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Troubles bipolaires et vieillissement N. BAZIN (1) La Maladie Maniaco-Dépressive (MMD) ou Trouble Bipolaire est une maladie qui débute classiquement entre 30 et 40 ans. C’est une maladie à déterminisme génétique et l’on retrouve souvent plusieurs patients atteints dans une même famille. Sur le plan clinique, la MMD se caractérise par la survenue de façon récurrente d’épisodes thymiques : des épisodes maniaques et/ou des épisodes dépressifs avec entre chacun de ces épisodes des intervalles libres au cours desquels on constate un retour à l’état initial du patient. Lors des épisodes maniaques les patients sont gais, hyperactifs tant sur le plan moteur qu’intellectuel, ils sont souvent insomniaques mais ne se sentent pas fatigués, se trouvent très en forme et entreprennent de nombreux projets. À l’inverse, lors d’épisodes dépressifs, les patients sont tristes, ralentis, anxieux, insomniaques, douloureux. La succession de ces épisodes thymiques est très variable d’un patient à l’autre, certains patients faisant un, deux épisodes dans leur vie, d’autres en faisant plusieurs par an, en sachant que les épisodes dépressifs sont plus fréquents que les épisodes maniaques, que certaines MMD se manifestent uniquement par des épisodes dépressifs récurrents (MMD unipolaire dépressive), tandis que d’autres, beaucoup plus rarement, se manifestent par la récurrence d’épisodes maniaques (MMD unipolaire maniaque). Le plus souvent les patients alternent des épisodes de manies et des épisodes de dépression plus ou moins régulièrement : on parle de troubles bipolaires. Sur le plan thérapeutique, nous disposons pour cette maladie de traitements spécifiques préventifs des récidives : les thymorégulateurs. QUELLES PARTICULARITÉS CLINIQUES RETROUVONS-NOUS CHEZ LE SUJET ÂGÉ ? Les particularités cliniques retrouvées chez le sujet âgé sont de deux ordres : des épisodes mixtes fréquents et des symptômes délirants très fréquents. Les états mixtes sont des épisodes au cours desquels les patients présentent à la fois des symptômes maniaques et des symptômes dépressifs, ce qui donne des tableaux cliniques tout à fait particuliers, difficiles à diagnostiquer et bien sûr difficiles à traiter. Par ailleurs, les patients âgés présentent plus souvent des symptômes délirants que les sujets adultes. Ceci est dû au fait que les sujets âgés ont une proportion à délirer plus importante que les sujets adultes, qui les amènent à délirer là où les sujets adultes ne délirent pas. En particulier en ce qui nous concerne ici, les épisodes dépressifs mais aussi les épisodes maniaques et les épisodes mixtes vont plus souvent comporter des éléments délirants. Ainsi plusieurs auteurs ont montré que chez les sujets âgés de moins de 40 ans, seulement 3 % des épisodes dépressifs s’accompagnent de symptômes délirants tandis que chez les sujets âgés de plus de 60 ans, ils atteignent une fréquence de 32 % (1, 4). Lors des épisodes thymiques délirants, les thèmes délirants sont congruents à l’humeur : des thèmes gais, positifs souvent autour de la mégalomanie, de pouvoirs, des dons, d’une filiation extraordinaire chez les sujets maniaques, alors que les patients déprimés délirants vont présenter des thèmes eux aussi congruents à l’humeur donc tristes, négatifs, des thèmes de persécution, de spoliation, de culpabilité ou de jalousie. (1) Psychiatre, Service Hospitalo-Universitaire de Psychiatre, Centre Hospitalier de Versailles. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1099-101, cahier 4 S 1099 N. Bazin L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1099-101, cahier 4 Les patients présentant des troubles thymiques mixtes délirants vont présenter des thèmes variables soit congruents à une humeur gaie, soit congruents à une humeur triste. de plus mauvais pronostic avec une plus grande fréquence des décompensations (5) et des décompensations plus sévères nécessitant des hospitalisations plus longues (3). NOTION DE TROUBLE PSYCHIATRIQUE INAUGURAL QUESTIONS POSÉES PAR LE VIEILLISSEMENT D’UN PATIENT PRÉSENTANT UNE MMD Cette notion est particulièrement importante parce qu’elle est déterminante pour le diagnostic, pour la prise en charge, pour le traitement et pour le pronostic à court et à long terme. Il s’agit de distinguer deux situations très différentes : celle dans laquelle il existe une maladie psychiatrique de l’adulte, ancienne, connue, évoluant chez le sujet âgé et celle dans laquelle on ne retrouve aucun antécédent psychiatrique et dans laquelle donc il s’agit d’un trouble psychiatrique inaugural. Si on se situe dans le cadre d’une Maladie ManiacoDépressive déjà connue, le diagnostic de décompensation thymique sera plus facilement évoqué, bien sûr après avoir éliminé une étiologie somatique. Les questions posées seront les mêmes que les questions que l’on se pose à tout âge d’une Maladie Maniaco-Dépressive au moment d’une rechute : choix du traitement de la crise (traitement antidépresseur pour un épisode dépressif, traitement neuroleptique ou thymorégulateur pour un épisode maniaque), traitement thymorégulateur préventif à maintenir ou à changer, recherche du ou des facteurs déclenchant et/ou favorisant de la rechute… Dans le cas de trouble psychiatrique inaugural, la première démarche très importante est d’éliminer une pathologie somatique qui est là encore plus fréquemment retrouvée que dans la situation clinique précédemment évoquée. Ensuite, une fois l’étiologie somatique éliminée, la question posée est celle d’un éventuel diagnostic tardif de Maladie Maniaco-Dépressive. Pour cela il convient de reconstruire avec le patient et son entourage, l’histoire de la maladie. Il n’est pas rare de retrouver chez des patients, à l’occasion d’un épisode thymique survenant alors qu’ils sont âgés, des antécédents d’épisodes dépressifs récurrents qui ont été diagnostiqués ou pas, traités ou pas, éventuellement même de virage maniaque, d’hypomanie ou d’instabilité de l’humeur. Tous ces éléments, s’ils sont retrouvés à l’interrogatoire, permettent de reconstruire une histoire de la maladie faisant penser à une Maladie Maniaco-Dépressive et de poser tardivement un diagnostic pour une maladie qui existait déjà à l’âge adulte. Les questions qui se posent alors sont les mêmes que celles que l’on se pose lors d’une MMD déjà diagnostiquée. Parfois, la situation est plus véritablement celle d’un trouble inaugural c’est-à-dire qu’on ne retrouve ni antécédents psychiatriques, ni étiologie somatique. Le diagnostic de MMD est alors posé : on parle de MMD à début tardif. Très peu d’études nous renseignent sur ces formes tardives de MMD, mais il semblerait qu’elles soient plus fréquentes chez les femmes, qu’on retrouverait moins souvent des antécédents familiaux de MMD, et qu’elles soient S 1100 Premièrement la question des rechutes : il est classique de dire que les Maladies Maniaco-Dépressives font de moins en moins de rechutes, et que ces rechutes sont de moins en moins riches sur le plan symptomatique. On a vu qu’elles étaient plus souvent mixtes et plus souvent délirantes. Néanmoins il ne faut pas négliger la possibilité de survenue d’un épisode mélancolique ou d’un épisode maniaque typiques chez les sujets âgés. La deuxième question qui se pose est celle de l’enkystement des délires. En effet, chez des patients qui ont, durant leur vie adulte, présenté plusieurs épisodes thymiques, en particulier lorsqu’ils ont présenté des épisodes thymiques délirants et en particulier encore, lorsqu’ils ont présenté des épisodes maniaques délirants, peut s’installer un délire enkysté. Ces patients ne reviennent pas à des états intercritiques stables et asymptomatiques, mais présentent en intercritique (c’est-à-dire entre les épisodes thymiques) des éléments délirants persistants qui sont en général des éléments délirants peu invalidants, peu verbalisés, cachés par le patient à son entourage et ayant finalement assez peu de conséquences. Ils ne remettent pas en cause le diagnostic de MMD et ne nécessitent que rarement un traitement spécifique. La troisième question posée par les MMD qui vieillissent est celle de l’évolution vers la démence. La question se pose, on le sait, pour les épisodes dépressifs inauguraux chez le sujet âgé avec un risque d’évolution vers la démence important. La question se pose aussi pour les patients qui ont une Maladie Maniaco-Dépressive et qui vieillissent. Peu d’études encore nous permettent d’avoir des données fiables sur une évolution éventuelle vers une démence, mais l’expérience clinique semble aller dans ce sens pour certains de nos patients (2). CONCLUSION La MMD justifie d’une prise en charge spécifique qui ne peut se mettre en place que si l’on pose le diagnostic, tant de décompensation aiguë (maniaque, dépressive ou mixte), que de maladie de fond c’est-à-dire de MMD. C’est en premier lieu la difficulté à laquelle nous sommes confrontés en psychiatrie du sujet âgé, conséquence de situations cliniques atypiques et/ou dans lesquelles les pathologies somatiques sont volontiers intriquées. Dans le deuxième temps, les questions thérapeutiques peuvent être complexes aussi. Les choix thérapeutiques seront faits en fonction de la gène occasionnée par les décompensations psychiatriques (intensité, fréquence, gravité des troubles du comportement…) et de l’état L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1099-101, cahier 4 somatique du patient permettant ou non la prescription de traitements à la fois efficaces et bien tolérés. Références 1. BRODATY H, LUSCOMBE G, PARKER G et al. Increased rate of psychosis ans psychomotor change in depression with age. Psychological Med 1997 ; 27 : 1205-13. Troubles bipolaires et vieillissement 2. CLÉMENT JP, PAULIN S, LEGER JM. Troubles de l’humeur. In : Léger JM, Clément JP, Wertheimer J, eds. Psychiatrie du sujet âgé. Paris : Flamarion, 1999 : 112-32. 3. EASTHAM JH, JESTE DV, YOUNG RC. Assessement and treatment of bipolar disorder in the elderly. Drugs Aging 1998 ; 12 (3) : 205-24. 4. GOURNELLIS R, LYKOURAS L, FORTOS A et al. Psychotic (delusional) major depression in late life : a clinical study. Int J Geriatr Psychiatry 2001 ; 16 : 1058-91. 5. YOUNG RC. Bipolar mood disorders in the elderly. Psychiatr Clin North Am 1997 ; 20 : 121-36. S 1101