Caton, Varron, Columelle et les traités d`agriculture
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Caton, Varron, Columelle et les traités d`agriculture
2013-2014, S1 Université Paris 1 L1 - Histoire de l’art et archéologie Art et archéologie de Rome et de l’Italie E. Letellier [email protected] Caton, Varron, Columelle et les traités d’agriculture Comment le maître doit se comporter sur son domaine Caton, De agricultura, introduction et I, 2-3 Texte latin traduit par R. Goujard (Paris : les Belles Lettres, 1975) Caton le Censeur, ou Caton l’Ancien (234-149 av. J.-C.) était fermier, soldat et officier. Il suivit le cursus honorum jusqu’à devenir censeur. Ses écrits et notamment ses discours sont exemplaires de l’exaltation de la morale républicaine, de mœurs romaines « à l’ancienne », face à l’évolution de la société romaine de l’époque, qui, suite aux conquêtes militaires, s’ouvrait de plus en plus à l’hellénisme. Le traité « Sur l’Agriculture » est un recueil de conseils pour une nouvelle économie agricole, plus scientifique et productive. Il s’agit de rappeler aux riches romains leur origine paysanne face aux attraits croissants d’une vie plutôt urbaine et de leur apprendre comment gérer efficacement leur domaine. « (…) quand ils faisaient l’éloge d’un homme de bien, leur éloge était : bon agriculteur et bon cultivateur ; c’était recevoir le plus grand éloge, estimait-on, que de recevoir cet éloge. Quant au commerçant, je l’estime courageux et attentif au profit, mais, comme je l’ai dit plus haut, il court beaucoup de risques et s’expose à la ruine ; mais c’est des paysans que naissent les hommes les plus forts et les soldats les plus courageux, c’est à eux que reviennent les gains les plus justes, les plus assurés et les moins sujets à l’envie, et ceux qui sont absorbés par ces soins sont les moins mal pensants. Maintenant, pour en revenir au sujet, ces jugements que j’ai émis auront tenu lieu d’introduction. (…) Que le maître, quand il arrive à la ferme, après avoir salué le lare familial, fasse le tour de la propriété le jour même, sil le peut ; sinon le lendemain. Quand il a reconnu comment le fonds est entretenu, les travaux qui sont faits et ceux qui ne sont pas faits, qu’il convoque le fermier (vilicus) le lendemain ; qu’il lui demande ce qui a été fait comme travail, ce qui reste à faire, si les travaux ont été faits bien à temps, s’il peut achever ceux qui restent, et ce qui a été fait de vin, de blé, et de tous les autres produits. Quand il a reconnu cela, il faut faire le compte des ouvriers, des journées ; si le travail ne lui apparaît pas, si le fermier dit qu’il a fait de son mieux, que des esclaves ont été malades, qu’il y a eu du mauvais temps, que des esclaves se sont enfuis, qu’il a fait la corvée, quand il a donné ces raisons et beaucoup d’autres, ramène le fermier au compte des travaux et des ouvriers. Quand le temps a été pluvieux, travaux qui pouvaient être faits par la pluie : laver les jarres, les enduire de poix, nettoyer la ferme, changer le blé de place, sortir le fumier, le mettre en tas, trier la semence, réparer les cordes, en faire de neuves, les esclaves devaient ravauder leurs hardes, leurs capuchons ; les jours de fête on pouvait curer les vieux fossés, entretenir le chemin public, débroussailler, bêcher le jardin, nettoyer les prés, fagoter le petit bois, extirper les épines, décortiquer le blé amidonnier, faire du nettoyage ; quand les esclaves ont été malades, il ne fallait pas leur donner autant à manger. Quand on aura reconnu calmement quels travaux restent à faire, les faire achever ; apurer les comptes d’argent, de blé, de ce qui a été préparé comme fourrage ; les comptes de vin, d’huile, de ce qui a été vendu, de ce qui a été recouvré, de ce qui reste à recouvrer, de ce qu’il y a à vendre ; que les avances à recevoir soient reçues ; que ce qui reste soit présenté ; s’il manque quelque chose pour l’année, qu’on l’achète ; que les surplus soient vendus ; que les ouvrages à mettre en louage soient mis en louage ; pour les travaux qu’il veut que l’on fasse et ceux qu’il veut confier à un entrepreneur, qu’il donne des ordres et les consigne par écrit ; qu’il examine le bétail. Qu’il fasse une vente aux enchères ; qu’il vende l’huile, si elle se vend plus cher ; qu’il vende le vin, le blé en surplus ; qu’il vende bœufs qui ont pris de l’âge, bétail en mauvais état, brebis en mauvais état, laine, peaux, vieux chariot, vieilles ferrailles, esclave âgé, esclave mal portant, et toutes les autres choses superflues ; il faut que le maître soit vendeur de son naturel, non acheteur. » Le statut des esclaves Varron, Res rusticae, I, 12 et I, 17 Texte traduit du latin par J. Heurgon (Paris : Les Belles Lettres, 1978) Varron (116-27 av. J.-C.) appartenait à la grande bourgeoisie conservatrice de la fin de la République. Il a écrit un nombre très important d’ouvrages de toutes sortes et son érudition abordait les sujets les plus variés, dans une démarche presque encyclopédique. Il rédigea son traité d’ « Economie rurale » entre 55 et 37 av. J.-C., dans le même esprit que son prédécesseur Caton : il s’agissait de restaurer la dignité du travail des champs et de l’agriculture italienne, mis à mal par les transformations sociales et économiques de la fin de la République, qui voyaient par exemple la plus grande partie de la consommation de blé dépendre des importations des provinces. Il insiste avec expertise sur les différents types de culture (frumentaire et arbustive, élevage du bétail, élevages spécialisés comme les volières, rûches, parcs à gibiers etc.). « J’en viens maintenant aux moyens de pratiquer celle-ci (l’agriculture). On divise tantôt cette étude en deux parties, les hommes et les éléments sur lesquels ils s’appuient, et faute desquels la culture est impossible ; tantôt en trois, selon que le matériel est vocal (doué de la voix), semivocal (à moitié doué de la voix), et muet : vocal, où sont les esclaves ; semivocal, où sont les bœufs ; muet, où sont les chariots. Toute terre est cultivée, en fait d’hommes, avec des esclaves, avec des hommes libres, ou avec les deux : libres, soit qu’ils cultivent eux-mêmes, comme font la plupart des pauvres gens avec leur progéniture, soit avec des salariés, lorsque, pour exécuter les choses importantes – vendanges ou fenaison – on prend à gages une main d’œuvre d’hommes libres, sans compter ceux que l’on appelait chez nous obaerarii, et il y en a maintenant encore beaucoup en Asie, en Egypte et en Illyrie. Sur l’ensemble de cette main d’œuvre, mon opinion, c’est que, pour les endroits malsains, il est plus utile de les faire cultiver par des salariés que par des esclaves, et même dans les lieux salubres il vaut mieux les charger des travaux agricoles importants, comme sont, au moment de serrer les récoltes, les vendanges ou la moisson. A leur sujet, sur les conditions qu’ils doivent remplir, Cassius écrit : il faut se procurer des travailleurs qui puissent supporter la fatigue, qui n’aient pas moins de vingt-deux ans et qui soient capables d’apprendre l’agriculture. De quoi l’on peut facilement se rendre compte d’après la manière dont ils exécutent d’autres ordres, et en demandant là-dessus à ceux d’entre eux qui sont nouveaux quelle était leur besogne habituelle chez leur précédent maître. Quant aux esclaves, il faut qu’ils ne soient ni craintifs ni effrontés. Ceux qui les commandent doivent savoir lire et écrire et avoir une certaine instruction, être honnêtes, et plus âgés que les travailleurs que je viens de dire. Il leur sera plus facile de se faire obéir que ceux qui sont plus jeunes. En outre il convient de donner de préférence le commandement à ceux qui sont au courant des questions agricoles. Ils doivent en effet non seulement donner des ordres, mais aussi mettre en pratique, afin que l’on imite leur exemple et que l’on sente que le chef commande à juste titre, parce qu’il l’emporte par les connaissances. Et il ne faut pas leur permettre d’exercer leur commandement en préférant la répression violente aux réprimandes verbales, pourvu que le même résultat puisse être obtenu. Et il faut se garder d’en prendre plusieurs de la même nationalité, car de là viennent surtout d’habitude les disputes dans la domesticité. On rendra les chefs de groupe plus actifs en les récompensant et on aura soin de leur assurer un pécule et des compagnes esclaves comme eux, qui leur donneront des fils. Ainsi ils deviennent plus sûrs et plus attachés au domaine. C’est pourquoi, en raison de ces liens de parenté, les groupes d’esclaves épirotes sont plus réputés et valent plus cher. Il faut se concilier la bonne volonté des chefs en les traitant avec quelques égards, et parmi les ouvriers s’il y en a de supérieurs aux autres, il faut les mettre au courant du programme des travaux car, à procéder ainsi, ils se sentent moins méprisés et tenus par le maître pour quantité non négligeable. Leur zèle à l’ouvrage augmente si on les manie de façon plus libérale, si on se montre plus large avec eux en fait de vivres et de vêtements, si on leur accorde une relâche dans leur travail ou si on les autorise à faire paître dans le domaine quelque bétail de leur pécule, et par d’autres concessions de ce genre, en sorte que ceux qui ont été blessés par un ordre ou une observation quelconque y trouvent une consolation qui rétablisse leur bonne volonté et leurs bons sentiments envers leur maître. » L’organisation de la villa Columelle, De re rustica, I, 4 Texte latin traduit par Louis Du Bois C. L. F. Panckoucke (1844, bibliothèque latine-française) Columelle, agronome actif au milieu du Ier siècle après J.-C., était un Espagnol de Gadès (Cadix), il a écrit un traité d’économie agricole en douze livres. Il est lui aussi convaincu que la force et la moralité de Rome sont liées au travail de la terre, qui n’a plus l’importance sociale qu’il avait sous la République. Il dévoile une compétence et une expertise enrichie par des observations dans différentes provinces visitées au cours de ses voyages. « La distribution et le nombre des pièces à construire dépendent de l'étendue de la propriété. La division se fera en trois parties : l'habitation du maître (pars urbana), les bâtiments rustiques (pars rustica) et ceux à provisions (pars fructuaria). L'habitation du maître sera distribuée en appartements d'hiver et en appartements d'été, de manière que les chambres à coucher, pour l'hiver, regardent l'orient de cette saison, et les salles à manger le couchant équinoxial. Les chambres à coucher, pour l'été, feront face au midi, et les salles à manger, pour la même saison, à l'orient d'hiver. Tournez vers l'occident d'été les salles de bain, afin qu'elles soient visitées par le soleil de l'après-midi, et jusqu'au soir. Les galeries pour la promenade seront exposées au midi équinoxial, afin qu'elles reçoivent plus de soleil en hiver et moins durant l'été. Dans la partie rustique, on fera une grande et haute cuisine, afin que la charpente du plancher soit moins exposée à l'incendie, et que les gens de la ferme puissent en tout temps s'y tenir commodément. Il sera tout à fait à propos de placer au midi équinoxial les chambres des esclaves qui ne sont point enchaînés ; les autres occuperont une retraite souterraine la plus saine qu'il sera possible de trouver, éclairée par de nombreuses, mais étroites fenêtres, assez élevées au-dessus du sol pour qu'ils ne puissent y atteindre avec la main. Les étables des bestiaux n'auront rien à redouter ni du froid ni de la chaleur. Pour les bêtes de travail, on bâtira de doubles étables, les unes pour l'hiver, les autres pour l'été. Quant aux autres bestiaux qu'il faut tenir dans l'intérieur de la ferme, on leur disposera des retraites, les unes couvertes, les autres découvertes, entourées de hantes murailles, afin que, placés dans celles-là pendant l'hiver, dans celles-ci durant l'été, ils puissent se reposer à l'abri des attaques des bêtes féroces. Toutes ces étables seront ordonnées de manière qu'il n'y puisse filtrer aucune humidité, et que celle qui s'y formera s'en écoule promptement, et ne pourrisse ni les fondations des murs ni la corne des pieds des animaux. Les bouveries devront être larges de dix pieds ou de neuf au moins : cette étendue est nécessaire pour que le bœuf puisse se coucher, et pour que le bouvier puisse à l'aise circuler autour de l'animal. Il n'est pas nécessaire que les mangeoires soient plus élevées qu'il ne suffit au bœuf ou au cheval pour atteindre sa nourriture étant debout. Près de la porte on établira l'habitation du fermier, afin qu'il puisse voir ce qui entre ou sort. Pour le même motif, le procurateur aura son logement au-dessus de la porte elle-même : ce voisinage lui fournira, en outre, les moyens de surveiller le fermier. A proximité de l'un et de l'autre sera le magasin destiné à recevoir les instruments d'agriculture, dans l'intérieur duquel les objets en fer seront serrés en une pièce bien fermée. Les chambres des bouviers et des bergers seront auprès des animaux confiés à leur garde, afin qu'il leur soit facile de les soigner aux moments convenables. Tous ces domestiques doivent, au surplus, habiter à peu de distance les uns des autres, pour que l'activité du fermier, en parcourant les diverses parties de son exploitation, ait moins à s'écarter, et que chacun d'eux soit témoin du zèle ou de la négligence de ses camarades. Les bâtiments à provisions se divisent eu huilerie, en pressoir, en cellier à vins, en pièce à cuire le moût, en fenil, en pailler, en magasins et en greniers, de manière que les pièces de plain-pied reçoivent les liquides tels que le vin et l'huile destinés à la vente ; et qu'on entasse dans les greniers planchéiés les blés, le foin, les feuilles, les pailles et les autres fourrages. On arrivera aux greniers par des escaliers, et ils seront aérés au moyen de petites fenêtres du côté du nord, parce que ce point de l'horizon est le plus froid et le moins humide : double avantage qui assure la longue conservation des productions de la culture. Par la même raison, les celliers à vin seront établis au rez-de-chaussée, éloignés des bains, du four, des fumiers et autres immondices exhalant une mauvaise odeur, aussi bien que des citernes et des eaux courantes dont l'humidité peut gâter les vins. (…) »