L`apparition de la vie
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L`apparition de la vie
L’apparition de la vie Leçon de contre-option, agrégation SV-STU Proposition de plan par : Mathieu Rodriguez, Pr. Agrégé SV-STU & doctorant istep-ens Mail : [email protected] Définitions : Du point de vue de la biologie, un organisme vivant est considéré comme un système chimique autopoïétique (i.e. capable de régénérer ses propres constituants), et capable d’échanger de la matière et de l’énergie avec son environnement. Ce système est capable de se reproduire de manière imparfaite, engendrant à chaque génération des formes légèrement différentes de luimême, sélectionnées au cours du temps selon leur degré d’adaptation à leur environnement. Cette dernière faculté est à l’origine de la grande diversité du vivant. La vie sur Terre – seule connue à ce jour- est basée sur la chimie du Carbone. Nous pouvons donc définir la vie comme un système chimique auto-entretenu soumis à une évolution Darwinienne. A cette première définition se rajoutent des considérations thermodynamiques. Erwin Schrödinger définissait en 1944 la vie de la façon suivante : « La vie semble être un comportement ordonné et réglementé de la matière, comportement non basé exclusivement sur sa tendance de passer de l’ordre au désordre, mais en partie sur un ordre qui se maintient ». De ce point de vue, la vie est considérée comme un milieu clos dont l’ordre augmente (i.e. son entropie diminue) de façon cyclique grâce à un flux d’énergie vers un milieu extérieur dont le désordre augmente (i.e. son entropie augmente), conformément à la seconde loi de la thermodynamique. Le système chimique de la vie est basé sur les éléments suivants : le Carbone, l’Azote, l’Oxygène, et l’Hydrogène. Les molécules participant à la chimie du vivant sont principalement : les protéines (assemblage d’acides aminés), les acides nucléiques (assemblage de nucléotides, molécules complexes composées de sucre, de base azotée, de phosphate), les sucres, et les lipides (constituants des membranes). Une des caractéristiques du vivant est la présence d’un code génétique universel, contenu dans les acides nucléiques. La structure en double hélice de l’ADN est connue depuis les travaux de Watson & Crick dans les années 50. La question de l’origine de la vie est au cœur des religions, et l’enseignement de ce thème se confronte aux conceptions créationnistes. L’une des premières théories scientifiques sur les origines de la vie fut émise par Alexandre Oparin, en 1924. Il s’agit de la théorie de « la soupe pré-biotique », selon laquelle des molécules formées dans l’atmosphère de la Terre primitive se seraient déposées dans l’eau des océans et auraient constitué une « soupe » contenant une grande variété de substances organiques, à partir desquelles la vie cellulaire se serait organisée. La vie serait alors née dans les régions océaniques peu profondes, pour pouvoir capter l’énergie solaire. La vision que nous avons aujourd’hui de l’apparition de la vie et des premiers environnements biotiques a bien évolué. La phylogénie nous apprend que l’ancêtre commun le plus lointain de toutes les formes de vie connues actuellement, LUCA (acronyme de Last Universal Common Ancestor), aurait plus de 3 Ga. Cependant, LUCA n’est pas le premier organisme vivant sur Terre, il est probable qu’il soit lui-même issu d’une lignée évolutive et qu’il cohabitait avec d’autres lignées qui, elles, n’ont pas laissé de descendants. Il s’agit d’un organisme théorique, une reconstitution d’ancêtre commun : il se situe au premier nœud de l’arbre phylogénétique, et non au sommet d’une branche. L’objectif de cette leçon est de comprendre les étapes ayant permis l’apparition d’un organisme primitif de type « LUCA », dont est issue la vie que nous connaissons aujourd’hui. [Attention au hors-sujet : il ne s’agit pas de faire un historique de la vie au Pré-Cambrien !] Fig. 1 : L’arbre phylogénétique du vivant : quelles sont les origines du dernier ancêtre commun ? Je propose d’organiser cette leçon selon les trois axes suivants : La vie actuelle occupe une grande diversité d’environnements – jusqu’aux plus extrêmes. L’un des principaux problèmes est de savoir dans quel environnement et dans quel contexte géologique la vie a-t-elle pu naître et s’épanouir. La question préalable est donc d’identifier les premières traces du vivant afin de les dater et de savoir quand la vie est apparue. Une fois les environnements favorables à l’apparition de la vie identifiés, nous chercherons à comprendre comment la transition entre le monde inerte et le monde vivant s’est accomplie. Nous limiterons notre démarche à l’apparition d’un système chimique auto-réplicatif ; les étapes conduisant à l’apparition d’une cellule pleinement fonctionnelle ne seront que mentionnées (elles relèvent du domaine de la biologie moléculaire). Enfin, nous discuterons de la probabilité que la vie soit apparue plusieurs fois, sur d’autres planètes que la nôtre, à l’aide des enseignements de la planétologie comparée. Quels corps extraterrestres (planètes et satellites du système solaire, exo-planètes) sont des hôtes potentiels pour la vie ? En quoi l’étude de ces corps peut renseigner sur les processus de l’apparition de la vie ? 1) L’environnement dans lequel est apparue la vie a. A la recherche des premières traces de la vie, et leur datation. Les plus vieux fossiles connus à ce jour sont les stromatolithes, organismes composés de tapis de micro-algues photosynthétiques prisonnières d’encroûtement calcaire : ils seraient apparus il y a environ 3,5 Ga et existent encore actuellement dans des environnements aquatiques peu profonds isolés en Australie (baie des requins) et dans les Caraïbes. A l’aide de microscopes électroniques à balayage, des microfossiles vieux de 3,4 Ga ont pu être identifiés à Marble Bar, en Australie. Cependant, des réactions purement inorganiques, au voisinage des cheminées hydrothermales, peuvent produire des précipités riches en carbone dont les formes, à l’échelle du microscope, miment les formes des premières traces de la vie. Fig. 2 : Stromatolithes de North Pole (Australie ; 3,4 Ga) et cherts de Marble Bar (Australie ; 3,4 Ga). Photos : H. Martin. Il est difficile d’identifier les traces du vivant au temps de l’Archéen : les organismes sont alors unicellulaires, microscopiques, et leurs composants ne fossilisent pas facilement. De plus, la Terre s’est depuis sans cesse refaçonnée au gré des évènements tectoniques, des épisodes métamorphiques, et des processus d’érosion, si bien qu’il n’existe plus de sites où l’on puisse retrouver intacts les vestiges des environnements de la vie primitive. A défaut de fossiles doit-on se contenter de « bio-signatures » : des traces de carbone, souvent rencontré à l’état de graphite (qui se forme lorsque du carbone est porté à haute température). Fig. 3 : Comparaison entre bactéries fossiles et bactériomorphes de cristal Pour les exemples les plus anciens : _En 1996, en Antarctique, des traces de carbone sont retrouvées sur une météorite …datée de 3,9 Ga ! Cependant il est possible que la météorite ait été contaminée par du carbone terrestre… _ Au Groënland, des traces de carbone vieilles de 3,8 Ga et de 3,7 Ga ont été reportées sur les roches métamorphiques archéennes de l’île de l’Akilia et d’Isua, respectivement. Nombreux pensent que le protolithe de ces gneiss était des roches sédimentaires, ce qui constitue une preuve de l’existence d’eau liquide à cette époque. Il est important de noter que les traces de carbone en question sont datées d’après l’âge des formations sédimentaires qui les contiennent, et non directement. Ces traces de carbone sont-elles bien d’origine biologique ? Les échantillons de graphite prélevés sont enrichis en 12 C, l’isotope le plus léger et le plus courant du carbone, et aussi le plus facilement assimilable par les métabolismes bactériens. Prudence cependant : Lors des épisodes métamorphiques ultérieurs subis par les formations d’Akilia et d’Isua, les fluides mis en circulation ont pu transporter des composants organiques bien plus récents au sein de ces formations sédimentaires plus anciennes, et ainsi fournir le carbone aujourd’hui contenu dans les graphites observés. De plus, le graphite peut aussi être d’origine inorganique : il a par exemple été montré qu’au niveau des sources hydrothermales des dorsales océaniques, des traces de carbone comparables à celles du Groënland peuvent être produites sans intervention biologique. Fig.4 : BIF (formation rubannée de fer) d’Isua, Groënland. Photo : H. Martin b. Le contexte géologique au moment de l’apparition de la vie. L’apparition probable de la vie à 3,9 Ga est surprenante : en effet, à cette époque, la Terre était encore soumise à un bombardement météoritique intense (comme le montre la multitude de cratères observables sur la surface de la Lune, formée à cette époque). Un tel bombardement a probablement joué un rôle stérilisateur pour la vie. Le bombardement météoritique – qui dura de 4,4 à 3,9 Ga (avec cependant une interruption de plusieurs centaine de Ma)- serait responsable de l’apport de la majorité de l’eau à l’origine des océans : les chondrites carbonées peuvent contenir jusqu’à 20% d’eau, et la signature isotopique de l’eau de la Terre est plus proche de celle de l’eau trouvée sur les corps formés vers la ceinture de Kuiper que sur les corps formés au niveau de l’orbite de la Terre. Les météorites ont été incorporées au manteau primitif superficiel, et l’eau qu’elles contenaient ensuite dégazée au niveau des cheminées hydrothermales. L’eau liquide est présente sur Terre depuis environ 4,4 Ga, comme l’attestent les zircons de cet âge trouvés dans les cratons australiens (le zircon est un minéral qui ne se forme que dans les granites riches en eau). Les océans primordiaux se seraient formés par condensation de l’atmosphère primitive de la Terre, riche en vapeur d’eau (90% de la composition de l’atmosphère primitive, les 10% restants étant d’autres gaz à effet de serre comme le C02). Les mécanismes à l’origine du refroidissement de l’atmosphère nécessaire à la condensation de l’eau sont mal connus : l’enfouissement de carbonates dans le manteau aurait permis de piéger du CO2 et d’abaisser l’effet de serre, mais ceci implique une tectonique des plaques précoce dont nous n’avons aucune preuve : est-il possible que des processus de subduction se manifestent à l’Hadéen (dans des conditions de flux de chaleur extrême, incompatibles avec les subductions que nous connaissons aujourd’hui)? Notons également que l’atmosphère ne comprenait que des molécules à un seul atome de carbone, bien loin des molécules organiques complexes. Dans le premier milliard d’année de la Terre, la luminosité du soleil était aussi plus faible de 30% par rapport à l’actuel. Il n’en demeure pas moins un rayonnement ultraviolet intense, empêchant la formation de liaisons entres les atomes. La température des océans à l’époque de l’apparition de la vie est calculée par des mesures du rapport 18O/16O sur les cherts précambriens : le rapport 18O/16O de l’oxygène piégé dans la silice était en équilibre avec l’eau de mer, et le fractionnement dépend de la température au moment de la formation des cherts. Selon ces résultats, la température des océans avoisinait les 70°à 110°C( !). L’eau était maintenue liquide à de telle température en raison d’une pression atmosphérique plus importante (env. 210 bars si l’on tient compte du seul CO2). Ces estimations de température des océans sont cohérentes avec le fort effet de serre qui devait régner à cause de la composition de l’atmosphère primitive. Fig. 5 : relation entre le rapport 16O/18O des silex et la température de l’eau lors de leur cristallisation Le flux de dissipation de la chaleur interne devait aussi être plus important qu’aujourd’hui (en raison d’une radioactivité plus importante dans le manteau). Pour preuve certaines roches archéennes, les komatiites : des laves ultrabasiques, composées d’olivines à texture spinifex, qui ne se forment que dans des conditions de température très élevées (1600°C), à de grandes profondeurs, et suite à des taux de fusion partielle du manteau très élevés (de 50 à 60%, à comparer aux 20% régnant actuellement à l’axe de certaines dorsales). Pour dissiper cette importante chaleur interne, la surface des dorsales océaniques était probablement beaucoup plus importante qu’aujourd’hui, ce qui signifie que les environnements hydrothermaux étaient beaucoup plus répandus qu’actuellement. Fig. 6 : A) répartition des dorsales à l’archéen, en réponse à B) l’important flux de chaleur généré essentiellement par la radioactivité. C) Les komatiites sont la preuve de ce flux de chaleur plus important (échantillon : H. Martin). La vie serait donc apparue dans un contexte géologique et environnemental très différent de celui d’aujourd’hui, dans des conditions extrêmes. Comment la vie a-t-elle pu émerger dans des conditions qui lui sont apparemment hostiles ? L’existence de bactéries extrêmophiles (ex. les hyperthermophiles) montre que de telles conditions ne sont pas forcément nuisibles à la vie… 2) L’émergence de la vie : de l’inerte aux acides nucléiques (jusqu’à la cellule si vous avez assez de temps !) Remarque : j’ai choisi ici de suivre l’ordre chronologique, des minéraux jusqu’aux premiers ARN et ADN… Une autre démarche serait de partir des ARN et ADN et de remonter le temps à la recherche de leur origine a. L’expérience de Stanley Miller (1953) et la naissance de la chimie pré-biotique. Stanley Miller le premier s’est essayé à la synthèse des « briques du vivant » à partir d’expériences en laboratoire. En appliquant une étincelle électrique à un mélange de gaz simples censés représenter l’atmosphère primitive (CH4, H2, NH3, H20) telle qu’elle était conçue à l’époque, il fournit l’énergie nécessaire pour créer des acides aminés. Seuls les plus petits acides aminés (3 atomes de Carbone au maximum) ont été synthétisés artificiellement par Miller. De plus, de tels acides aminés ont été retrouvés sur la météorite de Murchinson, tombée en Australie en 1969 (s’agit-il d’une contamination ?). Que ce soit par synthèse à partir des composants de l’atmosphère primitive, ou par apport via les météorites, les acides aminés semblent avoir été présents assez facilement dans la terre primitive… Grâce à ses expériences, Miller venait de fonder la chimie prébiotique, dont le but est de comprendre la transition entre le monde inorganique et le monde vivant. FIg. 7 : schéma du dispositif expérimental utilisé par Miller pour la synthèse d’acides aminés L’examen des roches archéennes du Groënland révèle l’existence de serpentine : la formation de minéraux hydratés au début de l’Archéen est une observation importante, car les réactions à leur origine produisent des quantités phénoménales d’hydrogène, qui réagit avec le dioxyde de carbone pour donner du méthane ; et avec l’azote pour donner l’ammoniac…soit les deux ingrédients essentiels de l’expérience de Miller ! (équations des réactions in « Des atomes aux planètes habitables, p.90). b. Le rôle des roches et des minéraux dans l’apparition de la vie. Il est probable que les minéraux aient servi d’abri aux premières manifestations de la vie, notamment vis-à-vis des U.V. en protégeant les liaisons entre atomes. Les minéraux forment également des sites favorables à la concentration des gaz, servent de support pour le développement des molécules, fournissent des ions métalliques nécessaires aux réactions chimiques à l’origine du vivant, ainsi que des éléments minéraux dissous puis incorporés dans les molécules biologiques. Il est aussi fort probable que des molécules aient été sélectionnées selon leur affinité avec les minéraux. Le fait que plusieurs éléments minéraux soient au cœur de la structure de certaines molécules (le Fe pour l’hémoglobine, le Mg pour la chlorophylle, les différents co-facteurs enzymatiques) suggère aussi l’intervention des minéraux à un stade précoce de l’histoire de la vie. Du temps d’Oparin, on croyait l’énergie lumineuse indispensable à l’apparition de la vie, et donc la surface des océans comme seul lieu d’apparition possible -vision confortée par le milieu de vie des stromatolithes. Cependant la découverte dans les années 70 des oasis hydrothermales dans la zone aphotique des océans remet en question cette conception. A l’abri de l’action des U.V., les molécules sont toutefois soumises à de fortes températures (jusqu’à 250-300°C pour les conditions actuelles) favorisant l’instabilité des molécules. Les minéraux ont toutefois pu servir d’abri contre la température aux premières réactions chimiques du vivant. Des expériences ont montré que la trempe thermique subie par les acides aminés passant brusquement des eaux chaudes aux eaux froides favorisait leur polymérisation : ce dernier résultat conforte là encore l’hypothèse de l’apparition de la vie en milieu hydrothermal. Des expériences montrent qu’un métabolisme primitif peut avoir lieu sans enzyme mais en présence de minéraux : des petites capsules d’or sont placées dans une chambre en acier, où règne une pression de 2000 atm, une température de 250°C, et où sont présentes les molécules de la soupe pré-biotique. Ce dispositif recréé ainsi les conditions probables de l’apparition de la vie au niveau des cheminées hydrothermales. L’ajout de divers oxydes métalliques à ce dispositif permet la polymérisation de molécules carbonées complexes et diverses à partir des molécules simples à un carbone présentes initialement. De façon surprenante, les « déchets » de ces réactions sont très semblables aux minéraux composant les cheminées hydrothermales… S’il reste du temps pour l’oral… : [Actuellement, tous les acides aminés sont de forme L… Pourtant, des expériences de synthèse en laboratoire ont montré qu’il y a autant de probabilité de synthétiser les deux énantiomères d’un même acide aminé. Les minéraux ont-ils joué un rôle dans la chiralité des acides aminés ? Des expériences menées sur la calcite (un minéral disposant d’autant de faces attirant les acides aminés L que de faces attirant les acides aminés D) ont montré, en présence de 50% de chaque énantiomère, que tous les acides aminés se fixaient à la calcite. Ceci signifie qu’il n’y a pas de sélection a priori par la calcite d’une forme préférentielle d’acide aminé. Mais si, à un moment donné de la Terre, il y a eu plus de faces de calcite fixant les molécules L que D, alors une forme aurait pu prendre le dessus sur l’autre. Une compétition précoce entre les formes L et D serait donc à l’origine de la sélection de la forme L.] c. La vie avant l’ARN et l’ADN : les premiers métabolismes. Les expériences en laboratoire permettent, en présence de sucres, de bases azotées, et de phosphate uniquement, de créer des nucléotides. Cependant, dans la nature, il existe de nombreuses autres molécules qui auraient pu se combiner aux bases azotées et ainsi avorter la formation des nucléotides tels que nous les connaissons. De même il paraît peu probable que des nucléotides se soient assemblés directement en acides nucléiques, et que ceux-ci aient acquis directement des propriétés auto-réplicatrices. Les nucléotides ont aussi des configurations 3D très complexes. La probabilité de fabriquer des nucléotides par simple combinaison des « briques du vivant » est donc quasi-nulle ; il est plus probable que les nucléotides et les acides nucléiques résultent d’une vie primordiale déjà évoluée, avancée et élaborée. Les voies de biosynthèse actuelles des nucléotides et acides nucléiques sont des processus métaboliques complexes, qui résultent de longs processus de sélection. Il est peu probable que les premiers acides nucléiques aient été synthétisés directement, à partir de voies de biosynthèse semblables aux voies actuelles et évoluées. Tenter de reconstituer ces voies de biosynthèse en laboratoire n’apporte donc rien à la compréhension des processus à l’origine des premiers nucléotides et acides aminés. Il faut donc imaginer une vie primordiale faite de molécules simples. Par exemple, les nucléotides auraient pu apparaître au sein d’un métabolisme primordial sans jouer un rôle de support d’information, mais plutôt un rôle de support d’énergie, un peu comme l’ATP dans la vie actuelle. Pour imaginer quels furent ces premiers métabolismes, rappelons qu’au sein d’un milieu vivant, l’entropie diminue ; et que cette dernière augmente dans le milieu extérieur, non-vivant. Aujourd’hui ce sont les membranes cellulaires qui font office de frontière entre ces deux milieux. A l’origine, ce devait être des surfaces minérales. Une source d’énergie doit alimenter le processus d’organisation du milieu vivant. Les sources d’énergies disponibles au moment de l’apparition de la vie sont diverses : oxydo-réduction d’éléments minéraux, lumière, radioactivité. Des processus de couplage sont nécessaires pour que ces sources d’énergie participent à l’organisation du milieu vivant. Il existe actuellement des bactéries chimio-lithotrophes (ou chimio-autotrophes), qui puisent l’énergie nécessaire à leur activité de biosynthèse des réactions exergoniques (=productrices d’énergie) entre molécules inorganiques. La plupart des réactions d’oxydation requièrent de l’O2 dissous ; or celui-ci n’apparaît sur Terre qu’avec la photosynthèse. Il existe pourtant des réactions d’oxydo-réduction qui ne font pas intervenir l’O2 et qui servent de support aux métabolismes des bactéries méthanogènes, et des bactéries endogées vivant dans les profondeurs des croûtes continentales et océaniques. L’assemblage des réactions de couplage entre les sources d’énergie potentielles et le milieu vivant forme un métabolisme primitif qui s’adapte et ensuite évolue. Par exemple, les séries de réactions (B, C, D) permettant de transformer un élément A en E appauvrissent l’énergie du système et maintiennent son organisation. Si A se transformait directement en E sans passer par les étapes B, C, et D, et si E pouvait se re-transformer directement en A (simple réversibilité de la réaction), il n’y aurait pas de baisse d’énergie (et donc d’organisation) du milieu vivant. De même si un composé peut quitter le système directement sans en appauvrir l’énergie. Ensuite, la division d’un même système en plusieurs unités indépendantes (isolées par des membranes lipidiques) favorise l’émergence de la vie : si un système est attaqué, il y a des chances pour qu’un autre système ne le soit pas et survive. Un métabolisme primordial nécessite donc : un compartiment, une source d’énergie externe couplée à une réaction d’alimentation, un réseau chimique incluant cette réaction, et un mécanisme simple de reproduction. d. Monde à ADN ou monde à ARN ? Richard Dawkins : « A un moment donné, une molécule remarquable s’est formée par accident. Elle n’était peut-être pas la plus grande, ni la plus complexe, mais avait l’extraordinaire propriété de fabriquer des copies d’elle-même ». Quelle était cette molécule primordiale auto réplicatrice, l’ADN ou l’ARN ? Le problème de la théorie de l’ADN primordial est que la réplication de l’ADN, composé de nucléotides, requiert l’intervention de nombreuses protéines, composées d’assemblage d’acides aminés. Mais les acides aminés sont assemblés en protéines selon la séquence de nucléotides composant l’ADN. Qui de la protéine et de l’ADN est apparue en premier ? Plusieurs observations suggèrent l’antériorité de l’ARN : les désoxyriboses sont formés à partir des riboses, la thymine est modifiée à partir de l’uracile, présence de nucléotides dans les ARNt qui sont absents de l’ADN… Mais la découverte d’ARN auto-catalytiques, les ribozymes, fut déterminante. Walter Gilbert (prix nobel de chimie 1986) parle alors « d’un monde à ARN, ne contenant que des ARN qui œuvraient à leur propre synthèse à partir d’une soupe de nucléotides ». Le premier ARN auto-répliquant effectuait les différentes fonctions qu’exécutent désormais les ADN, ARN et protéines. Au cours d’une étape précoce de l’histoire de la vie, la continuité génétique et une part importante du métabolisme étaient assurées par la réplication de molécules d’ARN, par le jeu d’interactions faibles et sans intervention d’enzymes protéiques. La catalyse était assurée par les ribozymes et quelques peptides. L’idée que l’ARN a précédé l’ADN est depuis bien ancrée. Cela ne fait pas de l’ARN la première molécule vivante -directement issue du monde minéral, l’ARN résultant probablement, comme nous l’avons vu, de l’évolution et des sélections successives de métabolismes primordiaux…qu’il reste à déterminer. La diversité des ARN actuels (*t,r,m…) est-elle le vestige d’une diversité fonctionnelle passée, du temps où les ARN supportaient le métabolisme ? Et les ribosomes actuels sont-ils les vestiges de ces ribozymes ? Corollaire : Si l’on considère que les molécules complexes comme les acides nucléiques sont apparues directement à la surface de la Terre, alors la probabilité qu’un tel phénomène se soit reproduit ailleurs semble nulle. Si en revanche on considère que les acides nucléiques sont le résultat de métabolismes primordiaux basés sur des molécules simples et ayant évolués vers un degré de complexité et de diversification croissant, alors la probabilité d’une vie ailleurs devient réaliste. La découverte de bactéries vivant dans la croûte terrestre, sans lumière ni oxygène pour soutenir leur métabolisme, encourage à élargir la gamme des milieux dans lesquels la vie a pu naître. L’étude de l’apparition de la vie sur Terre est soumise à de nombreuses limites, notamment celles liées à la dynamique de la Terre et à l’érosion. Même si plus difficilement accessibles, les planètes et satellites du système solaire ne subissent pas les mêmes renouvellements de surface que la Terre : les traces d’une vie primitive, et de l’environnement dans lequel elle s’est épanouie, permettraient alors de mieux comprendre les phénomènes à l’origine de la vie. 3) La vie ailleurs que sur Terre ( ?) a. L’habitabilité des planètes du système solaire Pour que la vie telle que nous la connaissons à la surface de la Terre existe, il faut de l'eau liquide, donc une température comprise entre 0 et 100°C (pour P = 1 atm.), et une pression pas trop faible pour permettre l'existence de l'eau à l'état liquide en surface. Pour Vénus et en deçà, il fait bien trop chaud. Pour Mars et au-delà, il fait bien trop froid. Pour des corps situés entre Vénus et Mars, là où la température est a priori correcte, il faut en plus que la masse de la planète ou du satellite soit suffisante pour qu'une atmosphère dense existe, maintienne une certaine pression à la surface, et permette ainsi l'existence d'eau liquide en surface. C'est pour cela que la Lune, idéalement placée, mais trop petite, n'a pas de vie car pas d'eau liquide. Depuis plus d'un siècle, les astronomes ont ainsi défini la notion de « fenêtre d'habitabilité ». En fonction de la distance à l'étoile, il n'y a qu'une faible zone où la température permet à l'eau liquide d'exister, zone où se trouve la Terre. La fenêtre s’élargit lorsqu’on prend en compte l’effet de serre : trop élevé actuellement sur Vénus, trop faible sur Mars ; l’effet de serre dépend de l’atmosphère de la planète. Les atmosphères des planètes telluriques ont évolué depuis leur création : existe-t-il des époques où elles permettaient la vie sur une autre planète que la Terre ? Il y a encore 3,5 Ga environ, de l'eau liquide stable et pérenne existait sur Mars. Puis Mars a perdu progressivement la majorité de son atmosphère, s'est refroidi par diminution de son effet de serre et s'est asséché. La température moyenne de –50°C et la pression de 6 hPa (1013 hPa sur Terre) ne permet plus la vie superficielle. Mais, c'est pendant la période où l'eau liquide existait sur Mars que la vie apparaissait sur Terre. Il est donc raisonnable de proposer que, puisque les conditions terrestres et martiennes étaient voisines vers –4 Ga, la vie « superficielle » soit apparue simultanément sur ces 2 planètes, avant de disparaître de Mars et d'exploser sur Terre. Mais définir l’habitabilité d’une planète sur ces seuls critères exclut toute vie basée sur la chimiosynthèse, de la vie endogée, sous-glaciaire… A la lumière des paragraphes précédents, les conditions de l’habitabilité se définissent par la réunion des facteurs suivants : la présence d’eau liquide (et donc des paramètres physiques permettant son existence), des réactions exergoniques servant de source d’énergie et susceptibles d’être couplées à des métabolismes primitifs (chimiolithotrophie ou photoautotrophie), et la présence de carbone (même si du carbone inorganique existe aussi). Etudions à présent l’habitabilité de quelques « bons candidats »… b. Les meilleurs candidats à une vie extra-terrestre (choisir les exemples selon le temps restant, je recommande Mars et Encelade) Mars : À côté de la vie « superficielle », qui a pu exister dans un passé lointain, n'oublions pas la vie endogée. Sur Mars, la température moyenne est actuellement de –50°C, et on sait que le soussol martien est gorgé de glace d'H2O. Si on suppose que le degré géothermique martien est de 10°C/km (3 fois plus faible que sur Terre), la température profonde dépasserait 0°C dès 5 km de profondeur. Cette H2O présente en surface sous forme de glace serait donc liquide dès 5 km de profondeur, en négligeant l'effet de la pression. Et comme il y a sur Mars abondance de silicates ferreux, de CO2 et d'H2O, rien n'interdit que de la vie endogée existe actuellement sur Mars. On n'a actuellement aucune preuve de l'existence de cette vie, mais des dégagements de méthane observés depuis 2007 suggèrent que de l'H2O liquide réagit avec du Fe2+ de l'H2O et du CO2. Sont-ce des réactions biotiques ou abiotiques ? Fig. 8 : La morphologie montre une ancienne vallée se terminant par un delta. Les couleurs surajoutées à cette photo indiquent la minéralogie telle qu'ont pu la déterminer les études spectrales. La couleur verte indique la présence d'argile. Or, pour faire de l'argile, il faut une interaction de longue durée entre de l'eau liquide et des silicates. Ganymède, Callisto (satellites de Jupiter) et Titan (satellite de Saturne) : Ils sont constitués d'environ 50% de fer+silicates, et de 50% d'eau. On a des preuves directes (pour Titan) et indirectes (pour Ganymède et Callisto) que cette eau contient une quantité appréciable de NH3 et de CH4 + autres hydrocarbures. Leur température externe est de –170 à –200°C. Les études des surfaces, des champs magnétiques, des moments d'inertie…, les modèles de constitution interne et d'évolution thermique…, tout suggère que ces 3 satellites dont le diamètre est d'environ 5000 km ont grossièrement la même structure interne. Ils seraient constitués d'un noyau de silicates+fer et d'un manteau d'H2O plus ou moins riche en méthane, autres molécules organiques et ammoniac. Ce manteau d'H2O serait divisé en 3 couches, avec de haut en bas : (1) une couche sommitale de glace d'H2O de basse pression (glace « normale », dite glace I) de 100 à 200 km d'épaisseur, (2) un océan d'eau liquide d'une centaine de km d'épaisseur au milieu, et (3), à la base, une couche de glaces d'H2O de haute pression (glace V et VI) de plusieurs centaines de km d'épaisseur. Une couche d’eau liquide d’environ 100 km d’épaisseur est donc prise en sandwich entre deux couches de glace. Dans ces océans profonds, pas de lumière bien sûr, et pas (ou peu) de réaction eau + silicates ferreux, puisque l'océan liquide n'est pas en contact direct avec les silicates. De la vie est loin d'y être exclue, mais cet océan n'est pas a priori le site le plus favorable au développement de la vie. Fig. 9 : vue externe et structure interne de Ganymède, satellite de Jupiter Europe : Europe est aussi un satellite de Jupiter, légèrement plus petit que Ganymède et Callisto, mais plus dense. Il serait constitué de 90% de silicates + fer, pour seulement 10% d'eau. On n'a pas d'indication certaine sur la présence ou l'absence de NH3, CH4 et autres hydrocarbures dans cette eau, mais tout laisse à penser qu'il y en a. Études de surface, modèles d'évolution interne… permettent de proposer qu'Europe est constitué d'un noyau de fer et d'un manteau silicaté recouvert d'une couche d'H2O d'une centaine de km d'épaisseur, H2O théoriquement gelée vue la température externe d'environ -170°C. Les études de géologie de la surface et les modèles thermiques suggèrent fortement que cette couche d'H2O de 100 km est dégelée sur la majorité de son épaisseur, réchauffée à sa base par un volcanisme identique à celui d’ Io. Europe serait en fait recouvert d'un océan d'H2O liquide, d'une petite centaine de kilomètres d'épaisseur, lui-même recouvert d'une banquise d'une dizaine de kilomètres d'épaisseur. Par analogie avec ce qu'il se passe sur Terre, on a là une source d'énergie chimio-lithotrophe potentielle Fig. 10 : schéma de la structure interne d’Europe (satellite de Jupiter). On voit l'importance de l'océan liquide, au contact du manteau silicaté et recouvert d'une « mince » banquise de glace. Encelade : Encelade est un petit satellite de Saturne (500 km de diamètre), et peut-être le plus prometteur quant à l'espoir de trouver de la vie extra-terrestre dans le système solaire. Comme Titan, Ganymède…, il est constitué d’eau et de silicate+fer. L’eau en surface est gelée puisqu’il y fait – 200°C. Comme pour les autres satellites déjà vus, il y aurait très probablement un océan d'eau liquide sous une banquise de glace. Cet océan ne serait pas général à l'ensemble du satellite, mais localisé sous le pôle Sud plus probablement sous forme de niveaux irréguliers. Comme pour Europe, cet océan d'eau liquide est en contact direct avec le manteau silicaté. Mais, et c'est une différence majeure avec les autres satellites, des éruptions volcaniques (que d'aucuns préfèrent appeler geysers et dont la source d’énergie est à rechercher dans les marées) mettent en relation cet océan liquide et l'espace environnant. On a donc ainsi, grâce à la sonder Cassini, accès à la composition de cet océan profond. Fig. 11 : geysers s’échappant du pôle Sud d’Encelade En traversant ces geysers, la sonde Cassini a pu en analyser la composition. Il s'agit bien sûr d'eau. Cette eau contient des sels dissous, en particulier des sels de sodium ce qui prouve une interaction entre cet océan et les silicates du manteau. Enfin, cette eau contient beaucoup de molécules organiques. Les instruments de Cassini (spectromètres de masses…) ont été utilisés au maximum de leurs capacités et ont pu détecter des molécules organiques complexes jusqu'à des molécules à 6 carbones. On a là tous les ingrédients nécessaires au développement de la vie telle qu'on la connaît sur Terre : eau liquide, interaction eau liquide / silicates (source d'énergie) et molécules carbonées. Les conditions nécessaires à l'apparition et au développement de la vie existent donc vraisemblablement sur Encelade. La vie y existe-t-elle ? CONCLUSIONS : Faire un schéma bilan, inspiré des figures présentes dans cette correction. La vie est apparue dans un contexte géologique extrême, probablement au niveau des sources hydrothermales (mais pas seulement…) Rôle important des minéraux dans l’apparition de la vie : réactions chimiques fournissent des briques du vivant, une source d’énergie pour le métabolisme primitif, un abri pour les premières réactions du vivant… Ouverture : la possibilité d’une vie sur les exoplanètes. Détection d’eau liquide sur ces planètes par spectroscopie IR… Autre ouverture : énumérer brièvement les autres grandes étapes de l’histoire de la vie jusqu’au Cambrien (apparition des cellules eucaryotes, de la pluri-cellularité, apparition des coquilles…) Principales références bibliographiques : Revues : Dossier HS Pour la Science : L’apparition de la vie, été 2008 ; Dossier HS La recherche : L’histoire de la Terre, hiver 2004 ; L’histoire de la vie, 2004 ; La mer, été 2009 Livres : Les traces du vivant ; l’environnement de la Terre primitive ; Des atomes aux planètes habitables…Tous sous la direction de M. Gargaud, édités aux presses universitaires de Bordeaux : principalement, les chapitres rédigés par H. Martin, F. Westall, F. Albarède… Net : Sur Planet terre (ens Lyon) Articles de P. Thomas sur les conditions de la vie ; Site des rencontres de l’école doctorale d’exobiologie : des diaporamas réalisés par les plus grands spécialistes du domaine… BON COURAGE !!!