STEPHEN HARPER
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STEPHEN HARPER
FRÉDÉRIC BOILY Biographie STEPHEN HARPER La fracture idéologique d’une vision du Canada Stephen Harper La fracture idéologique d’une vision du Canada Collection Agora canadienne dirigée par Jean-François Caron Le façonnement de la société canadienne est intimement lié à de nombreux intellectuels qui lui ont donné forme et qui ont cherché à l’influencer à partir d’une vision du bien commun qui leur était propre. Que ce soit pour des considérations liées à l’unité nationale, à la gestion du pluralisme ethnoculturel, au nom d’une cohabitation équitable entre ses peuples ou d’une société plus juste, la réflexion de ces personnes a permis de donner une orientation à notre société que l’on ne peut pleinement apprécier sans une fine compréhension du sens profond de leur pensée. La collection « Agora canadienne » cherche précisément à faire connaître ces hommes et ces femmes qui ont donné une substance intellectuelle à ce qui caractérise les idées qui animent la société politique canadienne. Cette nécessité est d’autant plus pertinente que ces idées sont au cœur des grands débats politiques qui ont cours au sein de notre société. Dans cette perspective, leur compréhension est une condition sine qua non à une sphère publique informée. Cette collection considère que le monde des idées doit être accessible au plus grand nombre de personnes et non pas simplement à une minorité. Frédéric Boily Stephen Harper La fracture idéologique d’une vision du Canada Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : ISBN : 978-2-7637-3114-8 PDF : 9782763731155 © Les Presses de l’Université Laval 2016 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 4e trimestre 2016 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l'autorisation écrite des Presses de l'Université Laval. Table des matières Introduction Un désaccord idéologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Une vision politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Un portrait intellectuel et politique . . . . . . . . . . . . . . 6 Chapitre 1 Les fondements intellectuels d’une vision politique . . . . 13 Un homme politique de droite, mais de quelle droite ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 L’influence de l’économie politique libérale . . . . . . . . 20 La question de l’influence religieuse . . . . . . . . . . . . . 37 Stephen Harper et l’imaginaire du néototalitarisme . 44 Chapitre 2 Stephen Harper et le rôle de l’État canadien . . . . . . . . . . 59 Le mouvement réformiste contre le consensus libéral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 La réforme de l’État libéral canadien . . . . . . . . . . . . . 69 Le Canada comme puissance pétrolière : un projet avorté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Une démocratie canadienne affaiblie ? . . . . . . . . . . . . 89 V VI STEPHEN HARPER – LA FRACTURE IDÉOLOGIQUE D’UNE VISION DU CANADA Chapitre 3 Le fédéralisme d’ouverture et la refondation de l’identité nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Le fédéralisme selon les conservateurs . . . . . . . . . . . . 98 Le fédéralisme selon Stephen Harper . . . . . . . . . . . . . 102 Stephen Harper et le nationalisme québécois . . . . . . 111 Une nouvelle identité nationale ? . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Conclusion Les années Harper . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Un premier ministre parmi ses pairs . . . . . . . . . . . . . 138 Un premier ministre de transformation ? . . . . . . . . . . 142 Bibliographie sélective sur les années Harper . . . . . . . . . 149 C eux qui font profession d’analyser les mouvements idéologiques et les partis politiques savent que le travail de réinterprétation est un éternel recommencement, qu’il est toujours nécessaire de réévaluer un courant ou une figure politique sous un angle inédit ou à la lumière des changements qui agitent les sociétés. Les idées d’un auteur ou d’un politicien sont travaillées par des dynamiques sociales changeantes qu’il est nécessaire de soumettre à la loupe de la critique. C’est pourquoi le présent ouvrage actualise les propos publiés antérieurement dans des textes académiques et d’opinion qui examinaient diverses dimensions du mouvement conservateur canadien. Mais ils n’ont pas été mécaniquement reproduits, tous ayant fait l’objet d’une réécriture et d’ajouts afin de les fondre dans un nouvel ensemble. Le but est d’offrir une biographie intellectuelle d’un premier ministre témoin de l’évolution politique canadienne des premiers moments du xxie siècle naissant. De manière plus précise, voici les textes remaniés qui ont été intégrés dans cet ouvrage : , « Le Canada comme superpuissance énergétique : évanouissement d›un projet national ? », CPSA/ACSP, Ottawa, 2 juin 2015, non publié. , « The Harper Government: True Blue Conservative or Liberal Lite ? », TransCanadiana, vol. 7, 2015, p. 13-31. VII VIII STEPHEN HARPER – LA FRACTURE IDÉOLOGIQUE D’UNE VISION DU CANADA , « Stephen Harper : une décennie de pouvoir qui a changé le Canada », Liberté, no 309, automne 2015, p. 46-51. , « Les conservateurs canadiens, la question d’Israël et l’antisémitisme », Études internationales, volume XLV, no 4, décembre 2014, p. 579-600. , « Fédéralisme et fédération selon les conservateurs (1957-2011) » version anglaise : « Federalism and the Federation according to Conservatives (1957-2011) », site L’idée fédérale, 2013. , « Preston Manning : pour un patriotisme juridique canadien », D’une nation à l’autre : discours nationaux au Canada : Discours nationaux au Canada, sous la direction de Frédéric Boily et Donald Ipperciel, Québec, PUL, 2011, p. 127-148. , « Qu’est-ce que le Canada ? : la réponse des intellectuels albertains », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, no 3, printemps 2010, p. 197-207. , « L’influence des idées sur les politiques : de l’École de Calgary au gouvernement conservateur », Colloque annuel de la Société québécoise de science politique, Université Laval, 24-25 mai, 2007, non publié. J’en profite pour remercier Jean-François Caron, qui a eu la bonne idée de cette collection, pour sa relecture du manuscrit. Pour les traductions, j’ai reçu l’aide inestimable de Natalie Boisvert dont la maîtrise du français et de l’anglais est exceptionnelle. Enfin, je dédie ce livre à Antoinette. INTRODUCTION Un désaccord idéologique T out n’a-t-il pas été dit et redit sur Stephen Harper qui a subi la défaite le 19 octobre 2015 ? Comment expliquer cette attention presque disproportionnée dont il a fait l’objet pendant toutes ses années au pouvoir ? En effet, on ne compte plus les auteurs qui, au cours des « années Harper », ont offert un portrait du premier ministre. Que ce soit des biographies écrites par des journalistes ou des ouvrages de facture différente par des intellectuels canadiens-anglais ou des professeurs de science politique, ils partageaient souvent le même dénominateur commun, celui de se montrer peu flatteurs à l’égard du personnage. Pour résumer en une phrase à partir de livres publiés en 2015, l’autocrate Stephen Harper voulait démanteler le Canada et, pour atteindre son but, il cherchait à éliminer les messagers qui avaient l’audace ou l’inconscience de s’opposer à lui1. Du côté francophone, Stephen Harper a aussi été 1. Mel Hurtig, The Arrogant Autocrat. Stephen Harper’s Takeover of Canada, Vancouver, Mel Hurtig Publishing, 2015 ; Brooke 1 2 STEPHEN HARPER – LA FRACTURE IDÉOLOGIQUE D’UNE VISION DU CANADA vertement critiqué et nous pouvons compter sur quelques toniques essais qui, de manière plus ou moins heureuse, ont dénoncé un aspect ou l’autre de son gouvernement. Chose certaine, il ne laissait personne indifférent. Mais pourquoi en est-il ainsi et comment expliquer cette attention pour un homme politique relativement inconnu au Québec lorsqu’il a pris la direction du nouveau Parti conservateur du Canada en 2004 ? Assurément parce que le personnage était controversé, mais encore faut-il préciser que la polémique l’entourant ne relevait pas des mêmes raisons faisant que, parfois, un homme politique attire sur lui l’attention médiatique. En effet, Stephen Harper ne soulevait pas les passions pour des motifs qui ont rendu sulfureux d’autres personnages politiques comme, pour s’en tenir au Canada, l’ex-maire de Toronto, Rob Ford. Dans le même sens, l’attention dont il était l’objet n’avait rien à voir avec des scandales financiers – à l’exception de « l’affaire Mike Duffy », du nom de ce sénateur qui a plongé le gouvernement dans l’embarras2 – ou encore avait peu affaire avec un c omportement personnel fantasque. À cette aune, il ne se comparait pas avec Pierre 2. Jeffrey, Dismantling Canada. Stephen Harper’s New Conservative Agenda, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2015 ; Mark Bourrie, Kill The Messengers. Stephen Harper’s Assault on your Right to Know, Toronto, HarperCollins Publishers Ltd., 2015. En mai 2013, le sénateur Mike Duffy aurait conclu une entente avec le chef de cabinet de Stephen Harper, Nigel Wright, au sujet de remboursements demandés par le sénateur. Or, malgré ce que Stephen Harper affirmait, plusieurs croyaient qu’il était au courant de l’entente entre Nigel Wright et Mike Duffy. INTRODUCTION – UN DÉSACCORD IDÉOLOGIQUE 3 Elliott Trudeau, dont l’image iconoclaste de « playboy » et de non-conformiste a contribué à braquer les projecteurs sur sa personne au point de créer ce qu’on a appelé la « trudeaumanie ». Dénué de charisme et loin de toute « harpermanie », l’ex-premier ministre conservateur menait une vie paraissant on ne peut plus rangée, laquelle donnait peu de prise à la critique. Pour comprendre la nature de l’intérêt suscité par Stephen Harper, il faut évoquer une autre dimension qui, au-delà de l’image ou de la politique-spectacle, nous amène en plein cœur de l’idéologie. Le caractère controversé qui entraînait un intérêt presque disproportionné à son propos relève en fait d’une dimension intellectuelle et idéologique. Là résidait le nœud de l’affaire à son propos. En effet, c’est cette dimension idéologique qui permet de comprendre la véritable aversion que d’aucuns ressentaient envers lui et son parti – et chacun de nous a pu le vérifier avec au moins un membre de son entourage qui, à la seule mention de son nom, levait les yeux au ciel en signe de dépit ! Or, c’est en raison d’un désaccord idéologique profond avec une grande partie de l’électorat qu’il se trouvait autant critiqué, détesté même, par certains qui l’accusaient littéralement d’avoir changé, pour le pire, le Canada. C’est pourquoi il faut revenir sur le personnage afin de comprendre sa vision politique qui, en même temps qu’elle confortait les partisans conservateurs, heurtait profondément autant d’électeurs canadiens, les premiers étant moins nombreux que les seconds. C’est la nature de ce désaccord intellectuel et idéologique que nous allons explorer ici. 4 STEPHEN HARPER – LA FRACTURE IDÉOLOGIQUE D’UNE VISION DU CANADA Précisons qu’il ne s’agira pas, dans cette biographie intellectuelle, de prendre position « pour » ou « contre » la décennie Harper. Le lecteur voulant se positionner à peu de frais trouvera quantité de textes qui lui donneront des réponses catégoriques sur le personnage. Une biographie intellectuelle et politique, envisagée comme nous le faisons ici, doit plutôt se donner un objectif de compréhension d’une pensée afin d’être en mesure d’en saisir les orientations fondamentales pour en mesurer les effets et les conséquences politiques dans les dix dernières années. Par la suite, il appartient au lecteurcitoyen de décider par lui-même comment juger cette dernière décennie. Et aussi de voir comment celui ou celle qui dirigera cette formation à la prochaine élection se positionnera face à l’héritage de Stephen Harper. UNE VISION POLITIQUE L’ouvrage repose sur l’idée que Stephen Harper a été un premier ministre qui avait une vision politique forte, articulée autour d’idées et de convictions qui en ont heurté plus d’un et dont les contours demandent toujours à être mieux compris et cernés. Par vision, nous entendons ce qui est perçu et compris comme étant la façon dont le monde est ordonné ou comment « les choses marchent », pour emprunter au langage populaire3. En ce sens, explique l’intellectuel et économiste conservateur Thomas Sowell, une vision vient avant l’élaboration d’une théorie ou encore avant des raisonnements logiques déduits de propositions. C’est 3. Thomas Sowell, A Conflict of Visions. Ideological Origins of Political Struggles, New York, Basic Books, 2007, p. 4.