pierre à cupules

Transcription

pierre à cupules
Pour expliquer un brin de paille,
il faut démonter tout l’univers.
Rémy de Gourmont
© Jean-Louis Claude
ANNIVIERS: CES PIERRES QUI PARLENT
LA MÉMOIRE OUBLIÉE
Jean-Louis Claude est un passionné
du patrimoine anniviard et photographe aguerri. Pour « Les 4 saisons
d’Anniviers », il rédigera une chronique qui retracera les plus beaux
témoignages historiques sur les
racines des habitants de la vallée.
Quelle est l’origine des Anniviards ?
Depuis quand le Val d’Anniviers a-t-il
été peuplé ? Des questions auxquelles
il est encore aujourd’hui difficile de
répondre. En effet, il n’existe ni parchemins, ni chroniques, ni inscriptions antérieures à l’an 1100 de notre
ère qui retraceraient un quelconque
témoignage historique sur les racines
de ses premiers habitants. Les habitants primitifs n’ont laissé aucune
trace écrite et la transmission orale au
fil des siècles, s’est peu à peu perdue
dans les oubliettes de l’histoire.
C’est à partir du XVIIIe siècle que l’on
a commencé à se poser des questions
sur l’origine de l’Anniviard qui avait
une solide réputation d’être rude et
malfamé, habitant une vallée primitive
Certains savants de l’époque avanceront la théorie d’une origine celtique,
d’autres échauderont l’hypothèse que
des sarrasins auraient élu domicile
dans la vallée après avoir ravagé une
partie de l’Europe et s’être emparés
Marc-Théodore Bourrit, chargé de de nombreux passages des Alpes aux
mission par Louis XVI, écrit en 1781 environs du IXe siècle après J.-C.
un ouvrage intitulé « Description des
Alpes Pénines et Rhétiennes » afin Toutes ces suppositions aboutiront
de faire découvrir au roi de France indirectement à faire passer les Annile massif alpin. Pour écrire son livre, viards pour des descendants de « sauBourrit voyage à travers les Alpes et vages » aux mœurs rudes et barbares.
visite le Val d’Anniviers où il récoltera D’autant plus, que les gens de cette
des témoignages de ces rudes monta- vallée, selon Boccard, furent les dergnards. Il conclut, entre autre, que les niers en Valais à embrasser la reliAnniviards seraient des descendants gion du Christ. Pendant longtemps,
d’un groupe de Huns qui, selon lui, ils eurent des mœurs patriarcales qui
aurait déserté et fui en 452 de notre suivaient les rythmes de l’année pasère l’armée du sanguinaire Attila qui, torale et agricole, celui des saisons,
en Italie, renonça à ses conquêtes vivant dans un univers de croyances
après avoir rencontré sur le champ de et de pratiques « magiques » venues
bataille le pape Léon Ier. Un siècle plus d’un passé qui se perd dans la nuit des
tard, le zurichois Fischer, se basant temps. Toutes ces pratiques supersticertainement sur la théorie de Bourrit, tieuses, qualifiées de païennes, étaient
s’efforça d’étayer la thèse sur l’origine condamnées par l’Eglise romaine qui
« Huns » des Anniviards.
s’efforça tant bien que mal de ramener
et inhospitalière. Les indigènes du Val
d’Anniviers disaient eux-mêmes qu’ils
habitaient un « trou » et les Valaisans
de la plaine renchérissaient en disant
que c’était le « trou du chien ».
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ces montagnards sur le « droit chemin ».
En dépit de toutes ces hypothèses sur
l’origine des habitants du Val d’Anniviers, il est possible d’élaborer une
ébauche de théorie sur l’ethnogenèse
de cette vallée, et ceci malgré l’absence de traces écrites.
Le Val d’Anniviers a hérité d’un trésor
que la nature a su préserver durant
3500 ans et peut-être plus, qui peut,
si on l’interroge, nous raconter une
histoire disparue depuis longtemps. Ce
trésor, se sont la vingtaine de pierres
à cupules ou écuelles que les premiers
habitants de la vallée nous ont léguées
et qui sont un témoignage datant probablement de la fin de l’ère du Néolithique et du début de l’Âge de Bronze.
Il est possible de construire une histoire hypothétique sur l’origine des
Anniviards. Pour cela, il faut ajouter
à ce trésor les légendes se rapportant
aux pierres, le nom des lieux, le nouvel essor de l’archéologie valaisanne
qui depuis 50 ans a perfectionné ses
méthodes d’investigations sur la préhistoire de nos vallées alpestres, les
traditions préservées par la mémoire
collective, mais également les rites
qui seront plus tard remplacés lors
de la christianisation par des cultes
dédiés aux saints. Il faut préciser que
ces êtres primitifs n’adoraient pas des
divinités, mais que leurs rites étaient
dédiés aux montagnes, aux sources,
aux arbres, à la Terre-Mère, au soleil
et à la lune qui étaient une « Bible
naturelle », un mode d’enseignement,
d’initiation à la vie de tous les jours
et à la survie face à la mort inévitable.
Ces pierres à cupules sont en quelque
sorte le premier média que nous ont
transmis les premiers habitants du Val
d’Anniviers.
Les pierres à cupules ne sont pas une
spécificité du Val d’Anniviers. On les
trouve dans beaucoup de vallées de
l’arc alpin, en France, en Allemagne, en
Italie du Nord, dans les pays nordiques,
en Afrique du Nord, en Palestine et sur
le continent asiatique.
Lors d’un voyage en octobre 2010, je
me trouvais en Inde du Nord, au pied
de la chaîne himalayenne, dans la val-
lée de Kulu Manali ; je fus stupéfait de
découvrir dans des villages de montagne des pierres à cupules identiques
à celles que j’avais étudiées en Anniviers.
Constituée d’un petit trou de forme circulaire ou ovale, creusée dans la roche
d’un diamètre de 3 à 20 cm et de 2 à
5 cm de profondeur, la cupule est l’un
des motifs les plus représentés dans
l’art pariétal. Dans la grande majorité,
ces petites coupelles se trouvent sur
des blocs erratiques qui ont été choisis
pour leur poli naturel ou glaciaire de
leurs surfaces. Les cupules sont souvent associées à d’autres signes non
explicables qui, dans le Val d’Anniviers,
sont représentés sur plusieurs de ces
pierres mystérieuses.
Il y a les pierres à écuelles isolées,
c’est-à-dire des rochers composés
uniquement de cupules ; comme les
pierres du Pichiou, du Rawuyres, de Pra
Ferwen à Ayer, du Pralic à St Luc, du
Scex de Roua à Grimentz. Il y a celles
qui possèdent des cupules isolées et
des cupules reliées par des rigoles,
comme la « Pierre des Sauvages » à St
Luc, du Boccard à Grimentz, du Dewen
du Sché à Ayer. Il y a aussi des rochers
avec des cupules et des empreintes
pédiformes, comme la remarquable
pierre du Boccard à Grimentz, le pied
unique de la pierre du Gillioux à St
Luc et une autre qui se trouvait près
de la « Pierre des Sauvages » qui possédait 3 pieds et qui a disparu. Des
cupules ovales sont aussi gravées sur
des rochers comme celles des pierres
de Côta de Maya à Zinal et du Scex
de Roua à Grimentz. La dalle du Séjà
à Cuimey est une stèle unique découverte dans le Val d’Anniviers avec des
cupules et les gravures d’une croix,
d’un orant et d’une hache. Une autre
pierre, découverte non loin de Mission, et qui devait faire partie d’une
stèle, nous montre un cercle avec une
croix à l’intérieur dont les extrémités
sont différentes. Une dizaine d’autres
pierres à écuelles ont malheureusement disparu. Nous en avons connaissance grâce aux recherches débutées
au XIXe siècle par Reber, Kraft, Spahni
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et les curés Mariétan et Erasme Zufferey qui les ont répertoriées.
De tous temps la tradition populaire
attribue à ces pierres portant des
cupules ou des gravures des origines
maléfiques où l’on exerçait des sacrifices humains, répandant le sang de la
victime dans le creux de ces rochers.
L’Eglise n’est pas étrangère à cette
excitation de l’imagination étant
donné l’enracinement des cultes indigènes dans le sol et l’âme des habitants des Alpes. Les populations de
nos vallées mirent beaucoup plus de
temps à se christianiser que les populations citadines. L’Eglise dut employer
les grands moyens en supprimant ou
en diabolisant certains lieux de cultes
afin de convertir ces peuples montagnards et d’éradiquer les croyances
païennes. Pour nous en convaincre,
il suffit de prendre des extraits du
sermon de saint Eloi contre le paganisme : « …que nul à la St Jean, aux
autres fêtes de saints, aux solstices,
ne pratique les danses, les sauteries et
les chants diaboliques… Que nul n’allume des flambeaux, ni ne fasse des
vœux aux pieds temples, auprès des
pierres, des fontaines, des arbres, des
enclos ou dans les carrefours… que nul
n’invoque le soleil et la lune comme
des dieux et ne jure par eux, car ce
sont des créatures de Dieu… Ne rendez de culte qu’à Dieu et aux saints ;
laissez là les fontaines et coupez les
arbres qu’on appelle sacrés… » L’Eglise
dut pendant des siècles, composer
avec les anciennes croyances, et les
assimiler, faute de pouvoir les détruire
complètement.
Il est important de spécifier qu’une
grande partie des sites mégalithiques du Val d’Anniviers n’étaient
pas des lieux de cultes où les anciens
se livraient à leurs croyances dites
« païennes ». Pour la majorité de ces
pierres à cupules d’autres fonctions
leur étaient attribuées, fonctions que
nous découvrirons dans les prochains
numéros des « 4 saisons ».
(À suivre : LA GENESE ANNIVIARDE )
Jean-Louis CLAUDE
Zinal

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