Les Métis : les mal-aimés

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Les Métis : les mal-aimés
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Trente faits et demi qu’il est utile de connaître au sujet des Métis des Grands Lacs
Par Micheline Marchand
Les Métis : les mal-aimés
Fait no 19 Jusqu’à très récemment, certains trouvaient que les Métis avaient tous les
défauts et aucune des qualités de leurs ancêtres
Ici, vous voyez également le sang-mêlé, la progéniture du
blanc et du rouge, qui possède tous les défauts des deux
avec très peu des qualités de l’un ou de l’autre, sauf dans
quelques rares cas. (traduction libre de l’anglais)
« The Old Voyageur », John W.
Bald, 1901, Canada. Office des
brevets et droits d'auteur,
Bibliothèque et Archives Canada,
British Library.
https://commons.wikimedia.org/wiki/Fil
e:The_old_voyageur_%28HS85-1012512%29.jpg
C’est le jugement que porte le militaire Sir Richard
Henry Bonnycastle, au sujet des Métis de Penetanguishene
à la page 126 de son ouvrage Canada and the Canadians,
publié en 1846. Moi qui croyais que mes ancêtres m’avaient
légué que des qualités !
Pour Bonnycastle, comme c’est le cas de nombreux
Britanniques dans le contexte colonial, leur supériorité va de
soi. C’est tout le contraire pour le Métis. Sa vie dans le pays
de la fourrure supposait une compréhension des autres, une
adaptabilité et la croyance d’être sur un pied d’égalité avec
les gens qu’il côtoie.
Trop souvent, l’être majoritaire tolère le minoritaire
tant que ce dernier reste invisible ou tant qu’il lui est utile. Au
18e et au début du 19e siècle, les Métis qui connaissent bien
le territoire ont servi d’intermédiaires, ont commercé avec les
Britanniques, sont devenus leurs alliés en temps de guerre.
Mais les préjugés à leur égard existent tel qu’en témoigne
une lettre écrite en 1845 à partir de Penetanguishene, par le
militaire William Sanders qui donne libre cours à ses
impressions par rapport aux habitants de la communauté
embryonnaire :
Nous avons les sauvages farouches avec des anneaux dans l’oreille et le
nez, des plumes sur la tête et le visage peinturé, et aussi les sang-mêlé –
c’est-à-dire les gens à moitié français et à moitié indien. Des hommes
français ont épousé des squaws et des Indiens ont épousé des femmes
françaises, ce qui engendre un groupe de gens mêlés dans une jolie
confusion, parlant soit le français, soit l’indien. J’entends très rarement la
langue anglaise, sauf quand elle est parlée par deux hommes de mon
personnel. Même les Anglais ici parlent français comme les autres.
Jamais au cours de ma vie ais-je connu un tel endroit et, si je réussis à y
survivre et à regagner Barrie, j’espère que je ne me retrouverai jamais de
nouveau dans un tel lieu. (Traduction libre de l’original anglais : William
Sanders, « A letter from Penetang in 1855 », dans Ontario Historical
Society Papers and Records, vol. 48, p. 9.)
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Il ne faudrait surtout pas que les Anglais apprennent le français. De tels sentiments
reflètent la perception que partagent bon nombre d’Anglais par rapport aux gens tels que les
Métis qui ne sont pas comme eux. Et le sentiment sera renforci à la fin du 19 e et au début du 20e
siècle, lors des soulèvements des Métis de l’Ouest canadien. Pour les Anglais, les
revendications de cette minorité insignifiante sont inacceptables. Leur audace est intolérable.
Les influents Orangistes et les Anglo-Protestants de l’Ontario qui ont participé en grand nombre
à mater les Rébellions du Nord-Ouest voient d’un mauvais œil les Métis. En 1885, ils
applaudissent haut et fort la pendaison du chef Métis Louis Riel, accusé de haute trahison.
Aveuglés par leur haine, jamais ils ne se sont demandé comment on pouvait accuser un homme
d’avoir trahi son pays quand, au moment du soi-disant crime, il n’était pas citoyen de ce pays.
Jamais ils n’ont voulu admettre que Riel n’a pas été jugé selon les règles juridiques en vigueur
à l’époque. Même si les événements tragiques qui entourent Riel se déroulent loin de l’Ontario,
les préjugés des Ontariens sont palpables.
Dans ce contexte hostile, afficher son identité métisse devient plus difficile. Certains Métis
choisissent l’invisibilité ou l’assimilation. Mais ne s’intègre pas qui veut à la société majoritaire. Il
faudrait qu’une personne minoritaire change qui elle est, et par la suite, se fasse accepter par le
groupe majoritaire. Perdre l’essence de son être en s’assimilant ne garantit surtout pas
l’acceptation dans le groupe majoritaire.
Au 20e siècle, les préjugés perdurent. À la page 413 du manuscrit Gestes français en
terre ontarienne, Épopée française à la baie Georgienne, 1610-1956, écrit en 1956, le prêtre
Alonzo Gobeil note ses impressions au sujet des petites écoles du côté ouest de la baie de
Penetanguishene des années 1940 :
Ce milieu comprend beaucoup de Métis qui souffrent des préjugés de races
qui semblent s’éterniser à leur endroit. Un bon nombre de « Superiority
Complex » (sic) et d’ignorants de ce coin-là semblent avoir la conviction que
la langue française est celle des Métis, des cultivateurs et des arriérés.
En 1975, un autre religieux, Thomas Marchildon, historien local et curé de Lafontaine
de 1937 à 1968, déclare au sujet des premiers colons métis de la Huronie, dans une entrevue
qui fait partie de la série télévisée Villages et Visages produite par Tfo : « Ils n’ont jamais fait
rien de bon ici. »
Les préjugés existent aussi chez les gens qui vivent non loin des Métis. Ma belle-mère,
qui est née en 1923, et qui a été élevée sur une ferme à MacAvaley, un secteur entre
Penetanguishene et Lafontaine, se souvient des préjugés qui existaient dans sa jeunesse.
Elle m’a raconté qu’un jour, après l’école, elle avait invité une amie chez elle. Par la suite, sa
mère lui a dit qu’il était préférable de ne pas l’inviter de nouveau. Dans le temps, elle ne
comprenait pas pourquoi. En vieillissant, la raison lui est apparue : la petite fille était une
Métisse. Elle se souvient aussi que dans la famille on parlait rarement d’une certaine tante
parce qu’elle avait épousé un Métis. Comment s’était sentie la jeune amie de ma belle-mère
? Quelle force d’épouser l’homme aimé malgré la désapprobation familiale. Combien d’autres
histoires semblables à celles-là ont été vécues par les Métis et leurs voisins ?
Si une personne ne veut pas plier l’échine, faire face à ces préjugés exige une force
intérieure.
Maintenant, la majorité est bien contente de nous inviter à des événements publics.
Est-ce un signe d’acceptation ou plutôt le fait que nous avons tellement bien réussi à nous
confondre dans la société majoritaire que notre existence ne dérange plus autant qu’avant ?
On ne peut qu’espérer que les préjugés ne réapparaîtront pas lorsque les Métis
revendiqueront davantage leurs droits.

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