L`enseignement de la métrique kabyle
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L`enseignement de la métrique kabyle
L’enseignement de la métrique kabyle Etat et propositions Dr. Mohand Akli SALHI Université de Tizi-Ouzou Comment est assuré le cours de métrique et des constitutions formelles du poème kabyle ? Comment doit-on l’assurer ? Ce présent texte tente dans sa première partie de présenter l’état de l’enseignement de la métrique au lycée et à l’université (de Tizi-Ouzou). Dans la seconde partie, nous ferons des propositions qui, de notre point de vue, vont dans le sens d’un meilleur encadrement de cet enseignement. - La métrique dans les manuels d’enseignement scolaires C’est essentiellement au niveau du lycée qu’un enseignement des constitutions métriques est assuré. Au niveau du collège, le poème est pris notamment comme accompagnement documentaire ; l’enseignement du texte littéraire y est plutôt consacré à la prose : structure du conte et de la nouvelle essentiellement(1). Les éléments de cet enseignement sont contenus dans deux manuels : celui de la première et de la troisième année du secondaire. Dans le premier, des éléments de cours sont consacrés aux : 1 - Découpage du vers en syllabes en définissant la règle consacrée à la déclamation poétique et la nécessité d’oraliser le vers pour le découpage syllabique et en proposant un traitement métrique du hiatus et de la tension consonantique. 2 - Description des dispositions rimiques. Quatre types de disposition rimique sont données ; il s’agit des types : aabb, abab, abba et aab. 3 - Définition des formes des vers et des strophe : cette définition repose sur la perception visuelle. C’est la typographique des vers et leurs assemblages sur l’espace de la feuille qui sont retenus pour définir et le vers et la strophe. Ainsi, on propose à l’élève cinq types de strophe : le distique, le tercet, le sixain, le huitain et le neuvain. Même s’il y a une amorce de la perspective historique de métrique kabyle en écrivant dans le texte présentatif consacré à l’évolution de la poésie (dans le manuel de la troisième année) que : (1) Voir Salhi Mohand Akli, "Didactique du texte littéraire en amazigh. Etude des manuels de 3ième et 4ième années du cycle moyen en Algérie", In Linguistique descriptive et didactique de l’amazighe, Actes du Colloque International, (coordination Abdellah El Mountassir), du 24-26 mars 2006, Agadir (Maroc), pp. 190-200. Voir également Salhi Mohand Akli, Etudes de littérature kabyle, Enag, 2011, pp. 124-140. « (…) Deg wayen yeɛnan talɣa daɣen, tamedyazt, tuɣ-d aṭas n yiberdan imaynuten ama deg tmeɣrut, ama deg tkatit. Ittusemma, teffeɣ i lqaleb n Yusef u Qasi neɣ lqaleb n Si Muḥ-u-Mḥend ; tuɣal ggten deg-s wanawen n tmeɣrutin akked wanawen n wakaten. (…) » (souligné par nous) Il faut remarquer tout de même que le soin d’assurer cette perspective est laissé aux enseignants chargés de traduire les orientations du manuel en séances pédagogiques concrètes. Tout dépend donc de la volonté de l’enseignant. C’est à ce dernier qu’incombe la tâche de situer au plan historique l’émergence de nouvelles formes strophiques (émergence des stances et diversité des formes strophique dans une même poème, etc.) et les nouvelles dispositions rimiques comme les types aabb et abba. Il doit également être sensibilisé aux questions relatives aux transpositions typographiques des constituants rythmiques et harmoniques du poème oral car l’oralité est, à notre avis, constituante de la métrique de ce dernier. Par ailleurs, il est également opportun de rappeler que l’enseignement de métrique tel que pratiqué au niveau de l’enseignement secondaire est généralement réfléchi dans une approche plutôt textuelle. Cette même approche continue celle de l’enseignement de texte narratif déjà pratiquée au niveau du collège(2). Ce constat est confirmé par la nature des exercices proposés. La quasi-généralité des questions (une quinzaine) pourvues pour l’enseignement des constitutions métriques des poèmes porte sur les propriétés du texte poétique. On insiste dans ces questions sur le découpage syllabique des vers, les dispositions des rimes dans un texte, l’organisation des strophes, la distinction des parties du texte chanté (refrain, couplets) dans le cas des poèmes chantés et sur la relation relations forme / contenu entre les strophes. - Le cours de métrique à l’université L’enseignement de la métrique est inscrit dans tous les paliers d’enseignement de la Licence en langue et Culture Amazighes aussi bien dans sa version ancienne (appelée communément licence classique(3)) que dans la nouvelle Licence(4) (du système LMD). Cet enseignement est conçu en trois types : 1. un enseignement d’initiation amenant les étudiants à connaître et à maîtriser les concepts de base servant à décrire les niveaux de structuration métrique du texte poétique. Ce type d’enseignement est dispensé dans le premier palier (première année)(5). 2. un enseignement dédié aux descriptions métriques des différentes poésies des différentes variantes amazighes. Selon la disponibilité documentaire, l’objectif de cet enseignement est de présenter un état illustré des conceptions métriques proposées pour la (2) Idem. Cette Licence est engagée en septembre 1997. Elle s’éteindra en juillet 2013. (4) Cette version de Licence est entamée en octobre 2010. (5) Dans les modules suivants : Lectures littéraires (ancienne Licence), Introduction à la lecture du texte littéraire et Lectures critiques (nouvelle Licence). (3) poésie de chaque variante linguistique. Ainsi, les conceptions suivantes sont traitées (ou devaient l’être) : a. Pour la poésie chleuhe : les travaux de Hassan Jouad, d’Abdellah Bounfour, De Dell et El Medlaoui. b. Pour la poésie tamazight du Moyen Atlas : Les travaux de Hassan Jouad. c. Pour la poésie rifaine : les travaux de Mohamed El Medlaoui. d. Pour la poésie kabyle : les travaux d’André Basset, de Mouloud Mammeri, de Kamal Bouamara et de Mohand Akli Salhi e. Pour la poésie touarègue : les travaux de Charles de Faucauld, de Karl Prasse et de Dominique Casajus ; Cet enseignement est assuré au niveau de la deuxième et troisième année (ancienne Licence) et la deuxième année (nouvelle Licence) dans les modules consacrés à la littérature amazighe (traditionnelle et contemporaine)(6). 3. un enseignement (dans les dernières années de la Licence) d’ordre théorique consistant : a. à distinguer les domaines (poésie orale et écrite, chant et chanson, formes brèves et différentes formules langagières) et la typologie de métrique, b. à développer les types d’approche et théories métriques (l’approche expérimentale, l’approche probabiliste, l’approche générative et l’approche distributionnelle…) Toutefois ces contenus ne sont enseignés qu’au gré des intentions et sensibilités de recherche des enseignants. Le cours de métrique est généralement « assuré » vers la fin du programme ; il est, par conséquent, le cours à sacrifier. Par ailleurs, cet enseignement souffre globalement d’une vision un peu techniciste dans le sens où il n’est assuré que la partie liée au découpage syllabique des vers, la constitution des strophes et l’organisation des rimes. Il est généralement coupé des préoccupations de l’histoire littéraire mais notamment de la valeur de la métrique dans la constitution de la littérarité kabyle (amazighe en générale), tout comme il lui manque la complémentarité que doivent lui assurer d’autres modules tels la phonétique et phonologie, l’écriture et l’anthropologie culturelle (dans la conception générale de l’esthétique au niveau de la société). - Propositions A ce niveau, et afin de réorienter la perspective d’enseignement pratiquée jusqu’à présent, il y a lieu d’intégrer l’étude des niveaux de structuration métrique dans un cadre plus global en distinguant, pour les besoins de la faisabilité de l’entreprise, deux volets dans (6) La caractérisation métrique doit être prise en considération dans le module Texte et auteur (de la troisième année de la nouvelle Licence) dans le but de déceler les nouveautés (ou les reprises) d’ordre métrique déterminant les apports respectifs des poètes l’enseignement de la métrique. Le premier volet concerne les principes généraux sous-jacents à cet enseignement. Le second s’attache à définir une (des) procédures d’étude des niveaux de structuration métrique. Les principes généraux Parce que le genre littéraire dominant, aussi bien au niveau de l’oralité traditionnelle qu’au niveau de la littérature contemporaine, est la poésie ; parce que la constitution métrique est l’un des éléments importants de la littérarité kabyle notamment au niveau traditionnel et parce que les transformations affectant les constitutions métriques constituent des repères textuels pour l’histoire de la poésie, le cours de métrique doit être l’un des plus importants dans le cursus universitaire. L’enseignement de la métrique à l’université doit être réfléchi dans le sens d’accorder à la constitution métrique le rôle qui est le sien dans la conception (dans la tradition) de la littérarité. En effet, les genres de prose, notamment de contes, sont qualifiés ayant une « littérarité impure » (Mammeri, 1981, préface au roman d’Aliche : p. 09). Statistiquement, les genres poétiques sont plus dominants. « Le vers est le moyen canonique de l’art de la mémoire dans la culture berbère » déclare Bounfour ( 2005 : 130). A la question de savoir pourquoi choisir de traduire en vers les maximes en prose, Bounfour répond comme suit : « le vers est donc la forme autochtone qui permet de conserver les traits fondamentaux du texte original et d’en assurer l’efficacité dans la transmission et le prédication » (idem.). Effectivement, c’est en discours versifié qu’on a rendu les histoires religieuses (de Josef, Moïse et d’Abraham) ; et c’est en ce même type de discours qu’on a immortalisé les moments historiques les plus importants tels que la pénétration coloniale, le résistance à la colonisation et les premières déclarations revendicatives de l’identité amazighe. Et c’est également en vers qu’on a frappé l’essentiel de la sapience kabyle. En somme le discours versifié constitue le principal moyen de l’expression littéraire kabyle. Considérer la métrique comme un marqueur de la littérarité, parmi tant d’autres, n’est que garantie et efficacité de l’approche. Par ailleurs, il y a lieu de penser la métrique à la fois comme un signe distinctif des « époques littéraires » tout en définissant ce qui relève de la tradition de ce qui engendre la modernité textuelle. Il y a tout un travail à réaliser dans ce sens. Accorder cet importance à la métrique c’est indéniablement lui allouer la valeur historique dans la constitution des corpus et de leurs évolutions. A un autre niveau, il résulte du fait d’octroyer une pertinence historique à la constitution métrique des corpus une mise en valeur métrique des types poétiques. Le catalogage métrique des poésie (orale, chantée, accompagnée d’une instrumentation musicale, écrite) ne sera que mieux argumentée. Pour toutes ces raisons, il est à recommander d’instituer un enseignement autonome dédié à la « métrique amazighe ». Cet enseignement doit être intégré au « Master de littérature ». Les options comparative, historique et stylistique doivent y être privilégiées. Le volet plus pratique et immédiatement perceptible A ce niveau, il est question de proposer une (des) procédure(s) souple(s) permettant à l’étudiant d’étudier la constitution métrique d’un texte, d’un corpus d’auteur ou d’un genre. A cet effet, il est important de mettre cette constitution métrique en corrélation avec l’écriture du texte (sa notation dans un manuel et sa typographie sur l’espace de la feuille(7)). Il est également impératif de réduire l’écart entre l’écriture à tendance phonologique qui reconstitue la morphosyntaxe des monèmes et des phrases (pratiquée dans les manuels et les autres ouvrages) et la réalisation effective (orale) de l’énoncé versifié en proposant une « écriture métrico-rythmique » du poème permettant ainsi l’actualisation de la réalisation orale de ce dernier. C’est pour cela qu’il faut intégrer dans cette procédure entre autres des règles relatives aux : 1. traitements de la voyelle neutre : – Déplacement de la voyelle neutre suivant la morphologie du mot ou suivant la présence ou l’absence d’un satellite du mot (nom, verbe et préposition). – Elision du schwa – notation du schwa en initial du mot dans le cas des monosyllabiques). – Traitement de la notation de schwa avec la particule de direction. 2. traitements du hiatus : – Rupture d’hiatus par élision de la première voyelle. – Rupture d’hiatus par introduction d’un glid. 3. ré-assimilations et reconstructions morphosyntaxiques : – Ré-assimilation de l’actualisateur « d » et de la marque du féminin « t ». – ré-assimilation de la particule de direction et de l’indice de la troisième personne du singulier féminin – ré-assimilation de la préposition « n » et de la marque du féminin (+ l, b, m, etc.) – oralisation des prépositions « ɣef », « ɣer », « seg », « deg ». 4. Problématique de la ponctuation poétique : notamment au niveau des articulations métriques du vers (césure, pause de fin de vers). 5. transcription des textes poétiques de l’oralité (7) Vu la primauté de l’écrit, notamment en milieu scolaire, les formes métriques sont dépendantes de la typographie des textes. Pour la problématique de la relation entre la typographie poétique et la métrique, voir Salhi Mohand Akli, Contribution à l’étude typographique et métrique de la poésie kabyle, Thèse de Doctorat, Université Mouloud Mammeri, Tizi-Ouzou, 311 p. a- traitement morphologique particulier du mot (ou des mots) pour des besoins métriques. b- prise en compte des syllabes métriques (non linguistiques) dans la transcription des textes poétiques chantées. c- traitement des noms propres et des toponymes cités dans le poème. Il est clair qu’il est difficile, et peu praticable, d’assurer ces deux volets uniquement dans les modules de littérature. Il est vivement à recommander d’insérer le souci intrinsèquement métrique dans les enseignement de l’écriture (dans le cas de l’écriture des poème) et dans les enseignements de phonétique et phonologie (pour les questions liées à la problématique tension/gémination, de l’accentuation prosodique, des contraintes syllabiques et des intonations prosodiques, etc.). Cette (ces) procédures doit (doivent) être organisée(s) en étapes pour faciliter son (leur) assimilation. En gros, on peut en proposer trois. La première concernera la ré-écriture du texte c’est-à-dire le « dés-orthographier » et lui (re) donner sa forme orale conformément aux règles présentées ci-dessus (l’étape de l’écriture rythmique). La deuxième traitera de l’application des règles (de syllabation, d’extraction des figures rimiques et de constitution strophique) à suivre dans l’étude métrique (l’étape de l’analyse métrique proprement dite). La troisième consistera en la rédaction de commentaires (ente autres stylistiques et historiques) sur le corpus analysé suivant l’accumulation du savoir sur les données métriques (l’étape du commentaire). Il y a là tout un programme de recherche didactique. C’est un programme qui reste certes un peu compliqué notamment pour les points linguistiques les moins étudiés ou qui ne bénéficient pas de l’accord des chercheurs. Il est tout de même faisable et stimulant. A cela s’ajoute le fait qu’il relève d’une nécessité pédagogique et de recherche ; il répond à plusieurs besoins aussi bien de l’interrogation poétique (voire esthétique) que des préoccupations pédagogiques. - Références bibliographiques Aït Ferroukh Farida, "Le chant kabyle et ses genres", Encyclopédie berbère, N° XII, pp. 18621869. . Angoujard Jean-Pierre, 1997, Théorie de la syllabe : Rythme et qualité, CNRS éditions, Paris. 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