Cendres

Transcription

Cendres
16e Prix Vedrarias
Cendres
Joël Hamm
On est au tout début du printemps dans une combe perdue des alentours de Clamecy. Il reste
des poches de neige sur le bord des talus.
Maigre, sale, le crâne tondu et vêtu d’un bourgeron trop grand pour lui, voici le gamin.
Assis sur une pierre à l’orée d’un boqueteau de chênes, il tisonne un feu de bois mort en
surveillant vaguement les quatre vaches qu’il a menées au pré. Des escarbilles rougeoyantes
montent vers le ciel avec les flammes.
Il serait en peine de dire son âge si on lui demandait. Quant à son nom, il ne sait pas si c’est
vraiment le sien. Jusque-là, à la ferme, on ne l’a jamais appelé que le gamin ou Machin, Truc,
Toilàbas, Enfant de pute… L’Assistance Publique l’a placé là quelques semaines après qu’on
l’ait trouvé sous un porche d’immeuble d’une rue de Paris, emmailloté dans une couverture de
cheval et maculé de crottin. Un gratte-papier l’a baptisé selon la coutume du bureau des
assistés, en consultant le calendrier. On était le 15 février 1899, mercredi des Cendres,
premier jour du carême. Le jour suivant, on célébrait Valentin, un saint martyr. L’employé
inscrivit sa trouvaille sur le registre. Il était content. Valentin Cendres, ça sonnait bien.
Le gamin avait peut-être trois mois quand sa nourrice d’accueil est venue le chercher au
foyer de l’Assistance, à Paris. Ils sont repartis par le train jusqu’à la gare de Nevers puis ils
ont pris une calèche, traversé de mornes campagnes hachées de pluie.
La nourrice du gamin reçoit vingt francs par mois pour son élevage. La tendresse n’est pas
comprise dans le prix. À l’âge légal, on l’a inscrit à l’école où, pour la première fois de sa vie,
il a entendu quelqu’un prononcer son nom, celui attribué par l’administration. Il n’a pas réagi
et il a fallu que le maître lui serine à deux centimètres de l’oreille, le prenant pour un sourd ou
un idiot.
Après la classe, le fermier l’oblige à trimer jusqu’à la nuit. Le gamin est souvent remercié
d’une taloche ou d’un coup de pied. Au catéchisme où on l’envoie plus volontiers qu’à
l’école, il se tient à l’écart des autres, terrifié à l’idée d’être observé et jugé par un dieu
implacable. Il apprend à tendre l’autre joue.
Une obscurité de sépulcre estompe les bois et noircit le ciel. Le gamin tend ses mains audessus du feu mourant. Le tapis de braises est une cité de rubis aux venelles d’ombres et la
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fumée se confond avec le suaire de brume qui s’affale mollement sur la campagne. Il se lève,
pisse sur les brandons et pousse les vaches vers le chemin de boue, à peine visible dans le
crépuscule. Le fermier le surprend au détour de l’étable, frappant les animaux de sa badine de
saule et les insultant et les maudissant. Il reçoit des coups de poings, de pieds. Son nez saigne
et il se réfugie dans l’encoignure d’une porte, recroquevillé, la tête dans les bras.
À la nuit tombée, il s’enfuit, emportant ses trésors dans une musette de toile : trois cailloux
aux formes bizarres, une lame ébréchée qu’il a patiemment décapée pour en ôter la rouille et
qu’il a fixée dans un manche de bois cerclé de ficelle, un quignon de pain dur et un briquet à
amadou volé au fermier.
Il a froid malgré les épaisseurs de loques dont il s’est affublé et la pleine lune projette son
ombre d’épouvantail sur le chemin empierré. Il contourne les soues à cochons et traverse les
champs en direction de la forêt, s’égratignant aux haies d’aubépines ou d’épines noires. Ce
n’est pas sa première fugue mais, cette fois, il est déterminé. On ne le reverra pas ici et
personne, plus jamais, ne le battra.
Il marche vite, droit devant lui. Lorsque les arbres décharnés semblent se mettre en
mouvement pour le sabbat, que le moindre buisson est une bête prête à bondir, il s’approche
d’une ferme endormie. La brise nocturne est avec lui, le chien ne le sent pas. Aux abords de la
grange, il bute sur un soc de charrue abandonné et retient un cri de douleur. Son genou est
poisseux de sang. Il pousse la porte de bois, s’habitue à l’obscurité, grimpe à l’échelle et se
niche dans le foin, en proie à une indicible terreur, redoutant, au moindre bruissement, des
entités effroyables. Il s’endort, rassuré par les renâclements du lourd cheval, au-dessous de
lui, qui sabote les parois de son box, sans doute affolé par l’odeur de sauvagine du gamin et
par son râle de moribond. Pourtant, il ne meurt pas le gamin aux yeux chassieux. Avant
l’aube, il retrouve assez de force pour descendre par l’échelle de bois, écarte la lourde porte
de planches, suffisamment pour s’y couler, et s’éloigne en boitant vers le croassement des
bois noirs. Derrière lui, la ferme aux murs bas paraît, à mesure qu’il s’éloigne, quand il se
retourne, gagnée puis ensevelie par une marée de terre nue et grasse qui se confond avec le
ciel. Il laisse, dans ce havre de hasard, l’empreinte dans le foin de son corps malingre et un
peu de sang de sa plaie à la jambe qui brille comme un trait de cinabre sur les herbes sèches.
Une fumée claire s’élève au-dessus de la ligne encore visible du toit de la maison. Le vent
porte une odeur d’écorce brûlée mais aussi, pense-t-il, de châtaigne ou plutôt de viande. Le
paysan aura sans doute relancé le feu dans l’âtre. Le gamin frissonne. Il imagine le morceau
de lard gras, ivoire blanc veiné de rose pâle, que, peut-être, le fermier fait griller puis pose sur
une tranche de pain avant de mâcher, vide de toute pensée, savourant cette provende au goût
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de suint et décrochant avec sa langue un morceau de chair coincée entre deux molaires tout en
mettant sa veste de toile matelassée puis sortant et humant l’air pour deviner le temps qu’il
fera à l’odeur de l’air et à l’épaisseur du ciel qu’il y a entre les étoiles invisibles et lui, posé
sur son seuil de pierre tel le gardien du temps.
La forêt est toute proche. Le gamin s’enfonce dans l’épaisseur des feuilles et leur
fermentation humide chauffe ses pieds à travers les semelles fendues de ses brodequins. Dans
le dédale des arbres, la nuit continue au-delà du jour. Il se faufile entre les candélabres serrés
des taillis et perçoit des frôlements dans les buissons. Il devine une mare à l’odeur de vase et
écarte les premiers joncs, cassants et morts sur les rives. Il s’assoit sur la mousse d’un tronc
couché, croise les bras sur sa poitrine, ses mains ne dépassant pas des manches de sa veste et
il regarde le ciel au-dessus de la clairière qui se nimbe de bleu pâle. Le piaillement des
oiseaux se mêle aux bruissements de la frondaison. L’écho de leurs pépiements donne une
profondeur nouvelle à la forêt et à sa solitude. Les rayons obliques du soleil éclairent la cime
des arbres. Le gamin se déshabille, enlève ses brodequins, accroche son bourgeron et sa
culotte de toile à une branche et marche nu vers l’étang. Il entre dans l’eau qui lui paraît
presque tiède. Le fond part en pente douce. Une vase grasse et noire gicle entre ses orteils. La
surface du bassin reforme son miroir entre ses jambes puis un rayon de soleil rend sa limpidité
à l’eau où flottent des particules végétales vieil or. Soudain, un nuage éclipse la lumière. La
surface de l’étang prend une couleur plombée. L’enfant a de l’eau aux épaules et décide
d’avancer encore. Avant de disparaître, il lève les yeux vers les hauteurs comme pour
chercher un signe de salut et croit voir un œil dans un trou du ciel. Il sort précipitamment de
l’étang, se rhabille, ajuste sa musette et tombe nez à nez avec deux bûcherons qui le
reconnaissent, le saisissent et le ligotent en attendant d’avoir fini leur journée pour le ramener
chez ses parents nourriciers.
La nuit suivante, il s’échappe à nouveau, le corps meurtri par les horions qu’il a reçus. De la
colline qui surplombe sa ferme d’accueil, il regarde bouche bée les flammes dévorant la paille
du hangar et sa haine cède le pas à un innommable émerveillement. Le ronflement de la
torchère brouille les cris du fermier et de sa femme. Le fond de vallée rougeoie et les ombres
des arbres s’élèvent et plongent dans la fournaise tandis que, minuscules, se découpent des
silhouettes gesticulantes contre la clarté de l’incendie qui gagne la maison. Ce sont les voisins
accourus pour balancer de dérisoires seaux d’eau. On dirait un peuple de gnomes abreuvant
un dragon à la soif inextinguible.
Le lendemain, le gamin s’éveille sur un redan moussu. Il voit d’abord les brodequins puis le
gendarme en entier. On trouve dans sa musette le briquet et son sort est scellé. Pourtant ce
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n’est pas lui qui a mis le feu à la paille. En passant devant le hangar où étaient empilées les
bottes comme de monstrueux lingots d’or, il avait remarqué que certaines avaient pris une
couleur grise, presque brunâtre. Une vapeur s’élevait du monticule. Il s’était approché, avait
touché le tas et sentit la chaleur sur sa paume. Puis des flammes claires avaient couru à la
surface des balles et, soudain, la paille s’était embrasée. Il avait fui, certain d’être détenteur
d’un pouvoir secret et maléfique et tenant ses mains au-dessus de lui et les plongeant dans
l’eau du ruisseau et n’osant plus rien toucher de peur d’y mettre le feu. Il n’avait pas prévenu
le fermier. Criminel aux yeux de tous et persuadé de l’être…
Il ne pouvait savoir que le foin et la paille, surtout entreposés humides, peuvent fermenter et
s’échauffer. Le feu couve au milieu de l’entassement et, si la flamme atteint le sommet de la
pile et l’air libre, il se déchaîne.
Sans la protection des pandores, il serait lynché par les paysans. On le renvoie à Paris.
L’administration le confie au centre des Vermireaux du côté de Quarré les Tombes, dans
l’Yonne. L’institution est censée dispenser à ses pensionnaires des soins de climatothérapie
mais ce n’est qu’un débarras d’enfants : gosses abandonnés, orphelins, pauvres, délinquants.
Misérable promiscuité.
Le gamin reste là près d’une année, vêtu comme ses camarades de guenilles achetées chez
des chiffonniers, souffrant du froid, de la faim et battu souvent. Ils sont tous exploités dans les
fermes alentours et beaucoup meurent rapidement. Certains sont livrés aux abus des gardiens.
Pas le gamin qui n’est pas attirant avec sa mine hâve et ses croûtes malsaines. En 1910, il se
révolte avec les autres, vandalise l’orphelinat et en profite pour s’évaporer dans la nature. Il ne
connaîtra rien du procès qui condamne les tortionnaires mais il se souviendra toujours de sa
maigreur squelettique, de son corps couvert de plaies, d’ulcères et d’abcès. Il gardera dans sa
chair la marque des crocs des chiens et dans ses narines l’odeur de la paille pourrie où il était
condamné à dormir comme tous les pisse-au-lit. Il erre dans la campagne près d’une semaine
avant d’être rattrapé. Cette fois, l’administration l’expédie à la colonie pénitentiaire
d’Auberive, en Haute-Marne. Là-bas, il est employé dix heures par jour dans une verrerie
industrielle. Aussi maltraité que ses camarades, il s’épuise et parvient à s’évader après trois
ans de calvaire. Il atteint les Vosges où il se loue dans une métairie, à Senones. Sa vie y est
aussi monotone que les sapinières. Il grandit, forcit beaucoup. À quinze ans, il en paraît vingt
et a l’air sournois sous sa chevelure filasse.
La guerre est déclarée. Les incendies déclenchés par les bombardements, il n’y est pour
rien. Il court avec les autres, un seau d’eau à la main et ne parle pas et ne communique pas et
dort toujours à l’écart, près des vaches ou des chevaux, et mange sur un coin de table, loin du
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patron, et n’accepte pas les regards apitoyés des femmes et les moqueries des enfants et se
frappe la tête contre les murs quand l’envie lui prend de flanquer le feu à la paille ou au foin.
On ne peut dire qu’il est méchant ou imbécile. Il s’abrutit de travail, accepte toutes les tâches,
cure la fosse à purin, déblaie le fumier, charrie des poutres plus lourdes que lui, tue le porc et
dépouille les lapins, tire la charrue de bois car il n’y a plus de cheval.
Au loin, le ciel s’allume derrière les crêtes. Il frémit au roulement des canonnades. Les
Allemands arrivent. Il fuit.
Il traverse le plateau de Langres, passe quelques mois en Bourgogne et longe la vallée du
Rhône. Des réserves de paille et de foin brûlent sur son passage. L’été, cela peut arriver. Il
n’est pas forcément coupable mais il se sauve toujours plus loin. Il atteint les Cévennes par un
froid de loup. Trois doigts de sa main gauche gèlent et deviennent aussi blets qu’une poire
passée. Il les tranche avec son couteau, enveloppe sa main dans une bande découpée dans sa
chemise de chanvre. Une vieille femme courbée sous un fagot le rencontre, errant et fiévreux.
Elle désigne une masure qui domine la vallée. Il marche derrière elle, lentement, de plus en
plus faible. Elle habite la dernière pièce encore solide d’une maison ruinée, très haut sur un
promontoire rocheux. La femme soigne son infection avec ses remèdes de sauvage. Une fois
remis, il apprend à pêcher les truites du torrent, à reconnaître les champignons, à les faire
sécher sur des claies. Chaque jour, après avoir trait les deux chèvres, abattu quelques arbres et
empilé le bois sur le tas que la vieille n’a jamais vu si haut, il s’assied sur le banc de pierre,
sous l’ombre centenaire des deux mûriers et contemple le moutonnement des forêts si
intensément et si longtemps qu’il croit percevoir, seconde après seconde, le changement de
couleur du feuillage passant du vert au roux puis au brun sombre. Ensuite, il mange la soupe
de châtaignes, boit le lait des chèvres et s’allonge sur sa paillasse de feuilles, les yeux rivés
sur les flammes de l’âtre et son rêve est une continuité de la journée. Il voit passer ainsi douze
saisons.
Un matin, il trouve la vieille étendue sous les branches nues d’un chêne, morte et les yeux
ouverts. Il la porte sur son lit et la veille longtemps. La maison de cette femme n’a pas brûlé,
ni la forêt, ni les animaux dans l’étable et il creuse une fosse et il enterre la vieille femme et il
plante une croix de branches sur le tumulus de terre. Pour la première fois de sa vie, il pleure.
Il descend les chèvres près du village où on les trouvera et part en tournant le dos à l’étoile
polaire, immobile entre la Grande Ourse et Cassiopée. Il a retenu la leçon d’astre d’un vieux
journalier qui dans sa jeunesse était matelot sur un clipper faisant la route du thé. Il repense à
l’homme au regard bleu qui lui parlait de mondes liquides où les feux de Saint Elme courent à
la pointe des mâts, tels des crachats d’étoiles. L’homme avait vu, par une nuit d’équinoxe,
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brûler une ville sur une côte d’Asie et la mer était un brasier mouvant et le gamin en avait
rêvé mais l’incendie de la ferme où il se trouvait alors n’avait pas illuminé la rivière qui
passait au bord des champs. Du journalier on avait retrouvé le corps calciné dans les
décombres, pas plus grand que celui d’un enfant.
Il quitte l’obscurité pentue des forêts, franchit le Rhône et parcourt des prairies grises
bordées de haies coupe-vent, l’esprit agité par des images impensables. La guerre est terminée
et les hommes en âge de travailler sont devenus rares. Partout, il se fait embaucher facilement.
Il traîne ses godillots éventrés sur les sentiers illunés de la plaine avant d’atteindre enfin la
Provence. Ses yeux cerclés d’indigo sont deux trous d’ombre et sa peau rougie par le froid
n’est que dartre pelliculeuse et sa bouche serrée, une fente vive sous un trait de duvet blond. Il
mendie et finalement est engagé par le patron d’un moulin à huile. Le moulinier vient de
perdre son vieil ouvrier en pleine saison des olives. Le gamin qui n’en est plus un travaille du
lever du jour au crépuscule, sans rechigner, serrant la presse à bras, portant les scourtins
lourds de pulpe et prenant plaisir à voir couler l’huile jaune verte, à humer son odeur de foin
et à caresser la peau grasse de ses mains, étonné par sa douceur nouvelle. Ici, on l’appelle par
son véritable nom : Valentin Cendres. Les villageois moquent son allure dégingandée et sa
façon de saluer de sa main à deux doigts. Il ne s’en soucie pas et se sent si éloigné de son
enfance qu’il a oublié l’odeur de la paille.
Le moulinier et sa femme lui donnent la chambre de leur fils disparu en 1915 lors d’une
attaque allemande, aux Eparges. Les premiers temps, il dort par terre. Il se méfie de la
gentillesse. Tout ce qui est donné sera repris, il en a l’expérience. Il lui faut près d’une année
pour accepter l’affection de ses bienfaiteurs.
Avec ce confort nouveau qui lui laisse le loisir de penser vient le temps du remord. Des
images d’incendies le réveillent en sursaut et il entend meugler les vaches encerclées par le
feu et il voit le cadavre du vieux marin, tout noir et racorni, et la course aussi d’un cheval à la
crinière enflammée. Et il se souvient de sa difficulté à mettre le feu au fenil, ce soir-là.
Personne ne pourrait comprendre ce qu’il a fait, ce qu’il a subi. Il pense que sa culpabilité se
voit sur son visage. Le moindre regard insistant semble l’accuser. Parfois, quand la tension est
trop forte, il se taillade le torse et enduit ses blessures de sel. La femme du moulinier l’oblige
à fréquenter l’église.
On fête le dernier jour du carnaval, le premier du carême, le mercredi des Cendres. C’est ton
jour ! plaisante le moulinier en lui tapant sur l’épaule et il croit que l’homme se moque de lui.
À l’église, les cendres des rameaux d’olivier, bénies l’année précédente, sont disposées sur
un plateau d’argent et le curé les encense trois fois. Valentin suit les fidèles qui se lèvent et
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s’approchent de l’autel. Le curé trace une croix de cendre sur le front de ses ouailles. Quand
c’est son tour, Valentin baisse les yeux et les doigts du prêtre laissent une trace brûlante sur sa
peau. Il a l’impression d’être marqué du sceau de l’infamie. Memento, homo, quod pulvis es,
et in pulverem reverteris. Les paroles incompréhensibles du prêtre lui semblent une
malédiction. Il sort de l’église avec les autres. Tous portent la croix grise au front mais lui
seul est mortifié.
La lumière du dehors, aveuglante et sans doute divine, semble le désigner à la vindicte de la
foule qui gronde et s’amasse autour d’un gigantesque pantin de paille nommé Caramantran, le
bonhomme carnaval. Il est accroché à une potence dans un habit ridicule fait de hardes
bariolées et ressemble à Valentin. Les villageois jugent ses turpitudes et rient en l’accusant de
tous les maux et lui lancent des pierres et lui crachent dessus et le condamnent. Valentin crie
avec eux mais c’est de terreur. Un jeune garçon approche une torche enflammée de la paille
qui dépasse d’une des jambes du pendu. La flamme monte au ventre du Caramantran et creuse
ses entrailles et prend sa forme humaine, fluente silhouette de lumière en fusion.
Valentin cligne des yeux sous l’assaut des fétus enflammés qui se métamorphosent en
papillons noirs. Il est si près du brasier que le velours de son pantalon en est roussi.
Personne ne l’arrête quand il se jette sur le Caramantran en feu et qu’il l’étreint et qu’il
s’embrase à son tour sous la clameur de la foule et qu’il devient graisse fondue et cendres.
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