Victor Segalen. L`écrivain voyageur

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Victor Segalen. L`écrivain voyageur
20. HISTOIRE
Dimanche 19 mai 2013 Le Télégramme
Victor Segalen. L’écrivain voyageur
Victor Segalen dans son bureau
à Pékin, en 1910.
riaux », il évoque les Tahitiens d’autrefois et l’agonie de leur savoir traditionnel. Publié sous pseudonyme et à compte d’auteurs, l’ouvrage va à contrepied de la littérature exotique de son époque et fonde son récit sur les connaissances ethnographiques
accumulées lors de ses tournées médicales.
Photo dominiquelelong
Victor Segalen a beau
avoir donné son nom
à la faculté des lettres
et sciences sociales
de Brest,
il reste méconnu.
Pourtant, ce natif de
la Cité du Ponant est
un homme fascinant
aux multiples facettes.
Médecin de marine,
ethnologue, sinologue,
explorateur,
archéologue et critique
d’art, il fut parfois
tout en même temps
au rythme d’une vie
brève et itinérante.
Victor Segalen est mort dans des conditions mystérieuses. Le 21 mai 1919, le corps de l’écrivain est
retrouvé dans la forêt de Huelgoat, avec à la main,
son vieux volume d’« Hamlet » de Skakespeare.
Accident ou suicide ? Quoi qu’il en soit, c’est une
mort précoce, l’écrivain n’avait que 41 ans. Il aura
cependant eu le temps de vivre une vie pleine et
de laisser une œuvre que d’aucuns jugent à l’égal
des plus grands. Son premier texte, il l’a d’ailleurs
signé après une randonnée qui l’avait conduit en
bicyclette dans cette forêt de légende. « A Dreuz
an Arvor » est son premier essai littéraire qui
décrit l’émotion de ce voyage.
Les traces d’une époque
14 janvier 1878.
Naissance de Victor Segalen.
1902. Départ pour Tahiti.
8 mai 1903. Mort de Paul Gauguin,
aux îles Marquises.
1908. Le pouvoir de la Chine est
confié à Puyi, âgé de seulement trois
ans. Il fut le dernier empereur.
12 février 1912. Renversement
de la dynastie des Quing en Chine
et mise en place de la République
de Chine.
1911. Révolution chinoise.
1914-1918. Première Guerre
mondiale.
21 mai 1919.
Décès de Victor Segalen.
1934. L’État français inscrit
Victor Segalen au Panthéon.
Médecin de marine
Né le 14 janvier 1878, à Brest, dans un milieu petit
bourgeois catholique, Victor Segalen a toujours
été avide de liberté. Mais décrété de santé fragile,
il est surprotégé par sa mère qui lui répète « tu
n’es pas comme les autres », pour justifier l’interdiction de jouer avec les autres enfants. Plus tard,
il utilisera cette phrase pour justifier son orgueilleuse différence. En attendant, l’enfant Victor Segalen
rêve de grand large et choisit la carrière de médecin de marine. L’entrée à l’école de médecine navale et coloniale de Bordeaux est le premier pas vers
la liberté. Il s’enthousiasme pour la musique, compose lui-même des mélodies au piano, découvre
Shakespeare, Molière, Rimbaud, Flaubert… Il se
Pour en savoir plus
« Victor Segalen, voyageur
et visionnaire », sous la direction
de Mauricette Berne,
Bibliothèque nationale de France.
« Les Immémoriaux »,
de Victor Segalen.
« Stèles », de Victor Segalen.
« René Leys », de Victor Segalen.
lie à George Huysmans qu’il admire. Mais en
1900, une liaison amoureuse contrariée le fait chavirer dans la dépression. Pour surmonter sa neurasthénie, il consacre sa thèse aux névroses dans la
littérature contemporaine.
Rencontre posthume avec Gauguin
En octobre 1902, il embarque pour Tahiti où l’attend son premier poste sur le bateau La Durance.
Le jeune médecin croit à la métamorphose par
le voyage. Après une escale à New York, puis
à San Francisco où il découvre, fasciné,
China Town, son arrivée à Papeete est pour lui la
révélation d’un paradis sur terre. Le jour même,
il ouvre un cahier où il notera toutes ses découvertes. Mais, peu après son arrivée, un cyclone dévaste les îles et provoque de nombreux morts.
Aux îles Marquises, il découvre Gauguin qui vient
de mourir. Comme les affaires du peintre sont vendues aux enchères dans l’indifférence générale,
Victor Segalen sauve les dernières toiles et ses carnets grâce à sa solde d’officier. Cette rencontre
posthume avec Gauguin sera d’une importance
considérable pour Segalen qui écrira : « Je puis
dire n’avoir rien vu du pays et de ces Maoris avant
d’avoir parcouru et presque vécu les croquis de
Gauguin ». Dans les îles, Segalen fait également
l’expérience brutale de la confrontation de la culture maorie à l’Occident. Dans « Les Immémo-
L’attrait de la Chine
De retour à Brest en 1905, il fait la rencontre
d’Yvonne Hébert qu’il épouse, et à qui il va, toute
sa vie, réserver la primeur de ses cheminements littéraires. Mais l’aventure l’appelle à nouveau.
Il apprend les langues orientales et obtient une mission d’élève interprète en Chine. Entre 1909
et 1918, il effectue trois longs séjours dans ce pays
qui va lui inspirer ses plus beaux textes. Dans
le même temps, il enseigne la médecine et accomplit d’importantes missions archéologiques. Surtout, il va pousser très loin ses connaissances de
cette civilisation. Il est notamment fasciné par ce
qui se passe derrière les murs de la Cité interdite où
règne Puyi, le dernier empereur, âgé de seulement
cinq ans. « Le Fils du ciel » est le sujet du livre sur
lequel il travaille pendant de nombreuses années et
pour lequel il va effectuer de nombreuses recherches. « Il me faut savoir, outre ce que laisse apparaître le pays, mais aussi ce qu’il pense », écrit-il.
Avec le romancier Augusto Gilbert de Voisins,
il se lance donc dans une expédition de cinq mois
jusqu’aux confins du Tibet. « Équipée » naîtra de
cette expédition et de celle qu’il mènera en 1914.
De retour à Pékin avec sa famille en 1910, il entreprend de nombreux projets en parallèle de son
« Fils du Ciel ». Il publie notamment « Stèles », un
recueil de poèmes qui reste comme l’une de ses
œuvres majeures. Victor Segalen vit comme un drame la révolution chinoise qui renverse l’empire le
plus vieux du monde. La Chine qui est en train de
se développer, ne correspond plus à la fiction qu’il
se construit. Il abandonne son « Fils du Ciel » et
le transpose dans un autre livre « René Leys », qui
baigne dans une atmosphère mystérieuse. Bâtie
comme un journal intime, l’action se déroule dans
les derniers mois de la dynastie Qing. Le narrateur,
sosie de Victor Segalen, recrute un professeur de
mandchou, René Leys qui lui fait des confidences
sur la vie du palais.
Mobilisé en 1914
En 1914, on apprend que l’Europe est en guerre.
Mobilisé à l’hôpital de Brest, Victor Segalen ne supporte pas longtemps l’inaction et obtient d’aller sur
le front dans la baie de Somme, mais il est rapatrié
trois mois plus tard avec une gastrite aiguë.
Il reprend ses manuscrits. Au plus fort de la guerre,
en 1916, son livre « Peintures » est publié à Paris
avec un bandeau provocant : « Ces peintures imaginaires chinoises s’excusent de ne contenir aucun
récit de guerre, aucune allusion au temps présent.
Écrites seulement pour être vues, elles ont composé
ce livre profondément inactuel ».
Après une dernière mission décevante en Chine
en 1917, car il ne reconnaît plus le Pékin qu’il a
connu, il revient à Brest avant de mourir dans
la forêt de Huelgoat.
ANNE-CLAIRE LOAËC
Un colloque et une exposition à Huelgoat
Photo lauremelleriosegalen
À l’occasion de l’anniversaire de la mort de Victor Segalen, l’École des Filles de Huelgoat,
lieu d’art, organise, les 25 et 26 mai, un colloque international et une exposition autour de
l’œuvre et de la pensée du poète et sinologue.
Initié par Françoise Livinec, cet événement interrogera, ainsi, les facettes multiples de l’œuvre
de Victor Segalen. Cette année, la Chine sera à
l’honneur avec la présence d’une universitaire
de Shanghai spécialiste de Victor Segalen et
deux artistes chinois en résidence à Huelgoat.
Le programme
Samedi 25 mai : 15 h, intervention de Mauricette Berne, ancienne conservatrice au Département des Manuscrits à la Bibliothèque nationale
de France et écrivain, pour une biographie de
l’auteur à travers l’étude de documents originaux.
16 h, Philippe Postel, président de l’association
Victor-Segalen, évoquera la relation entre Segalen et Claudel.
17 h, Cristina Cramerotti, conservatrice de la
bibliothèque du Musée Guimet, proposera une
relecture de « René Leys » en regard du contexte historique.
18 h, intervention de Kenneth White, poète et
essayiste, sur le thème « Ouverture au monde :
esthétique du divers, esthétique du dehors ».
Les débats seront animés par Laure Mellerio Segalen, petite-fille de l’écrivain et fondatrice de la
fondation Victor-Segalen.
Dimanche 26 : 15 h, intervention de Christian
Doumet, écrivain, professeur à l’Université Paris
VIII, sur comment construire une stèle, en six
leçons.
16 h : Huang Bei, professeur de lettres à l’Université de Fudan (Shanghai), traitera de la calligraphie chinoise, sa tradition et son expression
moderne.
17 h 30 : initiation à la calligraphie chinoise et
contemporaine par Yang Xiao Jian et Wei Ligan,
deux artistes chinois d’art contemporain.
Une exposition
Pendant les deux jours, l’École des Filles accueille
une exposition inédite, « 100 ans de stèles », en
partenariat avec la fondation Victor-Segalen. Elle
présentera trois estampages originaux de stèles,
réalisés sous la direction de Segalen lors d’une
mission scientifique en 1913 (photo). Mais aussi
les œuvres d’artistes qui s’interrogeront sur l’esthétique singulière de ces pierres monumentales.
Réservation au 06.99.49.58.09 ou par mail
[email protected]
Site : www.ecoledesfilles.org