De fil en aiguille
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De fil en aiguille
De fil en aiguille, le secteur cherche à se protéger L’industrie textile en France, ce sont parfois de vieilles machines artisanales avec des savoir-faire traditionnels. Mais ce sont aussi, et de plus en plus, des machines numériques et des textiles innovants. Les risques professionnels auxquels sont confrontés les salariés y sont, par conséquent, très variés. Les métiers à tisser qui font s’entrecroiser les fils sont très bruyants, mais il n’est pas possible de les encoffrer car il faut pouvoir y accéder : il y a beaucoup d’arrêts-reprises par exemple du fait de la casse des fils © Guillaume J.Plisson pour l’INRS Risques liés aux machines, troubles musculosquelettiques (TMS), bruit, utilisation de produits chimiques, « les risques professionnels auxquels nous sommes confrontés ne sont pas spécifiques à nos métiers, ce sont classiquement ceux de l’industrie », constate Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale de l’Union des industries textiles. Le secteur textile recouvre tous les procédés de transformation de fibres naturelles ou synthétiques aboutissant à des fils, des étoffes ou des articles finis non vestimentaires comme du linge de maison ou des articles à mailles. Une activité souvent présentée comme sinistrée en France « mais qui est plutôt en stabilisation voire en reprise depuis trois-quatre ans en termes de production et de chiffre d’affaires », indique Emmanuelle Butaud-Stubbs. En France, ce secteur compte environ 63 000 personnes, essentiellement dans des TPE-PME : 97 % des 2 340 entreprises du secteur ont moins de 200 salariés, selon les chiffres de l’Union des industries textiles (2013-2014) et de l’Observatoire des métiers de la mode, du textile et du cuir (2012). En 2012, selon la CnamTS, plus de 90 % des maladies déclarées dans l’industrie du textile étaient des TMS dus aux contraintes posturales, aux manutentions et aux gestes répétitifs. « La production est de plus en plus mécanisée, avec des machines électroniques, mais il reste quelques opérations de manutention, parfois dans des postures contraignantes, comme le chargement de bobines qui se fait à la main, explique Jean-Pierre Zana, expert en ergonomie à l’INRS. On constate également qu'un certain nombre de machines et de procédés traditionnels existent toujours, surtout dans la fabrication de produits de luxe. La prévention des TMS passe alors essentiellement par l’organisation du travail. Cela doit se faire progressivement, en impliquant les salariés, car dans ces métiers où les savoir-faire sont primordiaux, les habitudes de travail sont souvent bien ancrées. » _CONVENTION NATIONALE D’OBJECTIFS D’après l’enquête Sumer 2010, les principaux types de contraintes physiques auxquels les ouvriers du textile et du cuir sont exposés étaient les contraintes posturales et articulaires (90,7 % des salariés contre 74,3 % pour l’ensemble des secteurs), les situations avec contraintes visuelles (59,7 % contre 59,8 %), les nuisances sonores (52 % contre 32,5 %) et les manutentions manuelles de charges (37,7 % versus 37,2 %). En 2010, la profession a signé une convention nationale d’objectifs avec la CnamTS. Parmi ses objectifs, citons la diminution des risques dus à la circulation du personnel et à la manutention, la sécurité des opérateurs sur machine, la mise en œuvre de procédés de ventilation des locaux, la réduction des TMS. Elle s’est achevée au mois de juin 2014 et les résultats sont en cours d’analyse. « De plus, certaines machines, comme celles qui font de la dentelle ou du tissage traditionnels par exemple, possèdent des éléments en mouvement parfois accessibles, explique Séverine Demasy, experte en risques physiques et mécaniques à l’INRS. D’où des risques de coupures, d’écrasements. Or, souvent, ces machines sont difficilement sécurisables. » Même s’il y a des exigences réglementaires à la conception des machines depuis de nombreuses années, beaucoup de telles machines anciennes ne peuvent être adaptées à ces exigences. « Lorsque des risques résiduels subsistent, là aussi, des mesures organisationnelles doivent être mises en place pour assurer la sécurité et les personnes doivent être formées au poste », ajoute l’experte. Des risques biologiques et chimiques Autre problème lié à ces machines : le bruit. « Les métiers à tisser qui font s’entrecroiser les fils sont très bruyants, émettant jusqu'à 95 dB(A) (NDLR : Au-delà de 85 dB(A), l’entreprise doit mettre en œuvre un programme de réduction de l'exposition sonore). Il n’est pas possible de les encoffrer car il faut pouvoir y accéder : il y a beaucoup d’arrêts-reprises par exemple, du fait de la casse des fils », indique Nicolas Trompette, chef du laboratoire réduction du bruit au travail à l’INRS. Les solutions résident donc dans le traitement acoustique des parois, l’organisation des locaux afin d’isoler les postes les plus bruyants et, ainsi, réduire le nombre de personnes exposées. « Mais le plus souvent, les salariés portent quand même des protections auditives », constate Nicolas Trompette. Deux catégories de fibres sont utilisées dans le textile : les fibres naturelles et les fibres synthétiques. L’exposition répétée à certaines fibres d’origine végétale (coton, lin, chanvre, sisal, kapok) peut entraîner des affections respiratoires ou des réactions allergiques. « De plus, explique Cosmin Patrascu, expert en risques chimiques à l’INRS, les agents chimiques utilisés pour traiter les textiles pour leur conférer certaines propriétés (colorants, traitements UV, biocides, imperméabilisants, déperlants, encres et solvants pour les tissus imprimés…) peuvent être néfastes pour la santé par contact cutané ou par inhalation du produit lui-même ou de poussières émises lors du processus de fabrication. » La prévention passe alors par la substitution des produits les plus dangereux et l’utilisation des procédés les moins émissifs possibles. Pour protéger le consommateur, certaines substances sont réglementées et ne sont donc pas ou peu mises en œuvre par les salariés : « Dans l’Union européenne, l’utilisation de nombreuses substances dangereuses est limitée, explique Annabelle Guilleux, experte en risques chimiques à l’INRS. C’est le cas des substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction dans les articles ou les produits destinés au grand public. C’est aussi le cas de substances dangereuses spécifiques, telles que certains colorants – comme les colorants azoïques susceptibles de libérer des amines aromatiques, telles que la benzidène, la toluidine et leurs dérivés, ou des dérivés de la m-phénylènediamine – dont l’usage est fortement restreint. Les dangers que présentent ceux qui restent autorisés sont essentiellement liés à leurs propriétés sensibilisantes. »