Homélie du jeudi Saint 2015

Transcription

Homélie du jeudi Saint 2015
HOMELIE POUR LA MESSE DE LA CENE
Avril 2015
A peine venons-nous de vivre des élections que d’autres s’annoncent avec, à l’horizon, les
élections présidentielles de 2017. Certes la plupart de ceux qui concourent sont certainement
inspirés par le bien public et le souci d’en défendre la meilleure conception. Peut-être y en a-t- il
cependant qui aspirent au pouvoir. Et s’il n’en est pas parmi eux il n’en reste pas moins que le
pouvoir demeure l’objet d’une fascination chez beaucoup et qu’il peut être une tentation pour
tous. Imposer son point de vue, voir se réaliser ses rêves sans que rien ne s’oppose, configurer le
monde à ses désirs et être de ceux que l’on reconnait, que l’on recherche ou qui, cachés
conduisent le monde, fait partie des pulsions infantiles tapies dans notre inconscient. Très tôt
chez les enfants le cri de « c’est moi le chef » en est l’attestation.
Ce soir nous sommes invités à regarder un chef, notre Chef (au double sens du mot : il est
notre leader et la tête – le chef- du Corps dont nous sommes les membres), tandis qu’il exerce le
pouvoir. Et qui le lui contesterait ? En Jésus, c’est Dieu lui-même qui agit. Celui « par qui tout est
venu à l’existence et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 3) se donne à voir dans l’exercice
du pouvoir : « Vous m’appelez « Maître » et « Seigneur » et vous avez raison, car vraiment je le suis ».
Or l’exercice du pouvoir de façon stupéfiante s’exprime par un homme à genoux qui lave
les pieds de ceux qui étant ses disciples lui sont subordonnés. Ce faisant il exerce un service
considéré en son temps comme dégradant et qui, sans doute, aujourd’hui demeure surprenant. Le
maître prend la place de l’esclave (et encore les esclaves juifs avaient-ils le droit de refuser ce
service), Dieu se met au pied des hommes. Vertigineux spectacle qui fait basculer toutes nos
représentations.
Mais ce signe ne prend son sens que dans le double contexte de sa Passion et de
l’institution de l’Eucharistie. Le lavement des pieds est déjà l’annonce sacramentale de sa Passion.
Non seulement le Fils de Dieu prend la condition de l’esclave mais il va jusqu’à la mort et la mort,
considérée comme la plus ignominieuse en son temps, de la croix. Il vient pour nous purifier de
nos péchés, comme il l’explique à Pierre, mais c’est en les prenant sur lui et en en assumant toute
la conséquence sur la croix. C’est Dieu seul qui, en Jésus, assume le péché de l’homme. « Dieu l’a
fait péché pour nous » dira saint Paul parlant de Jésus en sa Passion (II Co, 5,21). L’institution de
l’Eucharistie est l’anticipation sacramentelle et la présence permanente de sa Passion. Celui qui se
donne à son Père et à pour nous sur la croix, s’offre à son Père pour nous et à nous pour notre
salut et notre mission dans ce sacrement. Et il le fait dans la faiblesse des espèces du pain et du
vin, dans la trivialité d’une matière pauvre.
Le pouvoir de Dieu est donc dans son abaissement. Déjà le Premier Testament nous
l’avait montré dans ces représentations paradoxales du Tout Puissant mis à l’épreuve par son
peuple au désert et qui consent à discuter avec lui, dans ce mari trompé du livre d’Osée qui ne
cesse de rappeler son épouse, adultère et prostituée, pour l’épouser comme une vierge, dans ce
Dieu, bouleversé par le péché des hommes qui les conduit à la mort, que nous révélaient les
prophètes. En Jésus, soudain, nous comprenons que toutes nos représentations de Dieu
s’éteignent et nous mesurons la vacuité de nos conceptions du pouvoir et de la puissance. Seul le
Tout Puissant peut s’abaisser totalement et se faire humble sans rien perdre de ce qu’il est.
L’agneau pascal des Hébreux était l’annonce de ce mystère, non pas l’animal mais cette
mort assumée, ce sang versé pour que nous ayons la vie. L’Eucharistie en est le sacrement. Par ce
signe nous sommes rendus présents à l’abaissement du Fils de Dieu, à sa victoire aussi que son
Père lui donne par la puissance de l’Esprit. Car pour ceux qui rejoignent l’abaissement du Fils
c’est la victoire d’une vie en plénitude qui est reçue. C’est pourquoi la mort du Fils n’est pas une
déploration mais, dans l’Eucharistie, une proclamation qui doit durer jusqu’à ce que, à la fin de
l’Histoire, il vienne dans la gloire et qui déjà anticipe cette venue en le rendant présent car « en lui
la fin des temps nous déjà rejoint ».
Ce soir nous allons refaire le lavement des pieds et nous célébrons l’Eucharistie. Le texte tiré de la
lettre de Paul aux Corinthiens que nous venons d’entendre – qui est le plus ancien récit de la
Cène – est tiré d’un passage où Paul montre qu’il est vain de célébrer l’Eucharistie sans
reconnaître en nos frères, et d’abord les pauvres, le Corps même du Seigneur. Nous ne pouvons
pas ne pas nous sentir appelés à entrer dans le mouvement même de Jésus Christ. Nous ne
pouvons pas ne pas comprendre où est notre pouvoir et ce qu’il est. Il est dans la nécessité de
faire comme Jésus : « C’est un commandement que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme
j’ai fait pour vous. ».
Malgré les sollicitations de notre fond infantile dont se sert le Démon il nous faut
demander la grâce du service et de l’effacement et trouver en l’Eucharistie ce principe. Dieu pour
nous se voile et c’est pour se donner, le Tout Puissant s’abaisse et c’est pour nous élever, il
assume notre condition humaine, même la plus pécheresse, et c’est pour nous sauver.
Ce soir demeurons dans la contemplation de ce mystère, laissons-nous saisir par lui pour
le vivre au quotidien et dans le plus concret de notre vie.