L`apparition de la vie

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L`apparition de la vie
L’apparition de la vie
Leçon de contre-option, agrégation SV-STU
Proposition de plan par : Mathieu Rodriguez, Pr. Agrégé SV-STU & doctorant istep-ens
Mail : [email protected]
Définitions :
Du point de vue de la biologie, un organisme vivant est considéré comme un système
chimique autopoïétique (i.e. capable de régénérer ses propres constituants), et capable d’échanger
de la matière et de l’énergie avec son environnement. Ce système est capable de se reproduire de
manière imparfaite, engendrant à chaque génération des formes légèrement différentes de luimême, sélectionnées au cours du temps selon leur degré d’adaptation à leur environnement. Cette
dernière faculté est à l’origine de la grande diversité du vivant. La vie sur Terre – seule connue à ce
jour- est basée sur la chimie du Carbone. Nous pouvons donc définir la vie comme un système
chimique auto-entretenu soumis à une évolution Darwinienne.
A cette première définition se rajoutent des considérations thermodynamiques. Erwin
Schrödinger définissait en 1944 la vie de la façon suivante : « La vie semble être un comportement
ordonné et réglementé de la matière, comportement non basé exclusivement sur sa tendance de
passer de l’ordre au désordre, mais en partie sur un ordre qui se maintient ». De ce point de vue, la
vie est considérée comme un milieu clos dont l’ordre augmente (i.e. son entropie diminue) de façon
cyclique grâce à un flux d’énergie vers un milieu extérieur dont le désordre augmente (i.e. son
entropie augmente), conformément à la seconde loi de la thermodynamique.
Le système chimique de la vie est basé sur les éléments suivants : le Carbone, l’Azote,
l’Oxygène, et l’Hydrogène. Les molécules participant à la chimie du vivant sont principalement : les
protéines (assemblage d’acides aminés), les acides nucléiques (assemblage de nucléotides, molécules
complexes composées de sucre, de base azotée, de phosphate), les sucres, et les lipides (constituants
des membranes). Une des caractéristiques du vivant est la présence d’un code génétique universel,
contenu dans les acides nucléiques. La structure en double hélice de l’ADN est connue depuis les
travaux de Watson & Crick dans les années 50.
La question de l’origine de la vie est au cœur des religions, et l’enseignement de ce thème se
confronte aux conceptions créationnistes. L’une des premières théories scientifiques sur les origines
de la vie fut émise par Alexandre Oparin, en 1924. Il s’agit de la théorie de « la soupe pré-biotique »,
selon laquelle des molécules formées dans l’atmosphère de la Terre primitive se seraient déposées
dans l’eau des océans et auraient constitué une « soupe » contenant une grande variété de
substances organiques, à partir desquelles la vie cellulaire se serait organisée. La vie serait alors née
dans les régions océaniques peu profondes, pour pouvoir capter l’énergie solaire. La vision que nous
avons aujourd’hui de l’apparition de la vie et des premiers environnements biotiques a bien évolué.
La phylogénie nous apprend que l’ancêtre commun le plus lointain de toutes les formes de
vie connues actuellement, LUCA (acronyme de Last Universal Common Ancestor), aurait plus de 3 Ga.
Cependant, LUCA n’est pas le premier organisme vivant sur Terre, il est probable qu’il soit lui-même
issu d’une lignée évolutive et qu’il cohabitait avec d’autres lignées qui, elles, n’ont pas laissé de
descendants. Il s’agit d’un organisme théorique, une reconstitution d’ancêtre commun : il se situe au
premier nœud de l’arbre phylogénétique, et non au sommet d’une branche. L’objectif de cette leçon
est de comprendre les étapes ayant permis l’apparition d’un organisme primitif de type « LUCA »,
dont est issue la vie que nous connaissons aujourd’hui. [Attention au hors-sujet : il ne s’agit pas de
faire un historique de la vie au Pré-Cambrien !]
Fig. 1 : L’arbre phylogénétique du vivant : quelles sont les origines du dernier ancêtre
commun ?
Je propose d’organiser cette leçon selon les trois axes suivants :

La vie actuelle occupe une grande diversité d’environnements – jusqu’aux plus extrêmes.
L’un des principaux problèmes est de savoir dans quel environnement et dans quel contexte
géologique la vie a-t-elle pu naître et s’épanouir. La question préalable est donc d’identifier les
premières traces du vivant afin de les dater et de savoir quand la vie est apparue.

Une fois les environnements favorables à l’apparition de la vie identifiés, nous chercherons à
comprendre comment la transition entre le monde inerte et le monde vivant s’est accomplie. Nous
limiterons notre démarche à l’apparition d’un système chimique auto-réplicatif ; les étapes
conduisant à l’apparition d’une cellule pleinement fonctionnelle ne seront que mentionnées (elles
relèvent du domaine de la biologie moléculaire).

Enfin, nous discuterons de la probabilité que la vie soit apparue plusieurs fois, sur d’autres
planètes que la nôtre, à l’aide des enseignements de la planétologie comparée. Quels corps extraterrestres (planètes et satellites du système solaire, exo-planètes) sont des hôtes potentiels pour la
vie ? En quoi l’étude de ces corps peut renseigner sur les processus de l’apparition de la vie ?
1) L’environnement dans lequel est apparue la vie
a. A la recherche des premières traces de la vie, et leur datation.
Les plus vieux fossiles connus à ce jour sont les stromatolithes, organismes composés de
tapis de micro-algues photosynthétiques prisonnières d’encroûtement calcaire : ils seraient apparus
il y a environ 3,5 Ga et existent encore actuellement dans des environnements aquatiques peu
profonds isolés en Australie (baie des requins) et dans les Caraïbes. A l’aide de microscopes
électroniques à balayage, des microfossiles vieux de 3,4 Ga ont pu être identifiés à Marble Bar, en
Australie. Cependant, des réactions purement inorganiques, au voisinage des cheminées
hydrothermales, peuvent produire des précipités riches en carbone dont les formes, à l’échelle du
microscope, miment les formes des premières traces de la vie.
Fig. 2 : Stromatolithes de North Pole (Australie ; 3,4 Ga) et cherts de Marble Bar (Australie ; 3,4 Ga).
Photos : H. Martin.
Il est difficile d’identifier les traces du vivant au temps de l’Archéen : les organismes sont
alors unicellulaires, microscopiques, et leurs composants ne fossilisent pas facilement. De plus, la
Terre s’est depuis sans cesse refaçonnée au gré des évènements tectoniques, des épisodes
métamorphiques, et des processus d’érosion, si bien qu’il n’existe plus de sites où l’on puisse
retrouver intacts les vestiges des environnements de la vie primitive. A défaut de fossiles doit-on se
contenter de « bio-signatures » : des traces de carbone, souvent rencontré à l’état de graphite (qui se
forme lorsque du carbone est porté à haute température).
Fig. 3 : Comparaison entre bactéries fossiles et bactériomorphes de cristal
Pour les exemples les plus anciens :
_En 1996, en Antarctique, des traces de carbone sont retrouvées sur une météorite
…datée de 3,9 Ga ! Cependant il est possible que la météorite ait été contaminée par du
carbone terrestre…
_ Au Groënland, des traces de carbone vieilles de 3,8 Ga et de 3,7 Ga ont été
reportées sur les roches métamorphiques archéennes de l’île de l’Akilia et d’Isua,
respectivement. Nombreux pensent que le protolithe de ces gneiss était des roches
sédimentaires, ce qui constitue une preuve de l’existence d’eau liquide à cette époque. Il est
important de noter que les traces de carbone en question sont datées d’après l’âge des
formations sédimentaires qui les contiennent, et non directement. Ces traces de carbone
sont-elles bien d’origine biologique ? Les échantillons de graphite prélevés sont enrichis en
12
C, l’isotope le plus léger et le plus courant du carbone, et aussi le plus facilement
assimilable par les métabolismes bactériens. Prudence cependant : Lors des épisodes
métamorphiques ultérieurs subis par les formations d’Akilia et d’Isua, les fluides mis en
circulation ont pu transporter des composants organiques bien plus récents au sein de ces
formations sédimentaires plus anciennes, et ainsi fournir le carbone aujourd’hui contenu
dans les graphites observés. De plus, le graphite peut aussi être d’origine inorganique : il a
par exemple été montré qu’au niveau des sources hydrothermales des dorsales océaniques,
des traces de carbone comparables à celles du Groënland peuvent être produites sans
intervention biologique.
Fig.4 : BIF (formation rubannée de fer) d’Isua, Groënland. Photo : H. Martin
b. Le contexte géologique au moment de l’apparition de la vie.
L’apparition probable de la vie à 3,9 Ga est surprenante : en effet, à cette époque, la Terre
était encore soumise à un bombardement météoritique intense (comme le montre la multitude de
cratères observables sur la surface de la Lune, formée à cette époque). Un tel bombardement a
probablement joué un rôle stérilisateur pour la vie. Le bombardement météoritique – qui dura de 4,4
à 3,9 Ga (avec cependant une interruption de plusieurs centaine de Ma)- serait responsable de
l’apport de la majorité de l’eau à l’origine des océans : les chondrites carbonées peuvent contenir
jusqu’à 20% d’eau, et la signature isotopique de l’eau de la Terre est plus proche de celle de l’eau
trouvée sur les corps formés vers la ceinture de Kuiper que sur les corps formés au niveau de l’orbite
de la Terre. Les météorites ont été incorporées au manteau primitif superficiel, et l’eau qu’elles
contenaient ensuite dégazée au niveau des cheminées hydrothermales. L’eau liquide est présente
sur Terre depuis environ 4,4 Ga, comme l’attestent les zircons de cet âge trouvés dans les cratons
australiens (le zircon est un minéral qui ne se forme que dans les granites riches en eau). Les océans
primordiaux se seraient formés par condensation de l’atmosphère primitive de la Terre, riche en
vapeur d’eau (90% de la composition de l’atmosphère primitive, les 10% restants étant d’autres gaz à
effet de serre comme le C02). Les mécanismes à l’origine du refroidissement de l’atmosphère
nécessaire à la condensation de l’eau sont mal connus : l’enfouissement de carbonates dans le
manteau aurait permis de piéger du CO2 et d’abaisser l’effet de serre, mais ceci implique une
tectonique des plaques précoce dont nous n’avons aucune preuve : est-il possible que des processus
de subduction se manifestent à l’Hadéen (dans des conditions de flux de chaleur extrême,
incompatibles avec les subductions que nous connaissons aujourd’hui)? Notons également que
l’atmosphère ne comprenait que des molécules à un seul atome de carbone, bien loin des molécules
organiques complexes. Dans le premier milliard d’année de la Terre, la luminosité du soleil était aussi
plus faible de 30% par rapport à l’actuel. Il n’en demeure pas moins un rayonnement ultraviolet
intense, empêchant la formation de liaisons entres les atomes.
La température des océans à l’époque de l’apparition de la vie est calculée par des mesures
du rapport 18O/16O sur les cherts précambriens : le rapport 18O/16O de l’oxygène piégé dans la silice
était en équilibre avec l’eau de mer, et le fractionnement dépend de la température au moment de
la formation des cherts. Selon ces résultats, la température des océans avoisinait les 70°à 110°C( !).
L’eau était maintenue liquide à de telle température en raison d’une pression atmosphérique plus
importante (env. 210 bars si l’on tient compte du seul CO2). Ces estimations de température des
océans sont cohérentes avec le fort effet de serre qui devait régner à cause de la composition de
l’atmosphère primitive.
Fig. 5 : relation entre le rapport 16O/18O des silex et la température de l’eau lors de leur
cristallisation
Le flux de dissipation de la chaleur interne devait aussi être plus important qu’aujourd’hui
(en raison d’une radioactivité plus importante dans le manteau). Pour preuve certaines roches
archéennes, les komatiites : des laves ultrabasiques, composées d’olivines à texture spinifex, qui ne
se forment que dans des conditions de température très élevées (1600°C), à de grandes profondeurs,
et suite à des taux de fusion partielle du manteau très élevés (de 50 à 60%, à comparer aux 20%
régnant actuellement à l’axe de certaines dorsales). Pour dissiper cette importante chaleur interne,
la surface des dorsales océaniques était probablement beaucoup plus importante qu’aujourd’hui, ce
qui signifie que les environnements hydrothermaux étaient beaucoup plus répandus
qu’actuellement.
Fig. 6 : A) répartition des dorsales à l’archéen, en réponse à B)
l’important flux de chaleur généré essentiellement par la radioactivité. C) Les komatiites sont la
preuve de ce flux de chaleur plus important (échantillon : H. Martin).
La vie serait donc apparue dans un contexte géologique et environnemental très différent de
celui d’aujourd’hui, dans des conditions extrêmes. Comment la vie a-t-elle pu émerger dans des
conditions qui lui sont apparemment hostiles ? L’existence de bactéries extrêmophiles (ex. les
hyperthermophiles) montre que de telles conditions ne sont pas forcément nuisibles à la vie…
2) L’émergence de la vie : de l’inerte aux acides nucléiques
(jusqu’à la cellule si vous avez assez de temps !)
Remarque : j’ai choisi ici de suivre l’ordre chronologique, des minéraux jusqu’aux premiers
ARN et ADN… Une autre démarche serait de partir des ARN et ADN et de remonter le
temps à la recherche de leur origine
a. L’expérience de Stanley Miller (1953) et la naissance de la chimie pré-biotique.
Stanley Miller le premier s’est essayé à la synthèse des « briques du vivant » à partir
d’expériences en laboratoire. En appliquant une étincelle électrique à un mélange de gaz simples
censés représenter l’atmosphère primitive (CH4, H2, NH3, H20) telle qu’elle était conçue à l’époque, il
fournit l’énergie nécessaire pour créer des acides aminés. Seuls les plus petits acides aminés (3
atomes de Carbone au maximum) ont été synthétisés artificiellement par Miller. De plus, de tels
acides aminés ont été retrouvés sur la météorite de Murchinson, tombée en Australie en 1969
(s’agit-il d’une contamination ?). Que ce soit par synthèse à partir des composants de l’atmosphère
primitive, ou par apport via les météorites, les acides aminés semblent avoir été présents assez
facilement dans la terre primitive… Grâce à ses expériences, Miller venait de fonder la chimie prébiotique, dont le but est de comprendre la transition entre le monde inorganique et le monde vivant.
FIg. 7 : schéma du dispositif expérimental utilisé par Miller pour la
synthèse d’acides aminés
L’examen des roches archéennes du Groënland révèle l’existence de serpentine : la
formation de minéraux hydratés au début de l’Archéen est une observation importante, car les
réactions à leur origine produisent des quantités phénoménales d’hydrogène, qui réagit avec le
dioxyde de carbone pour donner du méthane ; et avec l’azote pour donner l’ammoniac…soit les deux
ingrédients essentiels de l’expérience de Miller ! (équations des réactions in « Des atomes aux
planètes habitables, p.90).
b. Le rôle des roches et des minéraux dans l’apparition de la vie.
Il est probable que les minéraux aient servi d’abri aux premières manifestations de la vie,
notamment vis-à-vis des U.V. en protégeant les liaisons entre atomes. Les minéraux forment
également des sites favorables à la concentration des gaz, servent de support pour le développement
des molécules, fournissent des ions métalliques nécessaires aux réactions chimiques à l’origine du
vivant, ainsi que des éléments minéraux dissous puis incorporés dans les molécules biologiques. Il est
aussi fort probable que des molécules aient été sélectionnées selon leur affinité avec les minéraux.
Le fait que plusieurs éléments minéraux soient au cœur de la structure de certaines molécules (le Fe
pour l’hémoglobine, le Mg pour la chlorophylle, les différents co-facteurs enzymatiques) suggère
aussi l’intervention des minéraux à un stade précoce de l’histoire de la vie.
Du temps d’Oparin, on croyait l’énergie lumineuse indispensable à l’apparition de la vie, et
donc la surface des océans comme seul lieu d’apparition possible -vision confortée par le milieu de
vie des stromatolithes. Cependant la découverte dans les années 70 des oasis hydrothermales dans
la zone aphotique des océans remet en question cette conception. A l’abri de l’action des U.V., les
molécules sont toutefois soumises à de fortes températures (jusqu’à 250-300°C pour les conditions
actuelles) favorisant l’instabilité des molécules. Les minéraux ont toutefois pu servir d’abri contre la
température aux premières réactions chimiques du vivant. Des expériences ont montré que la
trempe thermique subie par les acides aminés passant brusquement des eaux chaudes aux eaux
froides favorisait leur polymérisation : ce dernier résultat conforte là encore l’hypothèse de
l’apparition de la vie en milieu hydrothermal.
Des expériences montrent qu’un métabolisme primitif peut avoir lieu sans enzyme mais en
présence de minéraux : des petites capsules d’or sont placées dans une chambre en acier, où règne
une pression de 2000 atm, une température de 250°C, et où sont présentes les molécules de la
soupe pré-biotique. Ce dispositif recréé ainsi les conditions probables de l’apparition de la vie au
niveau des cheminées hydrothermales. L’ajout de divers oxydes métalliques à ce dispositif permet la
polymérisation de molécules carbonées complexes et diverses à partir des molécules simples à un
carbone présentes initialement. De façon surprenante, les « déchets » de ces réactions sont très
semblables aux minéraux composant les cheminées hydrothermales…
S’il reste du temps pour l’oral… : [Actuellement, tous les acides aminés sont de forme L… Pourtant, des
expériences de synthèse en laboratoire ont montré qu’il y a autant de probabilité de synthétiser les deux
énantiomères d’un même acide aminé. Les minéraux ont-ils joué un rôle dans la chiralité des acides aminés ?
Des expériences menées sur la calcite (un minéral disposant d’autant de faces attirant les acides aminés L que
de faces attirant les acides aminés D) ont montré, en présence de 50% de chaque énantiomère, que tous les
acides aminés se fixaient à la calcite. Ceci signifie qu’il n’y a pas de sélection a priori par la calcite d’une forme
préférentielle d’acide aminé. Mais si, à un moment donné de la Terre, il y a eu plus de faces de calcite fixant les
molécules L que D, alors une forme aurait pu prendre le dessus sur l’autre. Une compétition précoce entre les
formes L et D serait donc à l’origine de la sélection de la forme L.]
c. La vie avant l’ARN et l’ADN : les premiers métabolismes.
Les expériences en laboratoire permettent, en présence de sucres, de bases azotées, et de
phosphate uniquement, de créer des nucléotides. Cependant, dans la nature, il existe de nombreuses
autres molécules qui auraient pu se combiner aux bases azotées et ainsi avorter la formation des
nucléotides tels que nous les connaissons. De même il paraît peu probable que des nucléotides se
soient assemblés directement en acides nucléiques, et que ceux-ci aient acquis directement des
propriétés auto-réplicatrices. Les nucléotides ont aussi des configurations 3D très complexes. La
probabilité de fabriquer des nucléotides par simple combinaison des « briques du vivant » est donc
quasi-nulle ; il est plus probable que les nucléotides et les acides nucléiques résultent d’une vie
primordiale déjà évoluée, avancée et élaborée. Les voies de biosynthèse actuelles des nucléotides et
acides nucléiques sont des processus métaboliques complexes, qui résultent de longs processus de
sélection. Il est peu probable que les premiers acides nucléiques aient été synthétisés directement, à
partir de voies de biosynthèse semblables aux voies actuelles et évoluées. Tenter de reconstituer ces
voies de biosynthèse en laboratoire n’apporte donc rien à la compréhension des processus à l’origine
des premiers nucléotides et acides aminés. Il faut donc imaginer une vie primordiale faite de
molécules simples. Par exemple, les nucléotides auraient pu apparaître au sein d’un métabolisme
primordial sans jouer un rôle de support d’information, mais plutôt un rôle de support d’énergie, un
peu comme l’ATP dans la vie actuelle.
Pour imaginer quels furent ces premiers métabolismes, rappelons qu’au sein d’un milieu
vivant, l’entropie diminue ; et que cette dernière augmente dans le milieu extérieur, non-vivant.
Aujourd’hui ce sont les membranes cellulaires qui font office de frontière entre ces deux milieux. A
l’origine, ce devait être des surfaces minérales. Une source d’énergie doit alimenter le processus
d’organisation du milieu vivant. Les sources d’énergies disponibles au moment de l’apparition de la
vie sont diverses : oxydo-réduction d’éléments minéraux, lumière, radioactivité. Des processus de
couplage sont nécessaires pour que ces sources d’énergie participent à l’organisation du milieu
vivant. Il existe actuellement des bactéries chimio-lithotrophes (ou chimio-autotrophes), qui puisent
l’énergie nécessaire à leur activité de biosynthèse des réactions exergoniques (=productrices
d’énergie) entre molécules inorganiques. La plupart des réactions d’oxydation requièrent de l’O2
dissous ; or celui-ci n’apparaît sur Terre qu’avec la photosynthèse. Il existe pourtant des réactions
d’oxydo-réduction qui ne font pas intervenir l’O2 et qui servent de support aux métabolismes des
bactéries méthanogènes, et des bactéries endogées vivant dans les profondeurs des croûtes
continentales et océaniques.
L’assemblage des réactions de couplage entre les sources d’énergie potentielles et le milieu
vivant forme un métabolisme primitif qui s’adapte et ensuite évolue. Par exemple, les séries de
réactions (B, C, D) permettant de transformer un élément A en E appauvrissent l’énergie du système
et maintiennent son organisation. Si A se transformait directement en E sans passer par les étapes B,
C, et D, et si E pouvait se re-transformer directement en A (simple réversibilité de la réaction), il n’y
aurait pas de baisse d’énergie (et donc d’organisation) du milieu vivant. De même si un composé
peut quitter le système directement sans en appauvrir l’énergie.
Ensuite, la division d’un même système en plusieurs unités indépendantes (isolées par des
membranes lipidiques) favorise l’émergence de la vie : si un système est attaqué, il y a des chances
pour qu’un autre système ne le soit pas et survive.
 Un métabolisme primordial nécessite donc : un compartiment, une source d’énergie
externe couplée à une réaction d’alimentation, un réseau chimique incluant cette
réaction, et un mécanisme simple de reproduction.
d. Monde à ADN ou monde à ARN ?
Richard Dawkins : « A un moment donné, une molécule remarquable s’est formée par
accident. Elle n’était peut-être pas la plus grande, ni la plus complexe, mais avait l’extraordinaire
propriété de fabriquer des copies d’elle-même ». Quelle était cette molécule primordiale auto
réplicatrice, l’ADN ou l’ARN ?
Le problème de la théorie de l’ADN primordial est que la réplication de l’ADN, composé de
nucléotides, requiert l’intervention de nombreuses protéines, composées d’assemblage d’acides
aminés. Mais les acides aminés sont assemblés en protéines selon la séquence de nucléotides
composant l’ADN. Qui de la protéine et de l’ADN est apparue en premier ?
Plusieurs observations suggèrent l’antériorité de l’ARN : les désoxyriboses sont formés à
partir des riboses, la thymine est modifiée à partir de l’uracile, présence de nucléotides dans les ARNt
qui sont absents de l’ADN… Mais la découverte d’ARN auto-catalytiques, les ribozymes, fut
déterminante. Walter Gilbert (prix nobel de chimie 1986) parle alors « d’un monde à ARN, ne
contenant que des ARN qui œuvraient à leur propre synthèse à partir d’une soupe de nucléotides ». Le
premier ARN auto-répliquant effectuait les différentes fonctions qu’exécutent désormais les ADN,
ARN et protéines. Au cours d’une étape précoce de l’histoire de la vie, la continuité génétique et une
part importante du métabolisme étaient assurées par la réplication de molécules d’ARN, par le jeu
d’interactions faibles et sans intervention d’enzymes protéiques. La catalyse était assurée par les
ribozymes et quelques peptides. L’idée que l’ARN a précédé l’ADN est depuis bien ancrée. Cela ne
fait pas de l’ARN la première molécule vivante -directement issue du monde minéral, l’ARN résultant
probablement, comme nous l’avons vu, de l’évolution et des sélections successives de métabolismes
primordiaux…qu’il reste à déterminer. La diversité des ARN actuels (*t,r,m…) est-elle le vestige d’une
diversité fonctionnelle passée, du temps où les ARN supportaient le métabolisme ? Et les ribosomes
actuels sont-ils les vestiges de ces ribozymes ?
Corollaire : Si l’on considère que les molécules complexes comme les acides nucléiques sont
apparues directement à la surface de la Terre, alors la probabilité qu’un tel phénomène se soit
reproduit ailleurs semble nulle. Si en revanche on considère que les acides nucléiques sont le résultat
de métabolismes primordiaux basés sur des molécules simples et ayant évolués vers un degré de
complexité et de diversification croissant, alors la probabilité d’une vie ailleurs devient réaliste. La
découverte de bactéries vivant dans la croûte terrestre, sans lumière ni oxygène pour soutenir leur
métabolisme, encourage à élargir la gamme des milieux dans lesquels la vie a pu naître. L’étude de
l’apparition de la vie sur Terre est soumise à de nombreuses limites, notamment celles liées à la
dynamique de la Terre et à l’érosion. Même si plus difficilement accessibles, les planètes et satellites
du système solaire ne subissent pas les mêmes renouvellements de surface que la Terre : les traces
d’une vie primitive, et de l’environnement dans lequel elle s’est épanouie, permettraient alors de
mieux comprendre les phénomènes à l’origine de la vie.
3) La vie ailleurs que sur Terre ( ?)
a. L’habitabilité des planètes du système solaire
Pour que la vie telle que nous la connaissons à la surface de la Terre existe, il faut de l'eau
liquide, donc une température comprise entre 0 et 100°C (pour P = 1 atm.), et une pression pas trop
faible pour permettre l'existence de l'eau à l'état liquide en surface. Pour Vénus et en deçà, il fait
bien trop chaud. Pour Mars et au-delà, il fait bien trop froid. Pour des corps situés entre Vénus et
Mars, là où la température est a priori correcte, il faut en plus que la masse de la planète ou du
satellite soit suffisante pour qu'une atmosphère dense existe, maintienne une certaine pression à la
surface, et permette ainsi l'existence d'eau liquide en surface. C'est pour cela que la Lune,
idéalement placée, mais trop petite, n'a pas de vie car pas d'eau liquide. Depuis plus d'un siècle, les
astronomes ont ainsi défini la notion de « fenêtre d'habitabilité ». En fonction de la distance à
l'étoile, il n'y a qu'une faible zone où la température permet à l'eau liquide d'exister, zone où se
trouve la Terre. La fenêtre s’élargit lorsqu’on prend en compte l’effet de serre : trop élevé
actuellement sur Vénus, trop faible sur Mars ; l’effet de serre dépend de l’atmosphère de la planète.
Les atmosphères des planètes telluriques ont évolué depuis leur création : existe-t-il des époques où
elles permettaient la vie sur une autre planète que la Terre ? Il y a encore 3,5 Ga environ, de l'eau
liquide stable et pérenne existait sur Mars. Puis Mars a perdu progressivement la majorité de son
atmosphère, s'est refroidi par diminution de son effet de serre et s'est asséché. La température
moyenne de –50°C et la pression de 6 hPa (1013 hPa sur Terre) ne permet plus la vie superficielle.
Mais, c'est pendant la période où l'eau liquide existait sur Mars que la vie apparaissait sur Terre. Il est
donc raisonnable de proposer que, puisque les conditions terrestres et martiennes étaient voisines
vers –4 Ga, la vie « superficielle » soit apparue simultanément sur ces 2 planètes, avant de
disparaître de Mars et d'exploser sur Terre.
Mais définir l’habitabilité d’une planète sur ces seuls critères exclut toute vie basée sur la
chimiosynthèse, de la vie endogée, sous-glaciaire…
A la lumière des paragraphes précédents, les conditions de l’habitabilité se définissent par la
réunion des facteurs suivants : la présence d’eau liquide (et donc des paramètres physiques
permettant son existence), des réactions exergoniques servant de source d’énergie et susceptibles
d’être couplées à des métabolismes primitifs (chimiolithotrophie ou photoautotrophie), et la présence
de carbone (même si du carbone inorganique existe aussi). Etudions à présent l’habitabilité de
quelques « bons candidats »…
b. Les meilleurs candidats à une vie extra-terrestre
(choisir les exemples selon le temps restant, je recommande Mars et Encelade)
Mars : À côté de la vie « superficielle », qui a pu exister dans un passé lointain, n'oublions pas
la vie endogée. Sur Mars, la température moyenne est actuellement de –50°C, et on sait que le soussol martien est gorgé de glace d'H2O. Si on suppose que le degré géothermique martien est de
10°C/km (3 fois plus faible que sur Terre), la température profonde dépasserait 0°C dès 5 km de
profondeur. Cette H2O présente en surface sous forme de glace serait donc liquide dès 5 km de
profondeur, en négligeant l'effet de la pression. Et comme il y a sur Mars abondance de silicates
ferreux, de CO2 et d'H2O, rien n'interdit que de la vie endogée existe actuellement sur Mars. On n'a
actuellement aucune preuve de l'existence de cette vie, mais des dégagements de méthane observés
depuis 2007 suggèrent que de l'H2O liquide réagit avec du Fe2+ de l'H2O et du CO2. Sont-ce des
réactions biotiques ou abiotiques ?
Fig. 8 : La morphologie montre une ancienne vallée se terminant par un delta. Les couleurs surajoutées à cette photo indiquent la minéralogie telle qu'ont pu la déterminer les études spectrales.
La couleur verte indique la présence d'argile. Or, pour faire de l'argile, il faut une interaction de
longue durée entre de l'eau liquide et des silicates.
Ganymède, Callisto (satellites de Jupiter) et Titan (satellite de Saturne) : Ils sont constitués
d'environ 50% de fer+silicates, et de 50% d'eau. On a des preuves directes (pour Titan) et indirectes
(pour Ganymède et Callisto) que cette eau contient une quantité appréciable de NH3 et de CH4
+ autres hydrocarbures. Leur température externe est de –170 à –200°C. Les études des surfaces,
des champs magnétiques, des moments d'inertie…, les modèles de constitution interne et
d'évolution thermique…, tout suggère que ces 3 satellites dont le diamètre est d'environ 5000 km ont
grossièrement la même structure interne. Ils seraient constitués d'un noyau de silicates+fer et d'un
manteau d'H2O plus ou moins riche en méthane, autres molécules organiques et ammoniac. Ce
manteau d'H2O serait divisé en 3 couches, avec de haut en bas : (1) une couche sommitale de glace
d'H2O de basse pression (glace « normale », dite glace I) de 100 à 200 km d'épaisseur, (2) un océan
d'eau liquide d'une centaine de km d'épaisseur au milieu, et (3), à la base, une couche de glaces
d'H2O de haute pression (glace V et VI) de plusieurs centaines de km d'épaisseur. Une couche d’eau
liquide d’environ 100 km d’épaisseur est donc prise en sandwich entre deux couches de glace. Dans
ces océans profonds, pas de lumière bien sûr, et pas (ou peu) de réaction eau + silicates ferreux,
puisque l'océan liquide n'est pas en contact direct avec les silicates. De la vie est loin d'y être exclue,
mais cet océan n'est pas a priori le site le plus favorable au développement de la vie.
Fig. 9 : vue externe et structure interne de Ganymède, satellite de Jupiter
Europe : Europe est aussi un satellite de Jupiter, légèrement plus petit que Ganymède et Callisto,
mais plus dense. Il serait constitué de 90% de silicates + fer, pour seulement 10% d'eau. On n'a pas
d'indication certaine sur la présence ou l'absence de NH3, CH4 et autres hydrocarbures dans cette
eau, mais tout laisse à penser qu'il y en a. Études de surface, modèles d'évolution interne…
permettent de proposer qu'Europe est constitué d'un noyau de fer et d'un manteau silicaté
recouvert d'une couche d'H2O d'une centaine de km d'épaisseur, H2O théoriquement gelée vue la
température externe d'environ -170°C. Les études de géologie de la surface et les modèles
thermiques suggèrent fortement que cette couche d'H2O de 100 km est dégelée sur la majorité de
son épaisseur, réchauffée à sa base par un volcanisme identique à celui d’ Io. Europe serait en fait
recouvert d'un océan d'H2O liquide, d'une petite centaine de kilomètres d'épaisseur, lui-même
recouvert d'une banquise d'une dizaine de kilomètres d'épaisseur. Par analogie avec ce qu'il se passe
sur Terre, on a là une source d'énergie chimio-lithotrophe potentielle
Fig. 10 : schéma de la structure interne d’Europe (satellite de Jupiter). On voit l'importance de
l'océan liquide, au contact du manteau silicaté et recouvert d'une « mince » banquise de glace.
Encelade : Encelade est un petit satellite de Saturne (500 km de diamètre), et peut-être le plus
prometteur quant à l'espoir de trouver de la vie extra-terrestre dans le système solaire. Comme
Titan, Ganymède…, il est constitué d’eau et de silicate+fer. L’eau en surface est gelée puisqu’il y fait –
200°C. Comme pour les autres satellites déjà vus, il y aurait très probablement un océan d'eau liquide
sous une banquise de glace. Cet océan ne serait pas général à l'ensemble du satellite, mais localisé
sous le pôle Sud plus probablement sous forme de niveaux irréguliers. Comme pour Europe, cet
océan d'eau liquide est en contact direct avec le manteau silicaté. Mais, et c'est une différence
majeure avec les autres satellites, des éruptions volcaniques (que d'aucuns préfèrent appeler geysers
et dont la source d’énergie est à rechercher dans les marées) mettent en relation cet océan liquide et
l'espace environnant. On a donc ainsi, grâce à la sonder Cassini, accès à la composition de cet océan
profond.
Fig. 11 : geysers s’échappant du pôle Sud d’Encelade
En traversant ces geysers, la sonde Cassini a pu en analyser la composition. Il s'agit bien sûr
d'eau. Cette eau contient des sels dissous, en particulier des sels de sodium ce qui prouve une
interaction entre cet océan et les silicates du manteau. Enfin, cette eau contient beaucoup de
molécules organiques. Les instruments de Cassini (spectromètres de masses…) ont été utilisés au
maximum de leurs capacités et ont pu détecter des molécules organiques complexes jusqu'à des
molécules à 6 carbones. On a là tous les ingrédients nécessaires au développement de la vie telle
qu'on la connaît sur Terre : eau liquide, interaction eau liquide / silicates (source d'énergie) et
molécules carbonées. Les conditions nécessaires à l'apparition et au développement de la vie
existent donc vraisemblablement sur Encelade. La vie y existe-t-elle ?
CONCLUSIONS :
 Faire un schéma bilan, inspiré des figures présentes dans cette correction.
 La vie est apparue dans un contexte géologique extrême, probablement au niveau des
sources hydrothermales (mais pas seulement…)
 Rôle important des minéraux dans l’apparition de la vie : réactions chimiques fournissent
des briques du vivant, une source d’énergie pour le métabolisme primitif, un abri pour les
premières réactions du vivant…
 Ouverture : la possibilité d’une vie sur les exoplanètes. Détection d’eau liquide sur ces
planètes par spectroscopie IR…
 Autre ouverture : énumérer brièvement les autres grandes étapes de l’histoire de la vie
jusqu’au Cambrien (apparition des cellules eucaryotes, de la pluri-cellularité, apparition
des coquilles…)
Principales références bibliographiques :
Revues : Dossier HS Pour la Science : L’apparition de la vie, été 2008 ; Dossier HS La recherche :
L’histoire de la Terre, hiver 2004 ; L’histoire de la vie, 2004 ; La mer, été 2009
Livres :
Les traces du vivant ; l’environnement de la Terre primitive ; Des atomes aux planètes habitables…Tous
sous la direction de M. Gargaud, édités aux presses universitaires de Bordeaux : principalement, les chapitres
rédigés par H. Martin, F. Westall, F. Albarède…
Net :
Sur Planet terre (ens Lyon) Articles de P. Thomas sur les conditions de la vie ; Site des rencontres de
l’école doctorale d’exobiologie : des diaporamas réalisés par les plus grands spécialistes du domaine…

BON COURAGE !!!

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