1 rue. >-Je marchais

Transcription

1 rue. >-Je marchais
À tu et à moi, © Sarah Migneron
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<-Hier soir, je marchais dans la rue.
>-Je marchais dans la rue hier soir.
<-J’ai aperçu du sang qui coulait de mes veines.
>-De mes veines, j’ai aperçu du sang qui coulait.
<-J’ai marché vers ce coulis couleur framboise.
>-Ce franc bois vert couleur coulis, je l’ai marché.
<-Plus j’approchais, plus il cherchait à me fuir.
>-Plus cherchait-il, plus j’approchais à me fuir.
<-J’ai commencé à courir.
>-À courir commençai-je
<-J’ai couru et couru dans les rues de la place.
>-De la place des rues j’ai couru et couru.
<-J’ai perdu ma trace.
>-Ma trace éperdue.
<-J’ai perdu la tête.
>-Ma perte entêtée.
<-Je me suis arrêtée et je me suis penchée; je me suis recroquevillée.
>-Penchée et arrêtée, je me suis, je te suis; recroquevillées nous nous sommes.
<-J’ai placé mes mains autour de mes chevilles et j’ai placé mon âme autour de mon corps.
>-Mes chères mains j’ai placées autour de la ville et mon âme et mon corps autour de la place.
<-J’ai regardé le ciel et le ciel m’a regardée.
>-J’ai cillé vers le ciel et le ciel m’a remerciée.
À tu et à moi, © Sarah Migneron
<-J’ai fermé les yeux et le ciel a éclaté.
>-J’ai fermé le ciel et mes yeux ont éclaté.
<-Je suis restée sous la pluie et mon sang est parti.
>-Sans rester sous la pluie je suis partie sans mon sang.
<-Je suis restée sous mon sang et la pluie est partie.
>-Sous mon reste je suis sanglée et partie est la pluie.
<-J’ai senti une main se poser sur mon épaule.
>-Se poser sous une main j’ai senti mon épaule.
<-Mes yeux se sont ouverts et c’est toi que j’ai vue.
>-C’est toi que j’ai ouverte et mes yeux se sont vus.
<-Tu as fermé les yeux et nous nous sommes reconnues.
>-On s’est tues et reconnues yeux fermés nous sommes nous.
<-Je me suis relevée et je t’ai regardée.
>-Regardée je me suis et relevée je t’ai.
<-J’étais là dans tes yeux et tu disais mes mots.
>-Dans tes maux j’étais là et mes yeux tu disais.
<-De ta main droite, tu as essuyé mon sang.
>-Essuyée de mon sang, tu as ta main droite.
<-De ta main gauche, tu as recueilli la pluie.
>-Recueillie de la pluie, tu as ta main gauche.
<-Et joue dans la joue, nous nous sommes envolées.
>-Et envolées nous nous sommes en jouant, enjouées.
Elles se placent pour la prochaine scène en jouant à un jeu d’enfants. Comptine chantée.
À tu et à moi, © Sarah Migneron
ENSEMBLE
Trois fois passera, la première ou la dernière, trois fois passera, la dernière y restera.
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<-Il faut... il faut que je te dise merci. Tu ne peux pas savoir... Je ne suis plus capable de vivre
comme ça... Je ne suis plus capable d’être seule.
>-J’ai besoin d’air, moi aussi. Promets-moi que tu ne me parleras pas de la vie quotidienne, des
enfants, du ménage. Parle-moi de ta vie à toi. Parle-moi de ta liberté.
<-Je ne suis plus capable d’être seule, d’être libre, comme tu dis. Je ne suis plus capable
d’acheter de la nourriture pour une, de me dépêcher à emplir mes sacs à la caisse, de me faire
dévisager par toutes les petites familles qui s’impatientent pour que je libère la place.
>-Je ne suis plus capable d’être leur esclave. De deviner ce qu’ils veulent manger semaine après
semaine. De leur crier par la tête pour qu’ils m’aident à emplir le chariot pendant que tout le
monde me dévisage et s’impatiente pour que j’enlève ma petite famille de leur chemin. De tout
transporter à la voiture et de leur répéter encore une fois de ne pas courir dans le stationnement.
<-Je ne suis plus capable d’attendre l’autobus, les bras chargés de portions individuelles.
D’embarquer dans ma limousine et de faire attendre le chauffeur le temps que je dépose mes
trois cent sacs et que je sorte mon laisser-passer du fin fond de mon sac à dos plein à craquer.
>-Je ne suis plus capable d’arriver à la maison après avoir entendu les enfants crier et se disputer
pour des riens, de m’éreinter à sortir tous les paquets de la voiture et d’entrer pour le retrouver
dans la même position que quand je suis partie, assis sur son présent à regarder le passé.
<-Je ne suis plus capable de bousculer tout le monde pour sortir à mon arrêt, de marcher jusqu’à
l’appartement loué d’un étranger en sentant le froid des produits congelés qui me fondent dans le
dos. Je ne suis plus capable d’avoir à déposer tous mes paquets pour trouver ma clé et ouvrir la
porte, de n’avoir personne qui m’attend, personne pour me décharger les bras, personne pour me
demander ce que j’ai acheté et pour m’aider à tout ranger.
>-Promets-moi de ne pas me parler des enfants, et du ménage, et de la vie.
<-Promets-moi de me parler de la vie à deux, à trois, à quatre. Promets-moi que je n’aurai plus à
être seule.
>-Promets-moi que je n’aurai pas à être seule.
<-Tu n’auras pas à être seule.
>-Tu n’auras plus à être seule.
À tu et à moi, © Sarah Migneron
ENSEMBLE, mais chacune de son côté, comme en une sorte d’écho
<-Je n’aurai pas à être seule.
>-Je n’aurai plus à être seule...