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Décryptages
Les améliorations continues de la
productivité sont-elles durables ?
Jay Rao
Bfaconseil, rendre la croissance possible ®
Décryptages
Au début des années 1980, un certain nombre d’entreprises japonaises ont réussi des percées
significatives dans l’économie américaine en raison de la qualité de leurs produits et de leurs faibles
prix, dans les marchés de l’automobile, de l’électronique et des appareils électro-ménagers. Vers la fin
de la décennie, afin d’enrayer l’érosion progressive de leurs parts de marché, de nombreuses sociétés
américaines ont mis en place des programmes variés « d’excellence des performances » ou «
d’amélioration de leur productivité » tel que le management de la qualité totale (six-sigma). La
publicité entourant le succès de tels programmes au sein d’entreprises telles que Motorola et General
Electric a accéléré leur adoption à grande échelle. Cette offensive intense sur l’élimination des défauts
de qualité, sur la productivité et sur le rendement industriel a produit plusieurs années de croissance
des profits pour la majorité des entreprises de l’indice boursier Standard & Poors S&P 500.
Cependant, vers le milieu des années 1990, la capacité intrinsèque de ces programmes a apporté un
avantage concurrentiel durable et s’est détériorée considérablement. Dans une étude de 500
entreprises qui avaient mis en œuvre des programmes de qualité totale, il a été démontré qu’un bon
tiers d’entre elles avaient amélioré leurs résultats mais seulement médiocrement, tandis que sur les
1
deux tiers restants ces programmes n’avaient eu aucun effet .
Les dirigeants de ces entreprises ont alors réorienté leurs stratégies vers des programmes de
réduction des coûts tels que re-engineering, restructurations, fusions et consolidations. Le champ de
bataille concurrentiel s’est ainsi déplacé vers une course aux prix de plus en plus bas. Cependant, de
1994 à 1999, la marge opérationnelle des sociétés non financières est restée figée à 15.7% et l’écart
type n’a jamais excédé 1.3%. Dès 1999, sept entreprises sur dix exhibaient des performances
2
inférieures à celles de l’indice S&P 500, contre 58% en 19924. Apparemment, les entreprises qui
avaient passé des années à extraire les dernières onces de coûts avaient atteint la limite.
Sur la base de cette évidence empirique, la réponse à la question posée dans le titre de cet article
semble être « NON ». Y aurait-t-il alors, sur la base de cette évidence une réponse plus théorique à
cette question ?
Depuis une dizaine d’années environ, nous avons toujours commencé nos cours de Management au
Babson College en demandant aux étudiants les raisons pour lesquelles ils achetaient ou
consommaient certains produits ou certains services.
Leurs réponses ont toujours été extrêmement proches :
Performance, Durabilité, Fiabilité, Qualité, Valeur, Rapidité, Temps de Réponse, Considération,
Flexibilité, Prix, Design, Marque
Les consommateurs achètent de façon répétitive des produits ou des services qui leur apportent une
VALEUR tangible. La valeur est définie en terme de Qualité et de Prix :
Valeur =
Qualite
Pr ix
1
Quality Management in TQM vs. non-TQM firms, , by S. Ahire, M. Waller and D. Golhar, International Journal of Quality and
Reliability Management, 13:8-28, 1996
Jay Rao est professeur associé de management à Babson College à Boston. Jacques Bely est président de BfaConseil et
professeur affilié de stratégie à HEC CPA. Jean-Luc Boulnois est Président Directeur Général de BfaQuatrion à Boston, et
professeur adjoint à Babson College à Boston
2
Leading the Revolution, by Gary Hamel, 2000, Harvard Business School Press, Boston, MA, p38
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C’est une mesure de perception subjective du consommateur qui arbitre entre ce qu’il « reçoit »
(Qualité) et ce qu’il « donne » (Prix). La qualité est elle-même composée de 2 variables principales : la
qualité du produit et celle du service. Les attributs techniques tangibles des produits se mesurent par
les variables telles que durabilité et fiabilité : on les appelle du vocable « Excellence du Produit ».
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En revanche, les attributs intangibles tels que considération, flexibilité ou temps de réponse font partie
de la qualité du service et sont dénommés « Excellence du Service ».
Les entreprises peuvent aussi augmenter la valeur perçue par le client en baissant les prix.
Cependant, pour pouvoir réduire les prix une entreprise devra fournir ces produits et services à un
coût lui-même réduit. Comme les coûts sont engendrés par des processus opérationnels tels que les
achats, la fabrication et la distribution, une position de leader à faibles coûts ne peut être atteinte que
grâce à des niveaux de plus en plus élevés de productivité. Cette « Excellence du Processus »
implique que les activités des entreprises soient réalisées, mieux, plus vite, et moins chères avec de
moins en moins de pièces et de plus en plus de zéro défaut.
Malheureusement, il est rare que les
entreprises excellent simultanément dans les
trois composantes Produit, Service, et
Processus. D’autre part, il existe des
arbitrages
inhérents
entre
ces
trois
composantes et les entreprises ont tendance
à choisir les domaines sur lesquels elles se
focalisent et excellent. On peut visualiser ces
arbitrages sur le diagramme appelé «
Diagramme de Valeur » :
La Frontière d’Excellence représente la valeur maximale qu’une entreprise peut offrir pour un coût
donné, en fonction des meilleures technologies, compétences et techniques de management
disponibles. Par exemple, Dell et Wal-Mart sont des entreprises qui ont manifestement atteint leur
frontière d’Excellence du Processus. En revanche, BMW a atteint sa frontière d’Excellence Produit et
Singapore Airlines, sa frontière d’Excellence de Service. Dans la définition de leur stratégie
spécifique, les entreprises ont donc l’option de mélanger et doser les impacts de ces trois leviers que
sont le Produit, le Service, et le Processus.
Alors que dans des proportions variées, l’excellence dans ces trois composantes est nécessaire pour
obtenir une performance supérieure, celles-ci fonctionnent de façons différentes.
La fourniture aux consommateurs d’une valeur élevée par l’intermédiaire d’Excellence Produits ou
Services permet généralement à l’entreprise d’imposer des prix moyens unitaires relativement élevés.
En revanche, l’Excellence des Processus se traduit souvent par des prix moyens unitaires bas[1].
Les différences entre les types de processus tels qu’achats, fabrication, et distribution sont
omniprésentes. Certaines entreprises sont capables de produire plus avec moins de pièces, c’est-àdire avoir une productivité améliorée grâce à des processus perfectionnés. Dans le début des années
1980, c’est grâce à des rejets minimes, des principes de fabrications allégés et des techniques de
résolution de problèmes par équipe, que le modèle japonais de qualité supérieure à faibles coûts
s’imposa. Les entreprises américaines se trouvaient si loin de la frontière d’excellence que dès
qu’elles commencèrent à adopter le modèle japonais, elles furent immédiatement en mesure de
simultanément réduire leurs coûts tout en améliorant la qualité, contredisant ainsi la croyance
commune qui opposait qualité et prix. Cette
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illusion est principalement créée par les entreprises qui sont très éloignées de la Frontière
d’Excellence en raison de leurs gaspillages énormes et de leurs nombreux processus qui n’apportent
aucune valeur.
De nombreuses entreprises ont cru à tort que ces programmes de rentabilité étaient la panacée pour
disposer d’un avantage concurrentiel décisif et durable et elles se mirent à tailler à la serpe dans leurs
coûts. Malheureusement, au fur et à mesure qu’ils rapprochaient l’entreprise de la frontière
d’excellence, ces programmes se heurtaient à de sévères problèmes, une situation dans laquelle
plusieurs entreprises japonaises s’étaient déjà enfoncées dans les décennies précédentes. Il est par
conséquent important de mieux comprendre ce qui arrive aux entreprises qui se focalisent
exclusivement sur l’axe horizontal dans le « Diagramme de Valeur » et se trouvent rapidement sur une
trajectoire proche ou à la limite de la frontière d’Excellence des Processus.
Au fur et à mesure que les entreprises subissent la liposuccion qui les rapproche de la frontière de
l’excellence des processus, il reste de moins en moins de « gras » à retirer. Les avocats des
programmes six-sigma ont en général prospéré dans les entreprises qui fabriquaient des produits et
cherchaient à reproduire leurs succès dans tous les autres secteurs industriels.
Malheureusement, ces entreprises ne réalisent pas que dans les processus de service, la nécessité
de disposer d’une organisation qui monopolise de grandes ressources humaines empêche d’obtenir
des niveaux de zéro défaut qui soient comparables à ceux des entreprises manufacturières.
Sur la recommandation d’une société de conseil réputée, une grande entreprise de la Côte Est des
Etats-Unis cherchait à réduire son taux d’erreurs de 20% par an dans ses centres d’appels qui relient
directement le consommateur au fournisseur de services. La prime salariale du personnel de ce
centre était basée sur cet objectif de 20%. A ce jour, le centre d’appels avait atteint une fiabilité de
99,9%. Ce centre d’appels traitait environ 100.000 appels par an pour le compte de 100 fournisseurs
de services. Ceci se traduisait par une moyenne d’une erreur par agent par an, ce qui rend impossible
l’objectif de 20% de réduction du taux d’erreurs. Il est facile d’imaginer le moral et l’enthousiasme des
agents de ces centres d’appels. AT&T Universal Card Services a essayé une approche similaire au
début des années 1990 et a entièrement anéanti son service clients, s’éliminant ainsi du marché.
Il est extrêmement facile d’imiter les meilleures pratiques dans les processus. A la différence de la
recette de Coke out des secrets bien gardés des Cymbales Zildjian, la plupart des processus ne
peuvent pas être brevetés ni protégés par des marques ou des copyrights. Les consultants se sont
précipités pour disséminer au maximum les meilleures pratiques, techniques de management, et
autres technologies.
Comme le montrent les 2 diagrammes ci-dessus, la prolifération des consultants ainsi que la
disponibilité de l’information réduisent l’écart de temps entre les frontières d’excellence aux temps T1
et T2. Notons que lorsque les sociétés sont suffisamment éloignées de la frontière (intérieur), les
améliorations initiales des processus induisent simultanément des améliorations produit et/ou service.
Lorsque les fabricants japonais d’automobiles commencèrent la pratique de changements rapides de
matériels de montage, ils furent simultanément en mesure de réduire les coûts et d’accroître leur offreproduit. Cependant, lorsque les entreprises se rapprochent de la frontière, les bénéfices tendent à
devenir monodimensionnels.
D’où la déformation suivant l’axe horizontal de cette frontière observée au temps T2 sur le deuxième
diagramme.
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Le problème le plus sérieux de la diffusion rapide des meilleures pratiques réduit les facteurs stratégiques
différenciant entre concurrents, comme le montrent les 2 diagrammes ci-dessus. Ceci conduit à une
érosion dramatique des marges de toutes ces entreprises. Un sondage Gallup de la fin des années 1990
auprès de plus de 500 chefs d’entreprises a révélé que la plupart considéraient que leurs principaux
concurrents s’étaient rapprochés d’eux en terme de performances. Là encore, l’univers du conseil a
exercé une forte influence dans la confluence de ces performances.
En conclusion, les améliorations des processus et de la productivité sont nécessaires, mais non
suffisantes, pour maintenir durablement une performance supérieure. Peu d’entreprises ont réussi dans
un univers concurrentiel dur et sur une période prolongée, sur la seule base de l’Excellence des
1
Processus . Nous ne recommandons pas que les entreprises abandonnent les programmes de réduction
de leurs coûts et d’amélioration des processus, mais il leur faut aussi réaliser qu’il ne reste plus beaucoup
de « grain à moudre » dans les bonnes entreprises qui opèrent à la limite de la frontière d’excellence des
meilleures entreprises de leur classe. Ce dont les entreprises ont besoin, n’est pas nécessairement
l’écrasement de leurs coûts mais plutôt des approches nouvelles et innovantes de différentiation de type
Excellence Produit et Excellence Service qui apportent de la valeur à leurs clients. En fait l’allocation de
ressources pour une entreprise donnée doit être à la recherche du meilleur équilibre entre la part
nécessaire au maintien d’un bon niveau d’excellence des processus et la part nécessaire au
développement constant d’une excellence produit et service sanctionné par un différentiel de croissance.
Cet équilibre difficile à trouver et à maintenir est l’enjeu de la stratégie aujourd’hui !
1
What is Strategy? by M. Porter, HBR, Nov.-Dec. 1996
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