La parole - Seine-Saint
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La parole - Seine-Saint
Actes plateforme des droits de l’enfant et des jeunes Journée du 16 octobre 2008 La parole des enfants et des jeunes entre pairs La parole La parole des enfants et des jeunes entre pairs Quatre journées pour débattre du droit à la parole des enfants et des jeunes et rechercher ce qui le fera progresser. Réunissant toutes les catégories de professionnels qui travaillent auprès des enfants petits et grands, des adolescents et des jeunes adultes, les nouvelles plateformes des droits de l’enfant et des jeunes se tiennent sur quatre journées en 2007 et 2008. Journée 1 : la parole : des fondements pour une culture commune Journée 2 : la parole des enfants et des jeunes dans leur famille Journée 3 : la parole des enfants et des jeunes dans les institutions Journée 4 : la parole des enfants et des jeunes entre pairs. Organisées par le Département de la Seine-Saint-Denis, elles sont construites sur la complémentarité et le croisement des disciplines. Leur objectif : mettre à disposition un socle commun de connaissances et ouvrir un espace de débat et de partage d’initiatives entre professionnels. Une occasion de prise de recul sur les pratiques quotidiennes de terrain, pour construire la réflexion et nourrir les actions. Actes plateforme des droits de l’enfant et des jeunes 16 octobre 2008 sommaire Les nouvelles plateformes des droits de l’enfant et des jeunes Ouverture 2 Azzedine Taïbi vice-président du Conseil général en charge des sports, de la jeunesse et de l’éducation populaire 3 jeunes en 2005 ? Jean-Pierre GOUDAILLIER doyen honoraire, responsable des Relations internationales à la Faculté SHS-Sorbonne, professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes (Paris 5) à la radio Questions de la salle Des paroles pour vivre en amitié et construire la paix 6 Anne-Caroline FIEVET linguiste Bernard Loche, journaliste Michel KOKOREFF sociologue, maître de conférences à l’université Paris 5, chercheur au Cesames (unité mixte CNRS/ Inserm), auteur de Sociologie des émeutes (Payot, 2 008). 20 Les parlers jeunes Animation 16 5 & 19 Questions de la salle Quelle fut la parole des Questions de la salle et alors ? 13 Robi MORDER chercheur en droit et sciences sociales aux universités de Reims et de Saint-Quentin-enYvelines, président du Groupe d’Études et de Recherches sur le Mouvement étudiant (GERME) Michel BOTBOL psychiatre et psychanalyste, spécialiste de l’adolescence Ils tchatchent, mouvements de jeunes Paroles entre pairs sans la présence du père… ni de la mère Parole publique et Questions de la salle Questions de la salle Agir contre les risques d’enfermement Joëlle BORDET psychosociologue, Centre scientifique et technique du Bâtiment (CSTB) Questions de la salle les jeunes de l’atelier d’écriture de l’Office municipal de la Jeunesse d’Aubervilliers, dans le cadre d’une rencontre avec des jeunes de Palestine et d’Israël en Espagne et au Maroc La parole des enfants et des jeunes : conclusion des quatre journées 9 Le droit de participation des mineurs dans le monde 32 Maître Kamel FILALI avocat et professeur à l’université de Constantine (Algérie), membre du Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU Clôture Emmanuèle GRAINDORGE directrice de la Jeunesse au Conseil général Ouverture Paroles entre pairs sans la présence du père… ni de la mère Azzedine TAIBI Vice-président du Conseil général en charge des Sports, de la Jeunesse et de l’éducation populaire Je vous souhaite la bienvenue et je tiens à vous remercier de votre présence et de votre participation à cette dernière journée du cycle de conférences autour de la thématique de « la parole de l’enfant et des jeunes » organisée par le Conseil général. Je suis certain que les solutions durables ne pourront se construire que collectivement, en déployant une culture commune sur les droits en général et la parole de l’enfant et des jeunes en particulier. Votre présence démontre la nécessité toujours plus grande de se retrouver, d’échanger et de partager des points de vue et des expériences, divers et enrichissants, pour nous interpeller dans notre quotidien. Elle illustre aussi des attentes en matière de prise en compte de la parole des enfants et des jeunes : droit élémentaire, il n’est pas inutile de le rappeler, mais qui reste difficile à faire valoir et à appréhender pour bon nombre de personnes aujourd’hui, élus, professionnels, bénévoles, parents. Cette thématique nous fait prendre du recul et interroge nos façons de voir, nos façons de faire. S’enrichir, partager, apprendre, tels étaient les objectifs fixés pour les quatre journées de ce cycle de conférences. Aujourd’hui, notre thématique « la parole des enfants et des jeunes entre pairs » sera développée au cours de deux tables rondes : Parler entre soi, et s’adresser à la société. Malgré vos emplois du temps et vos journées chargés, vous avez pris le temps de venir vous poser, vous écouter, échanger. Vos expériences de terrain et vos analyses vont traduire les réalités de vos missions, qui les rendent à la fois passionnantes et complexes. Dans ces questions, comme dans beaucoup d’autres, je mesure l’importance du croisement entre les domaines d’intervention, et la nécessité de la participation et des échanges entre professionnels, de la transversalité. Ce qui importe, c’est la façon dont nous donnons corps et sens à toutes ces synergies de terrain. C’est ce qui explique aussi notre choix de l’approche pluridisciplinaire afin d’obtenir différents éclairages sur le sujet traité. Je suis très heureux que le Conseil général vous accompagne dans cette dynamique. Je suis certain que les solutions durables ne pourront se 2 construire que collectivement, en déployant une culture commune sur les droits en général et la parole de l’enfant et des jeunes en particulier. Je remercie Maître Kamel FILALI, qui nous fera l’honneur de clôturer cette journée : avocat et professeur de droit à l’Université de Constantine, il participe au Comité des Droits de l’enfant chargé par l’ONU de surveiller la façon dont les États s’acquittent des obligations contractées en ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant. Je remercie également tous les autres intervenants qui, au travers de leurs expériences et de leur expertise nous permettent de nous interroger individuellement et collectivement en soulevant des enjeux majeurs. Cette réflexion est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que la parole des enfants et des jeunes est encore difficilement entendue dans notre société, dans un contexte politique où les services publics ainsi que les moyens pour l’éducation sont durement remis en cause. Cette volonté de ne plus donner la priorité à l’éducation nous interpelle toutes et tous dans notre engagement au quotidien, dans nos pratiques, mais aussi dans notre relation aux enfants et aux jeunes ainsi qu’à l’avenir. Bernard LOCHE Michel Botbol, vous êtes pédopsychiatre, spécialiste de l’adolescence et vous avez publié un livre sur les Toc (Troubles obsessionnels compulsifs) chez l’enfant et l’adolescent Michel BOTBOL, psychiatre et psychanalyste D u point de vue biologique et sociologique, l’adolescence représente la deuxième phase de séparation-individuation ainsi que la deuxième phase du développement de la sexualité humaine. À chaque fois que l’adolescent se rapproche de l’autre, il est exposé à la fois à un lien sexualisé et à son incapacité à faire la preuve de son autonomie. Cette étape est un moment fondamental de la longue marche vers la séparation qui a commencé dès la naissance. Elle oblige l’adolescent à se confronter à la séparation, en utilisant les mêmes modalités que celles qu’il a utilisées depuis la naissance. Le bébé a en effet quotidiennement expérimenté la séparation, au moment de dormir, selon trois modalités possibles : • Certains bébés s’endorment en suçant leur pouce, en arrivant à se passer de la présence de la mère dans la mesure où ils la recréent imaginairement. • D’autres bébés ont besoin de voir pour croire : ils crient, leur mère vient et ils sont rassurés, puis ils crient à nouveau et leur mère revient et ainsi de suite. Ce deuxième type de réponse n’est pas pathologique mais le bébé est plus vulnérable puisqu’il a besoin du « dehors », pour répondre au besoin de son « dedans ». Je remercie la ville de Pantin pour la mise à disposition de la salle. Je tiens aussi à remercier et féliciter l’équipe de la direction de la Jeunesse du Conseil général, qui a fait de ce cycle de conférences une réussite. Pour preuve, 750 personnes ont participé aux trois premières journées. Cette fidélité et cette implication méritent d’être soulignées à l’heure où l’urgence et le manque de moyens font partie de vos quotidiens. Il importe maintenant que nous réfléchissions ensemble à la poursuite de la démarche avec un nouveau cycle de plateformes pour 2009. Je vous souhaite une très bonne journée. • D’autres bébés se tapent la tête contre les barreaux parce que leur demande est restée sans réponse trop longtemps et trop complètement. Leur déception est telle qu’ils n’attendent plus rien de l’autre – ni en « dedans » ni en « dehors » – et sont conduits à se débrouiller seuls, en saturant leurs canaux sensoriels pour ne pas ressentir la souffrance d’une séparation trop intense. Cette troisième forme de réaction est heureusement plus rare et est toujours pathologique. 3 Face à la séparation induite par le processus adolescent, l’adolescent dispose des mêmes modalités, mais avec la complication supplémentaire que la sexualisation des liens rend conflictuelle et problématique l’appel à l’autre qui ne l’était pas avant la puberté. À chaque fois que l’adolescent se rapproche de l’autre, il est exposé à la fois à un lien sexualisé et à son incapacité à faire la preuve de son autonomie : le lien parent/enfant, premier de tous les liens d’altérité, a vocation à rassurer, mais, avec la puberté, il devient en même temps porteur de menaces. Lorsqu’il se rapproche de ses parents pour se rassurer, l’adolescent s’expose en effet à une menace et à une blessure : le constat de l’échec du processus de séparation en annulant la distance qu’il a mise entre lui et ses parents pour satisfaire à son obligation de se séparer. Dans les bons cas, il va utiliser toutes ses ressources imaginaires pour dépasser ce paradoxe et aller voir ailleurs en investissant le monde extrafamilial, ce qui constitue la première de ses tâches d’adolescent. Il ne s’agit pas de renoncer aux liens familiaux, mais de les déplacer. Dans un premier temps persiste l’idéal que l’enfant déposait sur ses parents, mais il n’est plus porté par eux mais par d’autres – ceux avec lesquels la dépendance est moins menaçante, c’est-à-dire généralement ceux qui sont le moins différents de l’adolescent, notamment en termes de génération, c’est-à-dire les pairs. Ceux-ci jouent alors un rôle fondamental au début de l’adolescence, en permettant au jeune de compenser les effets de la séparation obligée d’avec les parents. De son côté, la parole se caractérise par le fait qu’elle n’appartient pas à celui qui la prononce et qu’elle implique toujours une allégeance à un collectif : quand nous parlons, nous parlons toujours en premier lieu la langue de l’autre. La parole est Paroles entre pairs sans la présence du père… ni de la mère donc toujours porteuse de la reconnaissance de l’altérité. À l’adolescence, le processus de séparation souligne cette caractéristique. Plus qu’à d’autres périodes, elle apparaît d’abord comme un attribut de ceux dont on craint de dépendre, ce que l’on désigne métaphoriquement comme le père ; elle vient donc marquer la séparation qui fonde la subjectivité de l’adolescent tout en l’éprouvant. Dès lors, l’adolescent va modifier la langue pour la faire sienne dans la mesure où cette modification l’éloigne de celle du père tout en la rapprochant de la communauté des pairs ; c’est une parole affiliatrice, qui tente de méconnaître ou réduire sa dimension de filiation. Ce qui compte alors, ce n’est plus le sens qu’elle porte mais le lien qu’elle permet d’établir. C’est ce qui va la conduire à être utilisée plus dans sa sonorité que dans son sens, avant tout comme un véhicule d’affect. Elle est alors performative, c’est-à-dire proche d’un acte comme on le constate dans les propos comme « je t’aime », « je te promets », « je t’insulte » où dire, c’est faire. L’adolescent va modifier la langue pour la faire sienne dans la mesure où cette modification l’éloigne de celle du père tout en la rapprochant de la communauté des pairs ; c’est une parole affiliatrice. Si nous voulons parler la langue des jeunes, il nous faut tenir compte de cette limite inhérente à leur investissement du langage et partager leur affect avant de pouvoir espérer transmettre par les mots et le sens qu’ils portent. Lorsque la relation à l’autre (significatif et différent) est à la fois le problème et la solution, comme c’est souvent le cas avec les adolescents, c’est le faire avec qui doit être privilégié car il permet l’accordage affectif avant même que les paroles puissent trouver leur valeur. Il permet de se lier sans imposer trop précocement et trop violemment le poids de nos différences et l’asymétrie foncière de toute relation éducative pédagogique ou thérapeutique. 4 Questions de la salle « En tant qu’adultes travaillant avec des plus jeunes, nous rencontrons effectivement une certaine difficulté à communiquer à partir du langage. L’adulte doit faire passer un message et le jeune doit se faire entendre. Si nous devons, comme vous le dites, partager l’affect avant de partager le sens des mots, ne nous retrouvons-nous pas pris au piège ? En effet, dans une telle position, nous subissons la façon de s’exprimer du jeune, alors que notre rôle consiste également à élargir la communication, à donner plus d’ouverture.» Paroles entre pairs sans la présence du père… ni de la mère « Il ne faut pas donner trop d’importance à nos paroles en pensant qu’une fois que nous avons dit des choses, elles servent de repères. Quand j’échange avec les collégiens, je suis moi aussi dans mon affect ; adulte ou adolescent, chacun a son affect et peut échanger à ce propos, même si le registre est différent. Par ailleurs, pour donner de la place à l’autre, il me semble essentiel de toujours confirmer que j’ai bien entendu ce qui a été dit, de montrer que la parole est reconnue et entendue.» Irène TALMONE, agent d’éducation à la santé, mairie de Pantin « Qu’en est-il du langage non-verbal ? » Djamal KABACHE, directeur d’un centre social, Bagnolet Peter KPODZRO, directeur de la maison de quartier Pasteur, Saint-Ouen Maître Kamel FILALI Une sorte d’aliénation est provoquée chez le jeune : une rupture avec la société se produit, dans le sens où l’idéal n’existe plus. Le jeune ne reconnaît plus la famille et la société comme gardiennes des valeurs et entre dans une phase d’aliénation où il ne reconnaît que ceux qui parlent son propre langage. Ce jeune devient très vulnérable à l’endoctrinement. Il prend à mes yeux le statut de victime. Comment l’aider ? Michel BOTBOL Cette question est centrale. Il n’existe pas une seule manière de réagir. Dans un certain nombre de cas, qui ne sont pas forcément les plus fréquents, transmettre par le sens ne fonctionne pas et nous, travailleurs sociaux, devons alors intervenir de façon particulière. Il ne faut pas donner trop d’importance à nos paroles en pensant qu’une fois que nous avons dit des choses, elles servent de repères ou qu’une fois que nous avons marqué notre désaccord, il est entendu comme tel. Au contraire, il faut d’abord que l’esprit du jeune fasse de la place à l’autre. De plus, cet autre ne doit pas s’imposer d’une façon trop éloignée de la réalité du moment psychique de ce jeune ; le jeune ne serait pas capable de le supporter et cela le conduirait au rejet. Le partage d’affects constitue un préalable pour dialoguer avec un jeune en difficulté, à condition que l’interlocuteur soit un adulte différent et porteur de références fortes. Comment faire passer ces références à des jeunes contraints psychiquement par l’incapacité du lien à l’autre ? Lorsque le rappel à la loi ne fonctionne pas, des voies autres que la pédagogie de la citoyenneté ou du « zéro tolérance » doivent être trouvées. « L’origine des problèmes à l’adolescence doit-elle être recherchée dans la petite enfance, c’est-à-dire dans la première phase de séparation ? » Louiza MAHDI, éducatrice de jeunes enfants, centre de PMI départementale, Montfermeil Ce ne sont pas les paroles qui sont dites mais l’affect. Michel BOTBOL Premièrement, en ce qui concerne l’affect et le langage verbal, ce qui est important au fond, c’est que quelque chose qui a été dit soit entendu. Or, ce ne sont pas les paroles qui sont dites mais l’affect. Irène Talmone prête ainsi son oreille affective, c’est-à-dire son corps. La situation est délicate dans la mesure où les affects impliquent tout notre être et notre histoire : ils sont bien plus complexes que les mots précis. Dès lors, en partageant le langage non verbal des actes, ceux-ci sont transformés en affect. Et cet affect est raconté grâce à la confrontation avec d’autres affects. Tous constituent des occasions de faire ressortir des éléments de sens de cet acte. 5 Deuxièmement, ce qui est dit du langage et de la loi peut bien entendu être dit de la culture. Maître Kamel Filali, l’aliénation par rapport à la société et la culture est en effet due à notre rapport au langage et à la loi, mais aussi à d’autres rapports : tout ce qui va favoriser le lien autour du « même », d’un « même » exigeant qui apparaît comme « ce qui permet de ne rien différencier ». Le choix de telle ou telle catégorie religieuse ou culturelle permet de s’opposer dans un compromis extraordinaire, puisque l’adolescent s’oppose à la loi et la culture des pères tout en partageant quelque chose avec l’ensemble des fils, selon une transmission inversée : le fils devient le père et inversement. Le roc de l’idéologie se présente comme solution à cette problématique psychologique et sociologique qui vient se poser à l’adolescent, dans la mesure même de la difficulté qu’il a à traiter tranquillement la séparation. Dans ce lien de dépendance accepté, l’adolescent réussira à s’opposer tout en étant rassuré, selon un processus analogue à celui que vit l’adolescent qui rentre une heure en retard chez lui : pendant une heure, il est à la fois le fils parfait et l’homme le plus libre, car il s’oppose à la loi des pères tout en étant certain que ses parents ne pensent qu’à lui. Malheureusement, certaines horreurs liées à des logiques identitaires excessives n’ont d’autres mécanismes que celui-ci. Troisièmement, l’adolescence est effectivement liée à la petite enfance. L’enfant arrive à l’adolescence armé de sa capacité à supporter la menace d’aliénation que représente la séparation. S’il n’existe pas de lien absolu entre le bébé sage et l’adolescent serein, il existe en revanche entre le bébé ayant du mal à s’endormir et l’adolescent en difficulté un lien conceptuel autour de la notion de narcissisme, de l’investissement de soi, de la confiance. Ils tchatchent, et alors ? Bernard LOCHE Nous allons maintenant nous intéresser plus précisément à la langue des jeunes. Jean-Pierre Goudaillier, vous êtes l’auteur de Comment tu tchatches, dictionnaire du français contemporain des cités. Ils tchatchent, et alors ? Jean-Pierre GOUDAILLIER, doyen honoraire, responsable des Relations internationales à la Faculté SHSSorbonne, professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes (Paris 5) L es jeunes s’approprient la langue en la modifiant. Le verlan constitue l’exemple type de ce processus. Il consiste à prendre la langue de l’autre en la triturant, en la déstructurant, en la rejetant dans l’autre sens. Ceci est le reflet du fait que les jeunes ressentent une exclusion. Avec le « français contemporain des cités » (FCC), l’identité se forge au travers de la langue en excluant l’autre. Par ce biais, les dominés renvoient aux dominants une langue autre et mettent en mots les maux de la violence sociale et de la violence réactive. Ce que parler veut dire de Pierre Bourdieu est donc toujours d’actualité. 1. Quelques rappels nécessaires • par un mouvement d’identification par lequel il assimile un trait, une propriété, un attribut de l’autre ; • mais aussi par un mouvement inverse d’identisation grâce auquel il peut affirmer ses différences par rapport à l’autre. L’appartenance à un groupe social et les comportements langagiers ne sont pas des données indépendantes. Les comportements langagiers doivent être considérés comme des actes d’identité : l’appartenance des individus à un groupe social est construite à travers leurs actes de langage, qui sont de véritables actes d’identité qui comportent un double mouvement : • d’identification (appartenance au groupe) ; • d’identisation (affirmation d’une spécificité). Avec le « français Concepts généraux : L’adolescent, le jeune de cités construit son identité identité/identification/identisation grâce à ce processus dynamique double. contemporain L’appartenance des individus à un groupe ou à des des cités » (FCC), groupes donnés permet l’obtention d’une identité Identité des jeunes de cités l’identité se forge sociale positive, si ces individus peuvent se compa- Les comportements individuels ou de groupe des au travers de la langue rer aux autres groupes : paradoxalement, l’identité jeunes de cités doivent être considérés comme des actes d’identité grâce auxquels chacun d’entre en excluant l’autre. se forge en dénigrant l’Autre, les autres. L’identité se construit en termes : • spatiaux ( jeunes des cités, des quartiers versus jeunes du centre-ville, des quartiers avec pavillons) ; • sociologiques voire socio-économiques (jeunes issus des classes populaires versus jeunes issus de la petite bourgeoisie) ; • socioculturels (culture des rues versus culture bourgeoise). eux se positionne en référence à différents pôles identitaires. Leur identité est territorialisée. Le lieu d’habitation devient soit un signe de prestige soit un stigmate. Les jeunes issus de l’immigration se positionnent par rapport à plusieurs pôles de référence qui varient selon les individus et les âges. Leurs deux principaux pôles de référence sont : • le pays d’origine de leurs parents ; • la France, leur pays d’accueil. habitent constituent une transition entre le pays d’origine de leurs parents et leur pays d’accueil. Une culture « interstitielle » apparaît et se développe au cours des années 1980 et 1990 à la périphérie des grandes villes (entre tours et barres de cités) et au sein même des villes (dans les quartiers accueillant des jeunes issus de l’immigration). Une identité spécifique est revendiquée à travers différents vecteurs : la musique (le rap), la danse (le hip-hop), les vêtements, les graffitis et des pratiques langagières discursives propres. Dans l’univers des cités, la créativité lexicale particulièrement intense fonde l’identité des groupes de pairs et en maintient la cohésion. Dans l’univers des cités, la créativité lexicale particulièrement intense fonde l’identité des groupes de pairs et en maintient la cohésion. Prenons maintenant quelques exemples. 2. Manifestation de l’identité Un jeune dit à un journaliste : « On en a marre de parler français normal… Comme les riches… Les petits bourges parce que c’est la banlieue ici » (Élève d’origine maghrébine du groupe scolaire Jean-Jaurès, Pantin, journal télévisé 20 heures, TF1, 14 février 1996). Raja, 21 ans déclare : « On connaît tous un peu de mots de tout le monde. On parle le français, avec des mots rebeus, créoles, africains, portugais, ritals ou yougoslaves. Blacks, Gaulois, Chinois et Arabes, on a tous vécu ensemble ». (Jean-Michel Décugis/ Aziz Zemouri, Paroles de banlieues, Paris, Plon, 1995, p. 104). Cette langue déstructurée devient réactive : elle est renvoyée à l’autre, le dominant, en réaction à la violence sociale. 3. Les communautés et leurs appellations Il est intéressant d’étudier les façons dont les communautés s’appellent les unes les autres. • Les Arabes, plus particulièrement maghrébins, sont désignés par les termes suivants : « beur », « rabza », « rabzouille », « reubeu », etc. • Les Asiatiques et les Chinois sont appelés : « miaou », « noiche », « jacky » (en référence à Jacky Chan), « jaune », « oinich », « tchoune », etc. • Les Français de souche ont pour désignations : « babtou », « bab », « toubab », « boubta », « blonblon », « blondin », « céfran », « céanf », « Chabert » (en référence au Colonel Chabert), « fils de Clovis », « fromage blanc », « from », « gaulois », « pâtérillettes », « rillette », « roumi », « roum », etc. Stigmatiser le « bled » et tout ce qui peut y faire L’identité est un processus de référenciation dyna- référence est une façon pour ces jeunes de rejeter mique. De ce fait, les phénomènes liés à ce proces- une identité stigmatisée et d’affirmer une identité sus doivent être étudiés en termes d’identification différente, à savoir française, qui est dès lors peret non d’identité. Un sujet construit son identité : çue comme moderne. Le quartier et la cité où ils 6 7 • Les Noirs (africains et antillais) sont, quant à eux, désignés par les termes suivants : « black », « blackos », « Blanche Neige », « cainfri », « cainf’’», « greune », « khalouche », « keubla », « négro », « nèg’», « nombo de leurcou » (qui correspond à « bonhomme de couleur » en verlan), « renoi », « renous », etc. 4. Expression linguistique de la violence sociale La violence sociale s’exprime notamment à travers les expressions suivantes : • « demer » ; • « galérer » ; • « galérien » ; • « hétiste » qui vient du « mur » en arabe algérien ; • « jober » pour « avoir un emploi » ; • « rapace » pour les contrôleurs de la RATP, dans Ali le magnifique de Pail Smaïl ; • « rouille » pour « ennui » – la force de l’expression verbale est ici probante ; • « taffer » pour « travailler » ; • « squatter les parents » pour ceux qui restent chez leurs parents passé un certain âge pour des raisons socio-économiques ; • « trime » ; • « tenir le mur », « tenir le bâtiment ». 5. Expression linguistique de la violence réactive La violence sociale provoque une violence réactive, comment le montrent les expressions suivantes : • « dealer son RMI », qui signifie toucher son RMI et le faire fructifier dans le réseau des drogues ; • « arrachage » pour « vol » ; • « péta » pour « voler » ; • « pouilleder » pour « dépouiller » ; • « taper un taxi basket », qui signifie prendre un taxi sans payer la course au chauffeur ; Ainsi, les mots montrent à la fois qu’une identité très forte se forge par l’exclusion des autres et que les jeunes des cités déstructurent la langue pour la faire leur. Cette langue déstructurée devient réactive : elle est renvoyée à l’autre, le dominant, en réaction à la violence sociale. Les parlers jeunes à la radio Bernard LOCHE Anne-Caroline FIEVET, linguiste Anne-Caroline Fiévet, vous avez écrit votre thèse sous la direction de Jean-Pierre Goudaillier. Vous allez nous expliquer comment ce langage des jeunes se retrouve dans our ma thèse, j’ai enregistré en les émissions de radio. 2003 trois émissions nationales de libre antenne diffusées en soirée (entre vingt heures et minuit) : l’émission de Difool sur Skyrock, l’émission de Max sur Fun Radio, l’émission de Maurad sur NRJ. P J’ai pu observer des différences entre les stations. • Les jeunes appellent pour demander des conseils sur des problèmes d’ordre affectif, médical ou sexuel (depuis la célèbre époque de Doc et Difool sur Fun Radio), mais sur Skyrock ils téléphonent aussi pour évoquer des difficultés ayant trait à la mixité sociale. • Skyrock et Fun Radio sont destinées aux adolescents alors que NRJ se destine à un public plus large : elle vise à la fois les plus jeunes enfants et les parents. En fait, ce sont surtout les animateurs qui prononcent les « gros mots » et non les jeunes issus des quartiers d’habitat social. • Les programmations musicales varient : dans les années 2000, Skyrock a pris le tournant du rap et du RnB. Nous pouvons donc nous attendre à ce que les jeunes issus des quartiers d’habitat social soient plus présents sur cette station. Il faut souligner que la situation radiophonique est très différente de la situation dans la cour de récréation : le jeune qui téléphone se retrouve dans une situation médiatique et n’emploie pas la même langue que d’habitude, notamment car les rôles ne sont pas les mêmes. L’émission de Skyrock est écoutée par un million d’auditeurs – les deux autres par 500 000 à 600 000. De plus, l’animateur, plus âgé (en particulier Difool), revêt une certaine puissance : il a une position de grand frère. J’ai relevé les mots argotiques de ces émissions afin de déterminer s’ils appartenaient à l’argot ancien 8 ou au FCC ou encore à l’argot commun des jeunes. Dans Libre Antenne, le sociologue Hervé Glevarec avait déjà mené une analyse sociologique. Les jeunes issus des quartiers d’habitat social, par exemple ceux de Seine-Saint-Denis, sont particulièrement les bienvenus sur Skyrock. Au contraire, sur Fun Radio, Max fait plutôt comprendre aux rares jeunes des cités ayant passé le standard qu’ils se sont égarés sur cette station. Sur NRJ, la situation est tout à fait différente, la tranche d’âge est plus large ; j’ai noté l’apparition de certains verlans, exclusivement prononcés par l’animateur qui se veut « branché » et compris par l’auditeur de trente ans – lequel se sent ainsi lui aussi encore « dans le coup ». Les parlers jeunes à la radio De ces trois émissions étudiées en 2003, seule celle de Skyrock est encore à l’antenne aujourd’hui. Pour ne pas perdre d’auditeurs, Fun Radio et NRJ demandent aux animateurs qu’elles embauchent d’imiter le ton de Skyrock. Dès lors, depuis 2003, une certaine uniformisation des émissions et des pratiques argotiques est observée. En particulier, certains mots du FCC se répandent vers l’argot commun de tous les jeunes, notamment grâce à la chanteuse Diam’s qui a été diffusée de façon massive sur NRJ. Depuis 2003, une certaine uniformisation des émissions et des pratiques argotiques est observée. Je continue à enregistrer les émissions pour étudier les évolutions. Selon moi, une place serait aujourd’hui libre pour une émission originale. Par ailleurs, pour les jeunes d’habitat social, une place doit absolument être réservée à des émissions de radios associatives (telle que Fréquence Paris Plurielle), seules émissions où la parole des jeunes peut s’exercer de façon réellement libre. Questions de la salle Les animateurs sont omniprésents dans ces trois émissions : sur Fun Radio et NRJ, 70 à 80 % des mots sont prononcés par l’animateur, 50 à 60 % sur Skyrock. La question des « gros mots » et de l’obscénité a souvent été débattue dans la presse. Les parents et les professeurs s’inquiètent du contenu de ces émissions que leurs enfants écoutent enfermés dans leurs chambres. En fait, ce sont surtout les animateurs qui prononcent les « gros mots » et non les jeunes issus des quartiers d’habitat social. En ce qui concerne l’obscénité, la rubrique généralement citée est « Le Problème du mois » de Skyrock ; la radio a été condamnée cet été à une amende de 200 000 euros. Cependant, les sociolinguistes ne disposent pas d’études en réception sur ces émissions ; or, tout dépend de la réception. Une correspondance pouvait toutefois être établie jusqu’ici entre un âge argotique (correspondant à l’entrée au collège et à l’arrivée de la puberté) et un âge radiophonique. Or, cet âge radiophonique est en train de descendre : Pierre Bellanger, patron de Skyrock, se bat pour que les auditeurs soient pris en compte dès huit ans dans les sondages Médiamétrie. « La diversité de langages dans les banlieues est-elle utile à la société ? Contribue-t-elle à une identité nationale ? Ne complique-t-elle pas l’insertion des jeunes d’« habitat social » en les stigmatisant ? Que faudrait-il faire pour ces jeunes ? » Antoinette MOUSSA-MONTAIGNE, représentante de la Défenseure des enfants pour la Seine-Saint-Denis Jean-Pierre GOUDAILLIER Je travaille dans les cités depuis quinze ans. Ces jeunes se situent dans le réseau de pairs, mais pas uniquement : l’école, la vie sociale en dehors de la cité existent aussi. Je ne connais pas de personne qui se « ghettoïse » : ce n’est pas la langue qui « ghettoïse », mais la société par la précarité sociale. À l’école, le français et les mathématiques constituent les deux premiers moyens d’évaluation. Systématiquement, les jeunes des cités 9 sont enfermés dans l’illettrisme qui ne représente pourtant « que » 10 à 15 % d’une classe d’âge nationale et 20 à 25 % dans certaines zones. Si des problèmes avec la langue existent dans les cités, il ne faut pas croire que 80 % de ces jeunes sont dans une situation de précarité linguistique. De plus, lorsqu’il est présent, l’illettrisme est la conséquence de la précarité sociale : il faut absolument refuser le discours selon lequel ne pas savoir parler français occasionnerait la violence. Le FCC est riche de mots issus de l’immigration du monde entier ainsi que de mots de l’argot français ancien. Par ailleurs, les jeunes ne parlent pas que le FCC. Par exemple, avec « Le Lexik des cités », des jeunes d’Evry sont devenus amoureux de la langue française. Les ateliers d’écriture des cités montrent bien que l’illettrisme ne constitue pas l’unique réalité. « Les chansons de Diam’s véhiculent un langage moyen. Dès lors, leur diffusion massive ne nie-t-elle pas l’inventivité constante et la fonction de résistance du langage des jeunes ? » Catherine MAYEN, Aide sociale à l’Enfance, Conseil général de la Seine-Saint-Denis Anne-Caroline FIEVET Ce que vous dites est tout à fait exact. Une maître de conférence tchèque a proposé à des jeunes de son pays de traduire des chansons de Diam’s, de MC Jean Gab’1, de Rohff et de Booba. Je participe à cette expérience en apportant un éclairage à la fois linguistique et culturel. Les chansons de Diam’s sont les plus simples du point de vue argotique. Les textes de Rohff et Booba sont déjà plus compliqués au niveau linguistique. La chanson « Je t’emmerde » de MC Jean Gab’1 s’est révélée la plus complexe à traduire au niveau culturel car elle fait référence à de nombreux rappeurs. Les parlers jeunes à la radio Ce n’est pas la langue qui « ghettoïse », mais la société par la précarité sociale. Jean-Pierre GOUDAILLIER en séjour, choquée par la façon dont un auditeur parlait de sa copine, j’ai demandé aux jeunes ce qu’ils en pensaient. « Pour finir, je voudrais évoquer la question de la séparation. Dans notre structure, les jeunes restent six mois à un an. L’an dernier, j’ai remarqué qu’ils ne sont pas préparés à la séparation. Du jour au lendemain, le jeune part car nous lui avons trouvé une orientation. Les autres ont alors des actes de violence car nous n’avons pas travaillé la séparation. Lors de la réunion des jeunes du jeudi, je leur ai demandé ce qu’ils pensaient des départs de leurs camarades. Cela a été très touchant. Ils ont pu exprimer leurs affects et leur souffrance. Nous négligeons souvent de tels paramètres pourtant essentiels dans nos pratiques. » Établir une revendication dans une langue hermétique casse la revendication. Il a été conseillé aux rappeurs d’écrire leurs chansons en langue française, d’où le succès des messages de Diam’s. Pouvez-vous revenir sur le lien entre les jeunes issus de l’immigration et la parole ? » Yasmine HAMOUDI, service de la Jeunesse, Ville de Stains Jean-Pierre GOUDAILLIER Quand un jeune n’est pas sage, il est menacé d’être renvoyé au « bled » qui est stigmatisé. Par ailleurs, venir de certains quartiers est discriminant dans l’accès à l’emploi : de nombreux jeunes ressentent le racisme au quotidien. Dès lors, se sentant exclus, ils trouvent des parades identitaires. Tant que le syndrome algérien et colonial n’aura pas été évacué dans la société française, tant que la repentance n’aura pas eu lieu, des ressentiments s’exprimeront. C’est là le moteur du mal-être de ces jeunes et c’est pourquoi le langage devient une arme. Dans le même temps, ils ont tous conscience que c’est la langue française enseignée à l’école qui leur donnera un travail. Lorsqu’il est présent, l’illettrisme est la conséquence de la précarité sociale : il faut absolument refuser le discours selon lequel ne pas savoir parler français occasionnerait la violence. « Je travaille dans une structure qui accueille des garçons adolescents, âgés de quatorze à dix-huit ans. Je suis ravie de travailler en Seine-Saint-Denis parce que ce département est novateur. Quand un jeune interpelle un autre en disant « hé négro viens voir ! », je lui fais remarquer que s’il appelle ainsi son ami dans un endroit public, un Français de souche aura dès lors lui aussi le droit de l’appeler « négro ». En ce qui concerne les émissions de libre antenne, il me semble important que les jeunes disposent d’un espace libre dans leur chambre. Maintenant, nous pouvons discuter avec eux des propos entendus dans ces émissions. Par exemple, un jour, 10 Yasmina ZEMIRI, pôle adolescents de Montfermeil, direction de l’Enfance et de la Famille, Conseil général Bernard LOCHE Le FCC est l’unique langue des jeunes, quels que soient leurs quartiers – mis à part les quartiers de la grande bourgeoisie. Il s’agit dès lors d’un facteur d’ouverture : par capillarité, ces mots passent partout. Michel BOTBOL La parole des jeunes peut être abordée de deux manières contradictoires – sociologique et psychologique – qui ne peuvent être complémentaires qu’à condition de repérer ces contradictions. Le point de vue sociologique présente l’inconvénient d’être largement plus réservé à des populations marginalisées, à problèmes qu’à des populations sans problème. Nous pourrions finir par penser qu’il existe d’un côté les processus psychologiques de l’adolescence et de l’autre les problèmes sociopolitiques. Or, il existe un point commun irréductible entre le jeune de Neuilly-sur-Seine et le jeune de Pantin : tous deux ont besoin de triturer le langage et de l’utiliser comme un mode de Les parlers jeunes à la radio séparation. Se subjectiver suppose que quelque chose de « dedans » se confronte à quelque chose de « dehors » et inversement. Joëlle BORDET La langue est à la fois réelle et symptôme de multiples processus. Dès lors, elle constitue un extraordinaire outil de travail. Les éducateurs doivent accompagner l’affect et, pour cela, s’appuyer sur la langue comme matière. En effet, en écoutant la langue « en soi », je trouve appui pour traverser l’affect : celle-ci me fait réfléchir sur ce que les jeunes sont en train de vivre et me donne la distance intérieure avec l’affect qui est en train de se passer. Il existe un point commun irréductible entre le jeune de Neuilly-sur-Seine et le jeune de Pantin : tous deux ont besoin de triturer le langage et de l’utiliser comme un mode de séparation. Maître Kamel FILALI Jean-Pierre Goudaillier, vous avez dit que la connaissance de la langue française permet l’insertion sociale. Cependant, même avec une maîtrise de la langue et une spécialisation dans un domaine donné, l’accès à l’emploi n’est pas aisé, du fait de discriminations – sur le nom par exemple. Dès lors, cette langue qui ne permet pas le changement de statut et le progrès fait perdre en quelque sorte le projet : le jeune n’a plus espoir de pouvoir réussir et cherche alors d’autres modèles offerts par d’autres groupes et réseaux. Or, pour pénétrer ces réseaux, il doit d’abord adhérer à un moyen de communication. Ma question est la suivante : quel est l’impact de cette langue dans l’école ? Par ailleurs, les jeunes adoptent des comportements similaires à travers le monde. Par exemple, en Amérique latine, les jeunes inversent la langue et portent des tatouages, des casquettes, etc. En Algérie aussi, je remarque que les jeunes essaient d’être créatifs ; par exemple, quand je demande à mes élèves s’ils ont compris mon cours, ils répondent « normal ». 11 Jean-Pierre GOUDAILLIER La prise en compte à l’école est différente selon les enseignants : certains ne vont pas exclure le FCC alors que d’autres – qui ne sont pas majoritaires – excluent le jeune par la langue, comme le montre l’exemple suivant. L’une de mes doctorantes travaillait dans un centre pour jeunes handicapés visuels de diverses origines géographiques. Un professeur a demandé à ses élèves d’écrire un texte dans leur registre de langue et un autre dans la langue de l’école. Le responsable du centre a confisqué le premier type de textes au motif que seule la langue de l’école compte. La doctorante a pourtant tenté de lui expliquer qu’il était intéressant d’étudier le passage d’une langue à l’autre. Tout ceci procède bien entendu de l’intergénérationnel. Un jeune forge son identité en se positionnant par rapport à la génération de ses parents : il n’a pas les mêmes goûts musicaux, ne s’habille pas de la même manière, etc. Agir contre les risques d’enfermement Bernard LOCHE Joëlle Bordet, vous êtes psychosociologue, adepte de la recherche-action et vous avez notamment travaillé sur les modes de socialisation des jeunes des quartiers populaires. Vous avez récemment publié Oui à une société avec les jeunes de la cité — Sortir de la spirale sécuritaire. Agir contre les risques d’enfermement Joëlle BORDET, psychosociologue, Centre scientifique et technique du Bâtiment (CSTB) C omme l’a dit Michel Botbol, tous les jeunes ont à vivre le processus de séparation. Quand nous travaillons avec les jeunes, nous devons être conscients du fait qu’ils sont dans un moment de passage. Dans Le Génie adolescent, Philippe Gutton souligne que le premier travail du jeune est de se redonner naissance et que notre rôle d’adulte consiste à l’accompagner, à le protéger et à accepter sa façon de voir le monde, la nôtre étant déjà dépassée. À cet égard, le texte d’Hannah Arendt sur la différence des générations dans La Crise de la culture est toujours d’actualité. De fait, en tant qu’éducateurs, nous sommes des passeurs. Tous les adolescents sont en recherche de « spécularité », c’est-à-dire non de l’image qu’ils renvoient mais de l’image qu’ils se créent à l’intérieur d’eux-mêmes. Les conditions du passage sont différentes suivant les milieux sociaux. Dans les milieux ruraux et périurbains (à Aurillac et autour), les jeunes m’ont dit ne pas avoir d’existence car ils n’ont pas de langage. Nous devons nous intéresser à tous les jeunes. La question de la valeur de soi est première. À Gonesse un matin, j’ai demandé à des militants des Restos du Cœur, d’origines étrangères, de raconter leurs histoires. Aucun d’entre eux n’a fait langage sur l’hygiène et les bidonvilles. Je suis contente que les enfants d’aujourd’hui s’autorisent à parler alors que leurs parents se taisent au nom de l’intégration. Pour autant, nous ne devons pas accepter n’importe quoi. Nous devons effectivement réagir quand ils disent « négro ». Comme tous les adolescents, ces jeunes sont en recherche de « spécularité », c’est-à-dire non de l’image qu’ils renvoient mais de l’image qu’ils se créent à l’intérieur d’eux-mêmes, en se posant les questions suivantes : « Qu’est-ce que je vaux ? Qui suis-je ? Comment vais-je faire pour vivre ? ». Il est essentiel d’apprendre aux jeunes à « faire histoire », en milieu urbain mais aussi en milieu rural. 12 Une partie des jeunes des quartiers d’habitat social va arriver en milieu rural. Comment vont-ils être reçus par les jeunes ruraux qui disent ne pas exister ? Ces défis importants ne sont pas travaillés. Les jeunes des quartiers d’habitat social ont à faire face à des phénomènes qui ne sont pas le fait de tous les Français : le racisme, les stigmates, les discriminations. La façon de se reconnaître dépend de l’interlocuteur : le jeune est de son quartier, puis de Saint-Denis, puis du 93. Le jeu entre intériorité et extériorité est le fait de tous les adolescents. La façon de percevoir son territoire est fondamentale dans la construction de la « spécularité ». Je me rappelle souvent un jeune, Ahmed, qui s’était rendu compte en partant en voyage en Écosse qu’il était « lui » et non « le groupe » ou « la cité » et qui s’était dit « j’ai un BTS, je peux faire autre chose que des conneries dans le quartier ». L’enjeu du travail à mener avec les adultes qui ne côtoient pas les jeunes tous les jours – les élus notamment – est considérable. Notre position de passeurs est essentielle. Je me suis rendu compte que je changeais parfois de langage : tout à coup, je parle « cité » parce que je ne suis plus dans la salle mais dans la cité. À cet égard, la question du ludique avec les jeunes me paraît très importante :il faut arriver à « jouer sérieusement » parce que dire la langue est un plaisir. L’humour protège de la violence. Faire société, c’est savoir vivre dans un groupe de pairs. L’éducateur doit donc savoir reconnaître les collectifs. Plus les garçons sont dominés et subissent le racisme et les discriminations, plus ils dominent les filles. était exclusivement composé de stratégies. Puis, à un moment donné, j’ai parlé des foyers de la PJJ et l’un d’entre eux m’a demandé si ces foyers étaient mixtes. J’ai dit oui et à partir de là, tout a changé. Il a dit « oh Madame, on veut tous aller en France ! » et ils ont parlé des autres, de la vie. Ce point est très important :qu’est-ce qui fait qu’ils ne s’enferment pas dans la dureté, qu’ils restent adolescents ? Je prends un autre exemple. Cet été, j’ai été reçue par de jeunes adultes dans un camp de réfugiés en Palestine. À un moment donné, ils ont dit vivre un génocide dans un camp de concentration. Un certain nombre d’entre nous était enfants ou petits-enfants de déportés. Nous étions choqués par de tels propos, mais là encore, il ne fallait pas les prendre au pied de la lettre : dans des situations extrêmes de violence, les jeunes vont s’identifier à la violence et aller chercher le pire, c’est-à-dire les génocides. Les groupes de pairs constituent un point d’appui essentiel. Dans certains milieux sociaux plus favorisés, ils existent moins, ce qui est problématique : quels adultes ces jeunes deviendront-ils s’ils ne vivent pas à l’adolescence la possibilité de s’identifier à des jeunes du même âge ? Faire société, c’est savoir vivre dans un groupe de pairs. L’éducateur doit donc savoir reconnaître les collectifs. À Rennes, une expérience très intelligente a été menée. Un local a été fourni à une association de jeunes à la condition qu’elle le partage d’abord avec d’autres générations ; les « tricoteuses » qui avaient très peur d’eux vont maintenant leur tricoter des rideaux pour leur local. La mondialisation de la jeunesse est une chance. Nous pouvons mener nombre de travaux interculturels. Partout, des jeunes se construisent en périphérie des centres-villes. La recomposition des rapports d’appartenance mériterait d’être étudiée plus en profondeur. L’an dernier, j’ai travaillé dans le quartier du Parc à Nanterre avec un groupe de jeunes âgés de douze à quinze ans. Ils ont discuté du fait d’être Français ou non, ce qui est forcément très compliqué dans leurs têtes : nous ne pouvons pas attendre d’adolescents que leurs catégories d’appartenance soient claires. À un moment donné, l’un d’entre eux a dit : « l’Algérie, c’est plus solidaire, on est plus près des autres ». Une petite voix a rétorqué : « ah mais non, ils Le risque du sécuritaire réside dans l’adaptation et la stratégie qui résultent de la normalisation. Quelle société les jeunes vont-ils inventer si, avant d’être « naturels » et de réagir avec ce qu’ils sont, ils composent avec la normalisation et établissent une stratégie par rapport à elle ? Certains jeunes deviennent stratégiques de plus en plus tôt. Il faut travailler avec eux très dur. Je me suis occupé de jeunes emprisonnés au Brésil. Les questions qu’ils me posaient avaient uniquement trait aux risques encourus en France par tel ou tel comportement : leur univers 13 en sont qu’à Playstation 1 ». L’autre a alors répondu : « ah non, ça va pas du tout. Puisque c’est comme ça, on reste ici ». Les jeunes sont dans le passage et nous devons les accompagner. Questions de la salle « Quel est le rapport entre le langage oral et le langage écrit des jeunes ? Quand je lis les SMS et les chats de mes filles, je suis souvent choquée de la manière dont elles se représentent en tant que femmes. » Nadia EL MEHADAOUI, puéricultrice, directrice de crèche, Bagnolet Joëlle BORDET Dans un environnement trop dur où il faut se défendre tous les jours, l’accès à la féminité n’est pas simple. Certaines se masculinisent. D’autres demandent à rentrer à l’intérieur de la maison parce que l’extérieur devient trop difficile. Les filles doivent pouvoir devenir des femmes féminines et libres. Plus les garçons sont dominés et subissent le racisme et les discriminations, plus ils dominent les filles. Cette question est très sérieuse. Je ne vois pas comment les filles pourraient se constituer en tant que femmes si les garçons vont très mal. Michel BOTBOL Au fond, nous sommes pris dans une contradiction terrible. Nous avons deux manières de ne pas prendre en compte la parole des jeunes : soit ne pas répondre en tournant pudiquement la tête comme si rien n’avait été dit, soit répondre de façon scandaleuse, humiliante, répressive. Les résultats de ces deux manières se valent. À cet égard, ce n’est pas par hasard que Joëlle Bordet change d’accent par moment. Pour pouvoir répondre au juste endroit, il faut être capable de cette empathie, de ce processus d’identification. Les services sociaux, les services de soins, de justice ne demandent pas grand chose aux personnes : ils leur demandent simplement leur âme. Parole publique et mouvements de jeunes Bernard LOCHE Cet après-midi est consacré à l’inscription de la parole des jeunes dans l’espace public. Nous nous pencherons sur les mouvements de jeunes et les mouvements étudiants. Nous reviendrons également sur les événements du mois de novembre 2005. Enfin, nous présenterons le projet de rencontre mené par des jeunes d’Aubervilliers. Robi Morder, vous êtes notamment l’auteur de 100 ans de mouvements étudiants. Comment caractériser les mouvements de jeunes ces quarante dernières années ? En quoi favorisent-ils l’émergence de la parole des jeunes ? Parole publique et mouvements de jeunes Robi MORDER, chercheur en droit et sciences sociales aux universités de Reims et de Saint-Quentin-en-Yvelines, président du Groupe d’Études et de Recherches sur le Mouvement étudiant (GERME) L es jeunes scolarisés semblent, ici aujourd’hui, être en marge des débats. Pourtant, au cours des quarante dernières années, un certain nombre de mobilisations n’ont cessé de produire des effets sur la société et le monde du travail. Qu’est-ce qu’un mouvement de jeunes ? Évoquonsnous les mouvements pour les jeunes ou les mouvements de jeunes ? La plupart des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire sont, en général, faits pour les jeunes ; les adultes y ont un rôle extrêmement important, ce qui les distingue de mouvements de jeunes, comme les mouvements étudiants ou lycéens. L’on ne parle de la jeunesse que lors des grandes mobilisations. Les organisations plus durables, de type syndical ou associatif, sont relativisées. L’une des caractéristiques des quarante dernières années est la massification scolaire. Dans ce contexte, un élément ne change pas : la difficulté de la reconnaissance de la parole des jeunes, y compris de la recherche en la matière. Ainsi, le GERME et les associations qu’il a fondées en matière d’archives et de mémoire (Cité et Conservatoire des mémoires étudiantes) ne bénéficient d’aucune reconnaissance matérielle de la part des ministères alors même qu’ils bénéficient du soutien de l’ensemble des organisations étudiantes. Depuis 1974, année où le droit de vote a été accordé à 18 ans, les jeunes constituent un enjeu électoral. Une faible place leur est, toutefois, accordée dans les discours politiques. En revanche, les jeunes sont souvent évoqués dans les discours sur l’insécurité. Jeunesse et délinquance sont ainsi souvent associées. L’on ne parle de la jeunesse que lors des grandes mobilisations. Les organisations plus durables, de type syndical ou associatif, sont, quant à elles, relativisées. Nous observons, s’agissant des jeunes, le 14 Enfin, pour les jeunes travailleurs, les évolutions des dernières années rendent l’engagement plus compliqué. L’organisation des jeunes travailleurs est classiquement plus difficile dans l’entreprise, lieu qui n’est pas composé exclusivement de jeunes. Dans un contexte de chômage et de précarité, le parcours d’insertion est extrêmement long : période scolaire, chômage, stage, CDD. Sans possibilité d’insertion dans une entreprise donnée, il est délicat de se projeter dans la communauté de travail, de se syndiquer, etc. Le parcours d’individualisation et de concurrence est, en outre, valorisé dans les discours, ce qui n’encourage pas l’action collective. Ces questions doivent être envisagées en amont. même phénomène que dans le reste de la société : un engagement plutôt ponctuel, d’une part, et une certaine distanciation entre représentants et représentés, d’autre part. La scolarisation massive a modifié le visage des mobilisations de mouvements de jeunes, bien plus que le baby-boom. Cet élément est extrêmement important. Il signifie qu’il existe des lieux, lycées, universités, constitués quasiment exclusivement de jeunes, dans lesquels leur parole et leur action ont beaucoup plus de poids que dans l’entreprise, la jeunesse travailleuse ayant de plus en plus de mal à se faire une place spécifique aujourd’hui. Cette jeunesse se divise en trois parties qui présentent des modes d’expression différenciés : les étudiants ; les lycéens ; les jeunes travailleurs. Pour les premiers, la massification implique la perte d’un caractère élitaire. Vous devez, en effet, savoir que dans les années 1950, le représentant de l’Unef n’avait pas besoin de prendre rendezvous au ministère pour solliciter le cabinet, voire le ministre lui-même. Cette massification a, par ailleurs, engendré une diversification ; elle est l’une des dimensions de la division syndicale étudiante. Pour les deuxièmes, la prise de parole a été plus difficile. Nous l’avons vu en 1968. Les comités d’action lycéens ont dû non seulement s’affirmer face aux adultes mais également face aux étudiants. Depuis 1968, nous avons assisté à plusieurs mobilisations lycéennes. Ainsi, en 1973, dans le contexte de la loi Debré qui réforme le service militaire, le lycéen devient le représentant du jeune. Il faut, toutefois, attendre 1989-1990 pour que des droits des lycéens soient véritablement reconnus dans la réglementation. Le désengagement citoyen des jeunes et des étudiants est souvent évoqué. Pour autant, nous observons que ces jeunes s’expriment au moment des scrutins nationaux ou locaux. Ils ne se désintéressent pas de la chose publique. Je conclurai sur le paradoxe de la citoyenneté des jeunes et des étudiants. Le désengagement est souvent évoqué ; le faible nombre d’étudiants syndiqués ou de votes à l’université sont souvent cités. Pour autant, nous observons que ces jeunes s’expriment au moment des scrutins nationaux ou locaux. Ils ne se désintéressent donc pas de la chose publique. Reste à savoir s’ils ressentent leurs lieux de formation, de vie et de travail comme des lieux légitimes d’exercice de la citoyenneté. Il est vrai que la transformation d’usagers passifs, voire de « clients », en véritables acteurs n’est pas simple. Il n’a jamais existé d’âge d’or de la mobilisation ; le plus souvent, ce sont les minorités actives qui maintiennent des permanences de mouvements, qui sont malheureusement peu reconnus. Questions de la salle Bernard LOCHE Un phénomène me semble caractéristique des vingt dernières années. Sur une question ponctuelle telle que le CPE ou le CIP, une coordination peut se créer en dehors des associations ou des mouvements reconnus. À partir d’un fait précis, les jeunes ont la capacité de constituer des structures ponctuelles qui correspondent à une prise de parole. 15 Robi MORDER Il ne faut, toutefois, pas mythifier. Les coordinations datent du début des années 1970. Elles ne se font pas forcément à l’encontre des organisations existantes. Il n’existe pas d’opposition entre le spontané et l’organisé. Les caractéristiques des mouvements de la jeunesse scolarisée se retrouvent également, à la suite d’une salarisation du monde du travail, dans les mobilisations des secteurs à forte main-d’œuvre diplômée, les responsables syndicaux ayant fait leurs classes militantes au lycée ou à l’université. Joëlle BORDET Que pensez-vous des rapports de solidarité interne aux mouvements étudiants et des rapports entre jeunes de banlieue et mouvements lycéens ? Robi MORDER Des étudiants et des lycéens ont participé aux émeutes de 2005, mais en tant que jeunes, habitants des cités. En revanche, les organisations nationales étudiantes ou lycéennes n’ont pas réagi. Joëlle BORDET Qu’en est-il concernant le mouvement anti-CPE ? Bernard LOCHE Des images ont montré des jeunes attaquer d’autres jeunes sur l’esplanade des Invalides. Robi MORDER Les images qui ont été diffusées pourraient laisser croire à une division entre jeunes favorisés et jeunes défavorisés. Je ne suis, pour ma part, pas sûr que quelques centaines de personnes en bandes soient représentatives de l’ensemble des jeunes de banlieue. Je n’ai pas vu les « agresseurs » brandir un quelconque drapeau idéologique. Il faut examiner les événements en profondeur. Ils ont reflété, en un sens, l’état d’inorganisation des mouvements Quelle fut la parole des jeunes en 2005 ? Parole publique et mouvements de jeunes étudiants et lycéens. Il est vrai que par moment, pour établir le dialogue, il est nécessaire de créer un rapport de force. « Il serait intéressant d’analyser les alliances entre les adultes professeurs et les étudiants ou lycéens, sachant que s’est produite, au moment du CPE, une mobilisation d’une partie du personnel de Jussieu ou Censier, particulièrement non enseignant, qui était lui-même en situation de précarité. Ce phénomène était-il ponctuel ? » De la salle Il faut noter que la contestation pendant le mouvement anti-CPE s’est cristallisée sur une réforme du droit du travail, et non sur des questions strictement étudiantes. « J’ai vécu de l’intérieur un certain nombre de manifestations de jeunes au cours des dernières années. J’ai été frappée par le fait que se sont produits, dans le cadre des dernières manifestations, des incidents entre jeunes, provoqués par des anciens élèves des collèges qui n’avaient pas trouvé de place en lycée et qui essayaient de s’insérer dans ces mouvements, ce malgré les services d’ordre mis en place. Cette situation a été assez angoissante pour nous ; nous essayions de mettre dehors ces jeunes, ce qui était dramatique ; nous ne sommes pas parvenus à les intégrer à ces mouvements, eux qui étaient déjà exclus du système scolaire. » Dominique VILAINE, assistante sociale scolaire, collège Joséphine-Baker, Saint-Ouen Jean-Pierre GOUDAILLIER Reprenez-vous à votre compte les thèses selon lesquelles le mouvement du CPE est plus compréhensible après les émeutes du mois de novembre 2005 ? Robi MORDER Je répondrai à la première et à la dernière intervention conjointement. Je ne partage pas les thèses 16 de François Dubet : le mouvement n’a pas été initié par une petite bourgeoisie. Les héritiers, ceux qui ont un avenir assuré, se sont peu mobilisés au moment du CPE. En revanche, les étudiants des filières de masse – AES, sociologie, etc. – et dont l’avenir est plus incertain ont fortement réagi. Ils étaient les premiers concernés, ce qui a d’ailleurs facilité l’émergence d’une mobilisation étudiante. Il faut noter d’ailleurs que la contestation s’est cristallisée sur une réforme du droit du travail, et non sur des questions strictement étudiantes. En 1995, lors des manifestations contre le Contrat d’insertion professionnelles (CIP), nous avions été témoins d’un rapprochement entre mouvements étudiants et syndicats. Mais en 2006, au moment du CPE, nous avons assisté à une vraie évolution sociologique : chaque famille comptait un chômeur. Je ne suis pas sûr qu’on puisse faire le lien entre les événements de 2005 et la contestation de 2006. Au-delà du fait que ces mobilisations de jeunes portaient un contenu latent de révolte et d’inquiétude, ce qui peut être dit de beaucoup d’événements, le lien n’est pas évident. En revanche, le contexte pèse sur le politique ; il a affaibli le gouvernement, encourageant la mobilisation. De nombreux salariés ont d’ailleurs fait grève à l’occasion du CPE pour la première fois et beaucoup d’entre eux pensaient ne pas en avoir le droit, ce qui prouve l’étendue du désert d’information sur ces questions. En ce qui concerne la violence, le lycée d’aujourd’hui n’est pas celui des années 1970. Se pose aujourd’hui la question de l’intégration de nombreux jeunes qui n’ont pas été admis au lycée et qui souhaitent conserver des liens avec leurs anciens amis. Il faut organiser des lieux dans lesquels les jeunes peuvent se retrouver. En 1989, une grève a démarré dans un lycée sur un motif de sécurité pour demander davantage de surveillants. Plusieurs organisations de jeunesse se sont réunies pour débattre de la situation. Pour éviter d’opposer inclus et exclus, elles ont fini par adopter une plateforme communicative sur les moyens. Nous voyons que l’intervention militante peut fixer des objectifs dans un sens ou dans un autre. Bernard LOCHE Michel Kokoreff, vous avez publié cette année Sociologie des émeutes, ouvrage qui revient sur les événements de 2005 à partir d’une enquête de terrain. Nous avons du mal à nommer l’embrasement qui a suivi la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois. En quoi ces événements renvoient-ils à la parole des jeunes et à son expression dans l’espace public ? Michel KOKOREFF, sociologue, maître de conférences à l’université Paris 5, chercheur au Cesames (unité mixte CNRS/Inserm), auteur de Sociologie des émeutes (Payot, 2 008) M on intervention tournera autour du sens de la parole des émeutiers. Différentes questions se posent. D’abord, que disent les jeunes qui ont participé à ces événements ? Ensuite, si dire c’est aussi faire, quel sens accorder à leurs paroles, et donc à leurs actes ? Enfin, pourquoi ce qu’ils disent ou font demeure-t-il inaudible ou incompréhensible pour l’ensemble de la société ? Ces émeutes peuvent se comprendre comme une double tension entre un déni de citoyenneté et une aspiration à l’égalité, d’une part, un sentiment de mépris et une demande de respect, d’autre part. 1- M. Kokoreff, La force des quartiers. De la délinquance à l’engagement politique, Paris, Payot, 2 003. J’aborderai ces trois questions en m’appuyant sur deux enquêtes qualitatives : • une enquête de terrain effectuée entre 1993 et 2002 principalement dans les quartiers Nord d’Asnières-sur-Seine, mais aussi à Gennevilliers et à Nanterre 1 ; il s’agissait d’analyser les diverses dimensions de la vie sociale dans les quartiers pauvres et les populations qui y habitent, sans les réduire à l’état de « problèmes », mais en soulignant la singularité de leur expérience urbaine, ainsi que le rôle des « forces vives ». • une enquête menée dans un quartier populaire de l’Est parisien au mois de novembre 2005, puis à Saint-Denis et, enfin, à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil, entre 2005 et 2006, où j’ai réalisé près de soixante-dix entretiens avec les différents acteurs des émeutes urbaines (maires et adjoints au maire, fonctionnaires de police de la police nationale et des CRS, travailleurs sociaux, enseignants, habitants, jeunes de statuts et classes d’âge divers). On peut dire qu’il y a eu un « avant » et un « après » novembre 2005. S’interroger sur le sens de ces émeutes urbaines c’est en premier lieu rappeler qu’elles ont constitué un phénomène largement inédit, non seulement en France mais également en Europe, tant par leur intensité, leur extension territoriale que par leur durée. Il faudrait revenir, 17 comme je le propose dans mon livre, sur leur chronologie et leur morphologie, ce qui dépasse le cadre de cette intervention. Notons seulement que ce phénomène a donné à voir et cristallisé un certain nombre de processus sociaux qui travaillent en profondeur nos sociétés en général et la France en particulier. Mon hypothèse de départ est la suivante : ces émeutes peuvent se comprendre comme une double tension entre un déni de citoyenneté et une aspiration à l’égalité, d’une part, un sentiment de mépris et une demande de respect, d’autre part. Comme l’a indiqué Emmanuel Todd, nous avons bien eu affaire à un mouvement porteur de revendications et de valeurs républicaines là où certains philosophes se sont laissés aller à évoquer des émeutes « ethnico-religieuses ». La mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, âgés de 15 et 17 ans, a suscité la colère, la rage, l’indignation. De fait, et il ne faut pas se le dissimuler, les premières nuits d’émeutes ont été particulièrement violentes. Au fond, la mort tragique de ces adolescents dans le transformateur électrique a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Parce que les rapports avec les forces de l’ordre sont tendus au quotidien avec les jeunes « colorés » qui habitent les grands ensembles de la périphérie urbaine, mais aussi parce que ces derniers se sentent traités comme des « citoyens de seconde zone » à travers les contrôles répétés, au faciès, souvent arbitraires et violents. C’est pourquoi cette « rage » ne doit pas masquer une demande d’égalité sociale, de justice sociale. Les émeutes ont aussi conduit à interpeller l’État régalien par rapport aux dysfonctionnements de la police, perçue par les « jeunes », mais aussi bien par les adultes, comme une source de désordre et de peur plutôt que comme un facteur de paix sociale. Quelle fut la parole des jeunes en 2005 ? Les émeutiers n’ont pas été si silencieux et l’émeute a permis une certaine expression d’ailleurs largement relayée par les médias de toutes obédiences. Mais le problème est que cette parole n’entre pas dans le cadre des acteurs et des observateurs du monde social et politique. Mais cette tension, qui s’est traduite par un recours au droit ayant conduit, au moins à Clichy-sousBois à calmer les esprits, a pris une forme plus symbolique. Les quartiers pauvres sont confrontés en France à un processus de ghettoïsation. Y sont concentrées des familles précaires, des familles françaises assimilées au quart-monde, et aussi des familles migrantes, issues de l’immigration ou encore, ce qui est très différent, assimilées à l’immigration. C’est dans ces conditions de vie marquées par la ségrégation, la stigmatisation et les discriminations de toute sorte que s’enracine une expérience du mépris. L’habitat est la première forme d’indignité sociale. Mais le racisme est aussi une logique sociale qui pèse fortement, en particulier dans le rapport aux institutions (école, police, justice, etc.). Ne l’oublions pas : Zyed et Bouna étaient l’un Noir, l’autre Arabe. À cette expérience sociale du mépris est venue répondre une demande de respect de la part des jeunes comme des adultes. Or c’est tout le contraire auquel on a assisté alors que, très vite, la version officielle des « violences urbaines » a conduit à deux choses : d’un côté, à disculper la police, de l’autre, à disqualifier les victimes et les émeutiers en en faisant de simples délinquants. Lors des événements de 2007 à Villiers-le-Bel, un même scénario a été à l’œuvre, avec ce bémol néanmoins : la reconnaissance du deuil des familles s’est traduite par leur réception par le Président de la République. Avant que l’instruction ne confirme que les choses ne s’étaient pas exactement passées comme elles avaient été présentées par les autorités et les médias. 2- Libération, 21 novembre 2005 Au fond, cette hypothèse selon laquelle les émeutes ont pris sens à partir de cette double tension conduit à interroger les dimensions politiques des révoltes des banlieues. Dimension politique « par le haut » (à travers le conflit à peine masqué entre le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur laissant en retrait un monarque vieillissant) mais aussi par le « bas » (à travers l’interpellation de l’État, le déficit d’intégration démocratique des populations « colorées » en particulier et une demande d’égalité et de reconnaissance). 18 Bien évidemment, cette hypothèse va à l’encontre des idées reçues. Les émeutes de 2005, plus que les précédentes, ont revêtu un caractère fortement télégénique. Qu’avons-nous vu en effet ? Des images de voitures en feu et des bâtiments publics ou privés dégradés, avec au premier plan des CRS, et dans l’ombre des jeunes « encapuchonnés ». Manquait la bande son, c’est-à-dire un discours, un contenu. Ces violences collectives ont donc été qualifiées de silencieuses. Sans contenus ni revendications, elles ne s’inscrivent pas dans la grammaire classique de nos conflits politiques et syndicaux. « On » — journalistes, sociologues, historiens – s’est empressé de considérer que la violence remplaçait la parole. Ainsi, Pierre Rosanvallon a indiqué : « Les événements sont liés aux actions de gens très jeunes, actions très violentes et sans signification en ellesmêmes. Mais on peut se demander si le terme de nihilisme est adapté pour qualifier le mouvement actuel. Celui-ci, à coup sûr, se caractérise par l’absence de parole et provient d’un milieu qui a lui-même du mal à prendre la parole. Les violences remplacent en quelque sorte la prise de parole, à l’inverse de mai 1968. Il n’y a aucune prise de parole, sinon via la chanson et le rap. » 2 Pourtant, les émeutiers n’ont pas été si silencieux et l’émeute a permis une certaine expression d’ailleurs largement relayée par les médias de toutes obédiences. Nous pourrions citer un certain nombre d’articles publiés dans la presse. Mais le problème est que cette parole n’entre pas dans le cadre des acteurs et des observateurs du monde social et politique. Elle s’énonce par rapport à des actes relevant d’un registre d’actions non conventionnelles. Par conséquent, cette expression atypique ou déviante a été largement ignorée et recouverte par une masse de discours explicatifs et interprétatifs. La référence à 1968 est peut-être justifiée. Reste qu’il y a bien longtemps que les violences des banlieues n’avaient pas suscité une telle abondance d’écrits et d’explications interprétatives — à laquelle je participe d’ailleurs – et qui ont eu pour conséquence – ou fonction – d’écraser ce qu’avaient à dire les jeunes de ces quartiers et leurs proches. Quelle fut la parole des jeunes en 2005 ? Très vite, la version officielle des « violences urbaines » a conduit à deux choses : d’un côté, à disculper la police, de l’autre, à disqualifier les victimes et les émeutiers en en faisant de simples délinquants. Il y a aussi l’analyse qui consiste à enfermer les émeutiers dans les déterminations sociales qui les « produisent », conduisant à une certaine forme de misérabilisme. Deux pôles me semblent tout à fait caractéristiques à cet égard. Il y a le discours en termes de « violences urbaines », qui a été prédominant. Cette catégorie policière consiste à renvoyer les émeutiers à un statut de délinquants. Il s’agit de considérer leur violence uniquement sous l’angle de la remise en cause de l’ordre public, dont le rétablissement est la seule solution qui s’impose. Mais il y a aussi l’analyse qui consiste à enfermer les émeutiers dans les déterminations sociales qui les « produisent », conduisant à une certaine forme de misérabilisme. Dans ce cas, on considère que la parole des jeunes ne fait que refléter leur misère, leur ségrégation, etc. Elle n’est qu’un symptôme. Dans les deux cas, ces discours contribuent à dépolitiser l’émeute et la parole de ses acteurs ; ils passent à côté de la logique propre de l’émeute. Or cette parole a un sens. Il faut écouter ce que les jeunes ont à dire. Vous me permettrez quelques citations avant de conclure. Youssef, d’Aubervilliers, dit, dans un grand journal du soir : « On n’est pas des casseurs, on est des émeutiers. On se rassemble tous pour faire entendre notre révolte ». Sabrina, 17 ans, indique : « La police elle est là pour nous protéger, elle nous provoque tout le temps, on se fait traiter de bâtards ou de bougnoules, c’est normal que les jeunes crient leur mal-être ». De fait, depuis les années 1960, aux États-Unis, en Grande Bretagne, puis lors des trente dernières années en France, les émeutes opposent des forces de l’ordre à des minorités ethniques ou enfants d’immigrés. Nous avons recueilli différentes expressions dans le cadre d’entretiens avec des participants et/ ou des sympathisants – sans que l’on puisse les distinguer avec rigueur. Dans un entretien avec un groupe de lycéens, un jeune de 17 ans revient sur les circonstances de l’événement déclencheur des émeutes urbaines : « Ca choque. On se dit que ça peut arriver à n’importe qui ». Puis il poursuit : « Ca discute beaucoup, on a des cerveaux, on réfléchit. Même si les médias disent qu’on ne réfléchit pas, qu’on ne sait pas ce qu’on fait, on réfléchit. Quand on voit des choses comme ça, on ne peut que crier, se rebeller et faire quelque chose. On 19 ne peut pas comme ça regarder et ne rien faire. » Autre question posée au cours d’un entretien, six mois après les faits : pensez-vous que vous avez été entendus ? « Oui, on a été entendu mais sans réponse. Les gens, l’État, ils faisaient semblant de comprendre, mais ils n’ont pas tout compris. Moi, je connais beaucoup de gens qui cherchent du travail, qui ont des problèmes d’insertion, comme ils disent. Ils sont au même point, au même niveau qu’après les émeutes. Faudra pas s’étonner si ça revient un jour ». Comme beaucoup d’autres, ce jeune évoque la question du travail, mais aussi à demi-mot celle des discriminations. Le travail remarquable mené par des associations comme AC-le-feu ont mis en valeur ces aspects. Il a traduit pour le grand public la lucidité sociale des habitants des « quartiers » sur l’événement, leur capacité à l’expliquer. Mais il faut croire que cette parole-là dérange. On pourra toujours discuter de la qualification politique des émeutes et des risques d’étendre excessivement ce vocable jusqu’à lui faire perdre sa signification profonde. Au fond, faire de la politique nécessite de faire des médiations et passer des alliances. Les premières n’ont pas manqué. Les sociologues ont d’ailleurs peut-être remplacé les curés des années 1980 et les travailleurs sociaux des décennies précédentes. En revanche, les secondes ont fait cruellement défaut, ce qui explique l’isolement institutionnel et politique des émeutiers. Cette parole est demeurée inaudible ; elle n’est pas parvenue à se faire entendre et à déboucher sur un discours politique. Il n’y a pas eu de reprise politique de cette expression, à gauche comme à droite – ou si peu. Cette situation est ellemême inquiétante ; elle renvoie plus généralement au décalage entre les partis politiques et les classes populaires. Ce n’est pas un problème de communication. C’est une question de légitimité de la représentation politique. Il importerait d’en prendre la mesure et de sortir cette impasse si l’on veut sortir de ce cycle de violences et d’émeutes dans lequel nos sociétés sont entrées inexorablement. Quelle fut la parole des jeunes en 2005 ? Questions de la salle « Ce mouvement ne manquait-il pas tout simplement de leaders et de porte-parole ? » Thierry VERVERT, Service Jeunesse, Ville de Saint-Ouen « Vous avez observé le problème mais comment faire pour y remédier ? » De la salle Joëlle BORDET Avez-vous observé une maturation de la prise de parole et de la revendication ? Ou est-on resté sur des phénomènes endémiques, qui peuvent se déclencher à nouveau à n’importe quel moment ? À force de dire que nous n’aimons pas la police, je vais finir par croire que je n’aime pas la police, ce qui n’est pas le cas ! « Je voudrais nuancer vos propos concernant le décalage entre les jeunes et les élus. J’ai, pour ma part, été étonnée par la capacité de certains élus locaux de la Seine-Saint-Denis à être en proximité avec les jeunes et à comprendre certains phénomènes. » De la salle Michel KOKOREFF Les émeutiers ont effectivement manqué de leaders, mais cette absence n’est-elle pas caractéristique de ce genre d’action collective ? Pendant les trois premières années, la Marche pour l’égalité et contre le racisme n’avait pas de leader. Pour autant, cela n’a pas empêché les formes d’actions non conventionnelles et un discours collectif sur la police, l’habitat – première forme d’indignité collective –, l’école, le travail social ou le déni de reconnaissance. Par rapport à la question de Joëlle Bordet, d’un côté, nous avons l’impression que les rapports avec la police n’ont pas changé et que la situation économique et sociale s’est dégradée. De l’autre, un autre phénomène est tout à fait passé inaperçu : un certain nombre de jeunes adultes de 30 à 35 ans se sont présentés aux élections municipales 20 Quelle fut la parole des jeunes en 2005 ? Robi MORDER de 2008, ont réalisé des scores significatifs, ont été élus adjoints au maire ou conseillers municipaux. Nous ne pouvons pas ne pas faire l’hypothèse d’un lien entre formes conventionnelles et non conventionnelles. La situation évolue. Que faire ? Il existe un véritable problème quant au rapport entre la population et les forces de sécurité publique, notamment la police urbaine et les BAC. Ce phénomène est bien connu. Pourtant, aucune action n’est engagée. Nous sommes dans un cercle vicieux de provocations réciproques. Pour parvenir à le casser, un débat doit s’engager de manière pragmatique. Pour des raisons politiques et idéologiques, il ne peut malheureusement pas avoir lieu, aujourd’hui, en France. De nouveaux acteurs émergent, mais sans qu’aucune volonté politique ne soit affichée. Enfin, concernant les élus, il est vrai qu’il faut nuancer. J’ai observé des situations d’embrayage, quand les élus, l’appareil municipal, les travailleurs sociaux, se mobilisent vite et arrivent à réintroduire du lien entre les forces de l’ordre et la population. J’ai observé aussi des situations de rupture et des situations intermédiaires dans les rapports entre les populations et les élus. « À force de dire que nous n’aimons pas la police, je vais finir par croire que je n’aime pas la police, ce qui n’est pas le cas ! La plupart des professeurs ne nous expliquent pas pourquoi ils font grève. Ils devraient prendre le temps de le faire. En tant que jeune, je ne savais pas pourquoi j’aurais dû faire grève ou pas pour le CPE. » Priscilla ALVES, 18 ans, habitante d’Aubervilliers, scolarisée à Saint-Ouen « La police n’est pas la seule à être mise en cause ; toutes les forces de sécurité – contrôleurs de la RATP, vigiles, etc. – le sont. » De la salle Le terme d’émeute caractérisait, par le passé, les mouvements internes dans les collèges d’enseignement technique, avant toute forme d’organisation. Deux questions sont importantes d’un point de vue politique. Que disent les émeutiers ? Qu’est-ce qu’on leur fait dire ? Les deux ne concordent pas toujours. On va souvent mettre une signification erronée sur des actes, comme par exemple brûler des voitures. Bernard LOCHE Vos propos font également état d’un déficit de transmission. Vous semblez demander qu’il y ait davantage de « passeurs ». Que disent les émeutiers ? Qu’est-ce qu’on leur fait dire ? Les deux ne concordent pas toujours. Michel KOKOREFF Historiquement, la violence collective est le moyen d’expression des groupes privés d’expression collective, des classes dites dangereuses avant d’être laborieuses. Cette situation devrait nous interroger sur le fait qu’ils n’ont pas d’autres moyens d’être entendus et que l’émeute offre des résultats. En ce qui concerne le CPE, je tente de montrer les continuités et les discontinuités entre les émeutes du mois de novembre 2005 et le mouvement antiCPE, que ce soit en termes de mobilisation ou de catégorie de population. Le monde des banlieues est, en effet, très fragmenté, à l’instar du monde étudiant. Nous ne sommes pas dans une logique de lutte des classes mais dans une logique de fraction de classes. À mon sens, l’instrumentalisation politique de la violence, qu’elle soit émeutière ou étudiante, a été gagnante. Toutes les forces de sécurité ne sont pas forcément concernées. La différence avec les agents du maintien de l’ordre est l’outrage. Il est très caractéristique. Dominique Montjardet, spécialiste de la police, estimait qu’il est un aveu d’incompétence du fonctionnaire. 21 La police n’est pas, selon moi, responsable des événements de 2005 ; elle est, en revanche, l’un des points de départ des émeutes, comme de toutes celles survenues en France, en Angleterre ou aux États-Unis depuis les années 1960. Il faut savoir que 60 % des policiers qui interviennent en Ile-deFrance ont moins de 30 ans. Il s’agit d’un problème de fonctionnement des institutions et de droit commun : des jeunes policiers sans expérience, mal encadrés, blancs, dans les territoires les plus sensibles constituent un cocktail explosif. Des paroles pour vivre en amitié et construire la paix Bernard LOCHE La parole des jeunes ne se limite pas à des frontières. Un programme d’atelier d’écriture a été lancé à Aubervilliers, par l’Office municipal de la Jeunesse. Dans ce cadre, un échange a eu lieu cet été entre jeunes d’Aubervilliers, de Palestine et d’Israël en Espagne et au Maroc. Joëlle Bordet a accompagné ce projet. Yacine, 20 ans, étudiant à Aubervilliers Le but du projet était de rassembler des jeunes de Palestine, d’Israël et de France et de partir dans un territoire qui nous était étranger à tous pour vivre une expérience humaine. Nous avons choisi d’aller à Grenade, dans le palais de l’Alhambra où les trois peuples monothéistes ont su vivre ensemble. Ce lieu est symbolique du vivre ensemble. Nous nous sommes ensuite rendus à Tetouan au Maroc, qui présente les mêmes caractéristiques. Le vivre ensemble doit juste être vécu. Les autres jeunes que nous avons rencontrés, Palestiniens et Israéliens, sont, avant tout des êtres humains. Ces deux conclusions m’ont appris à grandir. Bernard LOCHE Que s’est-il passé entre vous ? Comment avez-vous abordé ce projet avec les jeunes Palestiniens et les jeunes Israéliens ? Yacine Les premiers jours ont été ceux de la découverte : nous nous sommes observés. Nous nous sommes ensuite libérés et nous avons eu moins peur les uns des autres. À l’arrivée des Israéliens, il y a eu un problème, ces derniers étant originaires d’une colonie, Gilo, établie sur un ancien territoire palestinien. Quatre jours plus tard, cette question était totalement oubliée, ce qui m’a d’ailleurs étonné. Bernard LOCHE Quelle langue employiez-vous entre vous ? Yacine Yacine Nous essayions de parler anglais. Étant donné notre niveau, nous avons vite adopté le langage des signes ! Mais nul besoin de langage pour comprendre quelqu’un. Ce que nous avons vécu était un prototype de projet. Il nous fallait 10 000 euros pour le mener à bien. Nous avons sollicité différents acteurs, qui nous ont tous répondu négativement. Seule une association indépendante a pu nous subventionner en organisant une vente aux enchères. Sans cette action, nous n’aurions pas pu partir. Bernard LOCHE Comment avez-vous vécu ce voyage ? Bernard LOCHE Priscilla ALVES, 18 ans, habitante d’Aubervilliers, scolarisée à Saint-Ouen En Espagne, on nous a demandé d’écrire une lettre à nos proches. J’ai écrit une lettre à ma sœur et tenté d’expliquer le voyage et de lui préciser l’objectif de vivre ensemble. Je ne savais pas alors comment m’y prendre. J’ai finalement compris que certains souvenirs ne sont pas explicables ; ils doivent être ressentis. Le vivre ensemble doit juste être vécu. Les autres jeunes que nous avons rencontrés, Palestiniens et Israéliens, sont, avant tout des êtres humains. Ces deux conclusions m’ont appris à grandir. Bernard LOCHE Nous voyons que cette rencontre a suscité, au début, quelques interrogations, voire de la méfiance, sentiment qui s’est vite fait oublier. Estimez-vous que les lieux que vous avez choisis, qui sont symboliques du vivre ensemble et qui ont permis de grandes productions, ont permis de dépasser les barrières culturelles ? Yacine À mon sens, le lieu n’a pas été déterminant dans les résultats obtenus. En revanche, être ailleurs que chez soi constitue un plus : nous étions tous pareils, tous logés à la même enseigne. Bernard LOCHE Que va-t-il se passer maintenant ? Comment allez-vous partager cette expérience ? 22 Des paroles pour vivre en amitié et construire la paix Comment ce projet peut-il se poursuivre ? Un espace tiers a été nécessaire pour que la rencontre se produise. Nourdine SIKER, chargé de mission jeunesse, Aubervilliers Je suis très heureux de me trouver ici, avec les jeunes qui m’accompagnent. Voici quelques années, nous avions décidé, avec plusieurs collègues, de nous éloigner de l’aide aux devoirs pour faire de l’accompagnement scolaire avec un atelier d’écriture. Cela n’a pas été évident, les jeunes craignant de s’exprimer. Le premier déclic a eu lieu avec le premier concours d’écriture lancé par le Conseil général que ces jeunes ont remporté. Dès lors, l’écrit n’était plus qu’un prétexte. Aubervilliers est jumelée avec une ville palestinienne. Les jeunes ont demandé pourquoi nous n’accueillions pas d’Israéliens. Le hasard a fait que nous avons accueilli une délégation israélienne. Tout s’est bien passé. Nous avons, ensuite, travaillé en partenariat pour préparer un projet. Vous devez avoir conscience que nous avons travaillé trois ans à la préparation du séjour organisé cet été. Nous avons centré l’atelier d’écriture autour de la correspondance, du vivre ensemble, de l’autre. Notre objectif était d’accueillir des délégations et de vivre avec elles. Aujourd’hui, les jeunes sont convaincus de notre projet. Ils ont engagé des réflexions sur la façon de réussir un projet avec au moins trois grandes délégations. Des contacts ont été noués, par courrier électronique, avec de jeunes Israéliens et de jeunes Palestiniens depuis cet été. Je souhaite que les jeunes soient complètement autonomes dans le cadre de ce projet. 23 Joëlle BORDET Ben, jeune Israélien qui a participé au voyage, habite Gilo, qui se situe à deux kilomètres de Bayt Jala ; il était soldat au check point. Or, deux Palestiniens étaient de Bayt Jala et ne voulaient pas partir en vacances avec leur ennemi. Avec Edgar, éducateur-formateur israélien avec lequel je participais au mois d’août à un séminaire en Israël sur « le mauvais usage de la peur dans les sociétés françaises, israélienne et palestinienne », nous avons retrouvé ces jeunes qui étaient devenus proches pendant ces rencontres. Ils n’auraient pas pu vivre cette expérience chez eux ; un espace tiers a été nécessaire pour que la rencontre se produise. Nourdine SIKER Grâce à l’accueil des jeunes Albertvillariens et du travail mené avec Edgar, les jeunes Israéliens et Palestiniens ont accepté de participer au voyage. Nos jeunes ont joué le rôle de médiateurs. Les relations humaines sont l’élément primordial. Bernard LOCHE Comment envisagez-vous de travailler sur ce voyage dans le cadre de votre atelier d’écriture ? Qu’allez-vous faire des photos et vidéos de votre séjour ? Yacine Tous les soirs, nous écrivions une heure. Nous souhaitons que le recueil de ces textes soit diffusé au maximum de personnes. Une jeune participante Les Israéliens et les Palestiniens ont, eux aussi, écrit, ce qui n’était pas forcément évident car ils n’en avaient pas l’habitude. Tous nos textes seront mis en commun. Pour en faire un recueil collectif. Des paroles pour vivre en amitié et construire la paix La parole des enfants et des jeunes : conclusion des quatre journées Le droit de participation des mineurs dans le monde Questions de la salle Maître Kamel FILALI, avocat et professeur à l’université de Constantine (Algérie), membre du Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU « J D’autres expériences ont été menées dans des pays en conflit, par exemple dans des pays des Balkans. Elles montrent comment les jeunes, en situation, peuvent être médiateurs les uns par rapport aux autres, au-delà des préjugés. Nous avons donc tout intérêt à multiplier ce genre d’expériences. Partir en voyage, c’est travailler aux relations entre les peuples, à la solidarité, à l’éducation à la paix. Cette expérience prouve également que nous pouvons vivre ensemble et communiquer sans parler la même langue. L’obsession de la langue unique comme seul vecteur d’intégration est tout à fait dépassée. » Corinne BAUDELOT, responsable du service de la Jeunesse, Ville de Stains « Bravo à tous. Comment envisagezvous de diffuser votre travail ? Avez-vous l’intention d’aller dans des collèges, lycées et cités autres pour partager votre expérience ? » Sophie MOREL, auxiliaire de puériculture, centre départemental de PMI, Le Raincy Je n’ai pas vécu l’expérience pour moi-même, mais pour ceux qui n’ont pas pu venir avec nous. Priscilla ALVES Je n’ai pas vécu l’expérience pour moi-même, mais pour ceux qui n’ont pas pu venir avec nous, afin de leur faire comprendre ce que nous avons compris. J’ai essayé de transmettre le maximum de mon expérience à mes frères, mes amis et mes proches. Il serait effectivement intéressant d’intervenir dans les collèges et les lycées. « La diffusion relève toujours du même problème, celui des moyens. » Yacine 24 e tiens, tout d’abord, à remercier le Conseil général pour son invitation. Le Comité des Droits de l’Enfant se réjouit de pouvoir participer à votre réflexion. La Convention internationale des Droits de l’Enfant date du 20 novembre 1989. Nous fêterons donc son vingtième anniversaire prochainement. L’heure des bilans arrive :qu’avons-nous fait depuis la promulgation de la Convention ? Quels sont les obstacles rencontrés ? Que reste-t-il à faire ? Que pouvons-nous faire ensemble pour l’enfant ? À mon sens, il convient surtout de s’attacher à faire comprendre à l’enfant ses droits et la façon de respecter ceux des autres. Cette Convention a été difficilement négociée. Elle a été ratifiée par tous les États du monde, à l’exception des États-Unis et de la Somalie, qui l’a néanmoins signée. L’État français, en la ratifiant, s’oblige notamment à soumettre au Comité un rapport initial deux ans après la ratification, puis des rapports périodiques tous les quatre ans. La France a déposé son troisième rapport ; il sera examiné au début de l’année 2009. Cette Convention mérite une grande attention en ce sens qu’elle permet de mesurer les avancées de l’État et de formuler des recommandations dans les observations finales du Comité. Sur la base des insuffisances relevées, les observations finales constituent des obligations pour l’État. La Convention recommande que toutes les législations nationales prennent en considération ses principes directeurs. Autrement dit, toute loi relative à l’enfance doit respecter les principes généraux suivants : • la non-discrimination ; • l’intérêt supérieur de l’enfant ; • le droit à la vie, à la survie et au développement. 25 La Convention prévoit des droits dits indivisibles : la non-application d’un seul article retentit sur l’ensemble de la Convention. Même si le terme de participation n’est pas employé dans la Convention, il est très usité par les experts. Ainsi, l’article 12 affirme le droit de l’enfant d’être entendu dans toutes les questions qui l’intéressent. Cet article impose que l’enfant soit entendu dans toutes les procédures, qu’elles soient administratives ou judiciaires. Ce principe fait passer l’enfant du statut d’assisté à celui de sujet de droit, c’est-à-dire enfant détenteur de droits, enfant né citoyen ayant la jouissance des droits mais pas l’exercice de ces droits. Cet article est fondamental. Il est, toutefois, très difficile de l’appliquer. De nombreux États exercent, en effet, un droit de réserve sur cette provision, estimant qu’elle est incompatible avec la législation nationale. Nous observons souvent des insuffisances dans le plaidoyer de ces États. En effet, la plupart du temps, ils ne parviennent pas à justifier ces réserves et leur opposition à l’article 12. Certains craignent une atteinte à l’autorité parentale, ce alors même que la Convention est aussi concentrée sur le droit des parents à donner des orientations et à offrir à l’enfant ce qui lui est nécessaire pour grandir dans un environnement sain. Cette Convention soulève différentes questions :l’enfant est-il capable d’être un acteur de sa propre protection ? N’est-il pas incapable sur le plan juridique ? N’est-il pas un être fragile, sensible aux passions et donc manipulable ? N’est-il pas pris dans des conflits de loyauté l’empêchant d’être un acteur responsable et fiable ? D’autres préoccupations peuvent se faire jour et s’ajouter à celles que je viens d’énoncer : crainte que les droits de l’enfant ne remettent en Le droit de participation des mineurs dans le monde cause le principe de l’autorité parentale, nécessité d’assumer ses devoirs pour avoir des droits, etc. À mon sens, il convient surtout de s’attacher à faire comprendre à l’enfant ses droits et la façon de respecter ceux des autres. Le Comité des Droits de l’Enfant a vu, dès l’origine, dans cet article 12 qui donne le droit à l’enfant d’être entendu, une importance fondamentale en ce sens qu’il permet d’interpréter d’autres articles. Aujourd’hui, on considère que l’enfant est capable de s’impliquer dans toutes les décisions qui le concernent. Il y a donc une prise de conscience sur les droits de l’enfant à l’échelle planétaire. Tous les États, à l’exception de deux, ont, en effet, ratifié la Convention. Cette prise de conscience se vérifie aussi par le fait que les États présentent des rapports. Mais il conviendrait également que les États mettent en place des procédures garantissant que les intérêts de l’enfant sont pris en compte dans les décisions rendues. Des mécanismes, tels qu’un défenseur des Droits de l’Enfant, devraient également être créés. Le Comité des Droits de l’Enfant a vu, dès l’origine, dans cet article 12 qui donne le droit à l’enfant d’être entendu, une importance fondamentale en ce sens qu’il permet d’interpréter d’autres articles. D’autres articles font référence au droit de l’enfant d’être entendu dans les délibérations impliquant une séparation d’avec les parents (article 9), au consentement en connaissance de cause des personnes intéressées s’agissant de l’adoption (article 21), au droit pour tout enfant privé de liberté de contester la légalité de cette privation devant une autorité compétente (article 37) ou encore aux principes du procès équitable (article 40). Dans la pratique, différentes questions se posent : qui doit entendre l’enfant ? Des personnes qualifiées, préparées ? Les personnes qui doivent écouter l’enfant comme les juges sont-elles suffisamment formées ? Les policiers connaissent-ils la Convention ? Ont-ils reçu une formation adéquate pour prendre en charge les enfants ? Dans quelles conditions l’enfant doit-il être entendu ? Faut-il respecter le droit de l’enfant à se taire ? Faut-il obliger l’enfant à parler ? L’enfant peut-il être assisté, représenté et par qui ? L’enfant peut-il saisir directement la justice ? 26 Le droit de participation des mineurs dans le monde L’enfant jouit de droits. Il a la citoyenneté. Il a le droit à la parole, conformément à l’article 12. L’article 13 affirme sa liberté d’expression et son droit de rechercher l’information. L’article 14 assure sa liberté de pensée, de conscience et de religion. L’article 16 fait référence à la vie privée de l’enfant, qui doit être respectée, et à son intimité. Enfin, l’article 17 évoque ce que peuvent faire les médias pour informer l’enfant. Il est bon que ces droits existent, malgré leurs limites. Ils sont désormais acquis. Il est demandé aux États de veiller à leur application. Tous les enfants, qu’ils soient handicapés, qu’ils aient besoin de soins spécifiques, qu’ils soient exposés à des risques particuliers, qu’ils travaillent, qu’ils soient demandeurs d’asile, qu’ils soient victimes ou témoins de crimes, sont visés par la Convention. Plusieurs États,notamment africains,arguent du fait que cette Convention est coûteuse et qu’ils ne peuvent pas, par conséquent, l’appliquer correctement. S’agissant de la participation de l’enfant dans l’école, d’autres questions peuvent être soulevées : est-il écouté ? Est-il en droit de contester les décisions disciplinaires ? Est-il défendu ? La Convention est-elle prise en considération à l’école ? La Seine-Saint-Denis peut s’impliquer dans l’application de la Convention internationale des Droits de l’Enfant en reprenant les recommandations finales du Comité et en les utilisant dans le cadre d’une plateforme de travail et de revendication. Les partenaires associatifs ont un grand rôle à jouer dans ce domaine. Dans le secteur de la santé, nous observons que bien souvent, les décisions de soins sont prises par d’autres personnes que les enfants eux-mêmes. De nombreuses actions doivent encore être menées dans ce domaine. Les enfants subissent, par ailleurs, le divorce de leurs parents. Ils ne participent pas aux décisions de justice qui leur sont appliquées. Dans l’esprit de la Convention, le Comité encourage toujours les États à rendre des décisions allant dans le sens de l’implication de l’enfant dans ces litiges de façon à ce que soit respecté le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Différentes solutions peuvent être envisagées pour que l’enfant soit entendu : • expliquer à l’enfant qu’il peut porter plainte et l’informer sur ses droits ; • lui donner des interlocuteurs appropriés ; • assurer la protection de l’enfant victime ; • améliorer les techniques d’audition de l’enfant, le soutenir et l’accompagner lorsqu’il décide de parler ; • former les professionnels de façon spécifique. S’il ne peut pas s’exprimer, l’enfant peut être représenté par un délégué de son choix, mais il faudrait veiller à ce que le délégué transmette bien l’opinion de l’enfant. Questions de la salle Les droits de l’Homme et les droits de l’Enfant constituent une bataille continue. Nous ne pouvons pas nous arrêter en cours de route, d’autant plus que la Convention a aussi des détracteurs qui empêchent les progrès à l’intérieur des pays. « Je suis extrêmement étonnée que seuls les États-Unis et la Somalie n’aient pas ratifié la Convention internationale des Droits de l’Enfant, alors que de nombreux États appliquent toujours la peine de mort ou que s’y pratiquent les mutilations sexuelles sur les filles. En 2003, le Comité avait critiqué la France sur son traitement des agressions sexuelles sur les enfants. Il avait également pointé le manque de formation des professionnels. Je ne suis pas persuadée que la situation ait véritablement évolué. Amnesty International a, en effet, de nouveau souligné ces questions des violences faites aux femmes et aux enfants. Il faut savoir qu’une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son mari, sans parler des menaces d’excision. Il me semble que ces éléments sont tout à fait négligés, passés aux oubliettes. Je me demande si la 27 Convention internationale des Droits de l’Enfant, qui est, à mes yeux, un texte aussi fondamental que la Déclaration des Droits de l’Homme n’est pas qu’une mascarade. » Hélène GALLIARD, éducatrice spécialisée, militante associative à Saint-Ouen autour des violences faites aux femmes et aux enfants Maître Kamel FILALI Les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention. Ils se sont déterminés en tant qu’État souverain. S’agissant d’autres États, nous étudions les rapports des pays produits par des experts ainsi que les rapports alternatifs d’ONG, les informations d’individus et les informations diffusées par les médias nationaux. Nous recevons également les associations en présession. Un dialogue s’instaure avec les délégations. Sur la base des réponses apportées, nous établissons des conclusions finales que nous communiquons à chacun des États. L’une de leurs obligations est de les rendre publiques. Les associations doivent s’en saisir afin d’agir. Nous travaillons, par ailleurs, à un commentaire général sur l’article 12 que nous adopterons probablement dans le courant de l’année 2009. En ce qui concerne les droits de l’Homme en général, si nous devions prendre en considération toutes les violations répertoriées à travers le monde, nous nous découragerions et n’enregistrerions aucun progrès. Les droits de l’Homme et les droits de l’Enfant constituent une bataille continue. Nous obtenons des résultats.Nous devons trouver la force d’aller toujours de l’avant.Nous ne pouvons pas nous arrêter en cours de route, d’autant plus que la Convention a aussi des détracteurs qui empêchent les progrès à l’intérieur des pays.Il faut donc veiller à travailler avec les bonnes volontés, aussi bien au niveau de l’État, des politiques en général que des associations. Depuis le dernier rapport de la France, deux protocoles ont été ratifiés : le premier porte sur l’implication des enfants dans les conflits armés, le second sur l’utilisation des enfants dans des scènes pornographiques.Les pays changent leur législation sur ces bases. De nombreux pays ont consenti des efforts et manifestent une véritable volonté, faisant des droits de l’Enfant une priorité. Il nous faut continuer à avancer. conclusion La parole des enfants et des jeunes entre pairs Emmanuèle GRAINDORGE Directrice de la Jeunesse, Conseil général de la Seine-Saint-Denis Je tiens à remercier les intervenants et les participants pour cette belle journée. Les échanges ont été très fructueux. Le cycle de plateformes consacré à la parole de l’enfant, ouvert le 22 novembre dernier, se clôt aujourd’hui. Nous avons mené un travail extrêmement intéressant. Il doit se poursuivre. De nouvelles questions ont émergé et amèneront de nouvelles réflexions. Merci à Maître Kamel Filali de nous avoir fait l’honneur de clôturer ce cycle et d’avoir resitué nos travaux sous les auspices et à l’aune de la Convention internationale des Droits de l’Enfant, qui a présidé à notre démarche. La Convention a aussi des détracteurs, pour lesquels il est souvent question de droits et devoirs de l’enfant. Il est essentiel de souligner que l’enfant est un sujet de droit dès sa naissance. Ces perspectives de travail qui nous sont ouvertes par la Convention internationale des Droits de l’Enfant atteignent un stade tout particulier. Le 20 novembre 2009 marquera, en effet, le vingtième anniversaire du texte. Dès 1996, le Département a fait preuve d’une implication très importante au regard de la Convention. Notre rôle est de la faire connaître et respecter. Nous poursuivrons dans cette voie et tenterons de développer encore nos actions pour faire en sorte que chacun s’implique davantage. Coordination des actes : Marianne Beseme Conseil général de la Seine-Saint-Denis Direction de la jeunesse/Direction de la communication Conception graphique et réalisation : JBA-2009. Impression : Public Imprim. 28 contact Conseil général de la Seine-Saint-Denis Direction de la jeunesse Pôle des droits de l’enfant et des jeunes Tél. : 01 43 93 40 95 Fax : 01 43 93 40 05 [email protected] www.seine-saint-denis.fr Hôtel du Département 93006 Bobigny CEDEX