C.St-Laurent - Le Film français 03052013
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C.St-Laurent - Le Film français 03052013
vendredi 3 mai 2013 Chronique juridique : A propos de la Garantie de bonne fin... un faux ami ? Chronique juridique par Claire Saint-Laurent (Avocat) Don Quichotte de Terry Gilliam, Le Frelon vert de Michel Gondry... nous avons tous en mémoire des films qui n'ont jamais été terminés ou dont le dernier montage a échappé à son réalisateur... Ces risques sont inhérents au secteur de la production cinématographique. Aux États-Unis, rappelons que la plupart du temps ce sont les studios qui financent intégralement les films. Ils centralisent donc tous les risques. Les choses se compliquent quand ce sont plusieurs investisseurs, coproducteurs étrangers, mécanismes de crédit d'impôt, et surtout banques commerciales qui permettent au producteur de couvrir le coût d'un film. En effet, ces derniers, n’ont qu'une obsession : obtenir des garanties en contrepartie de leur investissement. Leur objectif est clair, se prémunir contre les risques liés au projet, à savoir: le coût de la production sera-t-il couvert, les autres investisseurs sont-ils sérieux, leur position est-elle sécurisée ? Le film sera- t-il terminé ? A la date prévue ? Le résultat est-il conforme au scénario validé par les différents partenaires ? Le budget sera-t-il respecté ? Et le succès ? Les estimations de ventes et de recettes sont-elles bonnes? Les mêmes questions se posent si la société de production a recours à un financement bancaire (qu'il s'agisse de prêteurs globaux [1] ou d'institution nationale de niche [2]). Les établissements financiers exigent également un certain nombre de garanties pour assurer les risques pris et le remboursement de leurs investissements. Pour évaluer ses risques, la banque jauge la société de production et ses équipes mais aussi l'existence et la qualité des contrats de distribution, de pré-achat et autres, censés couvrir la majorité du budget de production du film. Elle se positionne comme première créancière en termes de remontées de recettes par le biais d’une délégation des recettes revenant au producteur. La banque prend également des nantissements de premier rang sur le négatif et les recettes du Film lui permettant de vendre ces actifs en cas de non remboursement d'un prêt par exemple. En France, la participation des banques est simplifiée. En effet, de manière unique, le marché du financement bancaire cinématographique français est caractérisé par l'existence du fond de garantie qu'est l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic) qui fournit des garanties pour les crédits octroyés par les banques aux producteurs français (et leurs coproducteurs étrangers dans les territoires où un accord de coproduction cinématographique existe). En cas de défaillance du producteur (film non terminé, non livré ou livrable etc.), la perte de la banque sera partagée avec l'Ifcic. La garantie financière représente généralement 50% du crédit et peut-être portée jusqu'à 70% pour certains types de crédits. Un système salvateur pour le montage des films car il simplifie l'intervention des banques en limitant les sécurités (notamment les cautions personnelles) qu'elles sont susceptibles de demander ! Bien au contraire, lorsque le montage du Film présente un financement international [3] alors la banque peut exiger que le producteur souscrive une "garantie de bonne fin". Un organisme de garantie de bonne fin, aussi appelé Completion Bond [4] est un assureur ultra spécialisé, dont l'activité est de garantir la bonne livraison du film aux partenaires financiers du film. Il ne garantit pas que le film sera bon, ni qu'il sera un succès. Il assure simplement que le film sera terminé et livré conformément au budget et aux dates approuvées par la banque et les partenaires financiers. Dans l'hypothèse où le projet est abandonné, le Bond certifie à la banque et aux partenaires, le remboursement de leurs investissements. L'enjeu pour l'organisme est toujours et encore le risque de production. Pour l'évaluer, il effectuera un décorticage scrupuleux du projet : étude du scénario, vérification de la chaîne de droits, chiffrage du budget de production dit "Strike Price", demande d'informations sur la structure financière en place et l'identification des intervenants et des conditions de leur participation, enquête sur la société de production elle-même et ses dirigeants, enfin et surtout, analyse du calendrier de production et détermination de la date de livraison dite "delivery date". Une fois, que le Bond a jugé le film "assurable", le producteur devra signer un contrat de garantie de bonne fin par lequel il accordera au Bond un certain nombre de prérogatives, incluant la possibilité pour l'organisme d'effectuer un "take over" du film, c'est à dire d'en prendre le contrôle afin de le mener à bien. Très souvent, les droits et garanties exigées par le Bond entrent en conflit avec les contrats déjà conclu par le producteur, c'est pourquoi un "Interparty agreement" devra être négocié entre tous les partenaires du Film. L'intervention d'un garant de bonne fin, souvent perçu comme un "facilitateur" peut en réalité rendre le closing d'un film extrêmement complexe. D'abord, alors qu'un producteur peut se croire inspiré par l'appellation a priori rassurante du "garant de bonne fin", son coût s'ajoute à celui du film. Ensuite c'est le Bond qui détient tous les pouvoirs sur le film : depuis la composition des équipes, en passant par les éléments artistiques et jusqu'à sa faisabilité même. D'un point de vue juridique, c'est lui qui dicte ses conditions, les actes à signer ainsi que les termes de la livraison du film. Dès lors qu'un Bond intervient, il devient la clé de voûte du financement du film, avec un droit de vie et de mort sur lui. Notes [1] Société Générale, Chase, City Bank, ING, ABN, Union Bank . [2] Natexis Coficine, Cofiloisirs en France [3] Mécanisme d'investissement via les systèmes fiscaux de soutien à la production, « private equity », mise en participation de certains fournisseurs de production etc. [4] Non présents en France en raison des bénéfices fournis par l’Ifcic, ces organismes sont présents dans les pays anglo-saxons, parmi d'autres : Films Finance, Prosight, International Films Guarantors Claire SAINT-LAURENT (Cabinet Taylor Wessing)