Les recours collectifs au Québec : derniers développements et leurs
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Les recours collectifs au Québec : derniers développements et leurs
Les recours collectifs au Québec : derniers développements et leurs incidences sur les recours collectifs dans le domaine médical Par Martin F. Sheehan1 Introduction Au Québec, l’ouverture de la voie judiciaire aux recours collectifs remonte à 1978. À l’époque, le gouvernement a adopté la Loi sur les recours collectifs2 pour améliorer l’accès à la justice. La Cour Suprême du Canada, sous la plume de la juge en chef McLachlin, résumait ainsi les avantages d’un tel recours : « [27] Les recours collectifs procurent trois avantages importants sur une multiplicité de poursuites individuelles. Premièrement, par le regroupement d'actions individuelles semblables, les recours collectifs permettent de faire des économies au plan judiciaire en évitant la duplication inutile de l'appréciation des faits et de l'analyse du droit. Les gains en efficacité ainsi réalisés libèrent des ressources judiciaires qui peuvent être affectées à la résolution d'autres conflits, et peuvent également réduire le coût du litige à la fois pour les demandeurs (qui peuvent partager les frais) et pour les défendeurs (qui contestent les poursuites une seule fois) […] [28] Deuxièmement, comme les frais fixes peuvent être divisés entre un grand nombre de demandeurs, les recours collectifs donnent un meilleur accès à la justice en rendant économiques des poursuites qui auraient été trop coûteuses pour être intentées individuellement. Sans les recours collectifs, la justice n'est pas accessible à certains demandeurs, même pour des réclamations solidement fondées. Le partage des frais permet de ne pas laisser certains préjudices sans recours […] [29] Troisièmement, les recours collectifs servent l'efficacité et la justice en empêchant des malfaisants éventuels de méconnaître leurs obligations envers le public. Sans recours collectifs, des personnes qui causent des préjudices individuels mineurs mais répandus pourraient négliger le coût total de leur conduite, sachant que, pour un demandeur, les frais d'une poursuite dépasseraient largement la réparation probable. Le partage des frais diminue le coût des recours en justice et dissuade donc les défendeurs éventuels qui pourraient autrement présumer que de petits méfaits ne donneraient pas lieu à un litige […] »3 Dès lors, le recours collectif favorise une meilleure économie des ressources judiciaires en évitant, par exemple, la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit. De plus, en répartissant les frais judiciaires entre plusieurs personnes, le recours collectif permet d’équilibrer la balance de pouvoir entre les parties. Enfin, il est suggéré que ce type de recours incite un changement de comportement des défendeurs et ce, dans l’intérêt public. 1 2 3 Présenté dans le cadre du colloque La responsabilité médicale et hospitalière de Insight tenu à Montréal les 15 et 16 mai 2006. L’auteur tient à remercier Mme Marianne Breese pour sa précieuse collaboration à la préparation du présent texte. L.R.Q. c. R-2.1. Cette loi est entrée en vigueur le 19 janvier, 1979. Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534 aux para. 27-29. -2Si la popularité est gage de succès, il faut conclure que le législateur a vu juste. Les vingt cinq dernières années ont vu une prolifération marquée des recours collectifs au Québec. Ces recours font maintenant partie de notre vocabulaire quotidien. Il semble, en effet, qu’on ne puisse pas lire un journal, écouter la radio ou regarder la télévision sans entendre parler d’un nouveau recours collectif. Le domaine médical n’échappe pas à cette vague. Une multitude de recours collectifs médicaux ont vu le jour depuis 1978 que ce soit pour des dommages imputables à des implants mammaires, des stimulateurs cardiaques, des médicaments ou du sang contaminé. Sans vouloir faire trop d’esprit, on peut affirmer sans gêne que le recours collectif dans le domaine médical déborde de santé au Québec. Le présent texte vise à rappeler brièvement les critères d’autorisation du recours collectif et à faire un survol des sources principales de recours dans le domaine médical. Nous nous attarderons aussi sur certaines questions d’actualité soulevées par la procédure du recours collectif. Plus précisément, nous aborderons l’impact du jugement Piro sur l’étape d’autorisation d’un recours collectif, la possibilité d’exercer un recours contre multiples défendeurs en l’absence de lien de droit avec chacun, et finalement, la place de la classe nationale ou internationale en droit québécois. 1. L’autorisation du recours collectif 1.1 Les critères d’autorisation Le Code de Procédure civile du Québec (ci-après « C.p.c. ») prévoit qu’un recours collectif doit d’abord être autorisé par le tribunal : « 1002. Un membre ne peut exercer le recours collectif qu'avec l'autorisation préalable du tribunal, obtenue sur requête. La requête énonce les faits qui y donnent ouverture, indique la nature des recours pour lesquels l'autorisation est demandée et décrit le groupe pour le compte duquel le membre entend agir. […] » D’entrée de jeu, l’article 1002 C.p.c. spécifie qu’une requête pour autorisation doit « énoncer les faits qui y donnent ouverture ». L’article suivant élabore en indiquant les conditions qu’un requérant doit remplir s’il veut obtenir une autorisation du tribunal : « 1003. Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que: a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes; b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées; -3c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres. » Ainsi, dans une requête pour autorisation à exercer un recours collectif, il faut alléguer les faits qui démontrent que les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes, que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées, que la composition du groupe rend l’application des articles 59 et 67 du C.p.c. difficile ou peu pratique, et finalement, que le représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres. Les quatre conditions doivent être réunies. L’absence de l’une seule d’entre elle est fatale.4 De même, la Cour Suprême du Canada reconnaît, du moins dans les provinces de common law l’existence d’une discrétion résiduelle qui permettrait de refuser l’autorisation même si les quatre conditions sont réunies : « [42] Même si les quatre facteurs mentionnés doivent être présents pour autoriser un recours collectif, le fait qu'ils le soient ne signifie pas que le tribunal doit l'autoriser. D'autres facteurs peuvent militer contre l'autorisation de poursuivre par recours collectif. Le défendeur peut souhaiter soulever différentes défenses relativement à différents groupes de demandeurs. Il peut s'avérer nécessaire d'interroger au préalable chaque membre du groupe. Certains membres peuvent soulever des questions importantes qui ne sont pas partagées par tous les membres du groupe. Ou le groupe proposé peut être si petit que la jonction serait une meilleure solution. Lorsqu'il existe de tels facteurs défavorables, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de décider si le recours collectif devrait être autorisé, malgré le fait que les conditions essentielles à l'exercice du recours collectif sont remplies. »5 Au Québec, le critère semble un peu plus souple, si un doute existe quant au respect des critères imposés par la loi, il sera résolu en faveur des demandeurs6. 1.2 La réforme de janvier 2003 Avant 2003, la requête d’autorisation pour exercer un recours collectif devait être accompagnée d’une déclaration assermentée (un « affidavit ») dans laquelle la personne qui présentait la demande jurait que les faits allégués dans sa requête étaient véridiques. Comme corollaire à cette obligation, la partie poursuivie conservait le droit d’interroger le requérant. De plus, la partie poursuivie pouvait demander au tribunal de présenter une contestation écrite à l’encontre de la requête pour autorisation. Ainsi, les deux parties exposaient, en pleine égalité, leur position par écrit au tribunal. Ce processus permettait de vérifier le sérieux des allégations du requérant et de s’assurer que ces dernières s’appuyaient sur une preuve solide. À notre avis, ce niveau de prudence était tout à fait approprié et conforme aux intérêts de la justice. La procédure d’autorisation est une étape nécessaire et importante7. Elle sert de mécanisme de filtrage et de vérification qui permet d’éliminer les demandes frivoles8. 4 5 6 Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347 à la p. 361. Supra note 3 au para. 42. Brochu c. Société des loteries du Québec, [2002] R.J.Q. 1351 (C.S.) au para. 8. -4D’une part, le requérant dans un recours collectif agit officiellement, et d’une manière unilatérale, pour le compte d’un grand nombre de personnes et ce, sans jamais les avoir consultées ni avoir reçu un mandat de leur part. Considérant que les jugements rendus dans la cause lieront toutes les personnes visées par le recours9, il semble raisonnable de s’assurer du fondement juridique du recours convoité. D’autre part, il ne faut pas sous-estimer les conséquences négatives qu’un recours collectif peut avoir sur la partie poursuivie. En effet, le vent médiatique qui accompagne la signification d’une requête pour autorisation peut avoir un impact financier dévastateur pour le défendeur même si éventuellement le recours collectif n’est pas autorisé ou même rejeté par la cour. « Conçue pour filtrer les demandes futiles ou vexatoires, l'étape préalable de l'autorisation se veut beaucoup plus qu'une simple formalité à remplir. Elle possède un effet intrinsèque de protection de l'intérêt du défendeur. En respectant son obligation de statuer sur des conditions de recevabilité préalables à l'exercice même du recours, le tribunal assure à la partie défenderesse qu'elle ne sera pas poursuivie collectivement sans fondement. La responsabilité virtuelle de celle-ci pouvant s'élever à plusieurs millions de dollars, il apparaissait inacceptable de laisser l'utilisation de cette procédure au désir et à la fantaisie des justiciables. Nonobstant son net préjugé en faveur du groupe, la loi québécoise tente de protéger les entreprises légitimes contre des abus possibles de la procédure pouvant mener au harcèlement et même à la disparition de ces dernières. »10 Néanmoins, au cours des années, les partisans du recours collectif se sont plaints de l’ampleur des débats au stade de l’autorisation et ont avancé que la lourdeur de la procédure nuisait aux objectifs équitables du processus. Selon eux, la demande d’autorisation avait été transformée en « mini-procès » ce qui avait comme effet d’étendre la durée du litige et d’augmenter le coût des recours collectifs. Comme l’explique le Comité de révision de la procédure civile dans son rapport de 2001 : « La requête en autorisation visait initialement à servir de filtre pour éliminer les demandes frivoles. Mais, au fil des ans, les débats sur l’autorisation ont pris des proportions démesurées. Les Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec en matière civile prévoient qu’un juge peut permettre la contestation écrite de la requête pour autorisation. Cette permission est généralement accordée. La contestation est alors appuyée d’affidavits détaillés qui donnent lieu de multiples interrogatoires de part et d’autre. De plus, les parties ont fréquemment recours à des expertises pour prouver des faits qui ne devraient être prouvés que lors de l’instruction. Contrairement à l’objectif de départ, les parties plaident trop souvent au fond à cette étape, ce qui n’est pas sans conséquence sur les coûts et les délais. La pratique actuelle a en quelque sorte transformé la procédure d’autorisation originellement prévue en 1978 en procédure de certification après contestation, à l’instar de ce qui existe dans la législation de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et des États-Unis. »11 7 8 9 10 11 Marcotte c. Banque de Montréal, [2003] J.Q. no 11359 (C.S.), J.E. 2003-1919 au para. 12. Le Comité régional des usagers des transports en commun de Québec c. La CTCUQ, [1981] 1 R.C.S. 424; Deslauriers c. Ordre des ingénieurs du Québec, [1986] R.D.J. 181 (C.A.); Thompson c. Masson [1993] R.J.Q. 69; Rouleau c. Canada (Procureur général), J.E. 98-25 (C.A.); Yves LAUZON, Le Recours collectif, Éditions Yvon Blais, 2001, 205. Arts. 59, 999(d) et 1027 C.p.c. et 2848 C.c.Q.; Laprise c. Boisclair, C.S. Québec, 200-06-000006-000, 7 mai 2001, J.E. 2001-1145 (C.S.). P. C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs, Montréal, Éd. Thémis, 1996, 349. Rapport du Comité de la révision de la procédure civile, La révision de la procédure civile - Une nouvelle culture judiciaire, Québec, Publications du Québec, 2001, 203-04. -5En janvier 2003, le législateur a voulu mettre fin à cette problématique en introduisant des réformes à l’article 1002 C.p.c.12 D’abord, l’obligation d’appuyer la requête en autorisation d’une déclaration assermentée fut supprimée – il s’ensuit que la partie poursuivie ne peut plus procéder à des interrogatoires hors cour avant l’audition de la requête. De plus, la partie poursuivie ne peut présenter qu’une contestation orale et, lors de l’audition, le juge peut permettre la présentation d’une « preuve appropriée ». Non seulement une contestation orale semble étonnante dans un régime de procédure civile, mais cette règle place la partie poursuivie dans une position désavantageuse face au requérant. Ces modifications s’ajoutent à la règle existante qui n’accorde aucun droit d’appel à la partie poursuivie lorsqu’une autorisation d’exercer un recours collectif est accordée, alors que le requérant peut appeler une décision rejetant sa demande d’autorisation13. Les amendements ont rapidement été contestés sur la base qu’ils violaient les garanties procédurales de base de la défense et ce, à l’encontre de l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec14. Entre autres, les opposants à la réforme prétendaient que le droit fondamental à une audition devant un tribunal indépendant et impartial, prévu à l’article 23 de la Charte, inclut l’obligation pour tout requérant de prouver les faits soutenant ses prétentions, ainsi que le droit de ce tiers d’exiger cette preuve avant de produire sa défense. Malheureusement, dans l’affaire Pharmascience inc. c. Option Consommateurs15, la Cour d’appel a rejeté ces arguments au motif que le jugement qui accueille une requête en autorisation d’exercer un recours collectif est uniquement « un mécanisme de filtrage et de vérification »16. La Cour explique qu’au stade de l’autorisation, le tribunal ne doit pas statuer sur le mérite même de l'action, mais se limite à vérifier si les conditions stipulées à l'article 1003 C.p.c. sont satisfaites17. Autrement dit, le rôle du juge se limite à s’assurer qu’il y ait une « apparence de droit » à la lumière des faits allégués, sans égard au bien-fondé du recours18. Suite à la décision de la Cour d’appel, plusieurs auteurs n’ont pas hésité à qualifier le Québec de « paradis » ou « nirvana » des recours collectifs19. En effet, la procédure pourrait difficilement être plus biaisée en faveur du requérant : 1) le requérant n’a plus à assermenter les faits qui servent de base à sa requête; 2) le défendeur ne peut plus contester les allégations du requérant en procédant à un contre-interrogatoire; 3) les 12 13 14 15 16 17 18 19 Loi portant sur la réforme du Code de Procédure civile, L.Q. 2002, c. 7, art. 150. Art. 1010 C.p.c. L.R.Q. c. C-12. [2005] R.J.Q. 1367 (C.A.). Ibid. au para. 24. Ibid. au para. 25. Ibid. au para. 28-29. ANDRÉ DUROCHER et CLAUDE MARSEILLE, « La Cour d’Appel tranche l’affaire Piro : Le Québec demeure le paradis des recours collectifs au Canada » à www.fasken.com; J.-M BOUCHARD, « Le Québec devient le paradis des recours collectifs » Magazine Finance (Novembre / Décembre 2003), à la p. 10; CHANTAL CHATELAIN, « La suffisance des allégations requises pour faire autoriser un recours collectif : le balancier s’est-il stabilisé? », ABC-Québec 1er Colloque sur les recours collectifs, 24 mars 2006, Montréal, Québec à la p. 9. -6allégations du requérant sont tenues pour avérées; 4) le défendeur est privé de son droit de produire une contestation écrite; et finalement 5) le requérant dispose d’un financement public de son recours via le Fonds d’aide aux recours collectifs20. 1.3 L’obligation d’alléguer des faits précis pour permettre au Tribunal de déterminer si les conditions d’autorisation sont rencontrées Bien que la procédure favorise nettement la partie requérante, certaines décisions récentes nous permettent d’espérer un retour du balancier au Québec. 1.3.1 Option Consommateurs c. Novopharm Le 17 janvier 2006, l’honorable Claudine Roy de la Cour Supérieure a rendu jugement dans la cause Option Consommateurs c. Novopharm et al.21 (incidemment le même dossier dans lequel la Cour d’appel avait confirmé la validité des nouvelles règles). Dans cette affaire, la cour a refusé d’autoriser le recours collectif demandé par Option Consommateurs au motif que les faits allégués ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées. Dans sa requête d’autorisation, Option Consommateur alléguait que certains fabricants de médicaments génériques avaient illégalement offert des primes, des ristournes et d’autres avantages aux pharmaciens et que ces avantages avaient pour effet d’augmenter le coût des médicaments vendus à la Régie de l’assurance maladie du Québec. Selon les requérants, cette augmentation se traduisait, en fin de compte, par une hausse des contributions obligatoires des usagers au régime d’assurance médicaments. C’est un article d’André Noël publié dans La Presse en février 2003 qui a inspiré Madame Piro à déposer sa requête pour autorisation d’exercer un recours collectif. D’ailleurs, les faits allégués dans la requête d’autorisation reposaient entièrement sur cet article. En rejetant la requête, la juge Claudine Roy rappelle que l’étape de l’autorisation demeure une étape « cruciale ».22 Elle cite d’ailleurs avec approbation le jugement de la Cour Supérieure dans Marcotte c. Banque de Montréal qui remarquait : « Les procureurs des parties savent combien cette étape du recours collectif est cruciale, que l'on y décide de l'étendue du recours qui sera exercé ou s'il ne le sera pas, ainsi que les conditions d'exercice de ce recours. Il ne s'agit pas d'une pure formalité pour obtenir l'autorisation d'exercer un recours, mais bien d'une étape où le législateur, même en apportant certaines modifications, permet qu'une preuve soit apportée. »23 Elle ajoute que les changements apportés à l’article 1002 C.p.c. n’ont pas supprimé le fardeau du requérant de convaincre le Tribunal que son recours respecte les critères de l’article 1003 C.p.c.24 20 21 22 23 24 Loi sur le recours collectif, L.R.Q., chapitre R-2.1. [2006] J.Q. no 165 (C.S.), EYB 2006-100093. Inscription en appel no. 500-09-016404-063 déposée le 16 février 2006. Ibid. au para. 66. Supra note 7. Supra note 21 au para. 73; Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Hamel, [2003] J.Q. no 11308 (C.A.), J.E. 2003-17 au para. 8. -7De plus, même si la procédure d'autorisation a été simplifiée, elle demeure contradictoire et « la contestation, bien qu’orale, est indubitablement réelle, vigoureuse et sans contrainte »25. Dès lors, la juge Roy rappelle que le requérant doit faire état de faits « suffisamment précis » pour démontrer que les conditions d’autorisations sont remplies26. Déjà en 1982, le juge Major confirmait dans Labranche c. Cie pétrolière impériale ltée Esso, la nécessité pour un requérant d’alléguer des faits suffisamment précis pour que le Tribunal soit en mesure de statuer sur l’autorisation : « On doit se rappeler que, dans cette procédure du requérant, ses allégations doivent être tenues pour avérées; il bénéficie ainsi d’un avantage mais en contrepartie, à tout le moins doit-on exiger de lui le récit de faits particuliers et de circonstances spéciales (et non pas d’affirmations à caractère vague et général) permettant de peser et de juger le sérieux de ses prétentions et leur justification des conclusions de la requête. […] Cette absence d’allégations de circonstances et de faits particuliers et spécifiques affecte fondamentalement la requête du requérant. Elle constitue un vice de forme comme conséquence duquel la requête ne répond pas aux exigences de l’article 1002 C.P., car elle n’énonce pas « les faits qui y donnent ouverture » tels que l’entendent la jurisprudence et la doctrine. Ce défaut de forme porte sur un point essentiel car, à la lueur des seules allégations générales et imprécises du requérant, aucun Tribunal ne sera en mesure de déterminer si l’autorisation doit être accordée ou refusée. Ce défaut de forme étant fondamental, il entraîne la nullité de la procédure et les intimées sont en droit de l’invoquer. […] » 27 De même, dans Vignola c. Chrysler Canada Ltée, l’honorable juge Mayrand observait : « On a déjà décidé que la requête en autorisation d’exercer un recours collectif doit faire voir au tribunal « une apparence sérieuse de droit ». Il va de soi que cette requête […] doit également faire voir une apparence sérieuse des faits essentiels qui sont une condition sine qua non du droit au recours collectif. Se contenter d’une vague possibilité que ces faits essentiels existent, plutôt qu’une apparence sérieuse de leur existence, inviterait les justiciables à abuser de la procédure exceptionnelle du recours collectif. »28 La juge Roy se déclare en parfait accord avec ces énoncés. En fait, selon elle, les modifications de 2003 rendent l’obligation du requérant à cet égard encore plus importante : « [69] Certes, la jurisprudence sur le recours collectif a évolué depuis ce jugement [Labranche]et des arrêts de principe ont été rendus sur plusieurs points discutés ultérieurement dans le présent jugement, mais le Tribunal considère que les propos du juge Major sont d’autant plus pertinents depuis l’amendement de l’article 1002 C.p.c. : la contestation se fait oralement, la requête n’est plus appuyée par une déclaration assermentée, il n’y pas d’interrogatoire sur affidavit. Par 25 26 27 28 Supra note 21 au para. 65. Ibid. aux paras. 68-80. [1982] C.S. 888 aux pp. 891-892 (appel rejeté); cf. au même effet Werner c. Saab-Scania, J.E. 82-277 (C.A.); Vallée c. Tours Mirabelle inc., [2001] J.Q. no 1488, REJB 2001-23805 (C.A.); C. CHATELAIN, « La suffisance des allégations requises pour faire autoriser un recours collectif : le balancier s’est-il stabilisé? », ABC-Québec 1er Colloque sur les recours collectifs, 24 mars 2006, Montréal, Québec. [1984] R.D.J. 327 (C.A.) à la p. 330. -8conséquent, il est essentiel que la requête fasse état de faits suffisamment précis pour permettre au juge de vérifier si les conditions d’ouverture du recours sont respectées. »29 Aussi, bien que les faits doivent être tenus pour avérés30, cette présomption ne s’applique pas aux conclusions, aux spéculations, aux hypothèses ou à l’argumentation juridique : « [80] Le requérant doit alléguer des faits particuliers, des circonstances précises suffisantes pour permettre au Tribunal de déterminer si la condition du paragraphe 1003 b) C.p.c. est satisfaite. Il ne suffit pas d’alléguer les conclusions recherchées. [81] Les allégations qui relèvent de l’argumentation juridique et les allégations d’opinion n’ont pas à être tenues pour avérées. »31 Dans Mouvement laïque québécois c. Commission des écoles catholiques de Montréal, l’honorable juge Rochon observait d’ailleurs que : « Le tribunal doit distinguer les allégations qui sont purement procédurales, les allégations qui relèvent de l’argumentation juridique et les allégations qui sont d’opinion, contrairement aux allégations de faits. Le tribunal ne retiendra que les allégués de faits de l’ensemble des éléments procéduraux dans la mesure où une pièce produite ne contredit pas carrément ces allégués de faits. Le tribunal mettra de côté également […] toutes les questions d’opinion ».32 Selon la juge Roy, l’article de journal de La Presse ne suffisait tout simplement pas à démontrer un apparence de droit : « Un article de journal peut permettre d’énoncer une hypothèse de travail et déclencher une démarche de vérification. Après la parution de l’article du quotidien La Presse, Option Consommateurs pouvait peut-être soupçonner l’existence d’un droit; elle était peut-être justifiée de mener enquête, mais, à lui seul, cet article de journal n’est pas suffisant pour convaincre un Tribunal de l’existence d’une apparence de droit ».33 Elle a donc rejeté la requête. 1.3.2 Trudel c. Banque Nationale du Canada Dans Trudel c. Banque Nationale du Canada34, le requérant demandait l’autorisation d’exercer un recours collectif contre des banques à charte au nom de tous ceux qui ont payé et assumé des honoraires professionnels pour la préparation et la publication d'un acte de quittance pour un prêt 29 30 31 32 33 34 Supra note 21 au para. 69. Pharmascience, supra note 15 aux paras. 29 et 39. Supra note 21 aux paras. 80-81. [1995] A.Q. no 1615 (C.S.), J.E. 95-1636 à la p. 3, REJB 1995-73006 aux paras. 12-13; voir aussi Bouchard c. Agropur, [2004] J.Q. no 13863 (C.S.), J.E. 2005-413 aux paras. 147-148, porté en appel no. 200-09-005-067050; Allard c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Québec (SPIIQ), [2005] J.Q. no 15662 (C.S.), 2005 IIJCan 39050 au par. 31; Brochu c. Québec (Société des loteries), [2001] J.Q. no 4324 (C.S.), J.E. 2001-1773 au para. 14; Ajam c. General Motors du Canada, [2003] J.Q. no 313 (C.S.), J.E. 2003-471 (C.S.) au para. 46. Supra note 21 au para. 150. [2006] J.Q. no 2148 (C.S.), 2006 QCCS 1172 (IIJCan). -9hypothécaire. Le requérant plaidait que le défaut par les banques d'assumer les honoraires de préparation d'un acte de quittance en vue de son inscription et de sa publication au registre foncier était contraire à l'article 3065 du Code civil du Québec. L’honorable juge Bélanger a refusé de tenir les allégations de droit pour avéré. Analysant cellesci dès le stade de l’autorisation, elle conclut que l'article 3065 C.c.Q. ne visait pas à imposer au créancier d'acquitter les frais du notaire pour préparer une quittance. Dès lors, elle juge que le requérant a fait défaut de démontrer que les faits allégués au soutien de son recours paraissent justifier les conclusions recherchées et rejette la requête. Il ressort de Novopharm et de Trudel que l’étape de l’autorisation demeure une étape importante. Même si les moyens de défenses à la disposition des défendeurs demeurent limité, ces derniers ont intérêt à ne pas abdiquer trop rapidement. S’ils sont en mesure de démontrer que la requête ne contient pas les faits précis qui justifient l’autorisation du recours, ils pourront obtenir son rejet dès le stade de l’autorisation. Quoique ces jugements permettent d’espérer un assouplissement des avantages consacrés aux requérants au stade de l’autorisation, la prudence nous incite à attendre avant de poser un diagnostic final. En effet les jugements dans Novopharm et Trudel ont été portés en appel et il reste à voir comment la Cour d’appel en décidera. 2. Les principales sources de recours collectifs dans le domaine médical Les sources potentielles de recours collectifs sont vastes et variées. En effet, en théorie, tant que les conditions d’autorisation sont remplies, tous les domaines de droit sur lesquels s’appuient des recours individuels peuvent supporter des recours collectifs. Il en va de même dans le domaine médical. Au cours des ans, des recours collectifs se sont appuyés sur le droit de la consommation (publicité trompeuse35), le droit de la concurrence (fixation de prix ou abus de monopole36), le droit administratif (droit à des soins de qualité, défaut d’exercer son devoir de surveillance37) et bien d’autres. 2.1 Responsabilité du fabricant Ceci étant, ce sont les recours collectifs fondés sur la responsabilité du fabricant qui ont connu la plus grande croissance dans le domaine médical. Plus que tout autre, les fabricants d’instruments médicaux et de médicaments ont souvent été visés. À titre d’exemple, la responsabilité de Bristol Myers Squibb et Dow Corning Corporation a été soulevée à l’égard d’implants mammaires défectueux38, la Corporation Instrumentarium Inc. a 35 36 37 38 L’association Droit de voir c. Bausch & Lomb Canada Inc., [2003] J.Q. no 8577 (C.S.). McComber c. Glaxosmithkline Inc., [2005] J.Q. no 16109 (C.S.). Doyer c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] R.J.Q. 724 (C.S.). ACEF-Centre c. Bristol-Myers Squibb Company, [1995] A.Q. no 1970, EYB 1995-29024; Doyer c. Dow Corning Corporation, [1994] A.Q. no 750 (C.S.). Voir aussi Pelletier et Lamontagne c. Baxter Healthcare - 10 été poursuivie relativement à des implants temporomandibulaires39, A.H. Robbins a été poursuivi pour ses stérilets Dalkon Shield40 et St. Jude Medical Inc. et St. Jude Medical Canada Inc. ont fait l’objet d’un recours collectif en raison de leurs stimulateurs cardiaques41. De plus, une multitude de recours ont été intentés à l’égard des fabricants de médicaments tel que Baycol42, Celebrex43, Neurontin44, Pondéral/Redux45, Paxil46, Serzone, Vioxx, Zyprexa47, etc. À première vue, cette prolifération peut surprendre, surtout en ce qui a trait aux drogues et instruments médicaux. Il est vrai que la Loi sur les Aliments et drogues (ci-après « LAD »)48 prévoit que Santé Canada doit évaluer la sécurité, l’efficacité et la qualité de toute nouvelle drogue49 ou instrument médical avant d’en permettre la vente au Canada. Avant d'obtenir l'autorisation de commercialiser un produit, le fabricant doit donc présenter une preuve scientifique substantielle de l'innocuité, de l'efficacité et de la qualité de son produit50. De plus, la plupart du temps ces produits sont destinés à être utilisés ou prescrits par des médecins spécialistes qui connaissent bien les avantages et les risques reliés à leur utilisation. Finalement, la prise de médicament entraîne nécessairement l’apparition d’effets secondaires. Tout dommage ainsi causé doit être évalué en fonction du bénéfice escompté, ce dernier compensant souvent pour les inconvénients subis. Néanmoins, plusieurs facteurs rendent les manufacturiers d’instruments médicaux ou de drogues particulièrement vulnérables aux recours collectifs. D’une part, leurs produits sont de plus en plus populaires. Par exemple, certains médicaments font l’objet de ventes importantes. Certains doivent être consommés à tous les jours pour être efficace ce qui multiplie les chances d’événements indésirables. De plus, comme ces produits sont souvent vendus à travers le monde, certaines poursuites peuvent être intentées au Canada suite à des jugements, règlements ou poursuites survenus dans des juridictions plus litigieuses (i.e. : aux États-Unis). 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 Corporation et Baxter International Inc. C.S. Montréal, 500-06-000005-955, 16 avril 1998, REJB 1998-05914 (approbation de transaction). Carla Luther c. La Corporation Instrumentarium Inc., C.S. Montréal, 500-06-000019-964, 10 août 1999. Règlement intervenu le 15 juin 1999. Tremaine c. A.H. Robins Canada Inc., [1990] R.D.J. 500 (C.A.). Thibault c. St. Jude Medical Inc., [2004] J.Q. no 9275 (C.S.), J.E. 2004-1924. Dufour c. Bayer Inc., [2004] J.Q. no 11125 (C.S.). C.S. Montréal., 500-06-000182-028. Option Consommateurs c. Pfizer Canada inc., [2005] J.Q. no 14485. Option Consommateurs c. Servier Canada inc., [2002] J.Q. no 5672 (C.S.); Hotte c. Servier Canada Inc., [2005] J.Q. no 9118 (C.S.). C.S.Montréal, 500-06-000157-020. Dallaire c. Eli Lilly Canada inc., [2005] J.Q. no 18803 (C.S.). L.R.C. (1985), c. F-27. Aux termes de la LAD art. 2, le terme « drogue » comprend les produits pharmaceutiques sur ordonnance et sans ordonnance vendu pour traiter ou prévenir des maladies ou des symptômes, les désinfectants et des produits d'hygiène revendiquant un pouvoir désinfectant. Le terme « drogue nouvelle » est défini dans le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., c. 870 à l’art. C.08.001, ci-après (« RAD »). Voir par RAD, art. C.08 et ss.; Règlement sur les instruments médicaux, DORS/98-282, arts. 25 et 26, ci-après (« RIM »). - 11 Qui plus est, le patient est de mieux en mieux informé. De nombreux sites Internet permettent aux patients de remettre en cause leur prescription ou leur diagnostic. Certaines publications : journaux populaires ou revues spécialisées, magazines, sites Internet font régulièrement état d’études sur les dangers et avantages de tels produits. Souvent la publicité, même si elle est fortement réglementée, incite le patient à demander lui-même un médicament plutôt qu’un autre. On assiste aussi de plus en plus à une prolifération des prescriptions pour des usages non indiqués « off-label use ». Finalement, l’arrivée de médicaments qualifiés de « style de vie », dont le bénéfice relève autant de la qualité de vie ou du traitement d’une condition désagréable que de la guérison d’une maladie, a rendu les tribunaux plus sévères à l’égard de ce qui est acceptable au niveau des effets secondaires. Si l’augmentation du risque cardiaque peut être acceptable pour un médicament qui traite le cancer, il en va autrement si le médicament est pris pour stimuler la pousse de cheveux. Bien que la responsabilité du fabricant soit un sujet complexe et intéressant, son analyse détaillée surpasse l’étendue de cet article51. Nous ferons donc un bref tour d’horizon des principes généraux de la responsabilité du fabricant et des difficultés particulières que soulève son application dans les recours collectifs dans le domaine médical et, plus précisément, les nuances qu’elle entraîne au stade d’autorisation. 2.1.1 Les conditions d’application de la responsabilité du fabricant et les personnes qui peuvent en bénéficier La responsabilité du fabricant prend sa source dans le Code civil du Québec52 et dans la Loi sur la protection du consommateur53. Cette responsabilité peut être soit contractuelle ou extracontractuelle. Bien que l’appellation responsabilité contractuelle nous porte à croire qu’elle se limite au consommateur et au vendeur qui ont signé un contrat, son application est beaucoup plus large. Ainsi, toute personne qui fait la distribution du produit est visée par cette obligation – le fabricant, le grossiste, le distributeur, etc.54 Le recours en responsabilité du fabricant est aussi ouvert aux sous-acquéreurs du produit55. 51 52 53 54 55 Pour un discussion plus détaillée sur le sujet, voir P.-G. JOBIN, La vente, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2001; J. EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998; J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La Responsabilité Civile, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, ch. VII; D.-C. LAMONTAGNE, La vente, in D.-C. LAMONTAGNE et B. LAROCHELLE, (Dir.), Droit spécialisé des contrats, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000; D. GIBBENS et M. SHEEHAN, The Impact of the Quebec Consumer Protection Act in Product Liability Cases, Reigning Victorious : Product Liability Class Actions – Law and Strategies for Successful Defence, Toronto, 25 mai 2005 à www.fasken.com. L.Q., 1991, c. 64. L.R.Q. c. P-40.1, arts. 34, 36-40 et 53. Art. 1730 C.c.Q., art. 53 L.P.C. Art. 1442 C.c.Q. codifiant ainsi la règle édictée par la Cour Suprême du Canada dans General Motors Products of Canada Ltd. c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790. - 12 Au niveau de la responsabilité contractuelle, le fabricant doit fournir une garantie de qualité contre les vices. Pour entraîner la responsabilité du vendeur, le vice doit être sérieux, caché et avoir existé au moment de la vente56. Premièrement, le vice doit être sérieux au point de rendre le bien non conforme à l’usage auquel il était destiné ou d’en diminuer l’utilité au point que l’acheteur n’aurait pas payé un si haut prix s’il en avait été avisé57. Le vice peut être un défaut de conception, de fabrication ou d’information. En effet, non seulement le vendeur doit-il fournir un produit sécuritaire, on lui impose aussi l’obligation d’aviser l’utilisateur des risques inhérents à son produit58. Selon la Cour Suprême, les fabricants de produits médicaux sont particulièrement visés par cette obligation : « [23] Dans le cas de produits médicaux comme les prothèses mammaires en cause dans le présent pourvoi, la norme de diligence à laquelle les fabricants doivent satisfaire en matière de mise en garde adéquate des consommateurs est forcément élevée. Les produits médicaux sont souvent conçus pour être ingérés par l'organisme ou y être implantés, et les risques découlant d'un usage impropre sont de toute évidence importants. Les tribunaux de notre pays reconnaissent depuis longtemps que les fabricants de produits destinés à être ingérés ou consommés par l'organisme ou à y être autrement placés, et donc fortement susceptibles de causer des dommages aux consommateurs, sont en conséquence soumis à une norme de diligence élevée au regard du droit de la négligence […] Étant donné la relation intime entre les produits médicaux et l'organisme du consommateur, et le risque concomitant pour le consommateur, les fabricants de ce type de produits assumeront presque toujours la lourde charge de fournir des renseignements clairs, complets et à jour concernant les dangers inhérents à l'utilisation normale de leurs produits. »59 Ce devoir de renseignement survit à la vente du produit et le fabricant demeure tenu d’aviser le consommateur des dangers découverts après l’achat60. Deuxièmement, le vice doit être caché. Il faut donc que le vice n’ait pas été apparent au moment de la vente et qu’il n’ait pas été dénoncé à l’acheteur61. Le vice apparent est celui qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert62. Finalement, le vice doit avoir existé au moment de la vente63. Le vice n’a pas à se manifester au moment de la vente mais il doit avoir été présent ne serait-ce que de manière latente. Cette condition permet au vendeur de ne pas être tenu responsable en cas de mauvaise utilisation ou un 56 57 58 59 60 61 62 63 J.-L. BAUDOIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2003 au no 183, p. 1238; Machinage Piché inc. c. Atelier d’ébénisterie P.M.S. ltée, [1995] R.R.A. 783 (C.S.). Art. 1726 C.c.Q.; Arts. 37, 38, 53 L.P.C. Art. 53(2) L.P.C. Compagnie d’assurance Missisquoi c. Rousseau [1997] R.R.A. 739 (C.S.) à 741-2; L. Martin et Fils inc. c. Les industries Pittsburgh du Canada, Ltée et Standard Chemical Ltd. (Stanchem), [1982] C.S. 629; Lambert c. Chemicals Co., [1972] R.C.S. 569; Trudel c. Clairol, [1975] 2 R.C.S. 236; J. EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998, para. 322; P. LEGRAND, « Une théorie de l’Obligation de renseignement du fabricant en droit civil québécois », (1981) 26 R.D. McGill 207. Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634; cf aussi Buchan c. Ortho Pharmaceutical (Canada) Ltd., (1986), 54 O.R. (2d) 92 (Ont. C.A.). Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works, [1974] R.C.S. 1189. J.-L. BAUDOIN et P. DESLAURIERS, supra note 56 au no 1786, p. 1241. Art. 1726(2) C.c.Q. Art. 1726 al. 1 C.c.Q.; Duchesne c. Financière (La), prêts-épargne inc.,[1994] R.D.I. 401 (C.S.). - 13 mauvais entretien de la part de l’acheteur. C’est l’acheteur qui a le fardeau de prouver l’existence de chacune des conditions. Cependant, en cas de vente par un « vendeur professionnel », l'existence d'un vice au moment de la vente est présumée lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens de même nature64. Le Ministère de la Justice définit le vendeur professionnel comme « la personne qui a pour occupation habituelle la vente de biens »65. Quoique cette définition ait été critiquée parce que trop large66, il est clair qu’un fabricant de produits est considéré comme un vendeur professionnel en droit québécois67. La responsabilité extra-contractuelle du fabricant est engagée lorsqu’un bien est affecté d’un défaut de sécurité68. Un bien est considéré défectueux lorsque, compte tenu de toutes les circonstances, il n'offre pas la sécurité à laquelle on est normalement en droit de s'attendre, notamment en raison d'un vice de conception ou de fabrication du bien, d'une mauvaise conservation ou présentation du bien ou, encore, de l'absence d'indications suffisantes quant aux risques et dangers qu'il comporte ou quant aux moyens de s'en prémunir69. La victime a le fardeau de prouver l’existence du défaut70. Tout comme la garantie de qualité, la garantie contre le défaut de sécurité s’impose au fabricant, au grossiste et au détaillant71. Toute personne, physique ou morale, ayant subi un préjudice peut se prévaloir de ce régime. 2.1.2 Les moyens de défense ouverts au fabricant 2.1.2.1 Les exclusions contractuelles de responsabilité Les parties peuvent convenir d’une garantie plus généreuse que celle prévue au Code civil. Elles peuvent aussi décider d’en diminuer l’effet ou de l’exclure entièrement. Par contre le vendeur ne peut s’exclure de ses faits personnels72. Il ne peut non plus, exclure ou limiter sa responsabilité pour les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent la qualité du bien à moins que l'acheteur achète à ses risques et périls d'un vendeur non professionnel73. En pratique, 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 Art. 1729 C.c.Q., art. 53 (3) L.P.C. Code civil du Québec annoté interactif, SOQUIJ, 2003, Commentaires du Ministre de la justice, article 1729. J-L. BAUDOIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, supra note 56 au no 1792; D.-C. LAMONTAGNE, La vente, in D.-C. LAMONTAGNE et B. LAROCHELLE, (Dir.), Droit spécialisé des contrats, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000 au no 233, p. 120. J-L. BAUDOIN, La Responsabilité civile du fabricant en droit québécois, (1977) 8 R.D.U.S. aux pp. 1, 13. Art. 1468 C.c.Q. Art. 1469 C.c.Q.; Letourneau c. Imperial Tobacco Ltée, [1998] R.J.Q. 1660 (C.Q.), J.E. 98-1006; Mulco inc. c. La Garantie, compagnie d’assurance, [1990] R.R.A. 68 (C.A.), J.E. 90-281. Art. 2803 C.c.Q.; P-G. JOBIN, La vente, 2 éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001. L’art. 1468 C.c.Q. précise que les débiteurs de cette responsabilité comprennent « toute personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et de tout fournisseur du bien ». Le législateur a nommé à titre d’exemples le fabricant, le grossiste et le détaillant. Toutefois, ces exemples ne sont pas limitatifs. Voir P.-G. JOBIN, La vente, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais 2001 au no 163. Art. 1732 C.c.Q. Art. 1733 C.c.Q. - 14 puisque le vendeur professionnel est présumé connaître les vices qui affectent ses produits, il lui est pratiquement impossible d’exclure sa responsabilité. Il est également interdit en droit québécois d’exclure sa responsabilité pour un dommage matériel causé par une faute intentionnelle ou une faute lourde. De plus, une partie ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui74. 2.1.2.2 Le respect des exigences réglementaires En théorie, il ne suffit pas au fabricant de prouver qu’il a respecté les normes réglementaires en vigueur pour échapper à la responsabilité. De même, le non-respect des règles n’entraîne pas nécessairement la responsabilité du fabricant75. Ceci étant, en pratique, il sera difficile pour le fabricant d’échapper à sa responsabilité s’il n’a pas respecté les règles et ce non-respect est la cause des dommages subis par le demandeur. Cette précision est importante compte tenu de l’importance du processus réglementaire relativement aux drogues et produits médicaux au Canada. En effet, tel que mentionné plus haut, avant d’obtenir un avis de conformité qui permet la vente d’une drogue nouvelle au Canada, le fabricant doit démontrer à Santé Canada, que sa drogue est efficace et sécuritaire. Ce processus d’approbation est exigeant. Le fabricant doit en outre soumettre des échantillons, des étiquettes, la fiche descriptive du produit, la monographie, la liste des ingrédients et leurs spécifications, la description de l’équipement utilisé pour la fabrication, la préparation et l’emballage du produit, le détails des mécanismes de contrôle de la qualité, les études cliniques démontrant l’efficacité et la sécurité, etc.76. De plus, chaque médicament vendu au Canada doit avoir fabriqué selon les Bonnes pratiques cliniques77. Ces pratiques exigent que la drogue ait été fabriquée et emballée dans des locaux hygiéniques78, avec de l’équipement approprié79 opéré par un personnel qualifié80. Le RAD 74 75 76 77 78 79 80 Art. 1474 C.c.Q. P.-G. JOBIN, supra note 71 au no 165; cf aussi R. c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205. RAD, supra note 49 aux arts. C.08.002 à C.08.004. Ibid. art. C.02.003 : « Il est interdit au distributeur visé à l'alinéa C.01A.003b) et à l'importateur de vendre une drogue qui n'a pas été manufacturée, emballée-étiquetée, analysée ou entreposée conformément aux exigences du présent titre. » Ibid. art. C.02.004 : « Les locaux dans lesquels un lot ou un lot de fabrication d'une drogue est manufacturé ou emballé-étiqueté doivent être conçus, construits et entretenus de manière : a) à permettre l'exécution des opérations d'une façon propre, hygiénique et ordonnée; b) à permettre le nettoyage efficace de toutes les surfaces qui s'y trouvent; et c) à empêcher la contamination de la drogue et l'introduction de toute matière étrangère à la drogue. » Ibid. art. C.02.004 : « L'équipement servant à manufacturer, emballer-étiqueter ou analyser un lot ou un lot de fabrication d'une drogue doit être conçu, fabriqué, entretenu, utilisé et disposé de façon : a) à permettre le nettoyage efficace de toutes les surfaces qui s'y trouvent; b) à empêcher la contamination de la drogue et l'introduction de toute matière étrangère à la drogue; et c) à fonctionner selon son usage voulu. » Ibid. art. C.02.006. « Chaque lot ou lot de fabrication d'une drogue doit être manufacturé, emballé-étiqueté, analysé et entreposé sous la surveillance d'un personnel qui, sur le plan des fonctions et responsabilités en cause, - 15 édicte aussi des normes strictes de contrôles de qualité quant aux ingrédients, à la fabrication, à l’emballage et au produit fini81. Le fabricant doit tenir des dossiers complets pour chacun des lots fabriqués82 et doit rapporter immédiatement toute réaction indésirable à une drogue83. Le RIM contient lui aussi des exigences relativement à la mise en marché d’instruments médicaux. D’une part, selon la classe d’instrument, leur vente est soumise à une homologation84. Pour l’obtenir, un fabricant doit fournir au Ministère de la Santé : la description de l'instrument, ainsi que les spécifications de ses matériaux de fabrication et d'emballage; la description de l’usage projeté; le processus et la liste des normes de conception et de fabrication de l'instrument qui ont été respectées afin d'assurer la conformité aux exigences en matière de sûreté et d'efficacité; une attestation d'un dirigeant du fabricant confirmant que l'instrument satisfait à ces normes; une attestation d'un dirigeant du fabricant portant que l'étiquette de l'instrument satisfait aux exigences applicables du RIM; une copie d'un certificat de système qualité attestant que le système qualité auquel est soumise la fabrication de l'instrument est conforme à la norme nationale du Canada et dans certains cas, des études et une attestation d'un dirigeant du fabricant confirmant que l'instrument a fait l'objet d'un essai expérimental avec des sujets humains constituant un échantillon représentatif des utilisateurs auxquels l'instrument est destiné et dans des conditions similaires aux conditions d'utilisation85. Le RIM rappelle que le fabricant est responsable de veiller à ce qu’un instrument médical satisfasse aux exigences en matière de sécurité et d’efficacité86. À cette fin, le fabricant doit, entre autres, prendre des mesures raisonnables pour identifier et éliminer, si possible, les risques inhérents à l'instrument. Lorsque les risques ne peuvent être éliminés, le fabricant doit les réduire, prévoir les mesures de protection indiquées contre ces risques et aviser l’utilisateur des risques résiduels87. L’acceptabilité d’un risque se mesure conformément au bienfait escompté88. Le législateur établit aussi certaines normes à respecter au niveau de l’efficacité et de la durabilité89. Tout fabricant doit tenir un registre des plaintes reçues et des mesures prises pour les résoudre90. Comme pour les drogues, il est également soumis à l’obligation de rapporter tout incident défavorable dont il a connaissance91. 2.1.2.3 Autres moyens de défense 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 a reçu une formation technique, une formation théorique de même qu'un autre type de formation que le Directeur juge satisfaisantes dans l'intérêt de la santé du consommateur ou de l'acheteur. » Ibid. arts. C.02.007 à C.02.019. Ibid. art. C.02.020. Ibid. art. C.01.016. RIM, supra note 50 art. 26. Ibid. art. 32. Ibid. art. 9. Ibid. art. 10. Ibid. art. 11. Ibid. art. 12 à 20. Ibid. art. 57. Ibid. art. 59. - 16 Dès lors, les moyens de défenses ouverts au fabricant ne sont pas nombreux. Lorsqu’il fait face à un recours contractuel, il doit souvent se contenter de contester les conditions d’application de la responsabilité du vendeur. Par exemple, il tentera de prouver que le vice n’affecte pas l’usage du bien, qu’il pouvait être découvert par un examen normal ou qu’il résulte plutôt d’une mauvaise utilisation ou d’un défaut d’entretien. Il pourra aussi plaider que le recours est prescrit92 ou n’a pas fait l’objet d’une dénonciation à l’intérieur d’un délai raisonnable93. Lorsqu’il fait face à un recours délictuel, il pourra exclure sa responsabilité en prouvant que le préjudice résulte d’une force majeure94, que la victime connaissait ou était en mesure de connaître le défaut du bien ou qu'elle pouvait prévoir le préjudice. Le fabricant sera aussi exonéré s'il prouve que le défaut ne pouvait être connu, compte tenu de l'état des connaissances, au moment où il a fabriqué, distribué ou fourni le bien et qu'il n'a pas été négligent dans son devoir d'information lorsqu'il en a eu connaissance95. 2.1.2.4 La théorie de l’intermédiaire compétent Tel que mentionné précédemment, le fabricant d’un produit a l’obligation de mettre en garde les utilisateurs des dangers inhérents de son produit. Parfois, le fabricant peut se décharger de cette obligation, s’il convainc la cour qu’il a avisé un intermédiaire compétent qui lui était chargé d’en aviser le consommateur. La Cour Suprême décrit la règle comme suit : « [27] En règle générale, le fabricant a une obligation directe de mise en garde envers le consommateur final. Toutefois, dans des cas exceptionnels, le fabricant peut s'acquitter de son obligation d'informer le consommateur en faisant une mise en garde à celui que les tribunaux américains ont, ces dernières années, appelé l' « intermédiaire compétent ». […] Le fondement en a été expliqué en ces termes par le juge Wisdom dans Reyes c. Wyeth Laboratories, 498 F.2d 1264 (5th Cir. 1974), à la p. 1276, cert. refusé 419 U.S. 1096 (1974), mettant en cause le fabricant d'un vaccin oral contre la polio: [TRADUCTION] Il y a de bonnes chances pour que les médicaments délivrés sur ordonnance soient des médicaments complexes, à la formule ésotérique et à effet variable. En sa qualité d'expert médical, le médecin traitant peut prendre en compte les propriétés du médicament, de même que les prédispositions de son patient. Il lui incombe d'apprécier les avantages d'un médicament par rapport à ses dangers potentiels. Le choix qu'il fait est un choix éclairé, un jugement médical individualisé fondé sur la connaissance tant du patient que du traitement. Alors qu'elles doivent avertir les consommateurs ultimes des dangers inhérents aux médicaments brevetés en vente libre, les compagnies pharmaceutiques sont uniquement tenues, lorsqu'elles vendent des médicaments de prescription, d'avertir le médecin, lequel agit à titre d' « intermédiaire compétent » entre le fabricant et le consommateur. 92 93 94 95 Le recours contre le vendeur se prescrit dans les trois (3) ans du moment que l’acheteur est avisé du vice (2925 C.c.Q.). Art. 1739 C.c.Q. Art. 1470 C.c.Q. Art. 1473 C.c.Q.; Gaillardez c. Microtec Inc., J.E. 95-782 (C.Q.); Drolet c. London and Lancashire Guarantee and Accident Co. [1944] R.C.S. 82; A.ASSELIN, Informations récentes sur la responsabilité des produits, (1994-1995) 62 Assurances 263; P.-G. JOBIN, La vente, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais 2001. - 17 [28] Même si la règle de l' « intermédiaire compétent » visait à l'origine à refléter, grâce à une répartition équitable des obligations au regard de la responsabilité délictuelle, la relation informationnelle tripartite entre fabricants pharmaceutiques, médecins et patients, le raisonnement qui la sous-tend est clairement applicable dans d'autres contextes. […]De façon générale, la règle s'applique soit dans le cas d'un produit à forte teneur technique, destiné à être utilisé uniquement sous la surveillance d'experts, soit dans le cas d'un produit tel qu'il n'est pas réaliste de penser que le consommateur recevra une mise en garde directe du fabricant avant de l'utiliser. En pareil cas, lorsqu'une inspection intermédiaire du produit est prévisible ou que la confiance du consommateur repose principalement sur le jugement d'un « intermédiaire compétent » et non sur le fabricant, il peut ne pas être nécessaire de mettre en garde le consommateur final, et le fabricant peut s'acquitter de son obligation à son égard en avertissant l'intermédiaire compétent des risques inhérents à l'utilisation du produit. [29] Toutefois, il importe de se rappeler que la règle de l' « intermédiaire compétent » n'est qu'une exception à l'obligation générale du fabricant de mettre le consommateur en garde. Selon cette règle, le fabricant a une obligation non pas envers l'intermédiaire compétent, mais envers le consommateur final, qui a le droit de recevoir une information complète et à jour concernant les risques inhérents à l'utilisation normale du produit. Ainsi, la règle présume que l'intermédiaire est « compétent », c'est-à-dire qu'il est pleinement au fait des risques associés à l'utilisation du produit. Par conséquent, on ne peut dire que le fabricant s'est acquitté de son obligation envers le consommateur que lorsque le degré de connaissance de l'intermédiaire se rapproche de celui du fabricant. Permettre aux fabricants d'invoquer le bénéfice de la règle dans les cas où ils n'ont pas pleinement mis le médecin en garde saperait le fondement même de l'obligation de mise en garde, qui consiste à faire en sorte que le consommateur soit pleinement informé de tous les risques. Étant donné que c'est le fabricant qui est le mieux en mesure de connaître les risques que présente l'utilisation de ses produits, et aussi le mieux en mesure de s'assurer que leur utilisation normale est sans danger, c'est sur lui que doit retomber l'obligation première de faire une mise en garde claire, complète et à jour. »96 Dès lors, dans le cas de médicaments ou de produits médicaux, c’est souvent au médecin ou au pharmacien qu’il incombe d’aviser le patient des risques d’utilisation du produit et le fabricant pourra s’exonérer s’il a pris toutes les mesures nécessaires pour bien aviser le professionnel des dangers inhérents. Évidemment, le fabricant demeure responsable s’il fait défaut de prendre les mesures nécessaires pour que le médecin s’acquitte de son devoir. D’ailleurs, tout en reconnaissant l’existence d’un moyen de défense fondé sur la doctrine de l’intermédiaire compétent, tant la Cour d’appel de l’Ontario dans Buchan que la Cour Suprême dans Hollis, ont décidé que les fabricants en cause avaient tout même manqué à leur devoir d’information à cet égard. 2.1.3 L’application de ces principes au stade de l’autorisation d’un recours collectif L’attrait du recours collectif dans une action de responsabilité du fabricant est indéniable. En effet, il est possible qu’un grand nombre de personnes puissent être lésées par un produit dangereux ou défectueux. Ceci étant, cet attrait est parfois trompeur. La multiplicité de demandeurs engendre une multiplicité de questions individuelles inévitables. Ces questions individuelles peuvent constituer un obstacle majeur au stade de l’autorisation. En effet, pour faire autoriser son recours collectif, le requérant doit établir que les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de faits identiques, similaires ou connexes97. 96 97 Hollis c. Dow Corning Corp., [1995] 4 R.C.S. 634; cf aussi Buchan c. Ortho Pharmaceutical (Canada) Ltd., (1986), 54 O.R. (2d) 92 (Ont. C.A.). Art. 1003 a) C.p.c. - 18 S’appuyant sur la jurisprudence américaine qui refuse souvent d’autoriser des recours collectifs contre des fabricants de médicaments en raison de la disparité des questions de droit et de fait soulevées, les fabricants ont souvent plaidé devant les tribunaux québécois que les questions communes devraient être prépondérantes sur les questions individuelles pour qu’un recours collectif soit autorisé. Ils remarquent que l'indemnisation des membres du groupe projeté soulève des questions spécifiques à chacun (i.e. leur état de santé avant la prise du médicament, la durée et profil de la consommation, la nature des informations transmises par le médecin qui l’a prescrit, etc.). Malheureusement, au Québec, les tribunaux n’ont pas suivi la tendance américaine. Ils jugent qu’un recours collectif peut être autorisé même si certaines questions ne sont pas communes à tous les membres du groupe. Par exemple, dans Tremaine c. A.H. Robins Canada Inc. 98, le juge Bisson observe : « Ce que [A.H. Robbbins] a représenté avec succès devant le premier juge, c’est que chez toutes les personnes qui ont porté le stérilet Dalkon Shield et qui formeront le groupe éventuel, il y a une variété substantielle de circonstances qui fait en sorte que les questions de droit et de fait ne sont ni identiques, ni similaires, ni même connexes. C’est ainsi que seraient différents d’un membre du groupe à un autre : - la date d’insertion du stérilet et la justesse de sa mise en place; - la durée du port du stérilet; - l’état de santé de la personne; - les effets causés par le port du stérilet; - la nature et l’étendue des dommages subis par chaque réclamante, etc. » Malgré tout, s’appuyant sur l’analyse du juge Rothman dans Comité d’environnement de la Baie Inc. c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan Lté 99, le juge Bisson conclut que l’article 1003a) ne requiert pas que toutes, ni même qu’une majorité, des questions soient communes : « Avec égards pour l’opinion contraire, l’essentiel du débat, c’est la conception même du stérilet Dalkon Shield. S’il s’avère que cette conception n’était pas erronée et que son utilisation ne pouvait causer de problèmes, c’en sera fait du recours en dommages intérêts. Si par contre, les réclamantes franchissent collectivement cette étape de façon victorieuse, le reste – outre la question de prescription – constituera des modalités propres à chaque membre du groupe. » De même, dans l’arrêt Hotte c. Servier Canada Inc.100, la requérante tentait de faire autoriser un recours collectif relatif au médicament Pondéral101 – un médicament amincissant, qui causait des 98 99 100 Tremaine c. A.H. Robins Canada Inc., supra note 40. [1990] R.J.Q. 655 (C.A.). Il est vrai que le juge Rothman y écrit : « But Article 1003 (a) does not require that all of the questions of law or of fact in the claims of the members be identical or similar or related. Nor does the article even require that the majority of these questions be identical or similar or related. From the text of the article, it is sufficient if the claims of the members raise some questions of law or of fact that are sufficiently similar or sufficiently related to justify a class action. » Pourtant le juge Rothman continue en disant : « The common questions seem to me substantial and of considerable importance in relation to the individual questions to be decided. » [2002] R.J.Q. 230. - 19 effets secondaires importants. Le médicament a d’ailleurs été retiré du marché au Canada par Santé Canada et aux États-Unis par la F.D.A. S’opposant à la requête d’autorisation, Servier plaidait que les questions individuelles prédominaient sur les questions communes : « [45] L'avocat de Servier soutient que ces questions communes devraient être prépondérantes par rapport aux questions individuelles pour qu'un recours collectif soit autorisé. Au soutien de sa proposition, il cite des décisions américaines récentes qui ont refusé l'autorisation de recours collectifs nationaux contre des fabricants de médicaments au motif d'une trop grande disparité des questions de droit et de fait soulevées[3]. [46] Il ajoute qu'une fois réglées les questions communes, notamment les effets nocifs pouvant être causés par le produit et le rôle et la responsabilité légale de Servier dans la mise en marché de celui-ci, rien ne sera encore gagné pour les membres du groupe. Selon lui, commencera alors une série de procès individuels représentant des difficultés en fait et en droit dépassant en complexité celles soulevées par les questions communes.» Citant Comité d’environnement de la Baie Inc. c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan Ltée102, et le professeur Pierre-Claude Lafond103, le juge Dalphond rejette cet argument : « [48] En effet, ce qui est déterminant, c'est l'existence de questions communes dont la réponse est une étape essentielle à toute indemnisation individuelle. De plus, ces questions communes n'ont pas à être prédominantes, l'art. 1003 C.p.c. ne contenant pas de mots à cet effet, contrairement à la législation en vigueur dans plusieurs états américains (où les procès par jury sont souvent possibles) et au niveau fédéral américain (Rule 23(b)(3) of the Federal Rules of Civil Procedure). En somme, le législateur québécois, comme celui en Ontario, a retenu une approche moins restrictive que celle adoptée au niveau fédéral américain. » À ce sujet, le juge Dalphond souligne que de procéder par voie de recours collectif peut même avoir des avantages pour la défenderesse : « [52] Bien entendu, si la preuve scientifique et médicale démontre selon la balance des probabilités que le produit ne représente aucun risque mesurable pour l'être humain, cela disposera non seulement du recours de Mme Hotte, mais aussi de toutes les personnes résidant au Québec qui ont déjà consommé du Pondéral et qui ne se seront pas exclues du présent recours. L'avantage d'avoir procédé par recours collectif serait alors très significatif pour Servier!104 » Dans Brochu c. Société des loteries du Québec105, le demandeur reprochait à Loto Québec d’avoir « propagé l’usage d’appareils de loterie vidéo sans avoir pris les mesures appropriées pour informer les utilisateurs du danger de développer une dépendance ». Or, les experts de Loto Québec ont fait valoir que les causes du jeu pathologique variaient grandement selon les demandeurs : 101 102 103 104 105 Ce médicament a été vendu sous le nom de « Redux » aux États-Unis. [1990] R.J.Q. 655 (C.A.). P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d'accès à la justice pour les consommateurs, Éditions Thémis, Montréal, 1996. Ibid. [2002] R.J.Q. 1351 (C.S.). - 20 « [42] Pour l’intimée, les questions centrales soulevées par la poursuite que veut intenter le requérant relèvent de la situation personnelle de chaque membre, essentiellement parce que les causes de la maladie, le trouble de jeu pathologique, proviennent de facteurs multiples et ne peuvent faire l’objet de généralisation. L’opinion de ses experts, les docteurs Robert Ladouceur, psychologue et Fabien Gagnon, psychiatre, est formelle à ce sujet. » Malgré tout, l’honorable juge Banford a autorisé le recours : « [47] En l’instance, il est clair que toutes les questions relatives à la responsabilité contractuelle de l’intimée, sont essentielles à tout recours individuel relié à des circonstances analogues à celles décrites par le requérant. Il y a manifestement intérêt à débattre ces questions dans le cadre d’un recours commun. [48] La problématique associée à la multiplicité des causes du jeu pathologique peut certes générer des difficultés. Toutefois, la souplesse que la loi accorde au Tribunal lors du déroulement du recours ordinaire, notamment en vertu de l’article 1022, permet d’envisager qu’il soit possible de contourner ces embûches soit en révisant le jugement d’autorisation, le modifiant ou l’annulant carrément. […] [53] Au stade préliminaire de la vérification de l’existence des conditions prévues à l’article 1003, il suffit de constater qu’il subsiste d’importantes questions communes de fait et de droit propres à tous les membres du groupe que veut représenter le requérant pour satisfaire à la première condition prévue par la loi. C’est le cas en l’instance. » Il s’ensuit qu’en matière de responsabilité du fabricant, l’existence de questions individuelles ne fait pas obstacle à l’autorisation d’un recours collectif106. Cette conclusion se conforme à l’interprétation large et libérale que donnent les tribunaux québécois aux conditions d’autorisation d’un recours collectif en général. 2.1.4 Conclusion L’interprétation libérale des critères d’autorisation jumelée aux règles de la garantie contre les défauts de sécurité qui favorisent les consommateurs, crée un environnement très propice aux recours collectifs. Les chefs d'entreprise auraient intérêt à adopter des stratégies pour minimiser ces risques. En premier lieu, ceux-ci devraient toujours émettre au public un avertissement des dangers inhérents du produit lui-même ou de son utilisation. Cet avertissement doit être clair, complet et courant107. Ce faisant, il peut réduire le nombre de litiges qui s’ensuivent ou à tout le moins améliorer ses chances d’avoir gain de cause dans l’éventualité où cet avertissement ait été ignoré. Les mêmes avantages peuvent aussi s’appliquer lors d’un rappel de produits dangereux distribués et vendus sur le marché. Lorsqu’un fabricant prend connaissance d’un défaut de sécurité, une réaction rapide pourrait lui permettre de diminuer les risques associés. 2.2 106 107 La responsabilité des autorités gouvernementales et l’obligation de fournir des soins Voir aussi Thibault c. St. Jude Medical Inc., supra note 41; voir aussi Y. LAUZON, Le recours collectif, supra note 8 aux pp. 30-31. Dès que le fabricant prend connaissance d’un défaut de sécurité, il doit en informer les utilisateurs (art. 1473 C.c.Q.). - 21 Le déclin des ressources médicales dans le domaine de santé constitue une source de vulnérabilité pour les médecins et les hôpitaux qui sont les premiers débiteurs de l’obligation de fournir des soins. Plusieurs facteurs contribuent à ce déclin, dont les coupures budgétaires, l’inflation des prix, la population vieillissante, les coûts de recherche et développement, ainsi que la pratique de « médecine défensive »108. Quelles sont les conséquences du manque de ressources sur la responsabilité médicale? Est-ce qu’une conduite fautive sera excusée où les ressources ne sont pas disponibles? De même, quel sera le seuil de responsabilité dans les cas où les ressources sont disponibles, mais ne sont pas utilisées en raison de mesures de compressions budgétaires? Les tribunaux ont déjà discuté de ces questions au niveau de recours individuels. Ils se sont prononcés sur les politiques d’accès prioritaire et les listes d’attentes109, ainsi que les quotas imposés à l’égard de services spécialisés et d’équipements diagnostics110, etc. Les tribunaux ont aussi analysé la responsabilité médicale dans le cadre d’une surcharge de travail due à un manque de personnel111. Le système de santé n’échappera pas à la vague des recours collectifs. Ainsi, la Cour supérieure a autorisé un recours collectif visant les préjudices résultant des soins et services inadéquats livrés par un hôpital qui héberge des bénéficiaires en perte d'autonomie fonctionnelle112. Un recours collectif a aussi été autorisé contre plusieurs centres hospitaliers de soins de longue durée entrepris au nom de résidents qui n’ont pas bénéficié gratuitement d’un service de buanderie pour le lavage de leurs vêtements personnels113. Un recours collectif a été intenté au nom de toutes les personnes atteintes d’un cancer du sein qui, après leur chirurgie subie au Québec n’ont pu obtenir un traitement de radiothérapie dans un délai de huit semaines114. Dans cette affaire, la requérante a mis en preuve plusieurs études qui ont démontré qu’un délai dépassant douze semaines augmentait considérablement le risque de rechute. Les questions collectives du recours soulevaient le droit d’accès aux soins médicaux et l’obligation des hôpitaux et du Gouvernement de les fournir115. La Cour d’appel a autorisé le recours contre les hôpitaux mais l’a refusé contre le gouvernement du Québec. La responsabilité du Gouvernement a aussi été soulevée dans L’Association pour l’accès à l’avortement c. Québec (Procureur général)116, un recours collectif 108 La médecine défensive est une conséquence des risques judiciaires croissants liés aux traitements médicaux. Elle s’exprime en particulier par des mesures inutiles qui sont prises pour écarter le risque de litige ou, si un litige s’ensuit, d’établir un moyen de défense concret. Cette pratique contribue ainsi à l’augmentation des coûts de la santé. 109 Poirier c. Hôpital du Haut Richelieu, [1982] C.S. 511; Jasmin c. Cité de la Santé de Laval, [1990] R.J.Q. 502. 110 Samson c. Hôpital Laval, [1992] R.J.Q. 2438 (C.A.). 111 Houde c. Côté, [1987] R.J.Q. 723 (C.A.). 112 Handicap-Vie-Dignité c. Hôpital St-Charles Borromée, [1999] J.Q. no 5380 (C.S.), REJB 1999-15619. 113 Comité provincial des malades c. Centre hospitalier de soins de longue durée Christ-Roy, [1998] A.Q. no 1346 (C.S.), REJB-1998-05813. 114 Cilinger c. Québec (Procureur Général), [2004] R.J.Q. 2943 (C.A.). 115 Voir aussi M. SAVONITTO, L’émergence des recours collectifs contre l’administration publique : de la théorie à la réalité, 3ième Conférence avancée sur les recours collectifs, Institut Canadien, 22 et 23 février 2006. 116 [2005] J.Q. no 15550 (C.S.), EYB 2005-96847. La responsabilité du Gouvernement a aussi invoqué dans les recours collectifs visant les personnes qui ont été infectées par le virus de l’hépatite C à la suite d’une infusion sanguine. - 22 qui cherche à obtenir des dommages-intérêts du gouvernement sur la base de sa responsabilité pour sa mauvaise gestion de tout ce qui a trait à l’avortement117. On pourrait aussi voir des recours fondés sur le défaut des autorités gouvernementales d’exercer leur devoir de surveillance. Par exemple, dans Doyer c. Canada (Ministre de la Santé)118, la requérante reprochait au Ministère de la Santé d’avoir approuvé pour la vente au Canada des implants mammaires défectueux. Rejetant la requête en irrecevabilité à l’encontre de la demande d’autorisation, l’honorable juge Tingley remarque : « There is nothing in this case to suggest that the manufacturer’s obligations to produce safe and effective products and to warn of any inherent dangers in the use of their products relieves Canada from its own obligations under the Food and Drug Act and its regulations. The source and nature of the obligations that Canada has imposed upon itself under the FDA are distinct from fitness warranties found in contracts or imposed by law upon manufacturers and vendors. Under the FDA, Canada assumed a supervisory function. Canada protects the public health by assessing the safety and efficacy of medical devices before they are released onto the market. This is an important function, especially in the case of medical devices intended to be inserted into the human body. Canada’s role is to prevent dangerous or defective medical devices from being sold on the market. Its failure to do so would not entitle it to set up the manufacturer’s fault to justify indemnification against its own negligence. » 2.3 La responsabilité professionnelle des médecins et du personnel hospitalier Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de recours collectif à ce sujet dans la jurisprudence québécoise119. Toutefois, un recours collectif en responsabilité médicale demeure possible. Par exemple, dans le cadre d’essais cliniques, la standardisation des procédures et des traitements favorise l’existence de questions de droit ou de fait similaires. 3. Les recours à cibles multiples : Est-ce toujours nécessaire d’avoir un lien de droit avec les défendeurs? Est-ce qu’un requérant peut intenter un recours collectif contre plusieurs défendeurs en l’absence d’un lien de droit avec chacun d’entre eux? Même si la question devrait être académique, le débat juridique qui entoure cette question existe bel et bien. Pourtant, il est évident qu’un tel recours va à l’encontre de la règle fondamentale selon laquelle une personne ne peut poursuivre sans avoir un intérêt suffisant. À tout le moins, l’intérêt suffisant suppose un lien de droit direct et personnel avec le défendeur120. En effet, un 117 118 119 120 En outre, la requérante allègue que cet acte médical devrait être couvert par le régime public d’assurance maladie et reproche le gouvernement d’avoir obligé les femmes à en supporter le coût. [2001] R.J.Q. 724 (C.S.). Quelques recours de ce genre ont été intentés en Ontario. Voir par ex. Anderson c. Wilson, 32 O.R. (3d) 400; 37 O.R. (3d) 235; 44 O.R. (3d) 673. Art. 55 C.p.c. - 23 demandeur qui prend un recours selon la procédure ordinaire sans lien de droit avec le défendeur s’expose au rejet de son action121. Lorsque la procédure est prise contre plusieurs défendeurs, le lien de droit doit exister avec chacun d’eux122. De plus, il est bien établi que les dispositions du Code de procédure civile, relatives au recours collectif, sont de nature procédurale et ne créent pas de droit substantif123. Malgré tout, sur la question du lien de droit en matière de recours collectif, la jurisprudence québécoise demeure divisée. D’un côté, on retrouve un courant jurisprudentiel qui exige une application stricte et rigoureuse du critère, tandis que l’autre favorise une interprétation plus flexible. L’incertitude juridique qui prévaut devrait bientôt être réglée par la Cour d’appel124. Néanmoins, nous examinerons entre temps quelques décisions récentes qui illustrent les approches concurrentes125. Commençons avec le courant jurisprudentiel plaidant en faveur d’une application stricte et rigoureuse du critère du lien de droit. Brièvement, cette position se résume comme suit : un requérant doit avoir une cause d’action à l’égard de chacune des parties défenderesses qu’il assigne. Dans l’affaire Bouchard c. Agropur coopérative et al., le requérant a demandé la permission d’intenter un recours collectif au nom des consommateurs qui ont acheté du lait contenant moins de gras que ce qu'exigent les normes réglementaires ou que ce qui est déclaré de façon fausse et trompeuse sur l’emballage. Cependant, M. Bouchard n’avait pas de réclamation individuelle à faire valoir contre chacune des laiteries nommées n’ayant jamais consommé de lait de plusieurs d’entre elles. Le juge Viens examina la question du lien de droit sous le critère de connexité prévu à l’article 1003 a) C.p.c. et refusa d’autoriser M. Bouchard à exercer un recours collectif contre les laiteries de qui il n’avait pas acheté de lait. Il écrit : « [99] Entre autres, il [le requérant] n'affirme pas avoir acheté de lait transformé par Agropur Coopérative ni par Parmalat et encore moins par la Crèmerie des Trois-Rivières. Il n'y a aucun autre requérant qui aurait un lien de droit avec ces usines laitières. C'est ainsi qu'en fonction des faits allégués, et plus particulièrement de l'interrogatoire du requérant André Bouchard, il appert qu'il n'y a aucun élément qui permette de croire prima facie qu'il ait une réclamation individuelle contre les usines laitières intimées, sauf en ce qui concerne Distribution Nutrinor Inc. qui aurait transformé environ 70% du lait qu'il consomme, puisqu'en ce qui concerne toutes les autres, dont certaines auraient transformé l'autre 30%, il n'est pas en mesure d'affirmer avoir acheté du lait transformé par l'une ou l'autre d'entre elles. C'est à notre avis à bon droit que les intimés soumettent que le fait que le requérant désire intenter un recours collectif ne lui confère aucun 121 122 123 124 125 Corporation financière E.J.G. inc. c. Laliberté, [1996] R.D.J. 581 (C.A.); Tamper Corporation c. Johnson Higgins Willis Faber Ltd., [1993] R.R.A. 739 (C.A.); Bourque c. Hétu, [1992] R.J.Q. 960 (C.A.) Canada Mortgage and Housing Corporation c. Turenne, [1988] R.D.J. 139 (C.A.); Towner c. Construction H. Rodrigue Inc., C.S. Québec, 200-05-001401-897, 16 août 1990, J.E. 1990-1371. Bouchard c. Agropur coopérative, [2004] J.Q. no 13863 (C.S.), J.E. 2005-413. Inscription en appel (01 janvier 2005) 200-09-005067-050 (C.A.); Meyer c. National Drug [1991] R.D.J. 133 à la p.136; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand (C.S.N.), [1996] 3 R.C.S. 211 au para. 32; Malhab c. Métromédia C.M.R. Montréal inc., [2003] R.J.Q. 1011 à la p. 1020. Bouchard c. Agropur coopérative, ibid. Pour une discussion plus profonde sur le sujet, voir F. PIERRESTIGER et F. PARÉ, La multiplicité des défendeurs : la nécessité d’un lien de droit existe-t-elle véritablement?, 3e Conférence sur les Recours collectifs, Institut Canadien, 22 et 23 février 2006, Montréal; M. AUDREN et E. ROLLAND, La multiplicité de défendeurs en l’absence d’intérêt et de cause d’action : le recours collectif est-il à la dérive?, Yvon Blais, 2004. - 24 droit substantif additionnel. Il n'acquiert pas les droits des autres membres du groupe proposé. Se pose donc la question de l'apparence de droit sérieuse dont s'infère le requérant pour faire valoir un recours contre les transformateurs de lait dont il n'a pas acheté les produits. [100] Nous sommes donc d'avis que le requérant André Bouchard n'a pas l'intérêt juridique suffisant pour agir pour le compte des acheteurs des produits laitiers autres que ceux distribués par Distribution Nutrinor Inc. étant donné qu'aucune allégation ni aucune affirmation faite lors des interrogatoires ne laissent paraître quelque lien de droit entre lui-même et les autres intimées. [101] Nous sommes d'avis que cette absence de lien de droit entre le requérant et la très grande majorité des parties intimées justifie en soi le rejet de la requête en ce qui concerne la grande majorité des intimées. […] » L’arrêt Bouchard est la seule décision québécoise qui adopte explicitement ce raisonnement quant à l’analyse du lien de droit en matière de recours collectif et la décision fait présentement l’objet d’un appel126. Par contre, l’argument est discuté par de nombreux auteurs127. De plus, l’interprétation rigide du critère du lien de droit est conforme à la solution adoptée par les tribunaux ontariens128. L’année suivant cette décision, la Cour supérieure a opté pour une interprétation plus flexible du critère du lien de droit. Ainsi, dans Billette c. Toyota Canada inc.129, la requérante a demandé la permission d’intenter un recours collectif contre plusieurs fabricants d’automobiles au nom de tous les consommateurs résidant au Québec qui ont acheté ou loué l’une de leurs automobiles. Elle reproche aux fabricants de ne pas avoir mentionné dans leur publicité que des frais d’inscription au Registre des droits personnels et réels mobiliers (le RDPRM) seraient facturés aux acheteurs ou locataires. Selon la requérante, cette omission va à l’encontre de la Loi sur la protection du consommateur. Tout comme le requérant dans Bouchard, la requérante n’avait personnellement aucune cause d’action envers des intimés autres que le fabricant de la voiture qu’elle a louée et à la compagnie de finance qui y était associée. Malgré tout, la Cour supérieure a autorisé le recours collectif. Le juge Delorme a déclaré que l’absence d’un lien de droit entre la requérante et la majorité des intimés ne permet pas nécessairement de rejeter la demande d’autorisation. S’appuyant sur une analyse exhaustive de la jurisprudence, il explique : « [46] Considérant l'état de la jurisprudence sur la question, le tribunal est d'avis que les recours des membres soulèvent ici les questions de fait et de droit identiques, similaires ou connexes identifiées par madame Billette et que l’autorisation d’exercer le recours envisagé ne peut être refusée en raison de la présence d'intimées avec lesquelles madame Billette n'a pas personnellement de lien ou de cause d'action. 126 127 128 129 Supra note 123. La Cour d’appel a entendu l’argumentation des parties le 23 janvier 2006. Voir généralement L. DUCHARME et Y. LAUZON, Le recours collectif, Service de Formation Permanente, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1985 à la p. 210; P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d'accès à la justice pour les consommateurs, Éditions Thémis, Montréal, 1996 à la p. 341; Y. LAUZON, Le recours collectif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001 aux pp. 25-26; M. BOUCHARD. L’autorisation d’exercer le recours collectif, (1980) 21 C. de D. 855 à la p. 873. Voir notamment Ragoonanan Estate c. Imperial Tobacco Canada Ld. (2000), 51 O.R. (3d) 603. [2005] J.Q. no 12297 (C.S.), J.E. 2005-1734. - 25 [47] Il faut en effet retenir de la jurisprudence que, dans la mesure où un recours collectif soulève une ou des questions importantes communes à tous les membres du groupe, il doit être autorisé malgré l'absence de cause d'action du représentant à l'endroit de chacune des parties défenderesses. Essentiellement, il faut se demander si les membres du groupe peuvent faire valoir la même cause d'action à l'encontre des parties défenderesses à qui on reproche d'avoir agi de la même manière130. » L’approche flexible, on le voit, s’appuie surtout sur des considérations pratique. En effet, la jurisprudence souligne que le recours collectif a d’abord comme objectif d’éviter une multiplicité de recours portant sur la même cause d’action. À cet effet, le juge Delorme écrit : « [48] Plutôt que d’envisager une multiplicité de recours collectifs pouvant éventuellement être joints, comme le suggèrent certaines intimées, le tribunal croit plus approprié d’autoriser le présent recours, estimant sa révision possible ou la modification du groupe, le cas échéant, aux termes de l’article 1022 C.p.c. »131 La décision du juge Delorme a récemment été suivie dans Option Consommateurs c. Union Canadienne et al.132. Dans cette affaire, l’honorable juge Julien a permis que soit intenté un recours collectif contre plusieurs compagnie d’assurance, bien que le membre désigné n’était assuré que par l’une d’elle : « [168] Les requêtes en irrecevabilité identifient une embûche posée par le recours collectif dont les requérants veulent obtenir l’autorisation. [169] Cette embûche est celle de la présence de plusieurs intimées avec lesquelles Lavergne n’a personnellement aucun lien de droit. Cette difficulté a précisément été discutée par notre collègue, le juge Michel Delorme, dans un jugement prononcé le 25 août 2005[32]. Le Tribunal fait siens les propos du juge Delorme. […] [172] Le juge Delorme recense plusieurs recours collectifs autorisés, malgré l’absence d’intérêt ou de cause d’action du représentant du groupe à l’égard de certains intimés. Il faut souligner que, dans le présent dossier, cette difficulté est amoindrie par le statut de représentant réclamé par Option consommateurs et non par Lavergne. La mission d’Option consommateurs est dédiée à la défense des droits des consommateurs en général, ce qui lui permet une structure organisationnelle accessible et disponible pour l’ensemble des personnes désignées dans chacun des recours en suspens et pour lesquels un sous-groupe pourrait être constitué, le cas échéant. » 130 131 132 Voir aussi Comité provincial des malades et al. c. C.H.S.L.D. Christ-Roi et al., supra note 113; Le Comité provincial des malades et Cantin c. Le Regroupement des CHSLD Christ-Roi (22 décembre 2005) Montréal 50006-000064-986 (C.S.); Meese c. Corporation Financière Globex, [1999] J.Q. no 5657, REJB 1999-16409, appel rejeté, (25 avril 2001) Montréal 500-09-009138-009 (C.A.), REJB 2001-23910 : La Cour d’appel n’a toutefois pas traité de la présence de plusieurs parties défenderesses. Ainsi, le jugement de première instance avait refusé l’exercice du recours collectif contre un comptable, des avocats et les procureurs généraux du Canada et du Québec. Le rejet a été confirmé par la Cour d’appel. Demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême rejetée, no 28673, 10 janvier 2002. Voir aussi Teixeira c. Tetra Vision inc. et al., [2001] J.Q. no 1219, REJB 200123492; Option Consommateurs et al. c. Assurances générales des Caisses Desjardins et al., [2005] J.Q. no 13243, REJB 2001-25788; Union des consommateurs et Billette c. Hyundai Motor America, C.S. Montréal, 50006-000184-024, 20 juin 2003; Cilinger c. Centre hospitalier de Chicoutimi et al., supra note 114; Option Consommateurs et Lavergne c. Union Canadienne et al., [2005] J.Q. no 16872, EYB 2005-97774. Meese, ibid. au para. 97; Caisses Desjardins, ibid. aux paras. 50-51; Hyundai Motor America, ibid. au para. 19. Option Consommateurs c. Union canadienne, supra note 130. - 26 La juge Julien, suivant en cela d’autres jugements rendus auparavant, s’est donc rassurée de la présence d’un groupe de défense des consommateurs qui lui, peut comprendre des membres qui ont un lien de droit avec les défendeurs. « [51] La procédure est évidemment importante. Elle encadre tous les recours y compris le recours collectif. La règle du lien de droit est importante en toute action. Le défaut ici que l'on allègue d'une absence de lien de droit quant à deux (2) des intimées ne peut avoir la même portée compte tenu du contexte que nous venons de décrire. La présence, à titre de requérante, de Option Consommateurs, permet de rejoindre des gens qui ont le lien de droit requis, fut-ce à ce stade, indirectement. Il serait étonnant de détruire l'objectif du recours collectif pour une stricte question de procédure, répétons-le, très technique. » 133 Avec égards, cet argument n’est pas convaincant. La question du lien de droit est une question qui va au-delà de la connexité énoncée à l’article 1003 a) C.p.c. Avec respect pour l’opinion contraire, c’est le critère d’apparence de droit (1003 b) C.p.c.), qui fait obstacle à l’autorisation du recours dans un tel cas. La présence de questions communes à tous les membres du groupe et la question du lien de droit sont deux conditions distinctes qui doivent chacune être satisfaites. Autoriser un recours collectif contre une pluralité de défendeurs, alors que la requérante n’a pas de lien de droit avec chacun d’entre eux, viole non seulement la règle fondamentale quant à l’intérêt suffisant, mais fait aussi disparaître le critère d’apparence de droit édicté à l’article 1003 b) C.p.c. Comme il a été mentionné ci-dessus, la Cour d’appel se penchera bientôt sur la question. Vu l’importance que cette question revêt et l’incertitude qu’elle entraîne, ce jugement est attendu avec beaucoup d’impatience. Le Québec se distingue déjà des autres provinces comme étant un « paradis pour les recours collectifs ». Si la Cour d’appel souscrit à une interprétation plus flexible du lien de droit, les entreprises faisant affaires au Québec seront de plus en plus désavantagées. Ainsi, le simple fait d’être actif dans une industrie augmentera leur susceptibilité à ce type de recours. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx 4. Les classes nationales et internationales : Peut-on envisager des classes nationales ou internationales en droit québécois? Une classe nationale ou internationale réfère à une classe dont les membres sont répartis dans plusieurs provinces ou pays. La création d’une telle classe reflète nécessairement la réalité de l’économie moderne qui est caractérisée par la mondialisation des échanges économiques, la distribution transfrontalière des produits et du cyberespace. Toutefois, cette créature pragmatique soulève des questions importantes quant à la compétence des tribunaux à certifier un recours qui comprend des membres non-résidents. À ce point-ci, un exemple permettrait d’illustrer la complexité de ce sujet. Imaginez qu’un nouveau traitement contre le cancer du sein est maintenant offert aux États-Unis. Jugeant ce traitement avantageux pour ses résidents, le Gouvernement du Québec signe une entente avec le Vermont par laquelle ses patients atteints d’un tel cancer recevront leurs traitements à une 133 Option Consommateurs et al. c. Assurances générales des Caisses Desjardins et al., REJB 2001-25788 (C.S.) - 27 clinique du Vermont, sous le régime de la Régie de l'assurance maladie du Québec, jusqu’au jour où la province est en mesure d’offrir le traitement elle-même. Étant donné que les autres provinces n’ont pas conclu d’ententes similaires, plusieurs de leurs résidents se déplacent au Vermont, à leurs frais, pour recevoir le traitement. Quelques années plus tard, on découvre que le traitement a des effets secondaires dangereux. Peu après cette découverte, une femme résidente du Québec intente un recours collectif contre la clinique du Vermont, et ce, au nom de tous les Canadiens qui ont été traités à cette clinique et qui, en conséquence, ont subi un préjudice. Ce scénario soulève une multitude de questions : est-ce qu’il y a un lien suffisant entre le forum et les membres non-résidents qui permet d’établir la compétence de la Cour supérieure? Le fait que la clinique américaine n’a aucune présence au Québec rend-il ce lien, si en fait il existe, ténu? La compétence du tribunal doit-elle être établie à l’égard de chacun des membres proposés ou de manière globale pour l’ensemble du groupe? Quel est l’effet du jugement final sur les personnes visées par ce recours qui ne se sont pas expressément exclues de la classe? Quel est l’effet de la certification du recours collectif et du jugement final à l’égard d’un ou des recours collectif(s) intenté(s) dans une autre province canadienne visant une classe similaire ou une classe plus restrictive? La Loi sur les recours collectif134, tout comme sa contrepartie ontarienne135, ne contient aucune mention spécifique à l’égard des non-résidents136. Par contre, la jurisprudence canadienne et québécoise s’est prononcée amplement sur la question de la classe nationale dans le cadre du droit international privé. Comme nous le verrons ci-dessous, les tribunaux étudient cette problématique à la lumière des principes de la courtoisie, d’ordre et d’équité énoncés dans les décisions Morguard Investment Ltd. c. De Savoye137 et Hunt c. T&N plc138 de la Cour suprême du Canada139. 4.1 134 La classe nationale au Canada et au Québec Supra note 1. Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6. 136 Bien que l’article 38 de la loi québécoise prévoie la possibilité de décréter des dispositions réglementaires au sujet du financement des non-résidents, aucun règlement n'a été adopté à ce jour sur ce sujet. 137 [1990] 3 R.C.S. 1077. 138 [1993] 4 R.C.S. 289. 139 Un bref résumé du contexte constitutionnel s’avère utile dans l’instance. Le partage des pouvoirs entre les provinces est délimité par le principe de territorialité : les provinces n’ont pas de pouvoir extraterritorial et, en conséquence, elles ne peuvent légiférer que pour leur territoire : voir Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63 au para. 51. On retrouve trois chefs de compétence par laquelle une province peut légiférer à l’égard d’un régime de recours collectifs : la propriété et les droits civils dans la province (92(13)), l’administration de la justice dans la province – ce qui comprend la création de tribunaux ayant juridiction civile et la procédure en matières civiles (92(14)) et toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province (92(16)). Malgré le principe de territorialité, les pouvoirs « exclusifs » des provinces ne sont toutefois pas absolus. Or, une loi provinciale peut avoir un effet extraterritorial pourvu que cette portée extraterritoriale soit accessoire au caractère véritable de la loi139. De plus, les lois provinciales qui ont trait au droit international privé ouvrent aussi la porte aux effets extraterritoriaux accessoires. 135 - 28 La première classe nationale au Canada a été autorisée en Ontario dans Natais c. Telectronics Proprietary (Can.) Ltd.140. Dans cette affaire, le requérant a intenté un recours collectif contre un fabricant de stimulateurs cardiaques au motif que l’appareil était dangereux et ce, au nom de tous les Canadiens portant cet appareil141. La partie défenderesse s’est opposée à l’étendue nationale de la classe en raison de la portée extraterritoriale du jugement. Après avoir discuté cet argument, le juge Brokenshire a conclu que, au stade d’autorisation, la possibilité d’un débat juridictionnel quant au non-résident ne pouvait constituer un obstacle à la certification de la classe proposée. Il s’est prononcé sur la convenance et la désirabilité de la classe nationale en invoquant les principes de courtoisie, d’ordre et d’équité énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Morguard142 et Hunt143. Bien que le juge Brokenshire n’ait pas élaboré sur le lien réel et substantiel entre les réclamations des membres de la classe et la province, on peut déduire que les questions communes quant à la responsabilité du fabricant et le fait que tous les stimulateurs cardiaques vendus au Canada avaient été mis en marché en Ontario constituaient une connexion suffisante144. Enfin, il a autorisé le recours collectif sous la formule d’ « optingin », ce qui confirme la reconnaissance de l’autorité ontarienne à l’égard des membres nonrésidents. En appel, le juge Zuber a confirmé les principes énoncés par le juge Brokenshire et s’est adressé plus profondément aux inquiétudes face à la classe nationale, tel que les différences entre les régimes juridiques applicables. À cet égard, il a jugé que dans le cadre de la responsabilité civile du fabricant, les différences étaient spéculatives145. Par contre, il a toutefois reconnu la possibilité d’amender le groupe en cas de preuve de différences importantes. Quant aux conflits potentiels entre des recours collectifs parallèles intentés dans d’autres provinces, le juge Zuber a noté que l’ordonnance de certification pouvait toujours être amendé pour exclure les autres groupes de la classe nationale146. 140 (1995), 25 O.R. (3d) 331 (Gen. Div.), permission d’appeler refusée (1995) 40 C.P.C. (3d) 263. Plusieurs études ont démontré que les sondes implantées avaient un taux de fracturation élevé (16-25%) et qu’une fracturation pouvait causer des blessures très graves, dont la ponction du cœur. 142 Supra. Dans cette l’affaire, le juge LaForest a reconnu la nécessité d’étendre la juridiction des tribunaux provinciaux dans la mesure de faciliter la circulation de richesses, des techniques et des personnes dans la fédération canadienne. Toutefois, il a aussi jugé nécessaire d’imposer des limites sur l’exercice de juridiction sur des personnes qui sont hors de la province. Or, il a avancé le test du lien réel et substantiel entre la province comme moyen d’équilibrer les intérêts des parties. L’analyse du lien réel et substantiel doit se faire à la lumière du principe d’ordre qui milite en faveur la sécurité des transactions et le principe d’équité envers le défendeur. Ainsi, l’application du principe de courtoisie envers la souveraineté d’une province favorise une reconnaissance plus complète et généreuse des décisions de ses tribunaux, pourvu qu’ils aient correctement exercé leur compétence. 143 Supra. La décision Hunt a confirmé les principes énoncés dans l’affaire Morguard et les a élevés au rang d’impératif constitutionnel. 144 Voir par ex. la décision de la juge Roy dans HSBC Bank Canada c. Hocking (27 janvier 2006) Montréal 500-17026938-053 (C.S.), 2006 QCCS 330. Inscription en appel (24 février 2006), 500-09-016435-067 (C.A.). 145 Les régimes provinciaux de négligence et de responsabilité civile quant aux produits défectueux et la responsabilité du fabricant étant similaires. 146 La Cour d’appel a refusé la permission d’appeler la décision du juge Zuber, (1996), 7 C.P.C. (4th) 20) (Ont. C.A.). 141 - 29 Les décisions qui suivent l’affaire Natais en ont confirmé les principes147. Ainsi, dans l’arrêt Carom c. Bre-X Minerals Ltd.148, le juge Winkler a certifié un recours collectif au nom de toutes les personnes au Canada qui se sont procurées des actions de Bre-X Minerals Ltd. Contrairement à la décision Natais, le juge Winkler s’est prononcé d’une manière directe sur le test de juridiction, déclarant que les décisions de Morguard et Hunt permettent l’application extra-territoriale d’une législation provinciale pourvu que la province en question ait un lien réel et substantiel avec l’objet de l’action et que son application s’accorde avec les principes d’ordre et d’équité. Ce lien a été reconnu par le fait que la présence et les activités du défendeur étaient en Ontario et que les actions de Bre-X Minerals Ltd. étaient transigées sur le marché de la bourse de Toronto. Dans Wilson c. Servier Canada Inc. la cour a étendu encore plus la juridiction des tribunaux en déclarant qu’un lien réel et substantiel entre une partie des membres de la classe et le forum était suffisant pour établir un lien réel et substantiel pour toute la classe149. Au Québec, la possibilité d’inclure des membres non-résidents dans un recours collectif ne soulève pas nécessairement de difficultés au niveau du droit international privé ou constitutionnel. Tant que le tribunal québécois saisi de l’action a la compétence requise pour en disposer, l’inclusion des non-résidents dans un recours collectif n’est pas contentieuse150. Cependant, le débat constitutionnel fait surface lorsqu’un tribunal autorise l’inclusion des nonrésidents, malgré le fait qu’ils n’auraient pas pu, individuellement, présenter leurs réclamations devant ce tribunal. Or, une étude de la jurisprudence québécoise à ce sujet confirme que la compétence du tribunal doit être établie à l’égard de chacun des membres non-résidents. Dans Werner v. SAAB-Scania151, le requérant voulait certifier un recours collectif contre le fabricant des véhicules SAAB, alléguant un vice caché dans certains modèles. Il a proposé comme classe toutes les personnes au Canada qui se sont procurées ces modèles. En discutant l’article 68 C.p.c., le juge Benoît a noté qu’un recours collectif pouvait être intenté au nom des personnes non-domiciliées au Québec pourvu que chacune d’entre elles établisse que sa cause d’action ait pris naissance au Québec ou que son contrat y ait été conclu152. Dans l’espèce, le requérant avait omis d’identifier quels acheteurs avaient une cause d’action née au Québec, de même que ceux qui ont conclu l’achat hors de la province. N’ayant pas l’information nécessaire 147 148 149 150 151 152 Voir généralement Harrington c. Dow Corning Corp. (1997) 29 B.C.L.R. (3d) 88 (C.S.); Carom c. Bre-X Minerals Ltd., (1999) 43 O.R. (3d) 441 (Gen. Div.); Webb c. K-Mart Canada Ltd et al. (1999), 45 O.R. (3d) 389 (Gen. Div.); Wilson c. Servier Canada Inc. (2000), 50 O.R. (3d) 219 (Gen. Div.); Hoy c. Meditronic (2001), 94 B.C.L.R. (3d) 169 (C.S.); Punit c. Wawanesa Mutual Insurance Co., [2005] O.J. No. 1928 (C.S.J.); Lieberman c. Business Development Bank of Canada, [2006] B.C.J. No. 337 (CSCB). Carom, supra. Wilson, supra 65. L’exercice de juridiction expansive par les tribunaux ontariens a été critiqué à plusieurs reprises. Voir par ex. Patricia D.S. Jackson, “The National Class under the Class Proceedings Act, 1992 : Unsettled Issues” dans Carol Hansell, Robin J. MacKnight, Gary R. Shiff & Alison J. Youngman, LSUC Special Lectures 2004: Corporate and Commercial Law, Irwin Law (2005) 471; F. Paul Morrison, Eric Gertner, & Hovsep Afarian, “The Rise and Possible Demise of the National Class in Canada” (2004) 1 C.C.A.R. 67. La compétence des autorités québécoises dans les actions personnelles à caractère patrimonial est stipulée à l’art. 3148 C.c.Q. Avant l’entrée en vigueur des dispositions sur le droit international privé, la compétence des autorités québécoise quant à la possibilité d’inclure des non-résidents était décidée en vertu de l’art. 68 C.p.c. [1980] C.S. 798. Ibid. à la p. 801. - 30 pour définir le groupe d’acheteurs résidant au Québec, et se basant sur plusieurs autres motifs, la Cour a refusé l’autorisation153. Plus récemment, la Cour supérieure a réaffirmé, avec ténacité, que la compétence des tribunaux québécois en matière de classe nationale (i.e. l’existence d’un lien réel et substantiel entre les résidents du Québec et la juridiction) doit être analysée à l’égard de chacun des membres proposés. En fait, la question en litige dans l’arrêt HSBC Bank Canada c. Hocking154 portait sur la reconnaissance et l’exécution, au Québec, d’un jugement ontarien qui a certifié une classe nationale dans un recours collectif intenté contre la banque HSBC et, subséquemment, qui a entériné une entente conclue entre les parties155. En mars 2003, M. Hocking a intenté un recours collectif contre HSBC au nom de tous les Canadiens ayant remboursé par anticipation un prêt hypothécaire et qui, en conséquence, ont payé une pénalité. Le 9 novembre 2004, les parties ont participé à une médiation judiciaire qui a mené à une entente de principe. Avant la rédaction de l’entente finale, M. Haziza a intenté un recours parallèle contre HSBC au Québec, mais seulement au nom des résidents de la province. Suite à l’avis d’attestation et de l’approbation d’entente ordonnés par le tribunal ontarien, M. Haziza a déposé une demande d’intervention devant la Cour supérieure de l’Ontario dans laquelle il s’objectait à la compétence du tribunal ontarien quant aux réclamations des membres québécois et, dans le cas où le recours ontarien serait certifié, demandait que les membres québécois soient exclus de la classe nationale. Rejetant cette demande d’intervention, le tribunal ontarien a procédé à certifier le recours et à approuver l’entente finale entre les parties. La Cour supérieure du Québec a refusé de reconnaître le jugement ontarien au motif que le tribunal ontarien n’avait pas de compétence sur le recours intenté au nom des membres résidant au Québec. Or, il n’était pas suffisant qu’un nombre substantiel des membres soient résidents de l’Ontario. S’appuyant principalement sur la jurisprudence ontarienne, la juge Roy explique : 153 154 155 Ce jugement a été porté en appel : (1982) no. 500-09-0015-800, J.E. 82-277 (C.A.). La Cour n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la question de juridiction. Toutefois, elle a précisé que même si la classe était amendée et que seules les personnes qui ont acheté leurs véhicules au Québec soient inclues, la Cour n’aurait pas autorisé le recours collectif. Au sujet de la compétence de tribunaux québécois sur les classes nationales, voir Masson c. Thompson (29 janvier 1992) Montréal 500-06-000005-914 (C.S.), EYB 1992-74862. Par la suite de la faillite de la compagnie Comterm Inc., les ex-employés de la compagnie cherchaient à récupérer des administrateurs, le salaire et toutes les indemnités leur étant dus. La Cour supérieure a reconnu l’existence d’un lien réel et substantiel entre les réclamations du requérant et le forum et ce, en vue des faits générateurs communs de la cause d’action. De plus, la compagnie avait son siège social au Québec et administrait l’ensemble de ses affaires de Montréal . Voir aussi Proulx c. Pyser, [1985] R.D.J. 47, où la Cour d’appel a refusé de se prononcer sur la question de juridiction qui a été soulevée en première instance. Or, la Cour supérieure avait rejeté la requête d’autorisation en raison, entre autres, que les intimés n’avaient ni domicile, ni résidence, ni place d’affaires dans la province. Voir aussi Bolduc c. Compagnie Montréal Trust, [1985] no. 500-09-000957-878 (C.A.) où la Cour a rejeté l’appel de la décision du juge de première instance refusant l’autorisation du recours collectif au motif qu’il n’y avait pas d’intérêt commun entre les membres de la classe proposée. De plus, le juge était réticent d’appliquer les lois de plusieurs juridictions différentes et doutait de la capacité de fournir aux membres non-résidents une façon efficace d’exclusion (i.e. opting-out). Supra note 66. Bien que la question en litige porte sur la reconnaissance d’un jugement étranger, nous estimons que les principes juridictionnels énoncés s’appliquent également à l’autorisation d’une classe nationale par un tribunal québécois. - 31 « Une étude attentive des autorités soumises par les parties démontre que, dans la plupart des cas où les tribunaux ont conclu à l'existence d'un lien réel et substantiel dans le cadre de recours collectifs comprenant des membres résidant dans plusieurs provinces, ce lien existait entre le forum, l'action et chacun des membres du groupe156. » Elle continue : « L'exercice collectif des droits n'a pas étendu les facteurs de rattachement qui doivent nécessairement exister, entre le forum saisi et la demande de chacun des membres, pour asseoir la compétence du tribunal157. » Cela dit, la juge précise que pour les membres québécois de la classe nationale, les activités de HSBC, ainsi que la faute commise et le préjudice subi, étaient situés au Québec et non dans l’Ontario. Considérant ces faits, le tribunal ontarien n’aurait pas dû exercer sa juridiction auprès d’eux. D’après elle, une conclusion au contraire forcerait les membres non-résidents à s’intégrer à un recours collectif intenté dans une autre province, ce qui irait à l’encontre des principes d’ordre et d’équité prononcés dans l’arrêt Morguard158. 4.2 Un mot sur la classe internationale Retournons à l’exemple du recours collectif contre la clinique du Vermont, mentionné ci-dessus. Imaginez qu’un recours collectif ait été intenté par un résident du Vermont contre la clinique en question et ce, au nom de tous les Américains et Canadiens y ayant reçu leurs traitements. Peu après son autorisation, un tribunal du Vermont a approuvé un règlement qui a été conclu entre les parties. Est-ce que ce jugement a l’effet de « choses jugées » quant au recours collectif intenté au Québec? Trois décisions récentes, dont celle de HSBC c. Hocking discutée ci-dessus, se sont prononcées sur des demandes de reconnaissance de jugements étrangers en recours collectifs. Par contre, la première décision se distingue des autres du fait qu’elle a trait à une classe internationale. L’affaire Currie c. MacDonald159 examine l’interaction entre des recours collectifs intentés au Canada et aux État-Unis, ainsi que l’application extraterritoriale d’un règlement entériné par un tribunal américain. Un recours collectif a été intenté en Illinois contre McDonald’s et une entreprise de marketing, dans lequel le requérant a allégué des irrégularités dans l’administration des concours promotionnels. Bref, les parties ont conclu un règlement qui devait s’appliquer à tous les membres, incluant ceux du recours collectif canadien. La Cour d’appel de l’Ontario 156 Supra note 66 au para. 45. Ibid. au para. 54. 158 Supra note 66 au para. 78. La Cour suprême du Canada, dans Spar Aerospace Ltd. c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205, confirme que les règles de droit international privé stipulées dans le C.c.Q. doivent être interprétées de sorte qu’elles assurent le respect du critère du lien réel et substantiel. Ainsi, au paragraphe 23, la Cour explique : « Au Québec, en raison de la codification des règles du droit international privé, les tribunaux doivent interpréter ces règles en examinant d'abord le libellé particulier des dispositions du C.c.Q. et ensuite en cherchant à savoir si leur interprétation est compatible avec les principes qui sous-tendent les règles. Comme les dispositions du C.c.Q. et du C.p.c. ne renvoient pas directement aux principes de courtoisie, d'ordre et d'équité, et qu'au mieux ces principes y sont vaguement définis, il est important de souligner que ces derniers ne constituent pas des règles contraignantes en soi. Elles servent plutôt de guide à l'interprétation des différentes règles de droit international privé et renforcent le lien étroit entre les questions en litige. » 159 [2005] 74 O.R. (3d) 321. 157 - 32 devait se prononcer sur l’étendue du jugement américain. Est-ce que M. Currie, qui a intenté un recours collectif contre McDonald’s au Canada, était lié par le règlement? Le juge Sharpe a précisé qu’avant de reconnaître un jugement étranger, il faut s’assurer que le tribunal étranger ait proprement exercé sa compétence et que les intérêts des non-résidents aient été suffisamment protégés160. Il explique : “To determine whether the assumption of jurisdiction by the foreign court satisfies the real and substantial connection test and the principles of order and fairness, it is necessary to consider the situation from the perspective of the party against whom enforcement is sought161.” Confirmant la décision de la Cour supérieure, la Cour a trouvé un lien réel et substantiel162 entre la cause d’action et le tribunal étranger. Ainsi, la faute a été commise en Illinois où se trouve le siège social de McDonald’s s’y trouvait. Toutefois, l’analyse des principes d’ordre et d’équité a dévoilé un manquement auprès de la protection des intérêts des non-résidents. La Cour a jugé que les avis publiés au Canada, suite au jugement d’approbation, ne respectaient pas le critère de due process163. En conséquence, il aurait été injuste d’imposer le jugement américain sur les membres canadiens. Les décisions de Lépine c. Société canadienne des postes et Cybersurf Corp.164 et HSBC c. Hocking165 se sont adressées sur la même question, sauf au niveau des classes nationales. Nous retrouvons dans ces décisions la même préoccupation quant à la protection des intérêts des nonrésidents. Invoquant les principes d’ordre et d’équité, la Cour dans Lépine a refusé de reconnaître le jugement ontarien au motif que les avis ontariens étaient insuffisants et confondants. De même, la Cour dans Hocking a conclu qu’elle ne pouvait reconnaître le jugement ontarien approuvant le règlement du recours collectif au motif, entre autres, que l’avis faisait preuve de plusieurs manquements166. Conclusion Le domaine médical n’échappe pas à la popularité des recours collectifs. Or, la jurisprudence confirme la croissance de recours collectifs contre les compagnies pharmaceutiques et de biotechnologie, les centres hospitaliers et le Gouvernement. D’ailleurs, l’attrait du recours collectif dans une action de responsabilité du fabricant est indéniable vu le grand nombre de personnes qui peuvent être lésées par un produit défectueux ou dangereux. En ce qui a trait à la 160 Ibid. au para. 17. Ibid. au para. 18. 162 Dans l’arrêt Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’exigence d’un lien réel et substantiel s’applique tant à l’égard des jugements des autres provinces canadiennes que des jugements provenant d’autres pays. 163 L’avis pour le Canada « anglais » à été publié uniquement dans la revue Maclean’s Magazine. 164 (20 juillet 2005) Montréal 500-06-000152-021 (C.S.). 165 Supra note 66. 166 Ainsi, l’avis a seulement été publié une fois. De plus, il ne mentionnait la somme envisagé par le règlement ne serait pas payée au membre, mais seulement à des organisations caritatives. 161 - 33 responsabilité médicale, le déclin des ressources médicales expose la vulnérabilité des centres hospitaliers et des médecins au recours collectif. Considérant l’importance de ce type de recours dans le domaine médical, il y a lieu de se familiariser avec les développements récents à son égard. Il va sans dire que l’exercice d’un recours collectif au Québec est facilité par l’interprétation large et libérale des tribunaux quant aux critères d’autorisation prévus à l’article 1003 C.p.c., ainsi que par la réforme portée à l’article 1002 C.p.c. qui favorise d’autant plus la partie requérante. Cependant, l’arrêt Piro167 représente un brin d’espoir pour les parties poursuivies. L’exigence d’établir des faits suffisamment précis quant à l’apparence de droit s’approche de la fonction initiale du processus d’autorisation, soit celle de filtrage et de vérification des demandes. Toutefois, cette décision a été portée en appel; il reste à voir si la Cour d’appel maintiendra cette exigence. La jurisprudence est divisée sur la question de recours collectif contre les cibles multiples. Pourtant, il semble logique qu’un requérant ait une cause d’action à l’égard de chacun des défendeurs qu’il assigne. Cependant, les tribunaux québécois ont autorisé des recours contre plusieurs défendeurs et ce, même si le requérant n’avait pas un lien de droit avec chacun d’entre eux. Ceci va à l’encontre non seulement de la règle fondamentale par laquelle une personne ne peut poursuivre sans avoir un intérêt suffisant avec le défendeur, mais fait aussi disparaître le critère d’apparence de droit stipulé à l’article 1003 b) C.p.c. Encore une fois, nous attendons avec impatience le jugement de la Cour d’appel à ce sujet. La classe nationale existe bel et bien au Canada. Au Québec, tant que le tribunal ait la compétence requise pour en disposer, l’inclusion des non-résidents dans un recours collectif n’est pas contentieuse. A cet effet, la jurisprudence confirme que la compétence du tribunal doit être établie à l’égard de chacun des membres non-résidents. Sur ce point, le Québec se distingue de la jurisprudence ontarienne qui juge le lien réel et substantiel entre une partie des membres de la classe et le forum est suffisant pour établir un lien réel et substantiel pour toute la classe. En principe, la class internationale peut être envisagée et, ce, en vertu de l’arrêt Beals. Toutefois, la reconnaissance des jugements étrangers qui comprennent les classes internationales dépend largement sur le respect du critère de due process. Ainsi, les tribunaux n’hésitent pas à repousser les jugements étrangers lorsque les intérêts des non-résidents ne sont pas suffisamment protégés. 167 Supra note 38.