Document

Transcription

Document
DOSSIER EPURATION ET TONTE DES FEMMES EN FRANCE (1943-1950)
Document 1 article de la revue Arkeia signé par l’historien Max Lagarrigue, dont le titre est
« Epuration sauvage, légale ou soif de Justice de la Résistance ? » et publié dans le numéro 17/18 en
2006 (pas d’autorisation de publication sur ce blog)
Document 2 Compte-rendu de lecture du livre de Fabrice Virgili La France virile, les femmes tondues
à la Libération, Payot, 2001, par Patrick Parodi sur le site de La Durance que nous remercions pour
son autorisation de le publier sur ce blog
« La France sera virile ou morte ». C'est à partir de cette phrase que l'historien Fabrice Virgili fonde son
étude sur les tontes des femmes entre 1943 et 1946.
Dans une première partie, l'auteur recense le nombre de tontes et leur périodicité : 20 000 femmes furent
tondues entre 1943 et 1946, mais seulement la moitié fut accusée de « collaboration horizontale » (un tiers
pour les femmes détenues), c'est à dire ayant eu des relations sexuelles avérées ou non avec l'ennemi. La
nature de cette accusation constitue un premier clivage entre les sexes, relatif quand les accusations de
dénonciation, de collaboration économique ou politique touchent femmes et hommes de manière similaire,
marqué pour les accusations de relation sexuelle uniquement reprochées aux femmes. Le caractère sexué de
la collaboration relève un discours spécifique qui reflète l'image d'une femme incapable d'agir de sa propre
initiative soit qu'elle suive l'homme avec qui elle partage sa vie (les femmes de collaborateurs sont autant
condamnées que leurs maris) soit qu'elle se conforme à une nature jugée insouciante, irresponsable, cupide
ou immorale (ce sont les explications avancées par certains tribunaux pour expliquer les actes des
collaboratrices). Les « faiblesses du sexe faible » participent à la représentation des collaboratrices.
La tonte est une sanction de faits sans gravité (les relations sexuelles avec les Allemands n'influent en rien
sur le cours des événements) : c'est un acte symbolique de rupture avec l'ennemi qui produit sa propre
image. Elle devient peu à peu le châtiment unique et exclusif des relations avec les Allemands et la marque
provisoire d'une culpabilité sexuelle. La coupe de cheveux n'est pas le châtiment d'une collaboration
sexuelle mais le châtiment sexué d'une collaboration. La tonte s'apparente à une faiblesse ; les rares hommes
tondus le sont pour manque de courage ou de virilité mais aucune référence sexuelle n'apparaît à leur
encontre. (…)
Dans la deuxième partie, l'auteur replace les tontes dans le temps : pratiques empiriques, non marquées par
une seule date, elles s'inscrivent dans un espace dont l'occupation a varié de 2 à 5 ans. Les premières
apparaissent dès 1943 quand la collaboration s'identifie de plus en plus à la trahison ; elles sont le fait de
groupes résistants qui l'utilisent comme moyen pour faire passer la peur dans l'autre camp. C'est pourquoi les
tontes de la Libération ne surprennent pas. Une première vague a lieu en juin -septembre 1944 au fur et à
mesure de la libération du territoire : les tontes marquent la libération de plus petites parcelles du territoire
souillé par la présence allemande (la maison de la tondue qu'on investit et qu'on marque même avec ce qui
reste de cheveux) ou la réappropriation des lieux publics et de pouvoir (la tonte s'effectue dans les rues, les
places ou dans les mairies).
Une deuxième vague a lieu en mai -juillet 1945 (malgré une condamnation de cette pratique dans l'opinion
publique dès octobre 1944) lors de la capitulation allemande, des débats sur l'épuration et le retour des
déportés, des requis du STO. Ces derniers participent aux tontes de celles qui avaient suivi les Allemands
dans leur défaite ou des femmes de prisonniers : c'est ainsi qu'ils s'intègrent à nouveau dans la communauté
nationale en participant à un acte collectif de répression et de condamnation. Les tontes s'imposent somme
un événement à part entière, imbriqué dans un contexte général mais ayant sa propre dynamique. Ce n'est
donc pas un simple aspect des journées libératrices ou une simple manifestation spontanée ; il relève des
moments de fracture ou de consensus de la communauté nationale.
F. Virgili met ensuite l'accent sur la portée symbolique de cette pratique ; il en détermine plusieurs :
- les tontes sont d'abord l'expression d'un peuple libéré et qui a souffert : la tondue est plus coupable de ne
pas avoir souffert que d'être réellement complice des violences de l'occupant. C'est un exutoire des peurs et
des souffrances
- Les tontes sont une punition de personnes en tant que femmes, une violence exercée contre non pas des
femmes mais les femmes. En effet, il n'y pas un portrait type de la tondue, pauvre fille qui se jette dans les
bras de l'ennemi. Toutes les catégories sociales et socioprofessionnelles sont touchées mais des dominantes
peuvent être tracées : ce sont celles qui sont en contact avec l'occupant, pour des raisons professionnelles
(prostituées, femmes de ménage, commerçantes etc..) ou en raison de leurs domiciles (les institutrices dont
l'appartement de fonction jouxte souvent celui requis par les autorités militaires), qui sont représentées en
priorité. Des femmes plutôt jeunes, célibataires, ayant une activité professionnelle plus importante. Donc,
des femmes qui échappent à la surveillance communautaire, familiale ou professionnelle, sur qui la
suspicion est plus facilement portée. (…) La présence de la foule est indispensable pour que le châtiment
existe. (…)
Les tontes signalent la fracture sexuelle que l'Occupation a constituée : les hommes ont échoué car ils n'ont
pu empêcher la défaite et n'ont pas protégé le pays identifié alors au féminin. Mais, la débâcle a été
transformée en trahison féminine dans le discours de Pétain : les femmes sont responsables de « l'esprit de
jouissance » qui a nui à la France. Aussi, le régime s'attache à distinguer patrie et femme (Marianne disparaît
des symboles au profit du buste de Pétain) et à réduire l'identité féminine à celle de la mère enfermée dans
son foyer. C'est ainsi que la collaboration sexuelle devient celui de la défaite absolue ; la femme se couche
avec l'Allemand comme elle a entraîné la France à se coucher devant l'Allemagne. La lutte contre l'occupant
et la Libération permettent le retour du guerrier qui renoue avec la répartition traditionnelle des rôles en
temps de guerre.
Cette résurgence de la virilité se traduit dans les faits par l'exercice massif d'une violence sexuée qui veut
désigner la frontière entre « la Française », digne, qui reste avant tout une épouse, une mère, une sœur, une
gardienne du foyer et des valeurs patriotiques pendant l'absence des hommes et « la Collaboratrice »,
indifférente au sort de son pays, prête à toutes les compromissions, égoïste dont les trahisons s'étalent au
grand jour. Les relations sexuelles avec l'ennemi ont été une trahison, une transgression des règles
communautaires. La tondue est donc exclue bien après la repousse des cheveux par des mesures
d'interdiction de séjour, d'internement ou d'exécution (certains demandent qu'elle ne puisse bénéficier du
droit de vote). L'événement de la tonte ne se réduit donc pas à une punition collective d'un acte jugé
répréhensible ; il témoigne du rapport historique entre singulier et collectif, entre intime et public.
Patrick Parodi
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/pedago/femmes/paro_001.htm
Document 3 Les tontes de la Libération en France, par Fabrice Virgili, Institut d’Histoire du temps
présent (cahier de l’IHTP n° 31, octobre 1995), que nous remercions pour son aimable autorisation
ainsi que celle de l’Institut
(…) Géographie quantitative et chronologique
C'est avant tout l'ensemble du territoire qui est concerné par cette pratique. Soixante-dix-sept départements,
selon l'état actuel des dépouillements, ont connu avec certitude des tontes de femmes. L'importance de la
couverture géographique implique des régions dont les situations sont fort variées. Il s'agit ainsi autant des
premières régions libérées, comme la Normandie et la Corse, que de l'Alsace occupée jusqu'à l'hiver 1945.
Elles ont eu lieu dans des territoires libérés aussi bien par les armées alliées, que par la 1ère Armée
française, ou encore par la Résistance. Du Limousin et de la Savoie à forte présence de maquis mais aussi de
la Picardie. (…).
Cette omniprésence de tontes est aussi confirmée par leur présence en milieu rural comme dans les zones
urbaines. (…)
Le deuxième élément qui donne aux tontes ce caractère d'évidence est le nombre parfois considérable de
femmes tondues dans un même lieu. (…) Le troisième aspect qui fait de ces coupes de cheveux autre chose
qu'un simple épiphénomène, qu'une manifestation spontanée, violente et brève, est justement sa durée. Les
tontes durent bien au delà des « journées de la Libération » et l'on peut à la fois parler d'un caractère
immédiat et prolongé. Caractère immédiat, car nombreuses sont celles qui se déroulent dès le moment où la
région libérée. Elles paraissent même souvent avoir un caractère urgent de tâche prioritaire. (…)Si ce sont
les tontes de la Libération qui sont le plus souvent restées dans les mémoires, elles se poursuivent pourtant
de longs mois encore, la dernière mention étant, pour l'instant, celle d'une tonte en Savoie en février 1946.
(…)
Par contre en mai-juin 1945 on peut parler d'une véritable deuxième vague de tontes un peu partout en
France. Sur les quais de nombreuses gares, la population attend, dans un sentiment partagé entre la joie des
retrouvailles, l'inquiétude de ne pas retrouver à la descente du train la personne tant désirée, la stupeur
devant l'état physique et moral des déportés et la découverte de l'horreur du système concentrationnaire
nazi ; mais aussi avec la ferme volonté de châtier celles et ceux qui sont partis comme travailleurs
volontaires ou se sont enfuis lors de la retraite allemande. Les quais deviennent alors parfois des nouveaux
lieux de tonte et de lynchage, les maisons à nouveau occupées depuis le retour de ces collaborateurs sont
visées, des prisonniers mis au courant de l'attitude de leur femme, des déportés retrouvent leur dénonciateur.
L'épuration légale apparait à nouveau trop lente, laxiste et incomplète. (…)
Légitimation des tontes
(…) Tondre c'est avant tout punir, épurer. Au contexte général de la guerre et de l'occupation, s'ajoute celui
de la Libération et de ces urgences, « Vaincre, punir, reconstruire ». La tonte permet à chacun de participer à
cette urgence, elle est un événement de proximité vécu par tous ou presque. Contrairement aux procès, plus
tardifs et clos dans l'univers des salles d'audience, à l'internement lui aussi inscrit dans la durée et
l'enfermement, les tontes et certaines exécutions, permettent à la communauté urbaine ou villageoise d'être
le témoin immédiat et direct, et donc le garant, de cette politique d'épuration, de s'en approprier ainsi
l'exécution. Les formes de cette violence sont pourtant multiples, car il y a autant de manière de tondre que
d'épurer.
Il existe d'abord, et ce sont les premières dans le temps, des « tontes au coin du bois ». Nous n'en avons pas
parlé pour l'instant, mais les tontes commencent avant la Libération, elles se déroulent alors de manière
clandestine, le plus souvent de nuit à l'intérieur du domicile de collaboratrices dont les biens sont en même
temps récupérés. Sur les auteurs rien, si ce n'est parfois une mention signalant que le motif « pourrait être
d'ordre politique ».
(…) A l'opposé de ces tontes clandestines, se pratiquent aussi des tontes quasi-officielles. à l'intérieur des
lieux de pouvoir ou de coercition (préfectures, mairies, commissariats, prisons), la tondeuse fonctionne
aussi. (…) C'est pourtant la tonte publique, appropriée collectivement, qui reste la plus fréquente, et
constitue également pour la mémoire une des images de la Libération. Sans pouvoir pour l'instant parler d'un
modèle reproduit à travers tout le territoire, il faut noter que ces tontes ont de nombreux points communs.
Avec les défilés des armées alliées, celui des FFI, les cérémonies au monument aux morts, les bals,
l'arrestation ou le transfert des collaborateurs, les tontes s'intègrent dans un système d'affirmation de la
collectivité et de construction d'une nouvelle identité commune. L'espace public est dans cette perspective le
lieu privilégié de la tonte. (…)
La similitude des rites, la mise en place d'un « bureau de tonte », qu'il se trouve dans un café, sur le quai
d'une gare, ou sur une estrade, l'appel au coiffeur de la localité et à ses outils, sont autant de signes d'une
organisation de cette violence. Ce « spectacle » auquel participe la population peut avoir de nombreuses
références. Une perspective anthropologique permet d'y déceler les ressemblances avec les carnavals, le
châtiment des femmes adultères au Moyen-âge, ou encore les exécutions d'ancien régime.
Châtiment de la collaboration ou punition des femmes ?
La tonte occupe une place particulière dans le châtiment de la collaboration, mais n'est pas exclusive d'autres
condamnations. Si rares sont les femmes tondues et exécutées, bien plus nombreuses sont celles pour qui
l'internement administratif, la condamnation, à l'emprisonnement en Cour de Justice, à l'indignité nationale
ou l'interdiction de séjour en Chambre civique s'ajoute à leur crâne rasé. Si des femmes sont libérées une fois
leurs cheveux coupés, d'autres n'en sont pas quittes avec l'épuration. Dans les dossiers des commissions
d'épuration comme dans ceux des tribunaux, on retrouve régulièrement une mention de tonte lors de la
Libération. Certaines sont tondues, libérées, puis à nouveau arrêtées. (…)
La tonte apparaît comme une violence spécifique visant les femmes, sans effet sur d'éventuelles autres
poursuites. Cela indépendamment de la nature du crime reproché : dénonciation d'un résistant, travail pour
les Allemands, participation à une organisation de la collaboration, relation sexuelle avec les Allemands.
Et pourtant les femmes ne sont pas les seules victimes de ces tontes, des hommes aussi sont tondus, de
manière certaine dans au moins sept départements. Cela n'enlève pourtant rien au caractère défini ci-dessus.
Ces cas sont tout d'abord très peu nombreux. Le caractère sexuel n'est jamais mis en avant dans les faits
reprochés ; ces hommes sont tondus selon les cas pour pillage, travail en Allemagne, appartenance à des
groupes de la collaboration (PPF, Milice, Franciste). La sanction s'appliquant à eux en même temps qu'aux
femmes présentes, on peut l'interpréter comme un moyen supplémentaire de les humilier en les assimilant à
ces dernières. (…) N'est-il pas paradoxal de conclure un article sur les « tondues » par le cas des hommes
tondus ? Je ne le pense pas, les tontes de la Libération ont ceci de particulier, qu'elles ne peuvent être
enfermées dans un domaine spécifique de l'histoire. (…). C'est ainsi que l'on parviendra peut-être à
comprendre cet événement exceptionnel. Exceptionnel, par les effets qu'il provoque, mais aussi par son
« originalité », son aspect presque anachronique. (…)
http://www.ihtp.cnrs.fr/spip.php?article247&var_recherche=%E9puration
Document 4 Article de l’Histoire, n°250, 2006 : La France « virile ». Des femmes tondues à la
Libération
http://www.histoire.presse.fr/content/recherche/article?id=2724
Document 5 Interview de Fabrice Virgili (historien) sur le site Manuscrit.com, octobre 2001. Nous
remercions le site pour son autorisation de reproduire l’interview.
Qu'est-ce qui vous a amené à vous attacher à l'histoire de la femme tondue et à partir de quelles sources
l'avez-vous abordée ?
On pose toujours cette question aux historiens qui travaillent sur la violence. L'objet de ce type de recherche
n'est pourtant pas différent des sujets plus traditionnels. Le choix de l'étude de la tonte s'est imposé à moi
avec la prise de conscience que ce sujet permet de donner un regard différent sur la Libération et qu'il porte
sur des questions telles que la mort et la sexualité…
La dimension de défi, aussi, est importante : les sources n'existaient pas ! Elles se sont pourtant révélées
nombreuses : articles de presse, rapports de gendarmerie, de préfets ou même des directeurs d'école. Mon
refus volontaire de réaliser des entretiens avec des femmes tondues est un choix délibéré : il m'importait de
décaler le regard traditionnellement focalisé sur la "tondue" pour centrer l'analyse sur le moment de la
violence.
En quoi l'acte de tonte est-il l'expression du "retour d'une identité virile fortement battue en brèche" ?
L'expérience de guerre est partagée par les deux sexes. Le traumatisme a entraîné une crise de l'identité
nationale. La défaite a stigmatisé la faillite de l'homme dans son rôle traditionnel. Se croisent alors les
besoins de reconstruction identitaire sur le plan individuel et national. L'acte de la tonte - forme de violence
modéré à laquelle chacun peut adhérer - est de ce point de vue fédérateur. Il fait se coïncider les
reconstructions d'une identité virile et d'une identité collective.
Le tort de ces femmes humiliées n'est-il pas de cristalliser les frustrations et les manques endurés en temps
de guerre ?
A la Libération la cohésion nationale ne se fait pas autour de l'idée que tous les Français ont été des
résistants. La création de ce mythe est postérieure. La question de savoir qui a souffert ou non s'est posée.
Certaines de ces femmes, perçues comme ayant pactisé avec l'ennemi, auraient échappé à ces souffrances
d'ordre alimentaire, vestimentaire. Ces condamnations donnent une image "en négatif" des difficultés des
gens et des humiliations subies. Etre vainqueur c'est en effet faire changer la souffrance et l'humiliation de
camp. Cette étude a permis d'explorer l'intime en temps de guerre. La question est celle de savoir si une
guerre totale l'est jusqu'à l'intime.
Propos recueillis par Vincent Jolivet, octobre 2001.
http://www.manuscrit.com/Edito/invites/Pages/OctHisto_Vigili.asp

Documents pareils