1 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion
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1 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion
1 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion ? Dans son livre intitulé « Les âmes en peine1 » , le philosophe imagine un monde où Dieu serait remplacé par une âme du monde. Plus besoin de s’en référer à Dieu, au Dharma, au Tao ou à l’Absolu. Une seule référence suffirait : la présence dans l’univers d’une force mystérieuse et bonne qui maintient l’ordre du monde. La Sagesse serait alors une invitation à devenir libre, à ne pas agir en fonction du regard d’autrui, à se dégager du mépris comme des louanges pour faire finalement ce que nous aimons et pensons juste avec la certitude d’y trouver là du bonheur. Ce sont des maximes de sagesse pour les âmes en peine, au carrefour de la psychologie, de la philosophie et de la spiritualité, qui rencontrent un franc succès. N’est-ce pas l’indice justement qu’il n’est pas si simple d’affronter l’apparent nonsens de la vie et de l’univers ? Le succès de ce livre ne dit-il pas aussi, à mon sens tragiquement, la perte de référence d’une spiritualité chrétienne devenue inutile pour beaucoup, quand elle n’est pas tout simplement incompréhensible ? Bien sûr, la modernité privilégie le syncrétisme, souvent d’ailleurs teinté d’utilitarisme. Le New Age est passé par là avec son affirmation massive : du moment que ça me convient… Alors, c’est le règne du fast food, du do it yourself, du vite pensé et des recettes de bonheurs stéréotypées. La spiritualité prend des aspects multiples, aux contours parfois très flous ; chacun fait son marché de son mieux. Et cela se comprend, car la modernité nous impose un rythme toujours plus rapide de changements, d’adaptations à des modes de productions, des habitats, des technologies ou des modes de vie qui n’ont plus rien à voir, en une quinzaine d’années parfois, avec ce qu’ont vécu nos grands-parents par exemple. Faut-il alors surfer sur la vague et condamner la foi chrétienne aux oubliettes ? Se lancer dans une spiritualité individualiste teintée d’une quête de bien-être avant tout ? Tout en reprenant d'une manière globale la sagesse des évangiles ? Frédéric Lenoir excelle dans ce genre tout en étant très critique à l'encontre des églises-institutions accusées d'avoir trahi le message initial de paix et de non-violence de Jésus notamment. Pour le philosophe, - il le dit dans une vidéo - nos sociétés laïcisées sont imprégnées du message de Jésus : aujourd'hui, on est tous sensibles à la souffrance des autres, l'humanitaire est bien présent partout dans le monde ; hier, on était surtout sensible à son clan, sa nation ; on est sorti de tout ça pour aller vers une compassion, une fraternité universelle. Ce message des Évangiles a gagné, mais on ne sait plus d'où il vient. Il est présent sans être visible, et dès lors, de nombreuses personnes y adhèrent tout en se disant athée ou anti-chrétiens. C'est le paradoxe européen qui vient aussi du fait que l'église catholique, à travers l'inquisition, a trahi le message d'amour des évangiles au nom du pouvoir. Le Christ lui avait un message universel de paix , d'amour et de non-violence qui demeure d’actualité, auquel on peut adhérer sans appartenir à une religion. Comme le dit Spinoza, Jésus a voulu graver la loi au fond de nos cœurs.Il faut donc redécouvrir ce message qui peut nous aider à vivre quelle que soit notre religion ou notre absence de religion. À l'émission Tout le monde en parle, le philosophe expliquait que le bonheur viendrait, selon la science, à 50% de nos gènes, à 40% des choix de vie, et à 10% des conditions extérieures, de l'environnement. Mais il n'y a pas de recette pour être heureux : chacun doit découvrir qui il est et pour quoi il est fait, en vue de réaliser sa nature profonde. La croissance de notre être rencontre deux émotions fondamentales : la tristesse et la joie. Le but de la vie, pour Spinoza, est alors de grandir 1 L’âme du monde, éd. du Nil, 2012. 2 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion ? dans la joie, dans la connaissance et la réalisation de notre nature profonde. Il faut donc faire un effort pour se connaître, mettre de l'ordre dans nos passions, nos choix, savoir qui nous convient au mieux ; c'est un travail de raison et d'adaptation qui permet de tendre à un épanouissement personnel, à retrouver une âme d'enfant comme nous y invite l'évangile, une fraîcheur et une spontanéité ; mais un obstacle au bonheur se cache dans la volonté de maîtriser la vie ; on ne peut pas la contrôler et mieux vaut être dans le lâcherprise de la confiance. En fait le droit au bonheur s'est mué en un devoir d'être heureux ce qui en a fait un fardeau ! Du coup, on est trop dans une recherche obsessionnelle et douloureuse du bonheur. Il convient ici de faire la différence entre le plaisir et le bonheur ; le premier est issu d'une recherche naturelle, confirmée par la neuroscience à travers les neurotransmetteurs que sont la dopamine et la sérotonine ; mais la somme des plaisirs ne fait pas le bonheur, car,comme le disait Épicure, il y a des plaisirs qui nous font du mal : il faut donc rechercher plutôt la qualité que la quantité. Le bonheur est alors une recherche intelligente d’équilibre, d'harmonie dans la quête du plaisir. Une sorte de loi naturelle veut qu'il y a du bonheur à donner, et partager le bonheur rend plus heureux, le fait est confirmé par les études des sociologues. L'Évangile a un côté très joyeux alors que certaines églises, ou la religion, véhiculent un dolorisme écrasant qui ne peut pas rendre heureux ; mais globalement, croire en Dieu apporte une confiance en la vie qui vient calmer nos angoisses existentielles par exemple. Le bonheur n'est sans doute pas la chose la plus importante dans la vie, ce serait plutôt l'amour puisqu'on peut donner sa vie pour quelqu'un ou pour une cause. L'avenir – déclare le philosophe - ne passera pas par un retour au religieux mais par une pratique individuelle de la spiritualité. La religion est quelque chose de collectif, de culturel qui unit des individus à travers la croyance partagée en quelque chose qui les dépasse. Toutes les religions créent du lien social mais elles nous situent aussi dans le politique, dans le pouvoir et la domination, dans toutes les dérives connues à travers les siècles. La spiritualité se situe dans le dimension verticale des religions : c'est le lien avec l'absolu qui les unit avec une transcendance qui répond au besoin de sens, le besoin universelle des humains;il n'est pas nécessaire ici de croire en Dieu, il faut essayer de passer de l'ignorance à la connaissance et de la peur à l'amour. Le philosophe se déclare agnostique dans la mesure où il ne sait pas si Dieu existe, donc ouvert, mais en même temps, s'îl devait faire un pari irrationnel, il dirait se fier à la vie qui a un sens. Cela passe évidemment par la redécouverte de l'importance de l'amour, contre toutes les dérives de fanatisme religieux, mais aussi par une meilleure conscience de l'attention à donner au moment présent, à ce qui se présente, aux défis et aux choix à faire pour correspondre mieux à notre nature profonde. Approche critique : Il y a la promesse et l'illusion: se déclarer agnostique, voire athée, pose problème quand on veut néanmoins prétendre pouvoir passer de l'ignorance à la connaissance et de la peur à l'amour en se référant à une force mystérieuse et bonne qui maintient l’ordre du monde. Car pour la science déterministe, l'univers n'a aucun sens et cette force n'existe tout simplement pas ! L'univers est une gigantesque et fabuleuse machinerie à combiner des possibles à partir de la nécessité, du hasard et de coïncidences heureuses. La vie n'y était pas prévue : elle a surgi du néant ; il n'y a aucune intelligence à l'oeuvre, aucune finalité dans l'univers qui nous est somme toute hostile car nous y sommes insignifiants et l'objet d'aucune bienveillance ; l'hostilité de l'univers fait partie de notre expérience humaine fondamentale : elle est au cœur de l'angoisse de vivre, de l'expérience de notre incomplétude, signe évident de notre petitesse et de notre 3 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion ? insignifiance, conscience des menaces qui pèsent sur la vie, du manque de sécurité et de sens. Tout y est relatif : le bien et le mal se rapportent uniquement aux humains. Tout est donc relatif et subjectif dans l'approche de la vie. Comment dès lors prétendre en définir un sens ? C'est absurde ! Comme l'a démontré l'école de Palo Alto, tout humain vit par la force des choses dans une fatale imperfection, dans un monde subjectif, imaginaire et construit, fait de multiples convictions intimes ; chacun vit en fonction d'un filtre d'encodage de sa réalité, en fonction d'expériences de vie plus ou moins traumatisantes. Tous auront leurs névroses obsessionnelles, leurs addictions, leurs compulsions, leurs forces et fragilités, leurs expériences océaniques de bonheur ou de joie. Peut-on néanmoins faire contre mauvaise fortune bon cœur, et simplement trouver sa nature profonde, ou son équilibre, en se positionnant correctement face à un univers insensé? Y arrive-t-on, comme par magie, par une meilleure connaissance de soi et de notre nature profonde ? Le bonheur tiendrait-il à si peu de chose : à une recherche intelligente d’équilibre, d'harmonie dans la quête du plaisir, du contentement et dans l'évitement de la douleur ? Si tout était si simple, comment expliquer que tant de psychologues échouent à le faire comprendre à leurs clients ? Notre lien avec l'absolu est également ambigu : nous avons la capacité de le définir, d'imaginer même un Souverain bien, mais certainement pas la capacité de nous y tenir , cela nous est impossible. L’absolu, qu'il soit formulé en rapport à l'humain ou au divin, nous échappe toujours ; alors – et c'est le danger ! - nous nous replions, la plupart du temps, sur un moindre mal (économique, environnemental, politique, technologique, etc.) en fraude avec la totalisation, avec ce qui devrait être, le but vers lequel tendre. Les manquements à l'éthique sont innombrables, les ruses et les instrumentalisations monnaies courantes. Les violences humaines sont endémiques ; au final où est la présence dans l’univers d’une force mystérieuse et bonne qui maintient l’ordre du monde ? L'univers-machine ne nous veut aucun bien. Au quotidien, nous vivons en permanence dans la tension entre l'absolu et le relatif, entre l'exagération et la banalisation, le profane et le sacré, la force et la faiblesse, l'important et le relatif, Soi et l'autre, entre notre vision du bien et du mal, celle du devoir et de la liberté, etc.. Nous vivons sous l'emprise de ces couples opposés avec une réalité paradoxale : obéir à l'un c'est désobéir à l'autre ! S'adapter à notre nature profonde n'est alors pas chose simple. Ici , la promesse flirte avec l'illusoire! De même, il serait bon de préciser à quoi correspond une transcendance dans l'immanence. Pour Kant, c'est ce qui dépasse toute possibilité d'expérience. Désigne-t-elle un au-delà à l'immanence, donc ce qui échappe à la nécessité stricte, à savoir le hasard et les coïncidences heureuses ? Ce serait un champ très étroit d'application car le hasard produit 3% de résultats positifs pour 97 % de chaos ; quant aux coïncidences heureuses, elles sont encore plus rares que le hasard. Il est possible aussi d'y voir comme le fait Luc Ferry toutes les références humaines au sacré, à tout ce qui réclame un sacrifice sans référence religieuse ; ou encore de concevoir cette notion à la manière dont les philosophes grecs définissaient le cosmos, certes immanent, mais divin dans la mesure où aucun humain ne l'avait engendré. Un au-delà à Soi, des humains, du monde. Nous pourrions aussi adopté le regard de Michel Damien : « Avec la transcendance, nous sommes dans le franchissement d’un autre état que l’immanence, le surpassé. Ce qui transcende notre propre conscience et cela sans aucune aide d’un quelconque stupéfiant ou autres produits. Par l’esprit rien que par l’esprit pour n’être (naître) qu’au dessus du quotidien. (…) L’esprit de l’homme ne doit pas seulement, marcher, courir, trébucher ou rouler, il doit aussi pouvoir voler, c’est dans cet acte que l’homme peut atteindre sa 4 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion ? plénitude. » Ici, les moyens de l'atteindre sont évidemment nombreux...Et la transcendance dans l'immanence se fait l'équivalent des expériences océaniques de paix, de plénitude, etc., rendues possibles par les aptitudes de notre cerveau, sans référence aucune à quelque chose qui nous viendrait d'ailleurs. Tous présupposent que c'est impossible. Et pourtant... La réfutation de la transcendance divine est , en général, bâtie autour de l'idée qu'on ne peut échapper à l'espace-temps. Mais ce postulat est aujourd'hui mis en discussion à travers l'existence probable d'univers parallèles et celle de dimensions supplémentaires à notre univers par lesquels quelques chose nous est donné qui vient du futur. C'est la Double Causalité de Philippe Guillemant. La seule manière d'éviter le fouillis et le bavardage, car nous pouvons alors postuler l'existence d'une conscience non-localisée en lien avec le Tout, avec un univers holographique par exemple dans lequel tout est disponible en tout temps et partout. Nous sommes alors connectés au Vivant, en capacité d'interagir avec Lui, et cela fait de nous des observateurs-capteurs-acteurs du divin ; nous recevons du futur les intuitions, prémonitions, inspirations, heureux hasards et les synchronicités comme autant d'encouragement à persévérer dans le partenariat avec le Vivant basé sur le libre arbitre (la non-imposition et la non-ingérence). C'est la connaissance indispensable pour aborder notre nature profonde. Celle qui nous permet de passer de la peur à l'amour ; cette connaissance expérimentée nous fait sortir du sentiment d'hostilité lié à notre condition humaine comme à notre place inconfortable dans un univers machine; nous ne sommes plus sous le règne du néant, à devoir vivre en permanence entre ses mâchoires écrasantes : entre le doute et la confiance, la peur et la sérénité, le subir ou le réagir, le dévorer ou le vomir, la fureur et la férocité, la ferveur et l'apathie, la foi ou l'incrédulité, l'avoir ou l'être, etc. Dans une alternance perpétuelle des contraires impossibles à équilibrer pleinement, même avec la meilleure volonté du monde. Nous pouvons quitter l'illusion de la force et de la faiblesse, lâcher prise, pour laisser venir la lumière dans nos obscurités, la certitude de pouvoir interagir avec le divin via un univers holographique interactif. Lui confier nos désirs et nos attentes d'accomplissement dans le respect du libre arbitre : capter ce qui nous sera donné en réponse, observer et agir en fonction d'une bienveillance appelée à devenir signe du Royaume divin. Illusion, désillusions, en réalité tout dépend de nos filtres d'encodages de notre réalité, donc de nos conditionnements, et de notre consentement, de notre ouverture au Futur, à l'Inconditionné que nous appelons, faute de mieux, le divin. Nous y avons part à travers notre Conscience non localisée, celle qui justement transcende notre corps-conscience biologiquement déterminé, ou même le simple fait de la Gestalt qui veut que le tout soit supérieur à la somme des parties. Quand on y pense, pour un humain de de 71 kg , il faut : 55 litres d’eau, 12,6 kg de carbone 2,1 kg d’azote, 1,5kg de calcium 700 g de phosphore Vous ajoutez encore quelques grammes de soufre, de sel de cuisine, de magnésium, de fer et de cuivre. 5 Frédéric Lenoir : une spiritualité agnostique. Promesse ou illusion ? Le tout coûterait la somme dérisoire de environ 20.- CHF! Mais ça ne fait en aucun cas un humain... Heureusement, nous sommes plus que des robots biologiques : nous pouvons nous observer, prendre distance, apprendre comment interagir avec le Vivant, avec la Divine Matrice comme l'appellent certains. Nous ne vénérerons plus les dieux d'antan bien trop à notre image et à notre ressemblance, et c'est tant mieux car ils n'existent pas ! Mais il nous sera donné de ressentir comment le Vivant veut par-dessus tout la Vie désencombrée : l'Esprit, la créativité, la liberté, l'Amour. De goûter donc au Sens de tout ce bazar ! Et d'y consentir à notre manière en toute liberté. Tout particulièrement à travers la bienveillance, cette disposition affective d'une volonté qui vise le bien et le bonheur de chacun. Le terme est calqué sur le latin bene volens. « Un mot prononcé avec bienveillance engendre la confiance. Une pensée exprimée avec bienveillance engendre la profondeur. Un bienfait accordé avec bienveillance engendre l’amour (Lao Tseu). » Nous sommes sur terre pour apprendre cela ! Pour en vivre, en expérimenter les innombrables facettes, depuis les plus faciles aux plus ardues. La bienveillance qui nous invite à mettre de la lumière dans nos ténèbres, et si nous en sommes empêchés, de désirer qu'un jour cela soit possible. La bienveillance qui nous fait préférer la lumière aux obscurités, à tous ces désirs et délires malsains de puissance, de jouissance, de richesse et de gloire. La bienveillance qui n'as peur de se dire charité envers tous et non pas seulement soi-même ! La bienveillance qui désire que l'amour soit la vérité de tout et l'épreuve de vérité ; une conviction intime qui faisait dire à Paul Ricoeur : « La bonté sera toujours plus profonde que le mal le plus profond. » Alors osons cette vérité profonde en écho à notre nature profonde. L'aventure promet d'être novatrice...Ce poème le dit et nous y invite: La mort, c'est moi qui écrase les autres La mort, c'est toi qui étouffe l'autre La mort, c'est lui qui empêche l'autre de s'exprimer, de vivre... La mort, c'est nous qui refusons que les autres soient différents de nous. La mort, c'est vous qui cataloguez, qui fichez l'autre et sa manière d'exister. Mais la vie, c'est moi qui espère malgré les échecs Mais la vie, c'est toi qui rencontre l'autre Mais la vie, c'est lui qui respire la joie, l'amour Mais la vie, c'est nous qui sommes réunis pour partager nos différences. Mais la vie, c'est tout simplement vous tous qui possédez dans le coeur et dans les yeux la joie de vivre (Marie-Paule). (PhN avril 2016)