Courte histoire de l`Église Réformée de Rouen

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Courte histoire de l`Église Réformée de Rouen
Courte histoire de l'Église Réformée de Rouen
par Jean Gosselin, avril 1980
Les débuts de réforme de la religion encore catholique et les premières
persécutions.
FLOQUET, dans son Histoire du Parlement de Normandie, relève des signes d'un début de
réforme à Rouen en 1511 : c'est bien avant que LUTHER ne s'éloigne de la doctrine catholique
officielle.
Ces idées de réforme venaient sans doute des humanistes et, en particulier, de LEFÈVRE
D'ÉTAPLES qui enseignait à Paris au Collège du Cardinal-Lemoine : il recommandait le retour aux
Écritures, déclarait que les Évangiles devaient être accessibles à tous et professait la doctrine du
salut gratuit. Il traduisait les Évangiles et écrivait des Commentaires en français.
Les livres de LEFÈVRE et de l'évêque de Meaux, BRIÇONNET, son ami et protecteur, ont
atteint la Normandie, comme la Champagne et le Val de Loire, sans doute colportés par les ouvriers
saisonniers.
Devant la persécution qui sévit maintenant à Paris à l'instigation de la Sorbonne, la Normandie
et, en particulier Alençon, fief de Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier, devient une terre
de refuge. Celle-ci y fait venir pour les mettre en sécurité, en 1524 son confesseur Michel
d'ARANDE, en 1529 Simon DUBOIS imprimeur, qui a édité à Paris des livres suspects, en 1530 le
prêtre CAROLI qu'elle fait nommer curé d'Alençon.
Mais la persécution commence en Normandie.
Le 31 décembre 1535, on brûle à Rouen sur la Place du Marché, après l'avoir étranglé, Étienne
LECOURT, curé de Condé-sur-Sarthe accusé d'avoir dit : « Il faut qu'un chacun ait des livres en
français, la Sainte Écriture a été longtemps cachée sous le latin, mais maintenant Dieu a voulu
qu'elle fût mise en français ».
On brûle encore à Rouen :
− en 1534, sur la Place du Marché aux Veaux (Place de la Pucelle) le Prêtre Richard
LEBLOND,
en 1535, au même endroit, Guillaume HUSSON, apothicaire impliqué dans l'affaire des
placards contre la messe,
−
− en 1536, Geoffrin du COUDRAY qui a propagé la Réforme autour de Bacqueville-en-Caux
et Luneray,
en 1542, Constantin LE BLASTRIER, Étienne SALOMON, Étienne MIGNOT et Roulequin
DESMARETS.
−
En 1549, trente-deux moines du Couvent des Augustins à Rouen sont accusés d'hérésie, mais
ils réussissent à s'enfuir avant d'être jugés. L'un d'eux, Guillaume NEEL, est rattrapé quatre ans plus
tard. Il resta deux mois dans les prisons de l'évêque d'Évreux pendant lesquels il s'obstina à exposer
ce qui l'opposait à Rome. Condamné au feu, il fit appel devant le Parlement de Rouen qui confirma
le premier jugement. NEEL fut reconduit à Évreux où il fut brûlé en 1553.
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Malgré tout, les idées nouvelles, parties des milieux cléricaux, se propageaient à Rouen et
atteignaient le petit peuple : les adeptes se réunissaient en 1546, à la Fosse aux Loups à Quevilly.
L'Église réformée est instaurée à Rouen
L'Église Protestante fut régulièrement établie à Rouen en 1557 par le Pasteur de la JONCHÉE,
venu de Genève.
En 1559, on tint à Paris le Premier Synode Général des Églises Réformées : onze Églises y
furent représentées. Ce synode donna à l'Église Protestante sa profession de foi et sa doctrine.
En 1560, arrive à Rouen le Pasteur Augustin MARLORAT, ancien moine augustin, originaire
de Bar-le-Duc ; ses prédications nocturnes sur les parvis de Saint-Ouen et Saint-Vivien et dans le
cimetière de la Cathédrale sont très suivies. L'Église Protestante de Rouen aurait compté à cette
époque, 10 000 fidèles, 4 pasteurs et 27 anciens.
Les guerres de religion, lutte entre deux partis politiques
Les guerres, dites de religion, commencèrent avec le massacre de Wassy, perpétré par les
soldats du duc de Guise, malgré les apaisements apportés par l'Édit de Janvier 1562. Le 3 mai, les
Huguenots s'emparèrent du pouvoir, à Rouen comme à Caen, à Dieppe et au Havre. La pègre
voyant là l'occasion de s'approprier les biens des possédants, notamment clergé et noblesse, se joint
aux cinq ou six cents Huguenots qui ont pris le Château et le Vieux Palais, désarme la milice
bourgeoise, tue, pille et brûle les églises de Rouen et des environs et les couvents. Les chefs
protestants, qui ont constitué un conseil de ville pour mettre de l'ordre, sont débordés.
Les troupes du duc de Guise investissent la ville pour la reprendre. Il fallut attendre l'arrivée
sous ses murs de l'armée royale, le 28 septembre 1562 pour y réussir. Celle-ci entre dans Rouen le
26 octobre. Les soldats du roi tuent les hommes et les femmes susceptibles d'être huguenots et
pillent les maisons pendant dix jours en dépit des recommandations de CHARLES IX. Les
membres du Conseil sont arrêtés, sommairement jugés par le Parlement et aussitôt exécutés :
MARLORAT est pendu devant la cathédrale, DUBOSC d'EMENDREVILLE, président de la Cour
des Aides, a la tête tranchée, GRUCHET de SOQUENCE, COLLON de BERTHOUVILLE,
échevins, et Jean BIGOT, ancien de l'Église, sont pendus.
Les églises de Rouen portent encore les traces des destructions commises.
L'Édit de Pacification d'Amboise de mars 1563 accordait aux protestants un lieu de culte par
bailliage ; en Normandie, Alençon, Carentan, Conches, Gisors, Goderville, Pont-Audemer et Vire.
Caen et Le Havre conservèrent le leur. Rouen n'en avait pas.
Des Huguenots de Normandie, craignant des représailles, s'étaient enfuis en Angleterre depuis
1535 et réfugiés à La Rye, près de Hastings où ils avaient fondé une Église Protestante Française.
Tout n'allait pas pour le mieux à Rouen, entre protestants et catholiques. N'ayant pas de lieu de
culte dans la ville, les Huguenots allaient en prêche dans les châteaux de seigneurs protestants des
environs : Notre-Dame-de-Bondeville, Roumare, la Rivière-Bourdet, Radepont, Pavilly. Ils étaient
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parfois attaqués par la populace catholique sur le chemin du retour où ils trouvaient fermées les
portes de la ville par lesquelles ils devaient rentrer. Ce fut le cas en 1564, 1566 et 1571. Chaque fois
il y avait bagarre et des morts restaient sur le terrain.
Le lendemain de la Saint-Barthélemy, le 25 août 1572, le Gouverneur de Rouen fit
emprisonner les protestants notoires pour les mettre à l'abri, informé par le roi de ce qui s'était passé
à Paris. Mais quelques jours après, alors qu'il était absent, les magistrats de la ville laissèrent faire
une troupe de fanatiques de la Ligue qui forcèrent les portes des prisons et tuèrent les Huguenots
qui s'y trouvaient, pourchassèrent les autres à travers la ville, tuèrent hommes et femmes. Les corps
furent enterrés dans de grandes fosses hors de la Porte Cauchoise. Le roi demanda en vain aux
magistrats de sévir. Cela entraîna le départ en exil de nombreux protestants vers l'Angleterre, les
bords du Rhin, la Suisse.
La Paix de Beaulieu, signée par le roi Henri III, était encore favorable aux protestants mais
l'Édit de Nemours de 1585, arraché par la Ligue au roi, chassait les pasteurs et les anciens du
royaume. Le culte cessa d'être célébré.
Après l'assassinat d'Henri III, Henri de Navarre, proclamé roi de France, dut conquérir son
royaume... et Rouen.
La paix religieuse du roi Henri IV ne lui a pas survécu
Si les protestants de Dieppe purent souffler après la victoire d'Arques en 1589, les Rouennais,
dont la ville était encore sous le contrôle des Guise, durent subir le siège et la guerre jusqu'en 1594.
La ville souffrit les bombardements d'Henri IV installés sur les hauteurs.
Après avoir obtenu l'acquiescement des Français en abjurant, le roi leur donna par l'Édit de
Nantes du 13 avril 1598 la paix religieuse : cet édit autorisait les Huguenots à exercer leur culte,
assurait leur admission à tous les emplois, établissait dans chaque Parlement une Chambre Mixte,
habilitait les protestants à lever des taxes pour les besoins de leurs Églises, rétribuait leurs ministres
et leur accordait des places de sûreté comme La Rochelle, mais ils devaient payer la dîme au clergé
catholique et respecter les jours fériés de cette Église : les Huguenots espéraient mieux et se
sentaient un peu trahis.
Quoi qu'il en soit, des communautés protestantes se constituèrent régulièrement dans les villes
où le culte était autorisé et des « sociétés » se formèrent dans les campagnes autour des familles
nobles qui pouvaient entretenir un pasteur dans leur château.
Les protestants de Rouen se virent autorisés à faire construire un temple à Quevilly ; ils en
confièrent le soin au au charpentier GIGOUDAY qui, en un an, édifia un temple rond, en
colombage, de douze côtés, 30 m de diamètre, 20 m de hauteur, comportant deux galeries, le tout
surmonté d'une lanterne contenant une cloche. Ce bâtiment pouvait contenir, disait-on, 7 500
personnes, voire même 10 000.
Autour du temple se trouvaient les locaux du Consistoire, les librairies, un collège que les
Jésuites, qui avaient eux-mêmes ouvert une école à Rouen en 1605, s'efforcèrent de faire fermer, ce
qu'ils ne réussirent qu'en 1685.
L'Église de Rouen comptait alors 6 à 7 000 fidèles et trois pasteurs. Les protestants habitaient
surtout les paroisses Saint-Éloi et Saint-Maclou.
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Les garanties sont grignotées : la reprise des persécutions
À l'occasion du conflit qui s'était élevé entre la Cour et les protestants du Sud de la Loire et de
La Rochelle en particulier, ceux de Normandie se crurent menacés et commencèrent à passer à
nouveau en Angleterre, mouvement qui s'accentua après la prise de La Rochelle en 1628 : dix-huit
pasteurs normands s'exilèrent.
Les protestants de Rouen prenaient une large part à la vie de leur cité et comptaient parmi eux
des magistrats, des avocats, des marchands, des armateurs, des savants, des imprimeurs, des
libraires. Des Allemands, des Anglais, des Hollandais de la religion réformée ou luthérienne,
avaient fondé à Rouen des entreprises prospères.
C'est à ce potentiel de richesses qu'ils représentaient pour la ville et le royaume
s'attaquèrent, sous des prétextes de religion, les Jésuites et les ordres nouveaux issus
recommandations du Concile de Trente, comme la Compagnie du Saint-Sacrement. Il
reconnaître que ces différents Ordres qui prêchèrent contre la « R.P.R. » comptaient
prédicateurs sincères et de valeur.
que
des
faut
des
Le Parlement de Normandie emboîte le pas et supprime peu à peu toutes les libertés garanties
par l'Édit de Nantes : plus de protestants ou presque dans les corporations des médecins, des
monnayeurs, des merciers, des orfèvres. On oblige les membres protestants du Parlement à vendre
leur charge. On s'efforce de faire fermer les temples, ce qui arriva petit à petit dans le pays de Caux
; les commissaires chargés d'examiner le cas de chacun, s'accordèrent pourtant à maintenir ouverts
ceux de Dieppe, Quevilly et Sanvic. Tour à tour furent démolis ceux de Bosc-Roger, Bacqueville,
Fécamp, Lintot, Luneray, Sénitot.
Celui de Quevilly résista longtemps : on en vint à bout en juin 1685 par une sentence du
Parlement qui, en même temps, interdisait d'exercer leur ministère aux pasteurs Jacques
BASNAGE, JANSSE et Philippe LEGENDRE qui s'exilèrent.
L'Édit de Nantes est révoqué par Louis XIV : la persécution s'ensuit
La révocation de l'Édit de Nantes survint le 18 octobre 1685 et porta le coup de grâce en
mettant hors la loi les Huguenots qui ne voulurent pas se convertir. Plus d'exercice du Culte
protestant ; les pasteurs sont chassés de France ; il est interdit aux parents d'élever leurs enfants dans
la religion réformée ; obligation leur est faite de les faire baptiser catholiques et de les envoyer au
catéchisme du curé ; invitation à abjurer ; défense d'émigrer et obligation pour ceux qui sont partis
de rentrer sous peine de confiscation de leurs biens. Et pour faire appliquer ces dispositions, les
dragons de Louvois dans les maisons huguenotes, avec licence de tout faire sauf de mettre à mort.
Le régiment du Colonel CHOISEUL-BEAUPRÉ arrive à Rouen le 31 octobre 1685 ; le 4
novembre, les trois-quarts des 2 500 Huguenots qui y résidaient encore avaient abjuré ou avaient
fui, abandonnant leurs biens.
Mais le coup était porté : les marchands et les armateurs étaient partis avec leur commerce, leur
industrie, leur clientèle qu'ils allèrent mettre à la disposition des pays qui voulurent bien les
accueillir : 405 chefs de famille, propriétaires de biens immobiliers à Rouen avaient quitté la
France.
Pour VAUBAN, c'étaient 100 000 habitants que la France avait perdus, 60 millions de Livres
d'argent monnayé.
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Et ce fut la chasse aux derniers résistants : pour eux, c'étaient les galères pour les hommes, la
prison pour les femmes, la mort pour les pasteurs qui étaient pris.
Les prisons des villes de Normandie et de Rouen en particulier, étaient pleines d'irréductibles :
les couvents comme Bellefonds et la Maison des Nouvelles Catholiques de femmes arrêtées au
moment où elles voulaient fuir, ou de jeunes filles enlevées à leur famille. Les hommes arrêtés au
cours d'évasions manquées étaient souvent envoyés aux galères. Cette peine fut toutefois
modérément appliquée en Normandie (soixante-dix cas environ).
Des pasteurs réorganisent en cachette des communautés réformées
Mais les conversions arrachées sous la contrainte n'étaient pas sincères ; on s'en voulait d'avoir
cédé et on revint petit à petit à la pratique de la religion réformée dans le secret du foyer. Les
pasteurs, rentrés en cachette au péril de leur vie, soutenaient la foi des non-convertis et tentaient de
reconstituer des communautés sous le nom de « sociétés », aidés de « prédicants ». Parmi les
pasteurs et prédicants qui s'efforcèrent de maintenir le protestantisme, il faut citer les pasteurs
Claude Brousson, Paul Cardel, Daniel Cottin, Joseph de la Gacherie, les prédicants Isaac Lecourt,
Jean Boivin, puis, à partir de 1740, sous la direction d'Antoine Court, les pasteurs Migault-Préneuf,
Viala, Boudet-Gautier, Campredon-Duthil qui entreprirent de reconstituer des Églises dans le Pays
de Caux et à Rouen même.
La persécution, après avoir connu des hauts et des bas, se ralentit vers 1760 bien qu'on
enregistrât encore des poursuites et des enlèvements d'enfants.
La Tolérance, la liberté de conscience, la liberté de culte
Le pasteur Pierre Mordant arriva à Rouen en 1778 et entreprit d'organiser cette communauté
neuf ans avant l'Édit de Tolérance du 29 novembre 1787 qui reconnut la liberté de conscience et
redonna aux protestants un état-civil. Il fallut la Constitution de 1791 pour leur donner la liberté de
culte. Déjà en 1789, quatre-vingt-une familles de Rouen s'avouaient protestantes et participaient à
une collecte pour faire fonctionner leur communauté.
En juin 1791, on leur accordait officiellement la chapelle des Mathurins comme lieu de culte et
ils nommaient des « administrateurs » pour prendre des engagements au nom de leurs
coreligionnaires. Ces premiers « anciens » étaient :
Jacques Lachenez-Heude Père, Vincent Bertin, Isaac Lecaron, Martin Lecoq, Jean Cordelet,
Louis Chefdhotel, Jean-Louis Hilscher, Jean-François Lemaignan.
Mais la Chapelle des Mathurins n'était pas commode parce que trop excentrique. Dès le mois
de mars 1792, trois anciens furent chargés de trouver un autre bâtiment. Leurs recherches aboutirent
en septembre de la même année à la location de l'église de Saint-Lô. La communauté en prit
possession le 28 septembre. Nous en possédons la description : elle n'était pas en très bon état. Elle
avait été vidée d'une partie de son mobilier mais comportait encore des statues qui choquèrent
certains membres de l'Église. On demanda à la Municipalité de les retirer. Il n'y avait plus de
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chaire : on obtint, en prêt, celle du couvent de Saint-Louis. En février 1794, l'église était
réquisitionnée pour y installer une fabrique de salpêtre : on était sous la Terreur.
En mars 1795, on demande l'autorisation de se réunir dans l'église Saint-Vigor, rue de la
Fraternité, que l'on loue pour trois ans. Mais il faut la partager avec l'Assemblée Populaire et la
cohabitation est si difficile qu'en juillet 1796 la Communauté Protestante sollicite l'autorisation
d'utiliser la chapelle de l'Archevêché, ce qui lui est accordé par l'Autorité Militaire qui occupe le
Palais Archiépiscopal.
Vient la Loi du 18 Germinal An 10 (8 avril 1802) qui autorise le culte protestant et organise
cette Église.
Un arrêté du Premier Consul de décembre 1802 attribue aux protestants l'église Saint-Éloi qui
avait été désaffectée en 1792 et utilisée comme magasin de fourrage puis comme fabrique de
plombs de chasse. Ceux-ci l'occupent en janvier 1803. Elle est en bien mauvais état et ils ont la
charge de l'entretenir. Il faut encore acheter ce que la Fabrique a laissé à son départ : l'orgue, les
stalles, les lambris de la sacristie et de l'église, les chaises... On fait une collecte pour faire face à
ces dépenses et rémunérer le pasteur auquel on verse difficilement les honoraires promis.
Fort heureusement un arrêté paraît bientôt qui prévoit la rémunération par l'État du pasteur
MORDANT qui vient d'être confirmé dans sa charge. Des textes prévoient même que la Ville devra
supporter les frais d'entretien de l'église si la communauté ne peut y faire face.
Celle-ci est installée dans l'église le 18 janvier 1804 : un compte-rendu de la cérémonie paraît
dans cinq numéros du « Répertoire de Rouen » du 24 Nivose au 7 Ventose An 12.
En soixante ans, deux pasteurs qui ont fait l'Église de Rouen
Le pasteur Pierre MORDANT poursuit, non sans mal, l'organisation de son église : les cultes,
les actes pastoraux, l'instruction des enfants, l'assistance aux pauvres qui tient une place importante
dans les activités de l'Église. Il est personnage honorable dans la Cité, membre de la Commission
du Bureau de Bienfaisance du secteur, mais appointé par l'État, il lui faut déférer à des demandes de
services d'action de grâce et de prières en faveur de l'Empire et de la Famille Impériale. Fatigué par
trente-quatre années d'efforts, il s'éteint le 10 octobre 1813.
Le pasteur Olivier de SARDAN le remplace pendant trois ans, puis arrive en avril 1817 le
pasteur Louis-Daniel PAUMIER qui vient de Bolbec et dont le ministère particulièrement fécond
durera quarante-deux ans.
Un second poste de pasteur fut créé par le Ministère de l'Intérieur et des Cultes, en avril 1833,
lequel poste fut confié au pasteur Timothée ALEGRE, fils du ministre de Bolbec nommé par le
Premier Consul en 1803.
Le pasteur PAUMIER donna à l'Église de Rouen une structure qui existe encore en partie, en
dépit des changements légaux intervenus entre-temps et, faisant en 1856, devant le Consistoire, le
point de son activité dans l'Église depuis quarante ans, il rappelait qu'il avait créé et organisé :
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une double école primaire, garçons et filles, rue St-Denis
−
une société biblique auxiliaire de celle de Paris
−
une bibliothèque instructive et religieuse
−
la Société de Bienfaisance des Dames Protestantes
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la Société des Amis des Pauvres
−
l'Hôpital Lamauve inauguré en 1853.
De Rouen, dépendaient les Églises « sectionnaires » des Andelys, Darnétal, Elbeuf, Louviers,
Pont-Audemer, Vernon, Sainte-Opportune. Deux pasteurs ne pouvaient y suffire et des pasteurs
suffragants vinrent les aider.
Ce fut à ce titre qu'arriva à Rouen, en 1859, Pierre-Émile ROBERTY qui devait y rester jusqu'à
son décès en 1903.
La banlieue Sud de Rouen, Grand-Couronne, Petit-Quevilly, Saint-Étienne-du-Rouvray et
Sotteville, comptait vers 1890, quatre cents personnes environ en cent dix familles.
La Société Évangélique de Normandie fit appel pour s'en occuper au pasteur Henri GAST,
originaire de Caen, alors âgé de trente-quatre ans. L'Église de Rouen disposait sur la rive gauche de
la Seine, d'une chapelle rue de Chateaudun à Petit-Quevilly et avait été autorisée en 1877 à célébrer
le culte dans une maison privée à Sotteville. Monsieur GAST entreprit de faire construire un
temple, 189 rue Garibaldi à Sotteville, qui fut ouvert au culte en 1894.
Au second poste de pasteur de Rouen, se succédèrent les pasteurs Alfred et Jean BIANQUIS et
Wilfred MONOD qui prendra la présidence du Conseil Presbytéral en 1903 après la mort du pasteur
ROBERTY. Puis ce fut en 1904 l'arrivée du pasteur Aquilas QUIEVREUX auquel le pasteur
MONOD laissa la charge de l'Église en la quittant en 1907.
Jusqu'en 1850, l'Église de Rouen s'identifiait avec le Consistoire : les Églises créées dans les
environs, jusque dans l'Eure, en dépendaient et étaient souvent desservies par les pasteurs de Rouen
jusqu'à ce que leur importance justifiât, aux yeux du Ministère, la création d'un poste. Des textes de
1850, complétés par d'autres de 1852, instituèrent un Conseil Presbytéral dans chaque Église
officielle, avec une « juridiction » correspondant en gros à l'arrondissement. Rouen étant le siège du
Consistoire, il y eut, à partir de cette époque, à Rouen, un conseil presbytéral et le consistoire
auquel une communauté comme Elbeuf, envoya des délégués, lorsqu'elle eut acquis l'autonomie en
1868.
En 1905, suivant les dispositions de la loi sur la séparation de l'Église et de l'État, le régime
administratif de l'Église de Rouen changea à nouveau : on dut créer une association cultuelle
comportant une assemblée générale et un conseil présbytéral composé des pasteurs et de membres
laïques élus.
Ce furent les pasteurs Wilfred MONOD et Aquilas QUIEVREUX qui eurent la charge de faire
passer l'Église de Rouen sous le nouveau statut. Les communautés de Déville et PetitQuevilly/Sotteville votèrent alors pour l'autonomie et eurent chacune leur pasteur et leur conseil
présbytéral.
Profondément affecté par des deuils familiaux, le pasteur Henri GAST se retira en 1906,
laissant la place dans l'Église de Sotteville au pasteur PARADON, mais il resta membre laïque et
secrétaire du Conseil Presbytéral de Rouen.
Le pasteur Aquilas QUIEVREUX mourut en 1914 et le pasteur LAUGA, arrivé à Rouen en
1908 lui succéda, alors que le pasteur Charles NOUGAREDE se voyait confier le second poste.
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L'Église de Rouen pendant la guerre de 1914-1918 et la remise en route
des activités
Vint la guerre de 1914-1918 qui perturba lourdement la vie de l'Église en appelant ses pasteurs
sous les drapeaux.
M. NOUGAREDE partit comme aumônier sur un navire-hôpital.
LAUGA resta à Rouen quelque temps encore comme infirmier à l'Hôtel-Dieu ; il était en même
temps aumônier militaire bénévole, cumul de fonctions qui ne simplifia pas sa tâche. Pendant le
temps qu'il fut encore à Rouen, il ne cessa de se soucier de son Église que les pasteurs FRANEL de
Déville, CHALAMET, jeune suffragant et LANG, pasteur âgé et en retraite, desservaient avec
dévouement.
En octobre 1916, M. LAUGA, alors sur le front, fut l'objet d'une citation élogieuse dont
s'honora la communauté. Un an après, il était envoyé en mission en Amérique auprès de « l'Église
du Christ ».
Au début de 1919, les pasteurs mobilisés rentrent tour à tour. Lors d'une séance solennelle, le
Conseil Presbytéral a remercié les pasteurs CHALAMET, FRANEL et LANG qui ont assuré le
service de la paroisse pendant les hostilités.
Puis la relève des pasteurs s'opère : ceux qui ont vécu la guerre comme ministres de Rouen, se
sentent appelés à d'autres fonctions, vers d'autres communautés.
M. Georges LAUGA partit en 1922 pour s'occuper de « La Cause ».
M. Daniel MONOD le remplaça jusqu'en 1931 lorsqu'il fut appelé à Paris à l'Église du SaintEsprit.
M. Charles NOUGAREDE resta à Rouen jusqu'en 1932 et demanda alors sa retraite pour
raison de santé.
M. Henri MANEN prit en charge en 1928 la communauté de Sotteville/Petit-Quevilly dont
s'était occupé jusque-là, à temps partiel, M. Jacques LAFON affecté en 1919 au poste
d'évangélisation de « La Fraternité » créé par la Mission Populaire.
M. MANEN se retira en 1937 et fut remplacé par M. Marc HERUBEL.
Déville où le culte était célébré depuis 1877, avait eu successivement pour pasteur, M. Jules
FRANEL depuis 1899, M. LAUNE de 1920 à 1931 puis M. DAULLE depuis 1932.
La petite communauté de Darnétal fut toujours assurée d'un culte périodique par les pasteurs de
Rouen.
Volontairement limité à quelques pages, mais ayant pour but de retracer les péripéties et les
grands événements de l'Église Réformée de Rouen depuis sa naissance au cours de la première
moitié du XVIe siècle, cet abrégé de son histoire n'est plus, à la fin, qu'une froide énumération des
pasteurs qui, avec dévouement, la conduisirent jusqu'à la veille de la guerre de 1939-1945.
Mais beaucoup de membres de l'Église actuelle connaissent bien cette période : malgré son
insuffisance, cette courte relation de la vie de leur Église fera sans doute revivre en eux bien des
souvenirs.
Rouen, avril 1980
Jean GOSSELIN