Mieux l`identifier pour mieux s`en protéger
Transcription
Mieux l`identifier pour mieux s`en protéger
D O S S I E R Harcèlement moral Mieux l’identifier pour mieux s’en protéger En 1998, Marie-France Hirigoyen publiait un premier ouvrage sur le «Harcèlement moral, la violence au quotidien». Dopée par le succès du livre vendu à plus de 400 000 exemplaires, elle récidive aujourd’hui avec «Malaise dans le travail», ou comment démêler le vrai du faux quand on parle de harcèlement moral. Yvonne-Marie Ruedin Dès les premières pages de son livre, Marie-France Hirigoyen met en garde contre les amalgames. Toutes les formes de violence au travail, quelle que soit leur destructivité, ne peuvent être considérées comme du harcèlement moral. Le stress professionnel ne doit pas être confondu avec le harcèlement moral. Le but du stress est d’amener les individus à produire plus. Celui du harcèlement moral est de les détruire. Il y a malveillance. Le conflit n’est pas du harcèlement. Un conflit implique deux adultes qui s’affrontent, donc se parlent. Il y a échange. Le harcèlement, au contraire, refuse l’autre qui n’est pas considéré comme un interlocuteur. Dans un conflit, les reproches sont nommés (la guerre est ouverte en quelque sorte), alors que «derrière tout procédé de Enquête auprès de personnes harcelées Le premier livre de Marie-France Hirigoyen a valu à son auteur un abondant courrier. Faute de pouvoir répondre personnellement à tous ses lecteurs, Mme Hirigoyen leur a adressé un questionnaire pour mieux connaître leur vécu de harcelés. 55 pour cent ont répondu. Résultats. Âge: la grande majorité des personnes interrogées a entre 46 et 55 ans, mais aucune n’a moins de 25 ans. Sexe: les personnes harcelées sont d’abord des femmes (70 %). Agissements hostiles: les manœuvres d’isolement et le refus de communication (58 %), les atteintes à la dignité (56 %) et les atteintes aux conditions de travail (53 %) sont les agissements hostiles les plus fréquents. Ils dépassent de beaucoup les menaces verbales, physiques ou sexuelles (31 %). PANORAMA 5/2001 harcèlement, il y a du non-dit et du caché». L’abus de pouvoir n’est pas non plus du harcèlement. Ce que Marie-France Hirigoyen appelle la «maltraitance managériale», c’est-à-dire le comportement tyrannique de certains dirigeants caractériels qui font subir une pression terrible à leurs subordonnés ou les traitent avec mépris, voire violence, n’est pas du harcèlement puisque cette violence est repérable par tous. Les procédés du harcèlement moral, eux, sont occultes. Harcèlement moral Le harcèlement moral se caractérise par la répétition. «Ce sont des attitudes, des paroles, des comportements qui, pris séparément, peuvent apparaître anodins mais que leur répétition et leur systématisation rendent destructeurs.» Contrairement à Heinz Leymann, qui a établi une liste de 45 Types de harcèlement: dans 58 pour cent des cas, le harcèlement vient de la hiérarchie, dans 29 pour cent de plusieurs personnes incluant hiérarchie et collègues, et dans 12 cas de collègues de travail. Durée: la durée moyenne du harcèlement des personnes interrogées est d’un peu plus de 3 ans (40 mois). Conséquences du harcèlement moral: pour 36 pour cent des cas, le harcèlement a été suivi du départ de la personne harcelée, dans 20 pour cent des cas la personne a été licenciée pour faute, alors que dans 9 pour cent des cas le départ a été négocié. Au total, dans 66 pour cent des cas, la personne a effectivement été exclue du monde du travail au moins temporairement. Types de secteur: la moitié des personnes interrogées travaillent ou travaillaient dans le secteur public, l’autre moitié dans le secteur privé. 24 Marie-France Hirigoyen: «Le harcèlement est une pathologie de la solitude.» agissements hostiles devant se répéter au moins une fois par semaine durant au moins six mois pour être appelés harcèlement, Marie-France Hirigoyen estime que la gravité du harcèlement ne dépend pas seulement de la durée, mais aussi de la violence de l’agression. Une personne peut être détruite en moins de six mois. Le harcèlement commence par le refus d’une différence. Il est encore amplifié par l’envie, la jalousie ou la rivalité. La peur est un moteur essentiel du harcèlement moral. Peur de ne pas être à la hauteur face aux exigences toujours accrues du monde du travail, peur de perdre son emploi. Face au danger, on attaque par crainte d’être attaqué. Et pour blesser l’autre, rien de tel que de l’isoler. «Le harcèlement est une pathologie de la solitude. On vise en priorité les personnes isolées.» Le harcèlement c’est surtout la volonté de détruire. «En harcelant une personne, on ne cherche pas à critiquer son travail, bien fait DOSSIER ou mal fait, mais à la viser personnellement, dans une volonté consciente ou non de lui nuire. (…) Il ne s’agit pas de trouver une solution à un problème ou de régler un conflit, mais d’instaurer un rapport de forces. Le but est atteint lorsque la personne se soumet.» Utilisation abusive du terme «harcèlement» Passé aujourd’hui dans le langage courant, le terme de harcèlement est souvent utilisé d’une manière abusive, voire perverse. Tout devient du harcèlement. Pire, certaines personnes se complaisent dans une position de victime qui leur confère une identité. Beaucoup plus facile pour elles de se plaindre et de rejeter la responsabilité sur une autre personne en cas d’erreur. Dans d’autres cas, face à une médiatisation importante, le harceleur peut se retrouver luimême harcelé. Sans parler des fausses allégations de harcèlement moral. «Le risque majeur de fausse allégation de harcèlement moral vient en premier des paranoïaques qui trouvent là un support crédible à leur sentiment de persécution» ou encore d’individus pervers qui essaient de façon masquée de disqualifier une personne, «tout en s’attirant la sympathie du groupe ou en l’amenant à pleurer sur son sort». Et Marie-France Hirigoyen de mettre en garde: «La victimisation outrancière finit par nuire à la cause qu’elle veut défendre. À trop parler de harcèlement moral à tout bout de champ et à tort et à travers, le concept risque de perdre de sa crédibilité.» Conséquences sur la santé Lorsque le harcèlement moral est récent ou qu’il existe encore une possibilité de riposte ou un espoir de solution, les symptômes sont très proches du stress (fatigue, nervosité, troubles du sommeil, migraines, troubles digestifs, etc.). Si le harcèlement se poursuit dans le temps ou qu’il se renforce, un état dépressif majeur s’installe (humeur triste, sentiment excessif ou inapproprié de dévalorisation ou de culpabilité, perte de tout désir, etc.). Après plusieurs mois de harcèlement moral, «les symptômes de stress indifférenciés au début de l’agression se transforment en un trouble psychique manifeste». Avec, pour conséquence, une fragilisation importante de la personne. Que faire? Pour Marie-France Hirigoyen, une chose est sûre: une personne victime de harcèlePANORAMA 5/2001 ment ne peut pas s’en sortir toute seule. Elle a besoin de trouver rapidement un interlocuteur pour exprimer sa souffrance et comprendre ce qui lui arrive. Notre psychiatre recommande également l’inscription de la prévention du harcèlement dans la prévention des risques professionnels. La santé du travail, y compris la santé psychique, est un droit fondamental des salariés. Aux dirigeants de mettre en « À trop parler de harcèlement moral à tort et à travers, le concept risque de perdre de sa crédibilité. » place des programmes de prévention à tous les échelons de l’entreprise. Toutes ces mesures ne remplaceront pas la plus importante, la médiation, seul processus capable de faire appel au compromis plutôt qu’à la force, et donc d’obliger à sortir d’un processus pervers où l’un impose à l’autre sa volonté. Mais la médiation implique que les personnes concernées acceptent de se rencontrer, de sortir de leurs rôles et de leurs positions hiérarchiques respectives, et surtout qu’elles soient prêtes à accepter un compromis. Marie-France Hirigoyen estime qu’une médiation est de toute façon utile, à moins que l’agresseur soit un pervers narcissique, car même si la démarche échoue, « il y aura au moins eu une tentative de dialogue et on sera sûr qu’on ne sera pas passé à côté d’une solution à l’amiable qui est toujours préférable». Marie-France Hirigoyen est psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute familiale. Son dernier livre «Malaise dans le travail – Harcèlement moral. Démêler le vrai du faux» est paru aux Editions Syros à Paris au printemps 2001. Cet ouvrage fait suite à une première étude: «Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien», paru également chez Syros en 1998. 25 Mobbing erkennen, um sich davor zu schützen 1998 veröffentlichte Marie-France Hirigoyen ein erstes Werk über Mobbing: «Harcèlement moral, la violence au quotiendien» (frei übersetzt: «Mobbing, die alltägliche Gewalt»). Der Erfolg des Buches, das mehr als 400 000-mal verkauft wurde, bestätigte sie in ihrer Arbeit. Jetzt liegt ihr neuestes Buch, «Malaise dans le travail» (frei übersetzt: Unbehagen am Arbeitsplatz), auf. Die Autorin zeigt auf, was Mobbing ist, und grenzt es von Stress, Konflikten und Machtmissbrauch ab. Bereits auf den ersten Seiten des Buches warnt Marie-France Hirigoyen vor einer Vermischung von Fakten und Begriffen. Nicht alle Formen von Gewalt am Arbeitsplatz, egal wie destruktiv sie tatsächlich sind, sind Formen von Mobbing. Beruflicher Stress zielt darauf ab, den Einzelnen zu grösserer Produktivität anzuhalten. Mobbing hingegen zerstört Produktivität und gründet auf Böswilligkeit. Konflikt impliziert zwei Menschen, die miteinander streiten, sich also austauschen. Mobbing hingegen lässt ein Gegenüber gar nicht erst zu. Machtmissbrauch hat ebenfalls nichts mit Mobbing zu tun: Die durch Machtmissbrauch hervorgerufene Gewalt ist von allen wahrnehmbar, beim Mobbing aber bleibt der Vorgang verborgen. Charakteristisch für Mobbing ist die Wiederholung. «Es ist das Benehmen, es sind die Einstellungen und Äusserungen, die einzeln betrachtet unbedeutend erscheinen können, die aber durch Wiederholung und Systematisierung verheerend wirken.» Die Tragweite von Mobbing hängt nicht nur von dessen Dauer, sondern auch von der Heftigkeit der Aggression ab. Mobbing ist hauptsächlich gegen isolierte Personen gerichtet. Mobbing ist der Wille zur Zerstörung. «Wird eine Person gemobbt, wird nicht ihre Arbeit kritisiert, sondern – bewusst oder unbewusst – versucht, ihr persönlich zu schaden. Es geht nicht darum, ein Problem zu lösen oder eine Auseinandersetzung beizulegen. Im Gegenteil: Es wird ein Kräfteverhältnis errichtet. Das Ziel ist erreicht, wenn sich die angegriffene Person unterwirft.» YMR/CR