d`une sociabilité informelle à une organisation institutionnelle

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d`une sociabilité informelle à une organisation institutionnelle
Séminaire doctoral commun Réseaux et sociabilités artistiques
Géraldine Masson
Les réseaux professionnels du conservateur de musée :
d'une sociabilité informelle à une organisation institutionnelle (1870-1940)
Séminaire doctoral commun d'histoire de l'art et d'archéologie Paris 1/Paris 4 - 2010/2011
Art et sociétés - séance 7 : Réseaux et sociabilités artistiques (jeudi 9 juin 2011)
Par Géraldine Masson
Le sujet « Les conservateurs de musée sous la IIIe République » réalisé sous la
direction de Dominique Poulot, Professeur des universités, à l’Université Paris I-Panthéon
Sorbonne, s’inscrit sous la double problématique de l’Histoire sociale prosopographique et de
l’Histoire de l’art et du patrimoine. Les actions d’acquisitions, de conservation et d’exposition
des collections, placent les conservateurs au cœur de l’Histoire du goût, de l’Histoire de la
perception et de la présentation de l’art, quand ils ne sont pas eux-mêmes historiens de l’art.
Au cours de la période de la IIIe République, ces choix et partis pris de travail changent, se
spécifient et s’affirment amenant certains à parler de « professionnalisation » du corps des
conservateurs.
En revanche, face à ces bouleversements professionnels un élément demeure
constant, celui de la nécessité de l’entretien de réseaux sociaux afin de mener à bien les
prérogatives
inhérentes
aux
fonctions
de
conservateurs.
Intermédiaire
entre
les
collectionneurs, les artistes et l’administration, le conservateur de musée occupe une situation
privilégiée au centre des réseaux artistiques. À ce titre, il peut paraître judicieux de confronter
évolutions professionnelles du conservateur et interactions avec ses réseaux artistiques qu’ils
soient institutionnels, relationnels ou économiques pour en déterminer les transformations et
pérennités entre 1870 et 1940. On s’aperçoit ainsi qu’aux réseaux pluriels, informels et
intuitifs qui préexistent de 1870 à 1910, succède un système uniforme, institutionnel qui se
veut une référence, une réponse professionnelle qui s’inspire fortement de l’expérience
acquise.
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1. Réseau informel intuitif local : 1870 -1910
Entre 1870 et 1910, les conservateurs de musée de province exercent leur
occupation en second lieu, appartiennent à la société érudite locale ou bien sont artistes.
Personnalités complexes, ils font partie de plusieurs sociabilités locales et se situent à la
convergence de divers réseaux qui interviennent dans leur quotidien depuis leur nomination et
jusque dans leur façon de diriger leur musée.
1.1 Les réseaux de la nomination
Le fait même d’accéder aux fonctions de conservateur, en premier lieu, ne résulte
pas toujours d’un choix ! Le commentaire du rapport d’inspection de 1907 de Charles Porée,
le qualifie ainsi de conservateur du musée d'Auxerre « contre son gré1 » ! Le phénomène
résulte du fait que les municipalités recherchent, pour être conservateur une personne
développant une compétence jugée analogue, telle que conservateur de bibliothèque,
archiviste ou historien. Une personnalité érudite locale est ainsi toute prédisposée,
généralement retenue par le préfet sur une liste de 3 à 5 personnes proposées par le maire.
Une somme de connaissances en histoire locale et histoire de l’art, idéalement
doublée d’un savoir-faire technique pour l’entretien des œuvres, est principalement requise.
Un lien même ténu avec le patrimoine est, en outre, exigé. C’est pourquoi des artistes et des
érudits sont recrutés pour être conservateurs de musée.
1.1.1 Artistes peintres
Les artistes peintres conservateurs sont d’abord des artistes locaux, natifs de la ville
où ils professent. Ils bénéficient d’une certaine renommée locale et enseignent le plus souvent
à l’école de dessin municipale. Ils ont le plus souvent étudié dans l’atelier d’un grand maître
parisien et constituent le lien entre la vie artistique contemporaine et la province. Ils incarnent
le savoir en Histoire de l’art et la pratique de l’art pour, pense-t-on, bien réagir face à la fois
aux conditions de conservation des œuvres et à ce qu’elles représentent.
1
LAPAUZE (H) Les musées de province. Rapport, enquête, législation, rapport de la Commission chargée
d'étudier toutes les questions relatives à l'organisation des musées de province et à la conservation de leurs
richesses artistiques, Paris, Typographie Plon-Nourrit et Cie, 1908, p.224.
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1.1.2 Érudits
Les érudits, historiens, archéologues, bibliothécaires ou scientifiques dans un second
temps, appartiennent eux aux sociétés savantes qui possèdent leur propre musée ou bien sont
à l’origine des collections des musées municipaux pas leurs dons.
En effet, le transfert de propriété des collections aux municipalités permet d’acquérir
plus d’envergure et de pouvoir prétendre aux dépôts de l’État. Malgré tout, ces musées
conservent un lien statutaire étroit avec la société qui les a fondés. Les négociations avec la
mairie ont le plus souvent spécifié après la nature juridique des collections, le bâtiment et le
choix d’un conservateur. Ce dernier est presque toujours le président de la société savante
comme c’est le cas à Guéret en 1893 avec Jean Rebière de Cessac.
1.2 Les réseaux professionnels des acquisitions
Les réseaux professionnels des conservateurs de musée de province entre 1870 et
1910 relèvent des mêmes schémas que ceux de la nomination. Pour le prouver, l’exemple des
acquisitions est à ce titre particulièrement édifiant. Outre les relations institutionnelles avec
les dépôts de l’État, les réseaux locaux de connaissances et les sociabilités locales tissent la
toile de l’enrichissement des collections.
1.2.1 Le Salon
En matière d’acquisition les achats d’œuvres au Salon, envoyés en dépôt représentent
un peu plus du tiers des enrichissements des collections de province entre 1870 et 1940. Ils
impliquent des stratégies de la part des conservateurs pour obtenir des œuvres de qualité qui
s’intègrent à leurs collections, tant par le format que par le contenu ou la technique.
Alfred Beau et le député républicain Louis Hémon conduisent ensemble, dans les
années 1890, une active politique d’attribution des dépôts pour le musée de Quimper. Le
conservateur repère au Salon les œuvres des artistes bretons qu’il souhaite pour son musée et
le député joue ensuite de ses relations auprès du sous-secrétariat aux Beaux-Arts pour leur
achat et mise en dépôt à Quimper.
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1.2.2 Les fouilles archéologiques locales
En outre, l’ancrage local des collections des musées de province à la fin du XIX e
siècle et au début du XXe siècle est le signe de la volonté de donner une identité au musée,
mais également d’intéresser le public à son histoire. Il influence la nature des colletions tant
historiques, archéologiques, qu’artistiques.
Les fouilles archéologiques, financées par les sociétés savantes historiques locales
alimentent ainsi les musées encyclopédiques de province. Le conservateur du musée incite les
autres membres de la société savante pour continuer d’enrichir les collections. Ainsi à Lonsle-Saunier la Société d’émulation du Jura « place au musée les objets recueillis dans les
fouilles archéologiques qu’elle fait exécuter dans le département2. »
1.2.3 Les « méthodes » d’acquisitions des conservateurs peintres
Le reste des acquisitions s’opère à travers les réseaux locaux des artistes et des
collectionneurs. Toutefois ce sont les conservateurs artistes et plus particulièrement les
peintres qui font le plus intervenir leurs réseaux de connaissances en termes d'acquisitions.
Les peintres conservateurs entretiennent un lien presque affectif avec leur collection. Ils font,
tout d’abord, entrer leurs propres réalisations au musée, au titre d’artistes de la région.
Edmond Puyo a par exemple acheté Le chaos, Huelgoat, pour le compte du musée ! Copiste
de talent, il a, par ailleurs laissé au musée de Morlaix un tableau de Delacroix et un de
Fragonard à l’attribution incertaine…
Les peintres conservateurs appréhendent surtout leurs acquisitions en terme de
réseaux c’est là leur spécificité. Ils font intervenir leurs amis peintres, leurs amis
collectionneurs et leurs collègues peintres conservateurs ! Une politique d’achat active dans
les musées de province en 1907 est, tout d’abord, souvent le signe d’amitiés sûres entretenues
par le conservateur avec les artistes. Ici encore le cas d’Alfred Beau, conservateur du musée
municipal des Beaux-Arts de Quimper se distingue. Élève de Flers et Isabey, Alfred Beau est
l’ami des peintres bretons Deyrolle, Caradec et Guillou. Nommé à Quimper, ce natif de
Morlaix, fréquente les artistes soucieux de la représentation des valeurs locales, Baader,
Bouquet, Dargent et Roussin qui lui permettent de mener à bien sa politique d’achat. Avec
Derennes, le conservateur du musée archéologique, il s’attache à combler l'absence de
peintures bretonnes dans la collection Sylguy, à l’origine de la création du musée en 1871. Sa
2
LAPAUZE (H), Ibid, p.115.
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tactique est la suivante : susciter par l’achat d’une œuvre négocié directement avec son auteur,
le don d’une ou plusieurs autres œuvres de l’artiste. Il acquiert, en outre, beaucoup de
tableaux de Salon.
En tant qu’artistes, les conservateurs peintres entreprennent peut-être aussi des
démarches plus offensives, à la manière de Léon Loiseau au musée de Bourg-en-Bresse qui en
1898, sollicite le don de neuf dessins directement auprès de la veuve de Puvis de Chavannes,
chez laquelle il se rend sans la connaître. À Béziers, le conservateur du musée, Louis Paul, est
proche du collectionneur Gustave Fayet qui l’introduit auprès du célèbre peintre et
collectionneur des œuvres de Degas et Gauguin, Georges-Daniel de Montfreid.
Enfin, souvent collectionneurs eux-mêmes les conservateurs peintres fréquentaient
beaucoup les autres collectionneurs, parmi lesquels citons Paul Lafond de Pau qui conseille
Edgar Degas dans la constitution de sa propre collection d’œuvres d’art.
1.3 Les réseaux de connaissances « professionnelles », les collègues
Même s’il est difficile à identifier parce qu’informel et distendu, le réseau de
collègues des conservateurs de musée de province à la fin du XIX e et au début XXe existe
réellement.
Il est particulièrement bien établi pour les musées de Bretagne où les conservateurs
des musées de Morlaix, Rennes, Nantes et Quimper correspondent afin de s’entraider dans
l’exercice de leur tâche. À Morlaix, Edmond Puyo qui n'est pas conservateur de formation,
mais négociant, a été nommé à la création du musée et doit en constituer les collections. Il
semble avoir pris son rôle très au sérieux, n'hésitant pas à solliciter l'aide des autres musées
bretons. Alfred Beau, du musée de Quimper, lui conseille d’acquérir des œuvres de ses amis,
les peintres académiques Deyrolle et Guillou. « Je crois bien que vous feriez bien de prendre
Le Pardon de Deyrolle. C'est un sujet qui devra plaire partout et qui eu égard à sa grande
taille n'est pas cher3 » ; ou encore : « Je suis de votre avis il ne faut pas trop de marine, mais
avec Guillou on est certain d'avoir de bonnes peintures et sujets intéressants4 ». À Nantes le
conservateur est chaudronnier, il est avide des conseils pratiques de Charles Hombron son
3
Archives du musée des Jacobins, Morlaix, cité dans KAY (K) Quand un édifice historique devient musée : vie
et histoire du musée des Jacobins à Morlaix de ses origines à nos jours, mémoire de maîtrise, Lorient, UBS
Lorient, 2002, p.130.
4
Idem.
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homonyme au musée de Rennes. Il le questionne sur les démarches concrètes lors d’une
demande de restauration qu’il aura beaucoup de difficultés à financer !
Les conservateurs de musée se connaissent également à travers leurs écrits dans les
bulletins des sociétés savantes. On sait, par exemple, que Frédéric Henriet apprécie beaucoup
professionnellement Henri Jadart qui lit ses articles dans les Annales de la société historique
et archéologique de Château-Thierry comme en témoigne la phrase de congratulation :
« N'oublions pas de citer à l'ordre du jour de ce bulletin de victoire M. Jadart, bibliothécaire
de la ville de Reims (...)5 » publiée dans les Annales lors de l’exposition rétrospective de
Reims en 1895.
Enfin certains conservateurs peintres comme Léon Le Clerc de Honfleur étendent
leur réseau relationnel au-delà des frontières. Après la création du musée de traditions locales
d’Honfleur, le peintre voyage en Hollande puis en Suède où il visite les musées
ethnographiques précurseurs et rencontre son confrère suédois, de Lillehammer, Anders
Sandvig.
En dehors du cadre de leur musée, les conservateurs de province établissent donc
également des liens professionnels qui même ténus ou disparates témoignent d’un besoin de
références et de comparaison professionnelle. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le
conservateur de musée de province est au cœur d’une ramification de réseaux de connaissance
qu’il fédère et anime activement, de sa nomination à l’exercice de ses fonctions. Les mêmes
schémas se vérifient d’un conservateur à l’autre, mais ne sont pas uniformisés, chaque
conservateur est isolé même si certains parviennent à se croiser.
La constitution d’une profession en tant que telle, mais surtout d’un corps de
fonctionnaires va institutionnaliser et régir ces réseaux multiformes en en conservant les
lignes de force.
5
HENRIET (F) « Exposition rétrospective de Reims », Annales de la société historique et archéologique de
Château-Thierry, année 1895, p.138.
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2. L’institutionnalisation de ce système 1910 -1940
À cette période l’affirmation des fonctions de conservateurs de musée se situe
dans un processus plus vaste de professionnalisation de l’ensemble des fonctionnaires du
patrimoine. Marie-Claude Genêt-Delacroix s’en fait l’écho dans son article : « État et
patrimoine sous la IIIe République. De l’amateur au professionnel dans la gestion du
patrimoine national6 ». Pour elle, c’est l’ensemble des professions du patrimoine, inspecteurs
des Monuments historiques et bibliothécaires qui est concerné. Une prise de conscience des
instances du patrimoine, de la nécessité d’une sauvegarde efficace et une spécialisation se font
sentir. Plus prudent, Loïc Vadelorge indique que c’est plus le cas pour les musées de BeauxArts et dans une moindre mesure pour les musées de folklore et d’histoire naturelle. Elle
intervient dans un contexte international de questionnement sur les conditions de conservation
des œuvres d’art et de développement du concept de muséologie. Les conservateurs des
musées de France sont impliqués et leurs réseaux professionnels s’institutionnalisent.
2.1 Un réseau international s’établit
2.1.1 L’Office International des Musées (OIM)
L’OIM créé en 1926 à l’initiative d’Henri Focillon, lance cette mutation du monde
des musées. Il s’agit d’une sous-section de l’Institut international de coopération intellectuelle
(IICI) dépendant lui-même de la Société des Nations (SDN) créée en 1920. L’objectif de
l’organisme est d’enrichir la réflexion par la communication et les échanges entre chercheurs
et hommes des musées. Les expériences des grandes associations nationales comme
l’American Association of Museum, fondée en 1906, la Deutsches Museum Bunde instituée en
1917 et l’Association des conservateurs des collections publiques de France (ACCPF)
constituée en 1922 sont ainsi confrontées. Dans la même optique, en 1933, René Huyghe,
conservateur au département des peintures du musée du Louvre, est chargé d’une enquête sur
l’organisation des musées européens.
À Paris, on diffuse les normes d’une nouvelle science, la muséologie, véhiculées lors de
conférences internationales organisées par l’OIM, auxquelles participent tous les
conservateurs qui le souhaitent. En octobre 1930, le congrès de Rome évoque la restauration
et la conservation des œuvres d’art, en 1934 le congrès de Madrid porte sur la présentation des
6
GENET-DELACROIX (M.C.) « État et patrimoine sous la IIIe République. De l’amateur au professionnel dans
la gestion du patrimoine national » dans GRANGE (D), POULOT (D), L’esprit des lieux : le patrimoine et la
cité, Grenoble, PUG, 1997.
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collections. Les nouveaux concepts sont popularisés dès les années 1920 dans certains musées
pionniers tels que Lyon, Montpellier, Grenoble ou Rouen.
2.1.2 L’ACCPF
Chaque pays expérimente par ailleurs son propre système de références communes.
Durand la même période et dans le prolongement de cette réflexion sur le monde des musées,
se créée en France l’Association des conservateurs des collections publiques de France afin de
fédérer un réseau de nouvelles initiatives.
À la suite de la visite en France de la puissante association anglaise Museum's
association en
1921, l’idée d’une association française analogue prend corps. L’année
suivante, les conservateurs des Musées nationaux, départementaux, municipaux se joignent, à
l'association préexistante des conservateurs des Musées scientifiques et fonde l’ACCPF. En
1936, cette dernière compte 300 membres répartis à peu près également entre les sections
artistique et scientifique. Ses objectifs sont triples, on doit « resserrer les liens de bonne
confraternité entre [l]es membres », ainsi qu’« étudier les questions d'ordre scientifique ou
administratif relatives aux musées » et « défendre les intérêts généraux dont les membres ont
la charge7 ».
L’association organise deux congrès annuels avec participation libre pour les
adhérents, un à Paris, l’autre en province. À Paris, le congrès se déroule dans les musées de la
capitale et les expositions temporaires, lieux d’innovations où l’on « se rend compte des
progrès réalisés ou en cours d’exécution8 ». C’est lors des réunions parisiennes que sont, en
outre, abordés les problèmes liés à la mise en place du statut de conservateur, reflet de la
professionnalisation en cours, même si l’intérêt essentiel est bien porté aux œuvres et à la
conservation des collections, dont on dispense le savoir théorique. Les réunions provinciales
n’en conservent pas, pour autant, moins d’importance. Elles représentent l’occasion pour les
conservateurs de comparer les expériences de chacun. Selon Paul Vitry, elles servent surtout à
sortir du « domaine dans lequel ils vivent parfois, trop confinés, trop modestes ou trop
laudatifs pour un statut quo perpétuel9 ».
7
Paul VITRY, « L’association des Conservateurs des collections publiques de France et son quinzième Congrès à
Toulouse », Bulletin des Musées de France, novembre 1936, p.150.
8
Paul VITRY, Loc. cit., p.151.
9
Ibid.
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2.2 Un réseau de confrères organisé
Ce contexte professionnel correspond, par ailleurs, à un moment de prise de
conscience par la profession des mauvaises conditions de conservation des richesses d’art de
la France. Prise de conscience qui suscite la volonté de fédérer et homogénéiser les pratiques
professionnelles des conservateurs autour du modèle du musée du Louvre, de la nomination à
la pratique professionnelle quotidienne.
2.2. La nomination
L’École du Louvre est créée en 1882, son enseignement est dispensé par les
conservateurs du musée du Louvre. Or si Marcel Nicolle, élève de l’école, a été nommé
conservateur au musée de Lille dès 1894, rares sont les exemples comme lui. Il a d’ailleurs été
remplacé trois ans plus tard par un érudit local. Il faut attendre les années 1920 pour que le
réseau de l’école impose ses émules comme seuls porteurs du mode de conservation des
œuvres d’art de province.
En 1922 Fernand Guey, dont le sujet de thèse à l’École du Louvre s’intitule Les
vitraux anciens du diocèse de Cornouaille, est le premier émissaire envoyé à Rouen, après lui
Pierre Quarré à Dijon, Fernand Mercier à Besançon auront le même rôle. La nomination de
Ferdinand Guey au musée des Beaux-Arts de Rouen est une volonté parisienne, sa
correspondance montre que cette nomination représente un enjeu hautement symbolique entre
Paris et les érudits locaux. Il s’agit en réalité d’une inscription plus générale dans la mise sous
tutelle des grandes collections publiques, et en réalité le sous-secrétariat aux Beaux-Arts
impose Guey le 29 juillet 1922, contre les vœux de la municipalité.
2.2.2 Le Bulletin des musées de France
Professionnellement ces jeunes conservateurs gardent le lien avec leurs pairs
parisiens par l’intermédiaire de l’association à laquelle ils adhèrent et grâce à leurs articles
dans Le Bulletin des Musées de France, la revue de l’association, créée en 1929. Les
conservateurs y publient des articles sur la vie de leur musée. René Huyghe, conservateur au
département des peintures du musée du Louvre, a beaucoup contribué à faire connaître et
évoluer la notion de muséologie par de nombreux articles et essais publiés dans la revue.
Fernand Guey s’est plus consacré à la résolution des problèmes liés aux réserves des musées.
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Le grand spécialiste de l’organisation des collections pour l’ensemble des musées de province
est Joseph Billiet, responsable, à partir de 1935, du Service de documentation
muséographique à la Direction des musées nationaux.
Le numéro de novembre 1936 est entièrement dédié aux musées de province et à leur
actualité. 8 articles sur 12 sont rédigés par un conservateur parisien, dont trois par Paul Vitry,
conservateur au département des sculptures du musée du Louvre et alors président de
l’ACCPF. Ces articles donnent l’impression de publication de petits rapports d’inspection.
Les conservateurs de province auteurs d’articles dans le Bulletin des Musées de
France, quant à eux, sont reconnus et appréciés de leurs confrères du Louvre, ils ont adopté la
même optique de travail. À travers leurs articles, ils cherchent à prouver deux démarches. Ils
démontrent en premier lieu leur dynamisme et leur activité dont ils proposent un bilan. Ils
mettent ensuite en avant le fait qu’ils agissent en parfaite conformité avec les idées novatrices
du moment. Fernand Guey remarque ainsi qu’il opère « suivant les doctrines les plus récentes
de la muséographie10 ».
2.2.3 À la recherche de la légitimité locale
Le personnel conservateur des années 1930 tisse patiemment la toile de leurs intérêts
corporatistes en prenant bien soin de ne pas rompre la trame historique des intérêts locaux.
Car Fernand Guey décédé à Paris dans l’indifférence rouennaise a particulièrement soigné son
intégration locale. Le 23 avril 1926 il entre à l’Académie des Sciences, des Belles-Lettres et
des arts de Rouen. Dans son discours de réception, il propose une histoire du musée sans
manquer de se placer dans la continuité de ses prédécesseurs ! Il devient également membre
de la Société des artistes rouennais, de la Société des amis de Georges Dubosc, de la
commission départementale des Antiquités et du Comité régional des arts appliqués.
En 1925 il fonde la Société des Amis du musée des Beaux-arts de Rouen dans la veine
de la société locale de bibliophilie et entretient surtout d’excellents rapports avec les artistes
rouennais de l’entre-deux-guerres de l'École de Rouen : Maurice Louvrier, Robert Busnel,
Pierre Dumont et d’autres.
Outre la presse spécialisée, l’ouverture au grand public se fait également avec la
presse locale qui assoit la légitimité du conservateur à l’œuvre. Très rapidement intégré à la
société locale, Fernand Guey dit pratiquer la diplomatie du bridge, il donne des interviews à la
10
GUEY (F) « Musée Céramique de Rouen », Bulletin des Musées de France, novembre 1936, numéro spécial
« Musées de province », p.169.
10
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presse : « Une heure avec Fernand Guey, le médecin des toiles » donnée à Jean Priederich au
Journal de Rouen le 20 juin 1932 ou encore « Le muée de Rouen ou une demi-heure avec
Monsieur Guey » donnée à René Trintzius dans La Normandie illustrée de décembre 1927.
Il s’agit pour le jeune professionnel messager du discours général de bonne
conservation des œuvres de recréer et fédérer une sociabilité locale qui le reconnaisse et lui
offre une légitimité comme elle pourrait le faire pour l’un des siens. Comme c’était le cas
pour les érudits locaux de la période précédente. La volonté officielle des Beaux-Arts,
véhiculée par l’École du Louvre est de faire coïncider réseaux locaux et discours
scientifiques.
2.3 Contrôle de l’État le musée du Louvre un modèle à véhiculer
À partir des années 1920, l’État reprend donc en main l’organisation des musées
de province dont beaucoup y compris parmi les professionnels 11 des musées s’insurgent
contre les conditions de conservation des œuvres.
2.3.1 Le confrère inspecteur
Le 29 décembre 1928, un décret réorganisant les musées départementaux et
municipaux complète le décret de 1910. L’inspection des musées possédant des dépôts de
l’État doit être conduite par un conservateur des musées nationaux et plus seulement par un
inspecteur des Beaux-Arts à qui on offre la possibilité de décrocher les œuvres faisant l’objet
d’une mauvaise conservation, présentation ou exposition. Le décret visant à une
nationalisation partielle des musées de province reste toutefois lettre morte.
Il induit, toutefois, de nouveaux rapports entre les conservateurs en introduisant une
hiérarchie entre les confrères parisiens et ceux de la province. Un réseau professionnel
structuré se met en place.
Pour Henri Verne, directeur des Musées nationaux, le but de ce décret est pourtant
l’entraide professionnelle, le partage de l’expérience : « Ce que la Direction des Beaux-Arts
11
VERNE (H) « Les Musées de province et la Direction des Musées nationaux », Bulletin des Musées de
France, novembre 1936, numéro spécial Musées de province, p.147-150.
11
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entendait, en confiant aux conservateurs des Musées nationaux des missions naguère
demandées aux inspecteurs des Beaux-Arts, c’était d’établir entre des hommes, ayant des
charges similaires, des relations constantes qui permettent aux uns de mettre à la disposition
des autres leur compétence spécialisée, leur expérience formée par de nombreux contacts, leur
indépendance à l’égard des pouvoirs locaux et l’autorité qui s’attache aux traditions qu’ils
représentent12. »
2.3.2 Le travail scientifique
Par ailleurs, cette initiative se trouve complétée par l’institution d’un service à la
Direction des Musées nationaux (DMN) centralisant les renseignements sur chaque musée
pour une action suivie et personnalisée. Les interventions concernent principalement l’aide à
la mise en valeur des collections et les conseils pour la restauration des œuvres. Elles sont
relayées par le Bulletin des Musées de France comme autant d’heureuses initiatives. Henri
Verne souligne l’exemple des Monuments Historiques, dont le dynamisme reste à égaler.
Outre ces engagements muséologiques, cette entraide professionnelle et, avec elle,
son émanation l’ACCPF a également permis d’entreprendre un travail scientifique sur les
œuvres : celui des expositions des chefs-d’œuvre des musées de province. A la suite du succès
des expositions de l’Orangerie et de Carnavalet, une troisième exposition est en cours de
préparation en 1936, à l’initiative des musées de Grenoble et du Petit Palais. Selon Henri
Verne, cette coopération entre conservateurs a également permis de saluer d’heureux résultats
en province et particulièrement en matière d’expositions. Le Directeur de la DMN distingue
un « peloton » de trois musées, Grenoble, Nice et Rouen qui, depuis le début des années 1930,
lancent « des manifestations régulières, toujours suivies dont quelques-unes ont eu le plus
grand retentissement13. » Viennent ensuite un groupe de dix musées faisant preuve d’un
dynamisme équivalent quant à l’organisation d’expositions : Montpellier, Cannes, Nantes,
Strasbourg, Le Havre, Reims, Besançon, Bordeaux, Beauvais, Saint-Denis.
Le sujet « Les conservateurs de musée sous la IIIe République » se fixe pour
objectif de proposer l’étude d’une profession qui se constitue en tant que telle au cours de la
période, de montrer son homogénéisation et le passage d’une situation de départ aux réalités
divergentes d’amateurs-érudits soucieux de leurs collections, mais parfois déconcertés quant
12
13
VERNE (H), Loc. cit., p.147.
VERNE (H), Loc. cit., p.150.
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aux mesures à prendre à un corps de professionnels aux préoccupations communes, dont le
statut s’affirme. Par professionnalisation on doit entendre constitution d’un corps de
fonctionnaires qui acquiert un mode de recrutement, un plan de carrière et une hiérarchisation,
une association en d’autres termes des réseaux professionnels homogènes de référence aussi
bien qu’acquisition de réflexes professionnels. On retiendra que pour ce faire les notions
d’ancrage local des collections, la recherche de mode de financement ou de palliatifs, mais
surtout la bonne intégration locale comme l’entraide et le soutien entre collègues demeure
toujours primordial ! Car en effet ce que prouve cette étude des réseaux du conservateur de
musée entre 1870 et 1940 c’est que les enjeux de l’institutionnalisation s’appuient sur
l’expérience locale, les acquis et les mises en œuvre des conservateurs de l’image d’Épinal
jugés chenus et incompétents.
Géraldine Masson
Doctorante en Histoire de l’Art, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Thèse sous la direction de Monsieur le Professeur Dominique Poulot
Intitulé de la thèse : les conservateurs de musées sous la troisième république.
Intervention dans le cadre du séminaire doctoral du 9 juin 2011 sur « Réseaux et sociabilités artistiques »
13

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