Le Temps, 05.12.2015

Transcription

Le Temps, 05.12.2015
II
SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2015
Echappées
LE TEMPS DES LIVRES
«Lundi, on va chez Butlers, pareil
que la semaine dernière. On va
toujours chez Butlers, pas vrai?
demande Roy»
JEREMY CHAMBERS
Genre | Roman
Auteur | Jeremy
Chambers
Titre | Le Grand
Ordinaire
Traduction | De
l’anglais par Brice
Matthieussent
Editeur | 10/18
Pages | 310
Etoiles| ✶✶✶✶✶
◗ Pendant de nombreux étés, alors qu’il faisait des
études de lettres et de philosophie, Jeremy Chambers – né en 1974 à Melbourne, où il vit toujours – a
travaillé dans les vignobles du sud-est de l’Australie
et cette plongée chez les gens de peu lui a inspiré ce
premier roman écrit dans la pénombre d’une
chambre où il dut rester enfermé pendant près de
cinq ans, à cause d’une maladie qui le rendait incapable de supporter la lumière du jour. C’est aux
confins des terres australes, dans une de ces régions
déshéritées où il fut saisonnier, que nous entraîne
Chambers. Smithy, son narrateur, est un solitaire
POCHE
CARACTÈRES
hanté par le souvenir d’un amour perdu. A l’automne
de sa vie, noué comme un vieux cep de muscat, il
décrit les ravages que l’alcool a creusés dans son
corps. Au bar du village, il rencontre ceux qui triment dans les vignes, courbés sous le joug de la
résignation. La chaleur et le labeur ont asséché leurs
âmes et Smithy brosse d’inoubliables portraits de
ces parias aux visages aussi burinés que les paysages
dont ils s’échappent pour aller se soûler et se
détruire à petit feu, le soir venu. «Un signe de tête
par-ci par-là, les hommes restent debout, le verre
à la main, les silences durent longtemps, c’est
l’heure où l’on parle en gardant les lèvres closes»,
écrit Chambers, qui réussit à offrir leur part de
dignité à tous ces taiseux surgis du désert australien. Ce Grand Ordinaire est un roman magnifique,
raboté par le fer du désespoir, avec une économie
de moyens digne de Beckett. Il ne s’y passe quasiment rien et, pourtant, on a l’impression que tout
est dit: l’humanité réduite à la plus émouvante des
épures. ■ PAR ANDRÉ CLAVEL
LUC FERRY ET BERNARD WERBER La Société de lecture de Genève réunit,
le lundi 7 décembre à 20h au Théâtre de Carouge, l’essayiste Luc Ferry, auteur,
entre autres, de «La Révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque»,
et Bernard Werber, l’auteur des «Fourmis». (Réservation: 022 311 45 90)
MARQUE
PAGE
NOËLLE REVAZ Rencontre avec la romancière Noëlle Revaz, Prix suisse
de littérature 2015, autour de deux de ses livres, «L’Infini Livre» (Zoé, 2014)
et «Efina» (Gallimard). L’association Tulalu!? organise l’événement dans son
quartier général habituel, le restaurant Lausanne-Moudon (rue du tunnel 20).
La rencontre débute à 20h (entrée libre). Possibilité de dîner sur place à 18h30
(payant et sur réservation au 079 943 55 37).
CONTES DE NOËL Chaque année à Noël, de 1920 à 1943, J. R. R.Tolkien a écrit
une à deux lettres à ses enfants, soi-disant envoyées du pôle Nord par le Père
Noël ou l’Ours polaire. La conteuse Stéphanie Ilona Horvath fera la lecture
de ces récits drôles et prenants. Le 16 décembre à 20h à la Bibliothèque
de Nyon Adultes (av. Viollier 10). (Réservation: 022 361 68 09)
MEILLEURES VENTES EN SUISSE PAYOT/SEMAINE DU 23 AU 27 NOVEMBRE 2015
1
L
e Livre des Baltimore
Joël Dicker
De Fallois
2 A stérix T36:
Le Papyrus de César
Jean-Yves Ferri,
Didier Conrad
Albert René
3 Largo Winch T20:
20 Secondes
Philippe Francq, Jean Van
Hamme, Yoann Guillo,
Bertrand Denoulet
Dupuis
4 L e Charme discret
de l’intestin. Tout sur
un organe mal aimé…
Giulia Enders
Actes Sud
5 B oussole
Mathias Enard
Actes Sud [Prix Goncourt]
6 P etit Lexique
des belles erreurs
de la langue française
(et de Suisse romande)
Cyril Jost,
Plonk & Replonk
LEP
7 L a Puissance
de la Joie
Frédéric Lenoir
Fayard
8 L e Chat T20:
Le Chat fait des petits
[Coffret en 3 volumes]
Philippe Geluck
Casterman
9 2 084.
La fin du monde
Boualem Sansal
Gallimard
[Prix de l’Académie
française]
Les fantômes
du Doubs
◗ La légende circule le long du Doubs qui fait frontière, comme on sait, entre la France et la Suisse. Un
jour, une jeune femme descendit à cheval jusqu'à la
rive du haut de la côte helvétique. Elle se trouvait
dans un état d'inquiétude extrême. Il lui fallait au
plus vite traverser la rivière et rejoindre la côte française pour retrouver sa mère grièvement malade.
Elle était la fille d'honnêtes gens de Morteau et avait
trouvé un époux en Suisse. Le batelier de service lui
dit son prix. La jeune femme réalisa alors avec effroi
qu'elle était partie de chez elle sans argent. Dans sa
précipitation, elle avait oublié sa bourse.
Le batelier fut catégorique: pas d'argent, pas de
traversée. Elle le supplia de prendre pitié d'elle, lui
assura qu'elle le paierait dès le lendemain, lui proposa son manteau en gage, son cheval même. Elle
pleura, supplia encore. Rien n'y fit. Dans un sursaut
désespéré, elle monta alors sur son cheval et
s'élança dans la rivière. Les flots avalèrent et la
dame et la bête.
L'histoire n'est pas finie. L'année suivante, le même
jour et à la même heure, la jeune femme réapparut.
Le batelier était en train de rentrer dans sa cabane,
heureux d'une journée de traversées lucratives.
Quand ses yeux se posèrent sur la cavalière, il fut
saisi: son regard était dur, terrible. Elle le prit par
le bras d'une main glacée et forte comme le fer. Elle
l'entraîna jusqu'au fond de la rivière puis le jeta sur
la rive. Quelques heures après, il était mort.
Cette histoire est rapportée par Xavier Marmier
dans son Voyage en Suisse paru en 1860. Cet auteur
de Pontarlier est cité dans un livre qui vient de
paraître et qui ravira les amoureux des berges de la
rivière franco-suisse: Le Doubs au fil des textes. Du
XIXe siècle à aujourd'hui (Editions Alphil), signé par
Daniel Sangsue. Le professeur de littérature française à l'Université de Neuchâtel réunit un essai sur
la représentation du Doubs dans la littérature et une
anthologie de textes, de Stendhal, d'André Beucler,
de Bernard Clavel, entre plusieurs autres.
Et puis, tout à la fin, se glisse le journal d'un
inconnu. Daniel Sangsue explique qu'un restaurateur des bords du Doubs, connaissant son intérêt
pour les manuscrits trouvés, lui a rapporté un carnet Moleskine oublié un dimanche de novembre
2014 par un de ses clients. Malgré une petite annonce
insérée dans un journal local, aucun promeneur
n'est venu réclamer son carnet. Le récit de ces
dimanches au bord du Doubs constitue aujourd'hui
le plus long extrait de l'anthologie. On devine qu'il
parcourt des chemins d'enfance. On sent le rythme
lent des eaux et de la marche. Qu'est devenu le marcheur? Revient-il encore au bord du Doubs, année
après année? Daniel Sangsue précise qu'il tient toujours le carnet à sa disposition. ■
PAR LISBETH KOUTCHOUMOFF
10 P almyre.
L’irremplacable trésor
Paul Veyne
Albin Michel
PUBLICITÉ
Partenaire média

Documents pareils