophoridae)] ou des rejets de déchets provenant d’autres
pêcheries (petits palangriers aux grands pélagiques ou bateaux de pêche artisanale). En effet, pour
ces dernières familles, des têtes décharnées, des morceaux de poissons découpés au couteau ou des
colonnes vertébrales (dont les filets de chair ont été prélevés) ont été retrouvés. Si l'on se focalise
uniquement sur les autres familles, on constate qu’il s’agit principalement de poissons vivant en
milieu côtier (pentes externes des récifs coralliens, fonds rocheux et abords du plateau insulaire ou
sec). De plus, les identifications plus fines réalisées sur certaines proies confirment cette
observation, en particulier pour les Carangidae chez qui des pêches cavales (Selar
crumenophtalmus) et des carangues (Caranx sexifaciatus, Caranx ignobilis, et Caranx sp.) ont pu
être identifiés. De même des poissons de la famille des Holocentridae (Myripristis sp. et
Sargocentron sp.) ont été aussi identifiés. Globalement, les requins tigre semblent s’alimenter sur
des espèces de faible intérêt commercial comme les diodons (Diodon sp.), les poissons trompette
79
(Fistularia sp.), les poissons coffre (Lactoria formasini, Tetraodontidae). Chez les requins
bouledogue, les rougets (Mullidae) constituent la première famille de poissons identifiée et non
utilisée comme appât. Ces poissons sont benthiques, ce qui suggère que les requins bouledogue
pourraient s’alimenter à proximité du fond. Cette hypothèse est renforcée par la présence
d’octopodes dans les restes alimentaires, bien que l’absence d’identification précise des espèces
laisse un doute quant à leur mode de vie (benthique ou pélagique).
N
Cadmium (mg.kg-1)
Mercure (mg.kg-1)
Plomb (mg.kg-1)
m ± e.s.
%
m ± e.s.
%
m ± e.s.
%
C. leucas
18
4,84 ± 2,07
27
2,30 ± 0,32
73
1,95 ± 0,49
67
G. cuvier
21
11,52 ± 2,51
33
1,16 ± 0,38
33
2,85 ± 0,79
61
Tableau XI. Nombre de requins tigre et bouledogue (N) pour lesquels des mesures de cadmium,
mercure et plomb ont été réalisées dans la chair. Les valeurs indiquées sont les moyennes et
erreur standard (m ± e.s ), ainsi que le pourcentage d’individus dépassant les seuils
-1
-1
-1
réglementaires (Hg : 1 mg.kg , Ca : 0,2 mg.kg , Pb : 0,5 mg.kg ) pour la consommation
humaine (%).
Les taux de cadmium, de mercure et de plomb mesurés dans les tissus des deux espèces de requin
sont en moyenne supérieurs aux seuils préconisés pour la consommation humaine (Tableau XI). Ces
valeurs élevées sont en accord pour le mercure avec les analyses réalisées par les services de l’Etat,
de façon indépendante. Il existe cependant une grande variabilité interspécifique dans les
pourcentages d’individus dépassant les seuils selon l’élément trace considéré. Seuls les taux de
mercure diffèrent significativement entre les deux espèces. Des taux élevés et la variabilité intraspécifique de ces taux sont aussi observés chez d’autres poissons étudiés, y compris chez plusieurs
espèces d’intérêt commercial. Les valeurs et le pourcentage d’individus dépassant les seuils
réglementaires pour la consommation chez les autres espèces ne sont pas indiqués ici, car ce n’est
pas l’objet du programme CHARC et ils ne permettent pas d’établir clairement de relation de type
proies-prédateurs entre les différentes espèces de poissons et les requins.
Les résultats des analyses isotopiques du carbone et de l’azote viennent compléter les
informations obtenues par l’étude des contenus stomacaux. A ce stade de l’étude, toutes les familles
de proies identifiées dans les contenus stomacaux n’ont pas pu être récoltées pour les mesures de
rapports isotopiques, ce qui limite les analyses. Ainsi, pour le moment, il n’est pas possible de
produire des modèles de mélanges isotopiques qui rendent réellement compte des contributions
relatives des différentes proies au régime alimentaire des requins. En revanche, les données
isotopiques récoltées sur les requins permettent d’apporter un certain nombre d’informations qui
sont présentées ci-dessous.
80
Localisation de sites d’alimentation préférentiels le long de la côte Ouest de La Réunion liés aux
conditions morphologiques et hydrologiques (passes récifales, baies, caps, …)
Le plan d’échantillonnage a été étendu à l’ensemble de la côte Ouest. L’étude à fine échelle
spatiale des micro-habitats et des caractéristiques géomorphologiques comme les passes, les baies,
les embouchures de ravine n’a donc pas pu être réalisée. Les résultats de l’étude de la matière
organique particulaire de la colonne d’eau et des sédiments n’a pas mis en évidence de gradients
côte-large significatifs sur les six radiales réalisées. Pour les deux saisons d’étude, les stations de
Saint-Pierre se distinguent des autres stations par des valeurs de carbone isotopique de la matière
organique particulaire légèrement plus faibles (différences significatives avec Saint-Leu et TroisBassins). Pour les valeurs d’azote, aucune différence n’est observée entre les stations, quelle que soit
la saison. Ainsi, globalement, les eaux côtières du littoral Ouest sont homogènes, d’un point de vue
des valeurs isotopiques du carbone et de l’azote de la matière organique particulaire, et ceci traduit
vraisemblablement la forte influence des eaux océaniques sur la composition des eaux côtières de
surface.
Concernant les sédiments, les valeurs isotopiques du carbone et de l’azote de la matière
organique sont également homogènes sur le littoral Ouest, à une exception près. En effet, quelle que
soit la saison et l’élément considérés, le site de Saint-Paul se distingue des autres par des valeurs
plus faibles en carbone et en azote. Ces valeurs pourraient traduire des apports de matière organique
depuis l’étang de Saint-Paul. Cependant, en l’absence de mesures isotopiques de la matière
organique de l’étang, il est difficile de conclure sur ce point. A l’opposé, les stations de TroisBassins, de Saint-Pierre et dans une moindre mesure d’Etang-Salé montrent les valeurs d’azote les
plus élevées dans la matière organique sédimentaire et ceci suggère, à première vue, des
enrichissements en matière organique d’origine terrigène ou récifal, ce qui n’est pas extrêmement
surprenant à Trois-Bassins, puisque les prélèvements ont été réalisés dans l’axe de la passe et de la
ravine des Trois-Bassins. Sur les deux autres sites, les connaissances actuelles ne permettent pas de
conclure sur les facteurs sous-jacents responsables de cet enrichissement en azote, mais il n’est pas
exclu qu’il traduise des flux importants de matière organique depuis le littoral, pouvant s’apparenter
à de la pollution liée aux activités humaines.
Les éléments traces permettent de distinguer les environnements de sable corallien et de sable
volcanique, et aussi d’identifier des stations présentant des concentrations élevées pour certains
éléments (Cu, Pb), certainement signe de pollutions localisées de nature anthropique dont les
origines restent à déterminer. Cet aspect n’est pas détaillé ici puisqu’il n’est pas l’objet du
programme CHARC.
Les éléments caractéristiques des deux types d’environnements sédimentaires ne sont pas
particulièrement marqués chez les requins, ce qui suggère qu’il n’y a pas de préférences fortes des
individus à s'alimenter sur un type d’environnement. Ceci est particulièrement vrai pour les requins
bouledogue qui sont ceux qui s’alimenteraient le plus à la côte et à proximité du fond. En effet, les
81
données isotopiques du carbone et de l’azote mesurées dans les tissus des requins indiquent une
dépendance globale pour des ressources côtières avec une légère ségrégation entre les requins tigre
qui s’alimenteraient principalement dans la colonne d’eau et un peu plus au large, et les requins
bouledogue qui exploiteraient des ressources côtières et d’origine benthique. Ces résultats sont
relativement cohérents avec les informations récoltées à partir des analyses de contenus stomacaux.
Elles sont aussi en accord avec les résultats des détections acoustiques des individus le long des
littoraux réunionnais. De plus, les valeurs isotopiques de l’azote mesurées dans les tissus des requins
et des différents organismes marins (proies potentielles) suggèrent que les individus des deux
espèces ne s’alimentent pas dans les eaux profondes (> 200m).
Patrons de comportements alimentaires : individus résidents ou non dans leurs habitats
d’alimentation et existence de changements d’alimentation saisonniers et/ou ontogénétiques
Les informations nécessaires pour répondre aux objectifs nécessitent un échantillonnage bien
équilibré, à la fois en classe de tailles et en fonction des mois de l’année. Compte tenu de
l’échantillonnage réalisé pendant le programme CHARC sur les requins, il n’est pas possible de
répondre à l’ensemble de ces objectifs de façon précise. En particulier, la très grande majorité des
individus capturés, pour les deux espèces, sont des adultes de tailles très proches. Ainsi l’approche
ontogénétique ne peut être abordée dans ces conditions. En revanche, des éléments peuvent être
apportés sur d’autres aspects présentés ci-dessous.
Les résultats des analyses isotopiques et des mesures de concentrations en éléments traces
suggèrent que les individus des deux espèces étudiées n’exploitent pas de micro-habitats particuliers
pour s’alimenter, mais auraient plutôt tendance à exploiter des ressources peu agrégées le long des
littoraux réunionnais pour les requins bouledogue, et aux abords des talus du plateau insulaire pour
les requins tigre, comme indiqué précédemment. Les individus ne présenteraient donc pas de
comportement résident à fine échelle spatiale; c’est-à-dire qu’ils n’auraient pas de sites
d’alimentation spécifiques et bien délimités.
Les mesures isotopiques réalisées dans les muscles et le sang permettent d’obtenir des
informations sur leur écologie trophique à différentes échelles de temps, du fait de différences de
vitesse de renouvellement protéique entre ces deux tissus. Le sang intègre des informations pendant
quelques mois (~4-6 mois) et les muscles sur plus d’une année (~1-1,5 ans). Bien que
l’échantillonnage ne soit pas très équilibré entre les saisons, il est possible d’avoir des informations
sur d’éventuels changements temporels d’alimentation à partir de l’analyse combinée de ces deux
tissus et de leur variabilité. Les résultats obtenus suggèrent que les requins bouledogue auraient des
temps de résidence plus longs autour de La Réunion que les requins tigre, dont les profils
isotopiques sont plus diversifiés. Ceci peut s’expliquer par une plus grande mobilité entre La
Réunion et d’autres régions pour ces derniers, qui sont connus pour effectuer des déplacements sur
de grandes distances. Ce résultat est renforcé par les données des marquages acoustiques qui ont
82
permis de montrer des mouvements entre La Réunion, Madagascar et l’Afrique du Sud chez les
requins tigre. En revanche, les résultats obtenus pour le moment ne permettent pas de mettre en
évidence de changements saisonniers majeurs d’écologie trophique pour les deux espèces, mais ce
résultat est à considérer avec prudence, puisqu’il n’existe pas non plus de changement marqué dans
les valeurs isotopiques de la matière organique particulaire de la colonne d’eau et des sédiments
entre les deux saisons d’échantillonnage.
Mesure des effets potentiels de la compétition pour la nourriture entre les deux espèces étudiées en
relation avec le sexe et l’âge
Comme indiqué précédemment, l’échantillonnage effectué ne permet pas d’appréhender des
variations d’écologie trophique en relation avec l’âge, quelle que soit l’espèce. L’approche liée au
sexe est aussi limitée car l’échantillonnage n’est pas non plus suffisamment équilibré pour conclure
de façon certaine. Cependant, les premières tendances ne suggèrent pas de différence marquée dans
l’alimentation et la position trophique entre les mâles et les femelles pour les deux espèces.
Le chevauchement alimentaire entre les deux espèces est relativement faible. En effet, il existe
des différences significatives de valeurs de carbone isotopique entre elles, à la fois dans les muscles
et le sang. Ces différences suggèrent l’exploitation de ressources différentes, essentiellement liées
aux milieux dans lesquels les individus des deux espèces s’alimentent. Le calcul de métriques de
Layman pour l’analyse des données isotopiques confirme ce résultat, puisque le chevauchement
entre les ellipses standards sont faibles (5,36% pour les muscles et 13,75% pour le sang). Ces
ellipses correspondent à une représentation de la niche isotopique de l’espèce dans l’espace bi-varié
« carbone-azote ». Ces différences sont renforcées par les données issues du régime alimentaire, qui
diffèrent entre les espèces, comme indiqué plus haut. De plus, ce résultat est également soutenu par
des indices de chevauchement alimentaire, dont les faibles valeurs révèlent 10 à 18% de similitude
dans la composition du régime alimentaire.
Les différences de régime alimentaire et la faible compétition trophique entre les deux espèces
sont renforcées par l’étude des stratégies alimentaires, fondées sur les valeurs isotopiques. Les larges
gammes de valeurs isotopiques mesurées dans le muscle et le sang chez les requins indiquent que les
deux populations sont généralistes, c’est-à-dire qu’elles consomment une large gamme de ressources
alimentaires. Le caractère généraliste d’une population de prédateurs marins en milieu tropical n’est
pas surprenant. De plus, les analyses plus approfondies à l’échelle individuelle suggèrent que la
population généraliste de requins tigre est composée d’individus généralistes, c’est-à-dire les
individus sont inconstants dans leur profil alimentaire. Ces derniers consomment une grande variété
de proies, mais de nombreuses espèces de proies sont exploitées par la majorité des requins tigre. En
revanche, la population généraliste de requins bouledogue serait composée d’individus plus
spécialisés : chaque individu exploite une gamme étroite de ressources, qui est différente de ses
congénères. Ce type de stratégie peut avoir de nombreuses causes fonctionnelles et/ou évolutives.
D’un point de vue général, ces variations alimentaires entre individus d’une même population
83
peuvent s’expliquer par un fort taux de prédation, un faible niveau de compétition interspécifique,
une forte compétition intraspécifique, des ressources peu abondantes ou des variations
phénotypiques et/ou cognitives (héritables ou non) influençant la capacité des individus à détecter,
poursuivre, attraper et/ou digérer une proie. Encore une fois, les données et les connaissances
actuelles sur les écosystèmes marins des abords de La Réunion et les populations de requins ne
permettent pas de conclure précisément sur les causes de cette spécialisation chez les requins
bouledogue. La poursuite des études dans un contexte de réduction programmée de la population par
la pêche pourrait aider à identifier les mécanismes responsables en augmentant la quantité de
données utilisées pour les analyses.
4.2.6 Synthèse et perspectives
Principales conclusions
Cette étude de l’écologie trophique des requins tigre et bouledogue est la première menée à La
Réunion. Les résultats sont donc préliminaires et nécessitent d’être complétés pour avoir une image
globale des mœurs alimentaires des deux espèces qui soit la plus juste possible. Ce travail de
défrichage a permis d’apporter des informations préalables importantes sur les deux espèces
étudiées, mais aussi sur les écosystèmes côtiers du littoral Ouest de La Réunion. Parmi les
informations apportées par l’étude, nous pouvons retenir :
• des régimes alimentaires essentiellement fondés sur le poisson et plus largement des
ressources alimentaires issues, en premier lieu, des milieux côtiers (0-5km au large) pour les
deux espèces de requins;
• une absence d’habitats d’alimentation préférentiels à fine échelle spatiale (1km);
• une ségrégation des ressources exploitées par les deux espèces qui limite la compétition
trophique;
• une exploitation de ressources benthiques et néritiques (vivant sur le fond) pour les requins
bouledogue, pélagiques et plus au large (tombant du plateau insulaire) pour les requins tigre;
• une plus grande diversité de proies pour les requins tigre, incluant une part non négligeable
de matériel d’origine terrestre;
• des populations de requins globalement généralistes dans leur alimentation, mais composées
d’individus généralistes pour la population de requins tigre et d’individus spécialistes pour la
population de requins bouledogue;
• une possible limitation dans les ressources disponibles pour les deux espèces;
• des concentrations globalement supérieures aux seuils préconisés pour la consommation
humaine pour le cadmium, le plomb et le mercure ; mais aussi une forte variabilité entre
individus. Les requins bouledogue concentrent plus le mercure et les requins tigre le
cadmium, dont les valeurs élevées pourraient s’expliquer par une consommation importante
de calmars;
• des temps de résidence relativement longs (>6 mois) dans les écosystèmes côtiers des abords
de La Réunion et plus de variabilité dans ces temps de résidence chez les requins tigre que
les requins bouledogue.
Limites de l’étude
84
Parmi les limites de cette première étude, nous retenons :
• un nombre d’estomacs vides important qui limite les conclusions sur le régime alimentaire;
• une absence de jeunes individus dans l’échantillonnage des requins qui n’a pas permis de
travailler sur les changements ontogénétiques potentiels d’écologie trophique;
• un échantillonnage des proies imparfait qui, d’une part, n’a pas permis de couvrir l’ensemble
des grands groupes taxonomiques de proies et, d’autre part, a mis en évidence l’inadéquation
entre les poissons échantillonnés et ceux retrouvés dans les estomacs des requins;
• un échec dans l’utilisation du soufre isotopique;
• des résultats complexes pour les éléments traces qui ne permettent pas d’identifier clairement
les relations entre les différentes espèces échantillonnées et entre ces dernières et les milieux
sédimentaires.
Perspectives
A court terme, il s’agira :
• de finaliser les analyses des nombreuses données générées par le programme, afin de
consolider les conclusions actuelles;
• de poursuivre l’échantillonnage des requins dans le cadre des dissections qui seront
effectuées dans les mois à venir pour finaliser les études sur les biotoxines marines;
• de poursuivre l’échantillonnage des proies afin qu’il soit le plus exhaustif et équilibré
possible, pour pouvoir estimer les contributions relatives réelles des différentes proies à
l’alimentation des deux espèces.
A plus long terme, il s’agira :
• de coupler les données issues de l’étude de l’écologie trophique avec les données issues des
autres actions du programme CHARC;
• d’échantillonner d’autres habitats autour de l’île et en milieu côtier, comme les étangs
littoraux, les embouchures de rivières pérennes et les environnements récifaux;
• d’estimer la distribution et l’abondance de la faune fourrage (comptages visuels et
acoustiques) autour de l’île pour mieux comprendre les patrons de comportements
alimentaires des deux espèces de requins;
• d’étudier l’effet de la pêche ciblée des requins bouledogue sur les comportements et
stratégies alimentaires de cette espèce;
• d’étudier l’effet de la pêche des requins sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes
côtiers;
• d’étudier l’écologie trophique des autres espèces de requins côtiers présentes à La Réunion
(requins de récif) pour mieux comprendre les interactions avec les requins bouledogue et
tigre.
85
86
CHAPITRE 5
CARACTERISTIQUES DE L'HABITAT DU
REQUIN BOULEDOGUE A LA REUNION
87
Introduction
La caractérisation de l'habitat nécessite des mesures des paramètres écologiques (concentration et
type des proies, densité des congénères ou d’individus d’autres espèces) qui peuvent modifier
occasionnellement, périodiquement ou durablement le comportement des individus de ces populations.
En effet, dans leur habitat naturel, les individus d'une espèce peuvent sélectionner des habitats
spécifiques pour une fonction particulière nécessaire à leur survie (reproduction, alimentation,
protection). Ces sites particuliers présentent des caractéristiques physiques et écologiques relativement
homogènes, qui diffèrent de leur environnement immédiat et qui permettent à l’espèce considérée
d'effectuer son cycle biologique complet. Les modifications anthropiques du paysage (le
développement côtier et marin) peuvent également modifier, endommager ou détruire ces habitats et
par là même induire des modifications comportementales ou la recherche de sites plus propices à la
survie des individus (Stevens et al. 2000). Ces changements peuvent contraindre les espèces
concernées, soit à modifier leur régime alimentaire, soit à vivre dans des habitats de substitution où leur
fitness (aptitude) n’est pas optimal, soit à disparaître.
Nous avons montré que la variabilité des présences des requins bouledogues sur les côtes
réunionnaises pouvait s'expliquer, pour partie, par trois phénomènes majeurs : (1) leur capacité à migrer
hors de l'île en milieu pélagique océanique et sans doute à interagir avec les populations de requins de
la zone sud-ouest de l'océan Indien, (2) leurs comportements de reproduction qui les conduiraient à
s'agréger saisonnièrement pour s'accoupler sur des sites particuliers et (3) leurs activités exploratoires
de recherche de nourriture, rythmées selon un cycle jour-nuit et les conduisant à alterner des périodes
au large des côtes et proches du littoral au cours de la journée.
Il s'agit dans ce chapitre de tenter d'expliquer la variabilité des présences des requins bouledogue
par les facteurs environnementaux susceptibles d'influer sur la présence (irrégulière au cours du temps)
et sur la répartition spatiale (hétérogène) de ces requins à la côte. Dans un premier temps, les
paramètres abiotiques (turbidité de surface et de fonds 3, salinité, éclairement, charge en matière
organique, température, courants, houlographie, etc..) et biotiques (concentration et type des proies, des
congénères ou d’individus d’autres espèces) ont été mesurés sur le site d'étude à La Réunion entre 2012
et 2014. L'ensemble de ces données, les méthodes de recueil et les résultats des analyses effectuées sur
ces données sont présentés séparément dans le chapitre 6. Nous présenterons, dans les sections
suivantes, (1) une analyse sur la discrimination des différents habitats de la zone d’étude en fonction de
certains paramètres du milieu, (2) une première analyse exploratoire sur les variables
environnementales déterminantes à petite échelle spatio-temporelle (pas de temps journalier) et leur
lien potentiel avec la présence de requins marqués, (3) une analyse statistique plus approfondie à plus
large échelle (maillage CHARC et à l'échelle de la semaine) qui a été effectuée à partir de la base de
données, pour mettre en relation les conditions environnementales (biotiques et abiotiques) avec la
dynamique spatiale des requins.
3
La turbidité de surface est détectée par imagerie satellitaire SPOT5 (Annexe p. 93-107), la turbidité de fonds est
mesurée par des sondes mulultiparametriques (Annexe p. 54-69),
88
5.1 Caractéristiques de l'habitat en fonction des conditions environnementales
Nous avons tout d'abord classé les stations à partir d'une analyse en composantes principales (ACP)
selon les variables spatiales, calculées autour de chaque station dans un rayon de 400 mètres. Ces
variables spatiales sont : la profondeur moyenne, la profondeur maximale, la profondeur minimale,
l’écart-type de la profondeur, la nature du substrat (six variables différentes), la distance à la côte, la
distance à la ravine la plus proche et la distance à la zone urbanisée la plus proche.
Le premier plan factoriel de l’ACP exprime 52% de la variabilité des données (figure 38). Les
variables « distance aux ravines » et « profondeur minimale » sont fortement corrélées au premier axe
factoriel, ainsi que « distance à la côte ». Ce premier axe traduit donc un éloignement de la côte vers
des fonds plus profonds. Le second axe est corrélé positivement avec le pourcentage de roches et
négativement avec la profondeur maximale et l’écart-type de la profondeur.
Figure 38 : Représentation graphique des variables
environnementales sur le premier plan factoriel de l’ACP, et
graphe des valeurs propres (en vignette).
Une classification hiérarchique a ensuite été appliquée aux résultats de cette ACP et a permis de
discriminer les stations d’écoute en deux groupes principaux et cinq groupes « satellites » (figure 39).
Les stations du groupe « 1 – violet » se distinguent des stations du groupe « 3 – vert » par la nature de
leurs fonds marins plus rocheux (confirmé par la projection sur les axes 1-3, non représentée ici).
Le groupe 3 (vert) est composé de stations qui ont une proportion plus importante de sables
volcaniques et mixtes (volcaniques et biodétritiques) et de zones de transit, qui sont des zones
perturbées par des structures transverses régulièrement espacées interprétées comme des dunes
sédimentaires. Les zones de transit les plus remarquables sont observées dans les secteurs les plus
escarpés et dans le prolongement des grandes rivières. Localement ces incisions de la pente sont
prolongées en amont dans le domaine côtier par des chenaux peu marqués. Projetés sur une carte de La
Réunion (figure 40), les deux groupes principaux ne présentent pas d’unité géographique spécifique
89
mais montrent une répartition alternée des composantes sableuses et rocheuses tout le long du littoral
Ouest de l’île.
Axes 1 - 2
Sec Saint-Paul
4
AigrSurf
BoucanCM
BRBoucan
Site St-Gilles
Site Ermitage Trois-Bassins
Pointe des châteaux
Saint-Leu Nord
Pointe au sel Sud
Site Etang-Salé
Site Saint-Pierre
Sainte-Rose
Stations loin
de la côte
Sainte-Marie
Site Baie Saint-Paul
Cap La Houssaye
Saint-Leu centre et Sud
Souf f leur
Pointe aux Oiseaux
Golf Etang-Salé
EtduGol
Houlographe
PTSELSUD
Fond le + profond (~200m)
Figure 39 : Représentation graphique des stations sur le premier plan factoriel
de l’ACP, et regroupement selon une classification hiérarchique appliquée aux
résultats de l’ACP.
Figure 40 : Représentation cartographique des regroupements des
stations selon la classification hiérarchique appliquée aux
résultats de l’ACP. Les couleurs figurées font référence à celles
des classes de la figure 39.
90
5.2 Variables environnementales déterminantes et études de cas spécifiques
5.2.1 Approche exploratoire générale
Une première approche exploratoire très générale a été effectuée en croisant les taux de détection
des requins bouledogue et les principales variables environnementales retenues : la houle, la turbidité,
les précipitations et la qualité de l’eau. Cette analyse globale ne permet pas de dégager de tendance
nette à ce niveau d’échelle (figures 41 et 42).
Figure 41. Taux de détection en requins bouledogue en fonction des saisons, de la hauteur
et périodicité de la houle, de la moyenne et écart-type de la turbidité, de la CPUE totale et
des précipitations moyennes et minimales.
Figure 42. Taux de détection en requins bouledogue en fonction des
paramètres de qualité de l’eau.
91
Il convient donc d’affiner cette approche, tant d’un point de vue spatial (cf. analyse précédente sur la
discrimination des habitats) que d’un point de vue temporel (cf. analyses en périodes d’été, d’hiver
austral et de phases de transition).
Il apparait ainsi que la distinction entre les sites rocheux peu profonds et les sites sableux, avec
zones de transit, recoupe en partie les classifications que nous avons établies au cours de cette étude.
Elle rend compte des patterns observés sur les différents sites, tant dans l'occupation saisonnière que
journalière des requins bouledogue. A titre d’exemple, les zones de sables volcaniques et mixtes,
comme les sites de Saint-Paul et Sainte-Marie, sont celles occupées préférentiellement par les requins
bouledogue au cours de l'été austral. De même, les sites qui semblent correspondre aux zones de chasse
(cf. sites où l'on trouve les patterns de changement d'activités et de migrations verticales dans la
colonne d'eau les plus marquées), sont à une exception près, les sites sableux et sites les plus profonds.
Mais il est difficile à ce stade de généraliser ces premiers résultats.
5.2.2 Etude de cas spécifiques
A. Etude de la turbidité de surface en relation avec la présence des requins bouledogue à la côte
Le matériel et les méthodes utilisés pour collecter les données environnementales dans le cadre
du programme CHARC sont décrits en annexe (pages 56). Ces données ont été enregistrées sur 14
sites entre novembre 2012 et décembre 2013. Elles correspondent à 123071 enregistrements validés
et bancarisés (figure 43) acquis sur des séries temporelles longues (1 à 2 mois) et à haute fréquence
(pas d'acquisition de 15 à 30 min). Elles comportent notamment trois enregistrements spécifiques en
continu sur 3 épisodes cycloniques différents (Dumile, Felleng, Bejisa) entre 2013 et 2014.
Figure 43 : Sites et fréquences des enregistrements journaliers des conditions
environnementales obtenus à partir de sondes multiparamétriques déployées entre
novembre 2012 et décembre 2013 sur la zone d'étude du programme CHARC sur la
côte Sud-Ouest de l'île de La Réunion.
92
Nous avons choisi quatre cas particuliers pour illustrer les relations complexes entre les
variations de turbidité et de salinité et la présence de requins bouledogue à la côte. Ces quatre cas
correspondent à trois sites voisins mais différents (baie de Saint-Paul, Brisants et Roches-Noires)
et à trois conditions climatiques différentes (cyclonique, été et hiver austral). Sur ces quatre cas,
les relations, entre le nombre de détections de requins bouledogue marqués et les mesures de
turbidité ou de salinité enregistrés simultanément, ont été analysées.
Cas 1. Conditions cycloniques (Dumile) en baie de Saint-Paul
Dans ce cas, les graphes (figures 44, 45 et 46) indiquent bien une présence de requins bouledogue
à la côte sur le site de la baie de Saint-Paul en lien avec les perturbations climatiques dues au
passage du cyclone Dumile. Il est néanmoins difficile de préciser quels facteurs prépondérants sont
responsables de ces modifications de présence. En effet, le lien avec une augmentation de turbidité
associée à cette perturbation est plausible essentiellement parce que la salinité, l'autre facteur mesuré
simultanément, augmente également lors de l'épisode pluvieux précédent du 19 et 20 décembre 2012
mais sans modification de la présence des requins (figure 45). Mais la preuve n'est pas vraiment
établie par cette démarche déductive.
Figure 44 Conditions climatiques dans la baie de Saint-Paul
(vent, houle et précipitations) au cours du passage du cyclone
Dumile à La Réunion le 3 janvier 2013.
300
37.5
Turbidite
37
Salinité
250
36
150
35.5
Salinité ‰
Turbidité (NTU)
36.5
200
100
35
50
34.5
0
18/12/2012
34
23/12/2012
28/12/2012
02/01/2013
07/01/2013
12/01/2013
17/01/2013
Jour
Figure 45. Evolution de la turbidité et de la salinité dans la baie de Saint-Paul
à la période du passage du cyclone Dumile entre le 2 et le 8 janvier 2013. La
turbidité est mesurée en NTU pour "Nephelometric Turbidity Unit" qui est
corrélée à la concentration en matières en suspension (MES).
93
Nous voyons également sur ce graphe que l'augmentation du nombre de détections de requins
bouledogue le 2 janvier apparaît au début de l'épisode de forte houle et avant les augmentations de
turbidité et de salinité et ce nombre plus important de détections perdurent jusqu'au 7 janvier 2013
alors que l'épisode de forte houle est terminé (figure 46).
600
Somme des détections de requin Bouledogue enregistrées par jour sur le site de la Baie de Saint-Paul
Somme des détections par jour
500
400
300
200
100
0
18/12/2012
23/12/2012
28/12/2012
02/01/2013
07/01/2013
12/01/2013
17/01/2013
Jour
Figure 46. Evolution du nombre de détections journalières enregistrées dans
la baie de Saint-Paul au cours de la période du passage du cyclone Dumile
entre le 2 et le 8 janvier 2013.
Cette situation, où l'on observe des effets indirects ou décalés, des perturbations climatiques sur
la présence des requins bouledogue à la côte et qui, par conséquent, rend les analyses statistiques
délicates, se retrouvent dans les autres cas particuliers exposés ci-dessous. Le suivi des conditions
climatiques sur le site des Brisants (face au port de Saint-Gilles) au cours des deux épisodes
cycloniques successifs début 2013 (figure 47), montre un effet de ces conditions sur la présence des
requins mais cet effet est difficile à démontrer car il n'est pas exactement simultané aux variations
mesurées du nombre de détections enregistrées de requins bouledogue. C'est aussi le cas pour les
conditions climatiques et de présence des requins bouledogue sur le site de Roches-Noires (sortie du
port Saint-Gilles) en période de transition été-hiver (figure 48) et d'hiver austral (figure 49). Si l'on
considère que l'apparition sur ces sites des requins bouledogue marqués après une période d'absence
peut correspondre à une attractivité plus importante de ces sites au moment des modifications des
conditions environnementales mesurées et notamment de la turbidité, ces modifications
environnementales induiraient :
- 1) une réponse différée en mars 2013 puisque l'augmentation du nombre de détections apparait
1 à 2 jours après les modifications de turbidité de fond mesurée (figure 48),
- 2) une réponse anticipée en juin 2013 puisque l'augmentation du nombre de détections apparait
1 à 2 jours avant les modifications de salinité et de température de fond mesurées (figure 49).
94
Cas 2. Conditions cycloniques (Dumile et Felleng) aux Brisants (Zone du Port de Saint-Gilles)
A
20
35.5
Turbidité (NTU)
18
Cyclone Felleng
Salinité
35.0
16
34.5
14
34.0
12
33.5
10
33.0
8
32.5
6
32.0
4
31.5
2
31.0
0
27/11/2012
B
Turbidite
Salinité ‰
Cyclone Dumile
30.5
07/12/2012
17/12/2012
27/12/2012
06/01/2013
16/01/2013
26/01/2013
05/02/2013
15/02/2013
Jour
250
C
Somme des détections de requin Bouledogue enregistrées par jour sur le site de la Baie de Saint-Paul
Cyclone Felleng
Cyclone Dumile
Somme des détections par jour
200
150
100
50
0
27/11/2012
07/12/2012
17/12/2012
27/12/2012
06/01/2013
16/01/2013
26/01/2013
05/02/2013
15/02/2013
Jour
Figure 47. (A) Conditions climatiques dans la baie de Saint-Paul (vent, houle et précipitations) au cours
du passage du cyclone Dumile et Felleng à La Réunion le 3 janvier et le 2 février 2013. (B) Evolution de
la turbidité et de la salinité dans la baie de Saint-Paul entre le 3 décembre 2012 et le 8 février 2013 (la
turbidité est mesurée en NTU pour "Nephelometric Turbidity Unit" qui est corrélé à la concentration en
matières en suspension (MES)). (C) Evolution du nombre de détections journalières enregistrées dans la
baie de Saint-Paul au cours de la même période.
95
Cas 3. Conditions "standard" au cours de la période de transition été-hiver en mars 2013 aux
Roches-Noires (sortie du port de Saint-Gilles)
A
350
35.4
B
Turbidite
Salinité
300
35.2
35.0
Turbidité (NTU)
34.6
200
34.4
34.2
150
Salinité ‰
34.8
250
34.0
100
33.8
33.6
50
33.4
0
28/02/13
33.2
10/03/13
20/03/13
30/03/13
09/04/13
19/04/13
Jour
C
Somme des détections de requin Bouledogue enregistrées par jour sur le site des Roches-Noires
Somme des détections par jour
500
400
300
200
100
0
28/02/13
10/03/13
20/03/13
30/03/13
09/04/13
19/04/13
Jour
Figure 48. (A) Conditions climatiques aux Roches-Noires à la sortie du port de Saint-Gilles (vent, houle
et précipitations) entre le 1er mars et le 23 avril. (B) Evolution de la turbidité et de la salinité sur le même
site au cours de la même période (la turbidité est mesurée en NTU pour "Nephelometric Turbidity Unit"
qui est corrélée à la concentration en matières en suspension (MES). (C) Evolution du nombre de
détections journalières enregistrées sur le même site au cours de la même période.
96
Cas 4. Conditions "standard" au cours de la période d'hiver en juin 2013 aux Roches-Noires
(sortie du port de Saint-Gilles)
A
36.0
27
Température
B
Salinité
35.5
26
34.5
25
34.0
Salinité ‰
Température (°C)
35.0
26
25
33.5
24
33.0
32.5
24
10/6/13 0:00
15/6/13 0:00
20/6/13 0:00
25/6/13 0:00
30/6/13 0:00
Jour
250
Somme des détections de requin Bouledogue enregistrées par jour sur le site des Roches-Noires
C
Somme des détections par jour
200
150
100
50
0
10/6/13 0:00
15/6/13 0:00
20/6/13 0:00
25/6/13 0:00
30/6/13 0:00
Jour
Figure 49. (A) Conditions climatiques aux Roches-Noires à la sortie du port de Saint-Gilles (vent,
houle et précipitations) entre le 10 juin et le 2 juillet 2013. (B) Evolution de la température et de la
salinité sur le même site au cours de la même période. (C) Evolution du nombre de détections
journalières enregistrées sur le même site au cours de la même période.
A partir de cette analyse succincte, deux points importants sont à notre avis à retenir pour
comprendre les résultats exposés et les interactions entre l'animal et son milieu : (1)
l'échantillonnage, tant du nombre de requins (marqués) que des facteurs environnementaux mesurés
peut être insuffisant pour rendre compte des réponses immédiates et exactes de l'animal à son
97
environnement; (2) les variations des paramètres environnementaux et les amplitudes de ces
variations semblent plus importantes que la valeur propre de la variable étudiée (dans une gamme ne
dépassant pas les capacités vitales de l'animal évidemment); (3) un animal n'établit pas ses choix
d'occupation de sites selon un seul critère mais réagit à un faisceau de facteurs qui plus est, peuvent
ne pas varier dans le même sens et en même temps et avoir un effet opposé.
B. Etude de la présence des tortues vertes en relation avec la présence des requins bouledogue à
la côte.
Les données concernant la présence des tortues ont été collectées au cours de survols aériens
réalisés en ULM (Ultra Léger Motorisé) en appliquant le protocole mis en œuvre depuis 1998 sur
le littoral Ouest de La Réunion par Kélonia (cf. Annexe pages 7-22). Au total, 41 survols ont été
effectués entre le 4 septembre 2012 et 3 septembre 2013. L’ensemble des survols a permis de
comptabiliser 4809 observations dont 1943 tortues marines et des activités nautiques pendant
toute la durée du suivi et sur l’ensemble du zonage. Les premières analyses montrent que les
tortues marines sont présentes sur tout le littoral survolé avec une prédominance sur les zones
récifales ou de fond rocheux (cf carte page 14 en Annexe). Ces zones constituent des habitats de
développement et d'alimentation favorables aux tortues marines juvéniles ou sub-adultes qui y
trouvent à la fois des abris et des ressources alimentaires. Les activités non motorisées (surf,
kayak, PMT, chasse, paddle) sont localisées au niveau des zones côtières de la ravine de Trois
Bassins, du centre-ville de St Leu, et du port de St Pierre. Les activités motorisées (divers bateaux
- pêche, plaisance, plongée, croisiéristes et jet ski) sont plus denses au niveau des zones côtières,
et principalement dans la région de St Gilles et Boucan. Ces deux zones sont des sites
généralement très fréquentés par les clubs de plongée sous-marine ainsi que par les croisiéristes.
Au cours de cette première analyse, aucune relation n'a été mise en évidence entre les tortues
marines et les activités nautiques, ni avec la présence de cétacés ou requins marteau. L'objectif est
de chercher s'il existe une relation entre la présence des tortues comptées par cette méthode et les
requins bouledogue marqués et détectés sur l'ensemble du réseau de stations déployées sur cette
même zone survolée par ULM. Pour cela, nous avons tout d'abord assigné à chaque mesure de
densité de tortues, calculée par maille d'environ 0,5 km² (1,7 km de long sur 300 m de large en
moyenne) entre Le Port et Saint-Pierre et pour chaque jour de survol (soit 2215 mesures), le
nombre de détections de requins bouledogue enregistrées sur chaque maille, le même jour, par la
station d'écoute située dans la même maille ou par la station d'écoute la plus proche.
Nous avons ensuite cherché s'il existait une relation entre les requins bouledogue et les tortues
c'est-à-dire si les valeurs de densités de tortues sont déterminées par les valeurs de détections de
requins bouledogue, aux erreurs de mesure près. En absence de relation nous pourrons considérer
que les valeurs d'une variable ne sont pas affectées par les valeurs prises par l'autre variable.
Autrement dit, quel que soit le nombre de détections de requins bouledogue, la distribution des
densités de tortues présentes autour de chaque valeur de détections de requin sera la même.
98
En excluant les cas où il n'y a pas eu de détections ni de requins, ni de tortues, sur le même site
pour éliminer le grand nombre de valeur nulle dans la base de données, nous pouvons établir un
graphique à partir de 1063 observations avec en ordonnée la variable à prédire (densité estimée
en tortue) qui varie entre 0 et 105 indiv/km², et en abscisse, la variable x, prédictive (nombre de
détections de requins bouledogue) qui varie entre 0 et 348. Pour mieux visualiser nous avons
transformé cette valeur par la fonction logarithmique suivante X=log10(x+1). S'il n'y a pas de
relation, les points formeront un nuage homogène. Le résultat est indiqué dans la figure 50.
Nous voyons que la distribution des valeurs de densité de tortues n'est pas la même autour des
valeurs de détections de requins bouledogue. La relation n'est pas linéaire pour autant mais il y a
une tendance qui se dessine: les plus fortes densités de tortues s'observent lorsqu'il n'y a aucune
détection de requins. Inversement, les tortues sont davantage absentes (densité nulle) lorsque le
nombre de détections de requins bouledogue est important. L'interprétation de ce résultat est que
les tortues semblent éviter la présence des requins bouledogue mais que les requins ne sont pas
davantage présents lorsque la densité des tortues est forte et donc qu'ils ne rechercheraient pas
systématiquement ou ne seraient pas attirer par les zones de fortes densités en tortues.
100
Densité de tortues (nb/km²)
85
70
55
40
25
10
0
-5
-0.1 0
0.4
0.9
1.4
1.9
2.4
Nombre de détections de requins bouledogue Log10(x+1)
Figure 50. Distribution des densités en tortues mesurées par maille de 2 km de long,
sur l'ensemble de la zone d'étude entre Le Port et Saint-Pierre, au cours de 42 survols
en ULM effectués de septembre 2012 à septembre 2013, en fonction du nombre de
détections acoustiques de requins bouledogue enregistrées par les stations d'écoute sur
chaque maille de la même zone au cours des mêmes journées d'observations des
tortues.
Pour confirmer cette hypothèse nous avons regardé l'évolution de ces deux variables, selon le
maillage de la zone d'étude (27 mailles d'environ 2 km de long qui s'étendent du nord au sud) en
cumulant l'ensemble des données obtenues au cours des 42 vols (figure 51). Le graphe montre
99
une distribution hétérogène des requins et des tortues le long de la côte avec effectivement des
sites préférentiels des tortues où il y a peu de détections de requins (sites 8, 9 et 10 correspondant
à la zone de l'Ermitage et de la Saline) et des sites préférentiels de requins bouledogue où les
tortues sont soit absentes (sites 21 et 22 correspondant à l'Etang du Gol) soit présentes (sites 7
correspondant à la zone du port de Saint-Gilles).
Densité de tortues marines
Somme des détections de requin bouledogue (ss Solène)
350
300
50
250
40
200
30
150
20
100
10
50
0
Nombre de détections acoustiques requin
bouledogue
Densité de tortues (nb/km²)
60
0
1 1 2 2 3 3 3 4 4 5 5 6 6 6 7 7 8 9 9 10101111121212131314141415151616171717181819191920202121212222232324242425252626262727
Sites d'étude du Nord au Sud de la zone prospectée
Figure 51. Distributions des densités en tortues mesurées par maille de 2 km de long, sur
l'ensemble de la zone d'étude entre Le Port et Saint-Pierre, au cours de 42 survols en
ULM effectués de septembre 2012 à septembre 2013, et des détections acoustiques de
requins bouledogue enregistrées par les stations d'écoute sur chaque maille de la même
zone.
Cette ségrégation spatiale des tortues a également été observée lors des suivis individuels des
jeunes tortues vertes par radio-télémétrie (cf. Annexe pages 24-39). Le suivi de douze individus
juvéniles pendant environ 130 jours a montré que cette espèce faisait preuve d’une forte fidélité
spatiale à des sites fréquentés de manière préférentielle. De plus, il semble que de jour, les tortues
vertes juvéniles fréquentent régulièrement des zones d’alimentation à substrat dur alors que la
nuit, les tortues vertes juvéniles fréquentent préférentiellement les sillons rocheux près de la zone
de déferlement où des cavités rocheuses (grottes) serviraient probablement d’abris. Il n’est pas
rare qu’à proximité des passes, les tortues vertes juvéniles se déplacent en zone d'arrière récif, à
proximité du rivage, sur les patchs d’herbiers de phanérogames marines. Les lits d’herbiers
serviraient très probablement à la fois d’habitat de repos et d’alimentation.
Il est donc possible que l'utilisation préférentielle de l'habitat chez cette espèce puisse être liée,
pour partie, à un comportement alimentaire mais aussi à un comportement anti-prédateur.
Néanmoins, il est difficile à partir de ces observations, tant par "tracking" individuel que par
survol ULM, d'établir un lien de cause à effet entre la présence de tortues et de requins
bouledogue à la côte. Pour savoir si la présence des requins bouledogue est déterminante dans la
distribution des tortues, nous avons mesuré en plus de l'effet de la présence des requins, celui
d'autres facteurs dont on a noté par ailleurs qu'ils pouvaient avoir une influence sur cette
répartition à savoir : la structure du fond (cf. § précédent) et les activités nautiques. Dans le
premier cas nous avons choisis deux paramètres; le pourcentage de roches affleurantes et sub100
affleurantes par maille et celui des sables volcaniques. Pour le second, nous avons inclus, dans le
modèle, la somme de toutes les activités rapportées au cours du comptage des tortues (nombres
de bateaux de plaisance, de plongée, de tourisme, nombres de chasseurs sous-marins, pêcheurs,
jet-ski, kayak et surfeurs). Le modèle statistique obtenu suite à l'analyse de régression multiple
est significatif (p<0.0001) mais il ne permet d'expliquer que 47% de la variance des densités en
tortues observées. Cela veut dire que d'autres facteurs que ceux testés ont certainement un effet
sur la distribution spatiale des tortues. Les variables testées qui contribuent à la prévision de la
densité en tortues sont les caractéristiques édaphiques des fonds marins (% de roches affleurantes
et sub-affleurantes et le pourcentage de sable volcanique (tableau XII). Seules ces deux premières
variables présentent un effet significativement non nul (valeur p<0.01). Le coefficient de
régression du pourcentage de sable volcanique avec la densité de tortues est négatif, ce qui
signifie que moins la composition du sable est volcanique, plus la densité en tortues est
importante. Le coefficient de régression du pourcentage de roches affleurantes avec la densité de
tortues est en revanche positif, ce qui signifie que plus le milieu est composé de roches
affleurantes ou sub-affleurantes, plus la densité en tortue est importante. Ce résultat était attendu
en lien avec ce que l'on savait déjà de l'habitat de ces tortues dans le monde et des observations de
suivi individuel effectuées (cf. Annexe 31 et paragraphe précédent).
Les autres facteurs ne permettent pas de rendre compte de la variabilité des densités des
tortues marines que cela soit les activités nautiques ou la présence des requins bouledogues. Il
reste cependant des analyses plus fines à effectuer pour compléter cette première approche.
Densité de tortues marines
Ord.Orig.
%Roches affleurantes
% de Sable volcanique
Activité nautique
Détections acoustiques de requins bouledogue
Coef de
regression
2.21828
1.17274
-1.15734
0.00138
0.02524
Err-Type
0.241024
0.368227
0.354398
0.002276
0.082164
t
9.20356
3.18483
-3.26567
0.60806
0.30723
p
0.000000
0.002600
0.002067
0.546136
0.760053
Tableau XII. Résultats des tests statistiques effectuées à partir de la construction du modèle de
régression multiple qui rend compte de l'effet de différents facteurs sur la distribution des
densités en tortues mesurées par maille de 2 km de long, sur l'ensemble de la zone d'étude
entre Le Port et Saint-Pierre, au cours de 42 survols en ULM effectués de septembre 2012 à
septembre 2013.
C. Etude de la présence des mammifères marins en relation avec la présence des requins
bouledogue à la côte
Deux espèces de cétacés sont particulièrement côtières autour de l’île de La Réunion, et donc
susceptibles d’interagir plus ou moins directement avec les deux espèces de requins étudiées dans
le cadre du programme CHARC : une espèce résidente, le grand dauphin de l’Indo-Pacifique
101
(Tursiops aduncus – Ehrenberg, 1833) et une espèce saisonnière, la baleine à bosse (Megaptera
novaeangliae – Borowski, 1781). Les données de l'association Globice ont été analysées sur la
période d’octobre 2011 à septembre 2013. Un total de 15822 km a été prospecté, dont 6451 km
(soit 41%) dans la zone d'étude du programme CHARC. Deux cent vingt-quatre observations de
grands dauphins de l’Indo-Pacifique et 562 observations de baleines à bosse ont été relevées. Ces
résultats ont fait l'objet d'un rapport détaillé (cf. Annexe pages 40-53). L’analyse des
cartographies de fréquence d’observation des grand dauphins de l’Indo-Pacifique et de densité de
l’utilisation de l’habitat montre que les grand dauphins de l’Indo-Pacifique ne sont pas
uniformément répartis sur toute la zone d’étude. En effet, quatre zones sont majoritairement
utilisées par cette espèce : il s’agit du « sec » devant le port de Saint Gilles, de la bande côtière
allant de la Pointe des Aigrettes au Cap La Houssaye, de la zone côtière devant Saint Gilles et
l’Ermitage et de la portion côtière située à mi-baie de Saint Paul.
L’analyse des cartographies de fréquence d’observation des grand dauphins de l’IndoPacifique avec pour maillage le zonage CHARC, a permis de montrer le caractère côtier de
l’habitat de cette espèce. Les grand dauphins de l’Indo-Pacifique utilisent autant la partie littorale
que la partie côtière du large du zonage CHARC. Dans la zone ouest, les Tursiops aduncus
fréquentent préférentiellement le zonage CHARC. Cette caractéristique est d’autant plus marquée
pour les groupes accueillant au moins un jeune. Plus généralement, les groupes comportant un ou
plusieurs jeunes avaient des effectifs plus importants et fréquentaient des eaux plus côtières et
moins profondes que les groupes uniquement constitués d’adultes. En phase de repos, les groupes
de grand dauphins ne semblent pas utiliser le zonage CHARC de manière préférentielle, ce qui
résulte en une utilisation équivalente du zonage et de la zone hors zonage.
Durant l’hiver austral, les baleines à bosse ne sont pas uniformément réparties sur toute la
zone d’étude. L’analyse des cartographies de fréquence d’observation des baleines à bosse et de
densité de l’utilisation de l’habitat montre une variation spatio-temporelle de la répartition des
mégaptères en fonction de l’avancée de la saison baleine. En effet, la zone autour de Saint Pierre
est largement fréquentée en début de saison. Cette région est ensuite « délaissée » pour les
secteurs plus au Nord : les baleines fréquentent tout d’abord la zone côtière autour de Saint Gilles
(devant le port et le Cap La Houssaye), puis sont retrouvées davantage au large sur le « sec » de
Saint Gilles. A partir de la mi-saison, en plus du « sec », toute la bande côtière située entre
l’Ermitage et le port de Saint Gilles, mais aussi entre Boucan Canot et la portion sud de la baie de
Saint Paul, ainsi que la zone située au large de l’Ermitage sont majoritairement utilisées. Enfin,
en fin de saison, seuls le « sec » de Saint Gilles au large de Boucan Canot/Pointe des Aigrettes et
le « sec » dans la portion sud de la baie de Saint Paul restent préférentiellement fréquentés par les
mégaptères. L’analyse des cartographies de fréquence d’observation des baleines à bosse avec
pour maillage le zonage CHARC nous permet d’apprécier le caractère relativement côtier de
l’habitat de cette espèce. Sur toute la saison, la partie large du zonage CHARC est
majoritairement utilisée par rapport à la partie littorale. L’analyse de la distribution des baleines
montre que dans la zone ouest, les Megaptera novaeangliae utilisent préférentiellement la zone
102
située en dehors du zonage CHARC, en particulier en comportement de socialisation. Au
contraire, les groupes avec baleineau(x) ou en comportement de repos utilisent davantage le
zonage CHARC, ce qui résulte en un usage équivalent des zones situées dans et en dehors du
zonage CHARC. Plus généralement, les groupes avec baleineau(x) ou en repos occupent des eaux
peu profondes et plus côtières que les autres groupes.
La figure 52 indique l'évolution journalière des fréquences d'observations des mammifères
marins et du nombre moyen de détections des requins bouledogue de décembre 2012 à septembre
2013. Le nombre d’observations de grands dauphins de l’Indo-Pacifique est fluctuant au cours de
l’année de suivi et suit globalement l’effort de prospection. Il en est de même pour le nombre
d’observations de baleines à bosse avec, cependant, un pattern saisonnier marqué, connu à La
Réunion (présence des baleines à bosse en hiver austral entre les mois de juin et octobre. Les
requins bouledogues sont présents toute l'année avec des périodes de plus forte présence pendant
la période de transition (avril-juin) et l'été (novembre-janvier). En première analyse, il n'apparait
pas de concordance claire entre la saison des baleines ou la présence des grands dauphins et les
périodes de plus fortes détections des requins bouledogue.
80
Nb moyen de détections de requins bouledogue
70
Fréquence d'observations des grands dauphins
Fréquence d'observations des baleines à bosse
60
50
40
30
20
10
0
JOUR (entre décembre 2012 et décembre 2013)
Figure 52. Indice de présence journalière des baleines à bosse, des grands dauphins de l'IndoPacifique et des requins bouledogue sur la zone d'étude du programme (côtes Ouest et SudOuest de La Réunion) entre décembre 2012 et septembre 2013.
Afin de préciser cette observation, nous avons cherché à mesurer l'influence des requins sur la
présence des mammifères marins. Autrement dit : est-ce que les valeurs de fréquence
d’observation et d’abondance relative des mammifères marins sont déterminées par la présence/
l’absence de requin, le nombre de requins détectés, le nombre de visites et le temps de présence
des requins bouledogue? Pour cela, nous avons calculé les densités de baleines par semaine et de
103
dauphins par mois, à partir du nombre d'individus comptés (isolés ou estimés par groupe) et des
distances parcourues par maille (maille d'environ 2 km x 2 km) lors des sorties en mer. Puis, nous
avons calculé le nombre de requins présents et le nombre de visites et estimé les durées
moyennes de présence des requins bouledogue, dans chacune des mailles prospectées, par
semaine ou par mois, selon que l'on s'intéresse à l'effet sur les baleines ou sur les dauphins,
respectivement.
Au sein du zonage CHARC, les grand dauphins de l’Indo-Pacifique comme les baleines à
bosse utilisent autant les mailles où la présence de requins bouledogue a été détectée, que celles
où il n’y a pas eu de détection de requin (test χ 2 = 0,02, ddl = 1, p>0,05 et test χ 2 = 0,016, ddl = 1,
p>0,05, respectivement).
Les figures 53A et 53B montrent la corrélation entre la fréquence d’observation et l’abondance
relative des grand dauphins de l’Indo-Pacifique et le nombre de requins bouledogue détectés par
maille et par semaine. Ces mêmes graphes sont présentés dans les figures 54A et 54B pour la
baleine à bosse.
Lorsque que l’on considère le nombre de requins bouledogue détectés, une légère tendance
apparaît. La fréquence d’observation ainsi que l’abondance relative des grand dauphins de l’IndoPacifique et des baleines à bosse ont tendance à diminuer avec l’augmentation du nombre de
requins bouledogue, au sein d’une maille et par semaine (figures 53 et 54). Néanmoins, la pente
des droites de corrélation est très faible (fréquence d’observation : R= -0,31, p=1,92. 10-16 et
abondance relative : R=-0,32, p=3,19.10-17 concernant les dauphins et fréquence d’observation :
R= -0,38, p=8,82. 10-16 et abondance relative : R=-0,37, p=4,27.10-15 concernant les baleines
(Tableau XIII), indiquant que l’influence du nombre de requins sur le nombre d’observations et la
taille des groupes des cétacés reste minime.
En prenant en considération le nombre total de visites de requins bouledogue par maille et par
semaine comme proxy de la pression de prédation, on obtient de la même façon une corrélation
négative (fréquence d’observation : R= -0,25, p=2,86. 10-11 et abondance relative : R=-0,26,
p=8,56.10-12 concernant les dauphins et fréquence d’observation : R= -0,34, p=2,34. 10-13 et
abondance relative : R=-0,34, p=1,03.10-12 concernant les baleines (Tableau XIII) avec la
présence des deux espèces de mammifères marins. La pente des droites de corrélation est très
faible et témoigne d’une quasi absence d’influence entre ces paramètres.
104
Indices testés
Baleine à bosse
Fréquence
Abondance
d’observation
Nombre de requins bouledogue détectés
Nombre de visites de requins
R
P
Fréquence
relative
R
-16
Grand dauphin de l’Indo-Pacifique
Abondance
d’observation
P
R
-15
P
-16
relative
R
P
-0,38
8,82.10
-0,37
4,27.10
-0,31
1,92.10
-0,32
3,19.10-17
R
P
R
P
R
P
R
P
-0,34
2,34.10-13
-0,34
1,03.10-12
-0,25
2,86.10-11
-0,26
8,56.10-12
Tableau XIII. Coefficients de corrélation de Pearson et valeurs de probabilité p pour les tests de
corrélation statistiques effectués
A
B
Figure 53. (A) Corrélation entre le nombre d’observations de dauphins, pondéré par l’effort de
prospection (fréquence d’observation) et le nombre de requins bouledogue détectés, par maille et par
semaine. (B) Corrélation entre le nombre cumulé de dauphins pondéré par l’effort de prospection
(abondance relative) et le nombre de requins bouledogue détectés, par maille et par semaine.
A
B
Figure 54. (A) Corrélation entre le nombre d’observations de baleines, pondéré par l’effort de prospection
(fréquence d’observation) et le nombre de requins bouledogue détectés, par maille et par semaine. (B)
Corrélation entre le nombre cumulé de baleines pondéré par l’effort de prospection (abondance relative)
et le nombre de requins bouledogue détectés, par maille et par semaine.
Les valeurs de densité de mammifères et de durées moyennes de requins bouledogue sont
reportées dans les graphes de la figure 55. Aucune relation claire n'apparait entre les variables,
105
excluant un lien entre la présence des requins bouledogue et celle des baleines à bosse ou des
grands dauphins de l'Indo-Pacifique. Tout au plus, les plus fortes densités de dauphins s'observent
lorsqu'il n'y a aucune présence de requins mais, à l'échelle du mois, cette tendance n'est pas
suffisante pour être validée.
10
Densité moyenne de baleines par semaine
(Nb/km)
A
1
0.1
0.01
0.1
1
10
Durée moyenne de présence des requins bouledogue par semaine
10
Densité moyenne de dauphins par mois
(Nb/km)
B
1
0.1
0.1
1
10
Durée moyenne de présence des requins bouledogue par mois
Figure 55. Relations entre la durée moyenne de présence des
requins bouledogue et les densités moyennes de baleines (A) et de
dauphins (B) estimées respectivement par semaine et par mois
entre décembre 2012 et septembre 2013 au cours des sorties en mer
effectuées (échelle des axes transformée en log10).
106
5.3 Mesure de l'influence des conditions environnementales sur la présence des requins
marqués à partir de la méthode statistique des arbres de décision ou forêts aléatoires
Cette méthode statistique complexe permet de classer deux ou plusieurs variables quantitatives
ou qualitatives selon leur effet sur une variable à expliquer (en l'occurrence le nombre de requins
différents détectés). Cette méthode a prouvé son extrême efficacité en écologie (Scarnati et al., 2009,
Garzon et al., 2006). Le principe, pour deux variables, est de construire des partitions de plus en plus
fines de l'ensemble des points répartis selon les axes de valeur des deux variables mesurées, en
réalisant des coupures parallèles aux axes. L'arbre de décision associé à cette construction
correspond à l'ordre des coupures ainsi réalisées. Puis sont utilisés plusieurs critères de sélection qui
permettent de ne retenir que les variables qui rendent compte le mieux des variations de la variable à
expliquer (Breiman, 2001). En utilisant la méthode des arbres aléatoires pour tester les relations
entre le taux de détection en requins bouledogue et les différents paramètres environnementaux,
nous sommes arrivés à expliquer une part non négligeable de la variance du taux de fréquentation
des requins bouledogue sur la côte ouest de La Réunion. Pour cela, nous avons séparé le jeux de
données en deux périodes : la période d'hiver austral entre mars et septembre et celle d'été austral
entre octobre et février. Les relations extraites du modèle statistique sont pour la plupart complexes,
ce qui confirme le choix de la méthode des arbres aléatoires plutôt que l’emploi de modèle linéaire
généralisé (GLM) ou additif (GAM).
La variance expliquée est proche de 39% pour la période d'hiver austral et de 29% pour celle de
l'été austral. Les variables explicatives sont rangées selon l'ordre d'importance dans la figure 56. Les
rangs (degré de l'effet) de chaque variable explicative diffèrent d'une saison à l'autre mais les
variables prépondérantes sont les mêmes. Elles concernent les précipitations [moyennes (Moy-prec)
et minimums de précipitations (Min-prec) par semaine], les paramètres principaux de houle [hauteur
(Hsig) et période (Tsig) hebdomadaires], l'abondance relative estimée en poissons à la côte (CPUEtot, captures par unité d'effort ou CPUE) et la turbidité de surface moyenne (Turb-mean), mesurée
par satellite de la transparence des eaux. Au cours de l'hiver austral, les précipitations moyennes et
les captures par unité d'effort (CPUE- tot) expliquent mieux le taux de fréquentation des requins
bouledogue à la côte que les paramètres de houle. La turbidité de surface et les minimum de
précipitations n'expliquant que peu la variance estimée.
107
Figure 56. Graphes d’importance (indice "%IncMSE") des variables pour les meilleurs
modèles retenus calculés à partir de l'approche des forêts aléatoires ("random forest"), pour
les étés australs et les hivers australs. Moy-prec et Min-prec : moyenne et minimum
hebdomadaires des précipitations respectivement; Hsig et Tsig : hauteur et période
significative des houles hebdomadaires respectivement; CPUE-tot : captures par unité
d'effort par mois d’engin de pêche et espèce (proxy de la richesse en poisson autour de La
Réunion); Turb-mean : moyenne des valeurs de transparence des eaux de surface par
semaine et par station d'écoute.
5.3.1 Effet des précipitations
Les données sont celles des précipitations moyennes hebdomadaires (en mm de pluie) calculées à
partir des mesures journalières effectuées par Météo-France et recueillies sur 20 stations de
référence et qui permettent d'estimer la quantité d'eau tombée et susceptible de ruisseler pour partie
sur l'ensemble de la côte Ouest Sud-Ouest de l'île de La Réunion, zone principale d'observation du
programme CHARC. Les moyennes des précipitations ont un effet constant sur la présence des
requins bouledogue l'hiver austral. L'effet est variable l'été austral avec une courbe sinusoïdale
difficile à interpréter composée d'un creux de fréquentation pour des valeurs moyennes
hebdomadaires de hauteur d'eau comprises entre 2 et 3 mm, un pic pour des valeurs de 7 à 8 mm,
puis une diminution progressive de la fréquentation avec l'augmentation des précipitations au-delà
de cette valeur maximale (figure 57A et 57B). Une interprétation possible est qu'au-delà de 8 mm de
précipitation, en été, les eaux de pluies qui ruissellent jusqu'au littoral entrainent une dessalure
importante. Cette dessalure à la côte est le plus souvent liée, à cette saison, à des événements de
forte pluie de type cyclonique et, dans ce cas, nous savons d'après la littérature que cette dessalure
importante et rapide a un effet répulsif et pourrait donc éloigner les requins bouledogue de la côte
(Simpfendorfer et al., 2005, Pillans et al., 2005). Mais, globalement, la relation avec les
précipitations moyennes est complexe et en partie biaisée du fait du manque d'informations plus
précises. En effet, les données de précipitations sont celles mesurées à terre et leurs impacts sur le
milieu marin sont donc certainement décalés dans le temps. De plus, les apports d’eau de
108
ruissellement suite aux précipitations doivent se mélanger à l’eau de mer en fonction des courants,
paramètre que nous n’avons pas pu mesurer précisément pour estimer son effet.
A
B
Figure 57. Graphiques des relations entre le taux de détection en requins bouledogues et les
précipitations enregistrées dans la zone Ouest et Sud-Ouest de l'île de La Réunion en été (A) et
en hiver (B) austral. Pour chaque graphique, les abscisses sont tronquées sur l’intervalle [10%
- 90%] de la distribution du paramètre représenté, afin d’écarter les erreurs d’estimation pour
les valeurs extrêmes.
5.3.2 Effet de l'abondance relative en poissons commerciaux
Le rendement par pêche ou taux de capture ou CPUE est un terme en halieutique qui représente le
volume de la prise effectuée par unité d’effort de pêche. Cette unité peut servir, une fois qu'elle est
standardisée, à estimer un indice d'abondance des espèces capturées. Sur la base des données
journalières collectées par les enquêteurs du SIH (Système d'Informations Halieutiques) et les
estimations qui en découlent, le taux moyen de capture a été estimé par semaine, de 2011 à 2013, en
distinguant les périodes d'hiver (de mars à septembre) et d'été (d'octobre à février). Deux restrictions
ont été effectuées sur la base originelle. Le premier filtre a consisté à sélectionner uniquement les
données de débarquement des ports situés dans la zone d'étude du programme CHARC afin
d'obtenir une estimation d'abondance en poisson au plus près de notre réseau de détections des
requins marqués. Quatre ports ont été choisis: le port de Saint-Gilles, Saint-Leu, Etang-Salé et SaintPierre. La seconde restriction est que nous n'avons pas pris en compte les données de débarquement
issues des navires de plus de 10 mètres utilisant les métiers de palangre dérivante à espadons
(tableau XIV). Ce filtre a permis d’éliminer, des données de débarquement, les engins de pêche
ciblant les grands pélagiques dans le domaine hauturier et pour lesquels nous avons estimé que les
prises ne rendent pas compte de l'abondance relative en poissons commerciaux sur les côtes
réunionnaises. Bien que des améliorations puissent être apportées à cette approche, à ce stade de
l'analyse, ces taux de capture peuvent être considérés comme un indicateur de la richesse des eaux
côtières en espèces de poissons commerciaux côtiers dans le secteur sud-ouest de l'île.
109
Code Métier
Retenu
FPOCT
Casier à crevettes
OK
G__
Filets
OK
LHMDX
Ligne mécanisée à poissons démersaux
OK
LHPCE
Ligne à main (ou avec canne) à calmars, encornets, poulpes OK
LHPDX
Ligne à main (ou avec canne) à poissons démersaux
OK
LHPGP
Ligne à main (ou avec canne) à grands pélagiques
OK
LHPPG
Ligne à main (ou avec canne) à petits pélagiques
OK
LLDES[10-12[ Palangre dérivante à espadons ([10-12[m)
NON
LLDES10m Palangre dérivante à espadons (<10m)
NON
LLSDX
Palangre de fond à poissons démersaux
OK
LNP
Balances à crabes girafe
OK
LTLGP
Ligne traînante à grands pélagiques
OK
LVDGP
Palangre verticale dérivante à grands pélagiques
OK
SB_
Senne de plage
OK
METIER
METIER_LIBELLE
Tableau XIV. Liste des codes Métier utilisés dans la base SIH Ifremer avec les
types d'engin de pêche sélectionnés pour construire la base indicatrice de
l'abondance à poisson à La Réunion dans le cadre du programme CHARC.
Les valeurs moyennes mensuelles des CPUE ainsi estimées cumulées sur les trois années sont
indiquées dans la figure 58.
45
Moyenne
Moyenne±Erreur-Type
Moyenne±0,95 Intervalle Conf.
40
CPUE (Kg/marée)
35
30
25
20
15
10
5
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
Mois
Figure 58. Moyennes et erreur-type des CPUE
estimées, par mois sur l'ensemble des années d'étude
de 2011 à 2013.
Les résultats de l'analyse statistique par la méthode des arbres de décision ("random forest")
indiquent qu’entre les mois d'octobre et février, la CPUE a un effet limité sur le taux de
fréquentation des requins bouledogue à la côte (figure 59A). Par contre, la CPUE semble avoir un
110
effet inattendu au cours de l'hiver austral. En effet, le taux de fréquentation des requins bouledogue
diminue lorsque la CPUE dépasse un seuil supérieur à 30 kg/marée (figure 59B). Ce seuil apparait
au cours de la période hivernale, qui est également la période qui comprend les plus grands écarts de
rendements mensuels (les plus élevés en juin et les plus faibles en août).
A
B
Figure 59. Graphiques des relations entre le taux de détection en requins bouledogues et
l'estimation de la richesse en poisson (exprimée en kg/marée/semaine) enregistrées dans la
zone Ouest et Sud-Ouest de l'île de La Réunion en été austral (A) et en hiver austral (B).
Pour chaque graphique, les abscisses sont tronquées sur l’intervalle [10% - 90%] de la
distribution du paramètre représenté, afin d’écarter les erreurs d’estimation pour les valeurs
extrêmes.
Concernant un grand prédateur comme le requin, il semble logique d’essayer de relier sa présence
avec un indice de richesse en poissons susceptibles d’être des proies. Les CPUE peuvent représenter
cet indice. Les résultats semblent indiquer qu’au-delà d'une CPUE globale élevées (été austral), les
requins bouledogue sont moins présents près des côtes. Il est actuellement difficile de se prononcer
sur la relation réelle qu’il existe entre CPUE et abondance de requin, mais elle représente une piste à
approfondir en travaillant à l’avenir sur les CPUE spécifiques de groupes d’espèces rentrant dans le
régime alimentaire des requins. Cette approche permettrait, en la reliant à l’engin de pêche et aux
zones de pêches, de mieux comprendre si la saisonnalité observée chez le requin bouledogue de la
côte vers le large (ou vice-versa) est motivée par la disponibilité en nourriture.
5.3.3 Effet de la houle
Les hauteurs de houle ont été mesurées à la station houlographe de Rivière des Galets à la sortie
du port du Port Ouest. Ces données en mètres sont issues de la base de données CANDHIS (Centre
d'Archivage National des Données de Houle In Situ). Au cours de l'été austral (d'octobre à février),
la houle a un effet particulier. Elle présente un effet-seuil indiquant qu'au-delà d'une valeur moyenne
hebdomadaire de 0,8 m, les requins bouledogue apparaissent à la côte (figure 60A). Pendant l'hiver
austral, la hauteur de houle sur le taux de fréquentation des requins bouledogue à la côte a un effet
globalement graduel (figure 58B) indiquant que pendant cette période, qui comprend la période des
111
fortes houles, le nombre de requins détectés augmente lorsque la hauteur de houle dépasse 0,6 m de
hauteur moyenne.
A
B
Figure 60. Graphiques des relations entre le taux de détection en requins bouledogues et
les mesures hebdomadaire de hauteurs de houle enregistrées sur le houlographe du Port
à La Réunion (en mètre) en été austral (A) et en hiver austral (B). Pour chaque
graphique, les abscisses sont tronquées sur l’intervalle [10% - 90%] de la distribution du
paramètre représenté, afin d’écarter les erreurs d’estimation pour les valeurs extrêmes.
Les estimations de hauteurs de houle moyennes hebdomadaires pendant l'été austral (figure 61),
indiquent que cette présence subite de requins à la côte, associée à l'effet de la houle, ne se produirait
qu'occasionnellement. Seulement sept semaines sur 28 ont des valeurs dépassant ce seuil. Par contre
elles s'étalent presque tout au long de l'hiver, de mars à septembre.
Hauteur de houle moyenne hebdomadaire (m)
2
1.8
1.6
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 100 102 104
oct-12 nov-12 déc-12 janv-13 févr-13
hiver austral
oct-13 nov-13 déc-13
Code semaine et mois de l'année
Figure 61. Distribution des houles moyennes hebdomadaires mesurées au cours des
périodes estivales (en gris les valeurs d'hiver). Le trait rouge indique le seuil de valeur
au-delà duquel, durant l'hiver, les requins fréquentent davantage les côtes
réunionnaises. Les mesures d'octobre et novembre 2013 sont manquantes.
112
Cet effet sur la présence de requin ne serait pas un effet direct de la houle mais de sa capacité à
remettre en suspension les sédiments, d'augmenter par conséquent la turbidité sur les fonds marins
côtiers et ainsi de créer les conditions favorables à l'exploration des requins bouledogue et à la
chasse de proies plus vulnérables. Plusieurs autres paramètres interagissent de façon complexe pour
rendre compte de ce phénomène de turbidité sur le fond et notamment la force des courants, la
période de houle, la profondeur du fond et la nature des sédiments. Pour l'heure, ces paramètres n'ont
pas été étudiés mais le seront à la suite du programme pour tenter de valider cette hypothèse.
5.3.4 Effet de la turbidité de surface
La turbidité hebdomadaire moyenne de surface est mesurée à partir des données de réflectance de
l’eau dans les longueurs d’onde du vert (500-590 nm) mesurées par le satellite SPOT5 et
réceptionnées via la station SEAS-OI. La turbidité diminue l’absorption de ces longueurs d’onde par
l’eau de mer (donc augmente la réflectance perçue par le satellite). Elle traduit la notion de
transparence de l'eau. Le capteur ne mesure la turbidité que dans les premiers mètres de la colonne
d'eau. La turbidité de surface est la variable dont le niveau d'effet sur la fréquentation des requins
bouledogue est le plus faible. Cette fréquentation diminue faiblement, en été, lorsque la turbidité
augmente (figure 62A) et augmente en revanche faiblement en hiver (figure 62B).
A
B
Figure 62. Graphiques des relations entre le taux de détection en requins bouledogue et
les mesures de la turbidité de surface enregistrées à partir des images satellites de
transparence des eaux en été austral (A) et en hiver austral (B). Pour chaque graphique,
les abscisses sont tronquées sur l’intervalle [10% - 90%] de la distribution du paramètre
représenté, afin d’écarter les erreurs d’estimation pour les valeurs extrêmes.
La turbidité de surface est le plus souvent liée au ruissellement des eaux de pluies chargées en
éléments terrigènes que les rivières et ravines charrient jusqu'à la mer. La dynamique de ce
phénomène est complexe et donc difficile à appréhender. La quantité d'eau chargée en matière en
suspension qui arrive à la mer dépend de nombreux facteurs, ceux déjà évoqués concernant les
113
précipitations (cf. £ 5.3.1), mais également des facteurs comme la vitesse de ruissellement (variable
selon la pente) ou le type de ravines et la quantité de matières terrigènes, elle-même fonction de la
nature des sols et de leur recouvrement. Il apparait également que ce phénomène se déroulerait à une
échelle temporelle relativement courte, de l'ordre de la journée, et donc en deçà de la semaine. Nos
valeurs singulières hebdomadaires ne permettraient donc pas de rendre compte du phénomène, ce
qui expliquerait que la turbidité de surface n'apparait pas comme un facteur prépondérant pour
expliquer la présence des requins bouledogue à la côte. La diminution non attendue de la
fréquentation des requins avec l'augmentation de turbidité en été pourrait être liée à une dessalure
brusque plus forte, associée à ces fortes turbidités, et qui conduirait, comme nous l'avons vu au
paragraphe 5.3.1, à éloigner les requins de la côte au cours des épisodes de fortes pluies.
5.4 Conclusion
L'analyse des facteurs étudiés a permis de discriminer ceux qui pourraient jouer un rôle
prépondérant dans la présence des requins bouledogue près des côtes. Ces facteurs participent
à la variabilité de la présence des requins bouledogue observée, en structurant l'habitat de ces
requins à La Réunion. A l'exception de l'indice de richesse en poisson, ces facteurs sont collectés
tous les jours à La Réunion par les différents organismes d'Etat (Météo-France, DEAL) et certains
d’entre eux sont prévisibles à travers les réseaux météorologiques internationaux. C'est le cas
notamment des trains de houle et des cyclones. Ainsi, en intégrant ces facteurs aux variations
saisonnières et journalières observées, il serait envisageable de prédire les périodes de plus forte
fréquentation de requins bouledogue à La Réunion.
Il est possible à partir de ces résultats de faire des recommandations aux pratiquants d'activité
nautique et aux usagers du milieu marin. Certains d'entre eux ont déjà anticipé ces résultats. Certains
surfeurs, par exemple, ne pratiquent plus leur sport l'après-midi ou à la tombée de la nuit et d'autres
se munissent de masque pour vérifier les conditions de turbidité au fond et s'assurer régulièrement
de l'absence de squales. Il est néanmoins important de noter que suite à cette étude, il apparait
difficile de développer un outils de prévision opérationnel efficace. Il est indispensable tout
d'abord d'analyser en détails l'ensemble des données pour confirmer ces résultats et ensuite préciser
les périodes et les sites où les conditions biotiques et abiotiques sont favorables à la présence de
requins bouledogue. Pour l'heure, nous avons, au mieux, identifié certains sites sableux, comme des
sites possibles de chasse, et d'autres sites de sables volcaniques et mixtes, comme des sites
favorables à la présence de requins bouledogue près des côtes au cours de l'été austral (baie de SaintPaul et large du port de Sainte-Marie). Mais il est difficile de généraliser cette caractérisation à
l'ensemble de l'île. Il reste un travail important d'analyse à mener qui devra ensuite être
complété par des informations supplémentaires sur l'ensemble des traits de vie de cet animal
pour mieux cerner sa dynamique spatio-temporelle et préciser sa place dans l'écosystème.
Enfin, nos observations et nos résultats concernent le requin bouledogue car c'est celui qui a été le
plus détecté au cours de l'expérience. Nous avons enregistrés très peu de requins tigre dans notre
114
réseau et par conséquent nous n'avons pas ou peu d'informations sur le mode d'occupation spatiale et
temporelle de cette espèce sur les côtes de La Réunion. Hors, c'est une espèce également impliquée
dans les attaques et qui peut être, dans certaines conditions, toute aussi dangereuse pour l'homme
que le requin bouledogue.
115
116
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Conclusion générale
Les études menées dans le cadre du programme CHARC ont permis d’apporter les premiers
éléments scientifiques sur l’écologie comportementale des requins tigre et bouledogue des côtes
réunionnaises. Elles apportent des connaissances sur la stratégie d’occupation spatiale et temporelle,
sur le comportement alimentaire et sur les déplacements à grandes échelles de ces deux populations
de requin.
Les résultats concernant le requin tigre indiquent que cette espèce, à La Réunion, se déplace dans
un habitat plus au large que celui détecté par la majorité des stations d’écoute côtières. Les
interactions avec le requin bouledogue sont faibles indiquant un chevauchement limité de leurs
habitats respectifs et une ségrégation temporelle de ces deux espèces. Les observations recueillies
sur les déplacements à grande échelle (cf. § 2.4) montrent que les requins tigre de La Réunion
peuvent quitter cette île, jusqu'à la côte africaine et pourraient donc interagir avec les autres
populations de requins de la même espèce, a minima, à Madagascar et en Afrique du Sud. Le suivi
acoustique et satellite des requins bouledogue montrent que cette espèce n'est pas présente de façon
permanente sur la côte Ouest/Sud-Ouest de La Réunion. Ces requins sont capables d'explorer
l'ensemble des côtes de l'île mais ne sont pas assujettis aux zones littorales. En effet, les détections
sur les DCPs et les suivis satellite mettent en évidence leur capacité de déplacement exploratoire très
loin des côtes (plusieurs centaines de kilomètres). Les études de génétique semblent indiquer que les
requins bouledogue de La Réunion est génétiquement proche d'individus échantillonnés au
Mozambique, ce qui laisse penser que les requins bouledogue de ces deux zones interagissent et
feraient partie d'une seule population.
Le requin bouledogue est davantage présent, sur la côte Sud-Ouest de La Réunion, au cours de la
transition été-hiver austral entre les mois de mars et juin, période au cours de laquelle les mâles et
femelles s'accoupleraient et où la compétition entre mâles (pour la même femelle) pourrait être
accrue. Cette phase d'accouplement semblait être localisée en 2013 et 2014 sur des zones
spécifiques, notamment en face de Saint-Gilles et de l'Etang du Gol. La présence accrue des requins
bouledogue en été austral, hors de ce qui pourrait être la période principale d'accouplement, est
principalement constatée sur deux sites dans la baie de Saint-Paul (ouest) et près du port de SainteMarie (nord). Aucune hypothèse n'a pour l'heure étaient émises concernant l'apparition régulière de
ces pics de présence.
Le requin bouledogue change d'habitat selon un rythme jour/nuit. Il alterne une occupation
nocturne près du littoral et diurne plus au large. Il modifie son comportement au cours de la journée,
migrant dans la partie supérieure de la colonne d'eau dès le début de l'après-midi (14h00) tout en se
rapprochant du littoral. Il augmente alors son activité exploratoire laissant supposer un
comportement actif de chasse au crépuscule. Ce pattern est une tendance générale majoritaire mais
117
certains individus peuvent aussi changer de comportement et venir près du littoral plus tôt et rester
près de la surface ou sur le fond. De façon générale, selon les périodes du nycthémère ou de l’année,
les requins bouledogue seraient inféodés à certaines zones particulières favorables pour l'expression
de certains traits d'histoire de vie impliqués dans les différentes phases du cycle biologique de
l'espèce et notamment pour l'alimentation et l'accouplement. Ils pourraient se disperser dans des
zones de chasse très étendues mais pourraient, dans certaines conditions, former des agrégations
dans certains sites pour s'accoupler. Les tailles des populations de requins tigre et bouledogue à La
Réunion sont inconnues. Il est donc à l'heure actuelle impossible d'avoir une estimation du nombre
de requins bouledogue présents à La Réunion. Nous avons juste pu proposer un chiffre concernant,
non pas la taille de la population, mais le nombre maximum de requins bouledogue que les côtes
réunionnaises pourraient accueillir. L'estimation de ce nombre maximum de requins est basée sur le
principe qu'il existerait une capacité maximale d'accueil qui serait atteinte au cours de la période de
plus forte fréquentation (entre mars et juillet d'après nos données de marquage) mais cette hypothèse
n'est pas démontrée. L'estimation de ce nombre maximum de requins serait de 1200 requins.
L'estimation d'une capacité d'accueil maximale d'une population donne une échelle de grandeur (de
l'ordre de centaines de requins pour La Réunion), mais cette estimation est à prendre avec précaution
car elle est basée sur des postulats qui restent à valider (cf § 3.4). L'analyse est très partielle à ce
stade et demande à être précisée, surtout dans le cas d'une population ouverte ou semi-ouverte et
ayant des capacités migratoires.
Pour les deux espèces, les régimes alimentaires sont essentiellement composés de poissons, et
plus largement de ressources alimentaires issues, en premier lieu, des milieux côtiers (0-5 km au
large) avec les requins tigre s'alimentant plus au large et les requins bouledogue plus près du littoral.
Il n'y a pas d'habitat d’alimentation préférentiel à fine échelle spatiale (1 km), mais sans doute une
ségrégation des ressources exploitées par les deux espèces, ce qui limite la compétition trophique.
Les requins sont généralistes dans leur alimentation, mais la population de requins bouledogue
semble composée d’individus spécialistes. Cette spécialisation individuelle peut être due à une
limitation dans les ressources disponibles, conduisant à une compétition intra-spécifique forte.
Néanmoins, pour l'heure nous n'avons pas d'autres informations pour étayer ces premiers résultats.
L'analyse des facteurs environnementaux a permis de discriminer ceux qui jouent un rôle
prépondérant dans la présence des requins bouledogue près des côtes. Parmi les modèles statistiques
obtenus, celui qui rend compte le mieux de la variabilité de la fréquentation des requins bouledogue
à la côte (presque 40% de variance expliquée) extrait quatre variables explicatives principales. Il
s'agit (1) des moyennes de précipitations, (2) des hauteurs moyennes de houle, (3) de la turbidité de
surface et (4) de la richesse relative en poissons sur la côte Ouest de La Réunion.
Globalement, la relation avec les précipitations moyennes est complexe et en partie biaisée du fait
du manque d'informations plus précises. La richesse relative en poissons commerciaux estimée à
partir des captures globales par unité d'effort (CPUE) estimées sur la côte Ouest de La Réunion,
semble avoir, en hiver, un effet sur la fréquentation des requins bouledogue près des côtes. En effet,
au delà d'une valeur hebdomadaire moyenne de 30 kg/marée, la fréquentation des requins
118
bouledogue à la côte diminue progressivement et reste faible au delà d'un indice de richesse
supérieure à 70kg/marée. Concernant un grand prédateur comme le requin, il semble logique
d’essayer de relier sa présence avec un indice de richesse en poissons susceptibles d’être des proies.
Les CPUE peuvent représenter cet indice mais il est actuellement difficile de se prononcer
clairement sur cette relation. L'effet de la hauteur de houle sur le taux de fréquentation des requins
bouledogue à la côte est un effet globalement graduel et positif en hiver austral. En revanche, il joue
comme un effet de seuil en été austral (de novembre à février) : les requins bouledogue apparaissent
à la côte au-delà d'une valeur moyenne hebdomadaire de 0,8 mètre. Une des interprétations
plausibles de ces résultats est que la houle, en fonction de ses caractéristiques mais également selon
d'autres facteurs associés (intensité et direction des courants, nature et profondeur du fond), pourrait
remettre en suspension les sédiments, augmenter la turbidité sur les fonds marins côtiers et ainsi
créer des conditions favorables à l'exploration des requins bouledogue et à la chasse de proies plus
vulnérables. Il est néanmoins nécessaire d'approfondir l'analyse pour confirmer cette interprétation.
La turbidité de surface est le plus souvent liée au ruissellement des eaux de pluies chargées en
éléments terrigènes que les rivières et ravines charrient jusqu'à la mer. Les cas spécifiques étudiés
(cf § 5.2.2) montrent une augmentation de la fréquentation des requins bouledogue lors des épisodes
de fortes pluies et de fortes houles mais cette augmentation n'est pas observée systématiquement au
moment de la perturbation. Elle peut apparaitre après et même parfois avant les pics de perturbation
climatique. La dynamique de ce phénomène est donc complexe et devra être appréhendée en détails
en tentant d'intégrer, dans un modèle hydrodynamique, les mesures de précipitations, mais
également les différents facteurs qui jouent un rôle dans le ruissellement et notamment la pente, la
nature et le taux de couverture végétale des sols.
Les résultats obtenus sur les interactions entre les tortues ou les mammifères marins et la
fréquentation des requins bouledogue près des côtes n'ont pas permis d'établir de relation entre ces
facteurs. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'interactions entre ces espèces. Nous avons vu par
exemple qu'il est possible que les tortues marines et dans une moindre mesure le grand dauphin de
l'Indo-Pacifique, évitent la présence des requins bouledogue. Ils occupent des sites à des périodes où
la présence des requins est faible mais pour autant les requins bouledogue ne sont pas davantage
présents sur les sites ou aux périodes où ces tortues marines et ces dauphins sont en abondance.
Enfin, nos premières analyses sur l’effet des bouées de la Réserve Marine comme attracteur
potentiel de poisson fourrage et la présence d’un élevage marin en baie de Saint-Paul ne permettent
pas de conclure que ces facteurs ont un effet sur la présence des requins sur les côtes. Ces analyses
devront être poursuivies et approfondies pour confirmer ces résultats.
119
Perspectives
Les résultats rapportés dans cette étude confirment que les requins tigre occupent une zone plus
au large que les requins bouledogue et que ces deux espèces sont capables de migrations océaniques,
comme cela a déjà été observé dans le Pacifique et l'océan Indien (Meyer et al., 2009 et 2010).
Néanmoins, leur aire totale de répartition biogéographique est encore mal connue. Il est donc
important d’approfondir les résultats obtenus sur la capacité de migration de ces espèces et les
causes de ces migrations. Un requin tigre femelle marqué dans CHARC a été pêché à Madagascar
dans une zone d’estuaire assez importante. Ces zones sont généralement connues pour être des zones
de nurserie. Cette femelle est-elle partie mettre bas dans cette zone ou trouver des conditions
d’alimentation favorables ? Cette question reste en suspens. Une autre femelle de requin tigre a été
détectée au large de Durban et malheureusement sans autres informations non plus sur les causes de
cette longue migration. D’autres marques archives devront être déployées et d'autres analyses
génétiques devront être réalisées pour étudier plus précisément les causes de ces migrations et leur
importance dans le renouvellement des populations à La Réunion et sur les autres zones, où sa
présence a été notée (Madagascar, Afrique du Sud et Seychelles notamment). Il sera également
nécessaire d’étayer les connaissances acquises concernant les préférendums de cette espèce, en
fonction de ses limites physiologiques et de sa plasticité comportementale. Cela concerne tout autant
les facteurs liés aux conditions abiotiques (température, salinité, turbidité, profondeur), biotiques
(répartition des proies préférentielles) et biologiques (croissance, reproduction).
Concernant plus particulièrement les requins bouledogue, leur présence sur les côtes
réunionnaises appelle plusieurs commentaires. Les résultats issus des données de marquage,
intégrant l’ensemble des données de janvier 2012 à mai 2014, montrent qu'une grande partie de la
population ne serait pas présente à certaines périodes. Lorsque les requins sont présents, ils ne le
sont pas sur un site en particulier. Leur présence sur de la côte Sud-Ouest de l'île est néanmoins plus
forte, sur quelques sites et en intersaison (été-hiver austral) et début d'hiver (période de mars à juin).
Cette présence saisonnière accrue pourrait être liée à la période d'accouplement. Leur présence très
près de la côte serait liée pour partie à leur activité de chasse. Elle est éphémère, sporadique et
s'observe préférentiellement au cours des périodes de faible visibilité (période crépusculaire ou
nocturne et de forte turbidité des eaux de surface). Il est difficile de savoir si ces comportements
exploratoires près des côtes sont naturels ou modifiés par des facteurs locaux (dégradation du milieu
côtier réunionnais par les activités anthropiques) ou globaux (réchauffement climatique). De plus,
les requins marqués ont des comportements différents d’un individu à un autre, ce qui accroit la
complexité d'analyse de ces comportements. Il sera important dans le futur d'élucider les causes de
cette variabilité individuelle à l'intérieur d'une même population.
Certains résultats obtenues laissent penser que les requins bouledogue s'accoupleraient à La
Réunion et pratiqueraient la polyandrie (une femelle s'accouple avec plusieurs mâles). Néanmoins,
les comportements de reproduction lors de l'accouplement ou de parturition (mise bas), ainsi que les
conditions générales, ou les sites favorables à ces comportements, n’ont pas pu être observés à La
120
Réunion et devront être recherchés dans le futur, dans l'île, mais également à l'échelle de l'océan
Indien.
Ainsi que nous l'avons détaillé dans le chapitre 5 précédent, les facteurs prépondérants au cours
des années 2012 et 2013 expliquant la variabilité de présence des requins bouledogue à la côte sont
les précipitations, la houle, la richesse en poissons et la turbidité de surface. Les autres facteurs,
comme la présence de mammifères marins ou de tortues, la température, la qualité des eaux de
baignade et la fréquentation des plages, ne semblent pas jouer de rôle significatif sur cette présence
ou ont un effet corrélé à celui d'une variable explicative. A l'exception de l'indice de richesse en
poissons, ces facteurs prédictifs de la présence des requins bouledogue à la côte sont collectés
régulièrement à La Réunion. Ainsi, en intégrant ces facteurs aux variations saisonnières et
journalières observées, il serait possible de prédire les périodes de plus forte fréquentation de
requins bouledogue à La Réunion. Il faudrait tout d'abord analyser en détails l'ensemble des données
pour confirmer les résultats obtenus et ensuite préciser les périodes et les sites où les conditions
biotiques et abiotiques sont favorables à la présence de requins bouledogue.
Une outil de visualisation et d'intégration des données a été développé afin de pouvoir suivre sur
une carte animée les déplacements de chaque requin marqué en fonction des données de détection.
Cet outils permet également de visualiser, sous forme de graphes, les durées d’absence, durées de
présence sur une zone et la répartition temporelle des visites). Ces graphes sont dynamiques et des
filtres peuvent être appliqués simplement pour illustrer des corrélations. Cet outils performant utilise
la librairie Crossfilter de Javascript. Il permet d'explorer de grands ensembles de données
multidimensionnelles.
Cet outils est, de plus, une plateforme de traitement des données adaptée pour servir de tableau de
bord des sorties de modèles prédictifs. En ce qui concerne ce point, une des solutions envisagées
pour entreprendre une modélisation prédictive est d'utiliser le développement de processus
d'apprentissage automatique ("machine learning" en anglais) utilisés en intelligence artificielle. Le
principe est d'utiliser des algorithmes qui, à partir de données initiales passées (l'historique des
détections de requins) et de données contextuelles passées (historique des relevés de houle,
précipitations, turbidité, etc), obtenues dans le cadre du programme CHARC, soient capables de
créer un modèle prédictif et d'adapter les analyses en réponse aux sorties validées du modèle ce qui
permet d'auto-améliorer le système d'analyse. Une fois le modèle d'apprentissage automatique créé,
il est à même de prédire la probabilité de présence de requins à un instant t si l’on dispose des
données contextuelles à ce même instant t. La précision de la prédiction dépend de nombreux
paramètres, en particulier quantité et qualité des données. En général, elle s’améliore avec le temps
en apprenant de ses erreurs. Cette perspective d'analyse est séduisante et sera développée mais à
l'heure actuelle, il apparait difficile de développer un outils de prévision qui puisse être opérationnel.
Concernant le comportement exploratoire des requins près du littoral, deux hypothèses
expliqueraient les changements observés et pourraient expliquer l’agressivité des requins à certaine
période : une détresse alimentaire liée à un appauvrissement en proies ou les conséquences des
comportements liés à l'accouplement entre mâles et femelles au moment de la reproduction, qui
121
peuvent engendrer des modifications de la répartition spatiale entre espèces et une augmentation de
la compétition intra-spécifique. Ces hypothèses non exclusives demanderont d’autres études pour
être confirmées.
Les requins sont très difficiles à observer et donc à dénombrer. Puisqu’il n’y a jamais eu
d’estimation du nombre des requins bouledogue et tigre à La Réunion, il est impossible de connaitre
la taille, ni la tendance évolutive actuelle des populations (augmentation ou diminution). Ceci est
vrai pour la population de requins bouledogue, et d’autant plus vrai pour la population de requins
tigre, qui potentiellement occupe tout l’océan Indien. Par exemple, les taux de reproduction des
adultes et surtout le taux de survie des nouveaux nés et juvéniles des deux espèces de requins
étudiées sont indéterminés et difficiles à estimer. Le taux de prédation des grands individus sur les
plus jeunes de la même espèce ou d'espèces voisines est également inconnu. L'effet de la présence
d'autres espèces de requins comme les requins de récif sur la présence des requins bouledogue ou
tigre n'est pas connu non plus et devra faire l'objet d'étude approfondies.
Une partie des analyses futures pourra être conduite à partir des données recueillies dans le cadre
du programme CHARC, mais des programmes scientifiques régionaux devront être menés en
collaboration avec les scientifiques des autres pays de la région pour mener à bien ces recherches.
122
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