La Library of Congress UniVersaLiTe eT innoVaTion
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La Library of Congress UniVersaLiTe eT innoVaTion
← La conservation d’un document sonore sur le Packard Campus. Photo : Library of Congress / Abby Brack thèques du monde». Aujourd’hui, la Library of Congress gère plus de 155 millions d’objets, dont 35 millions de livres et autres documents imprimés dans 460 langues, plus de 68 millions d’écrits, mais aussi la plus grande collection au monde de pellicules, de supports sonores, de partitions, d’images et de cartes. La Library of Congress UNIVERSALITE ET INNOVATION Au cours de ses 133 ans d’existence, la Library of Congress a toujours fait preuve d’un esprit pionnier et mis au point des innovations porteuses d’avenir. Depuis le début de ce siècle, ces innovations se situent principalement dans le domaine de l’audiovisuel. P eter M iles J O U R N A L I ST E I N D É P E N DA N T, F O R M AT E U R E T CO N S U LTA N T M É D I A S A LO N D R ES En 1800, lorsque la ville de Washington est devenue la capitale des États-Unis, une bibliothèque spécialisée interne regroupant près de 3000 ouvrages a été installée dans le nouveau bâtiment du Parlement, le Capitole. Mais dès 1814, alors que la guerre anglo-américaine faisait rage, les troupes britanniques ont incendié le Capitole et pillé la Library of Congress. Pour que celle-ci puisse être recrée, l’ancien président Thomas Jefferson décida de vendre à la bibliothèque sa propre collection d’ouvrages en plusieurs langues, consacrés non seulement au droit mais aussi aux lettres et aux sciences naturelles, ainsi qu’à la littérature générale. Il fonda ainsi le principe d’universalité, qui reste aujourd’hui encore une véritable norme éthique. En 1851, un nouvel incendie détruisit une grande partie du fonds documentaire, mais celui-ci fut rapidement reconstitué par la suite. Juste après la guerre civile (1861–1865), le bibliothécaire en chef Ainsworth Rand Spofford lança une stratégie progressiste en réclamant un soutien public et des subventions de l’État pour une bibliothèque désormais accessible à tous. Mais c’est en 1870 que la Library of Congress prit une importance décisive, lorsqu’elle devint le centre de dépôt fédéral pour la conservation du droit d’auteur des livres, brochures, cartes, plans, imprimés, photographies et partitions. En 1897, un nouveau bâtiment fut inauguré face au Capitole, à Washington, et acquit la réputation de «plus grande, plus chère et plus sûre des biblio- Le Packard Campus pour la conservation audiovisuelle Vers la fin du siècle dernier, on a commencé à chercher un nouveau lieu de conservation pour les supports audiovisuels, dont le volume augmente à une vitesse vertigineuse. Le choix s’est porté sur un bunker situé à Culpepper (Virginie), environ 120 kilomètres au sudouest de Washington, qui avait servi de dépôt d’argent à la banque nationale pendant la Guerre froide. C’est principalement avec les fonds privés des fondations de la famille Packard, cofondatrice de Hewlett-Packard, que le terrain a été acheté et qu’un centre parfaitement intégré au paysage a été construit. Le Packard Campus, véritable modèle en son genre, a ouvert ses portes en 2008. Il occupe une surface de plus de 180 km², totalise pas moins de 140 km de rayonnages et compte plus de 120 caves voûtées pour les films celluloïd. Y sont archivés des pellicules 35 mm, des vidéos et des supports sonores de toutes sortes. L’accès aux documents archivés est possible uniquement dans les bibliothèques associées et en ligne. Dans ce dernier cas, pour des raisons liées au droit d’auteur, on ne peut en consulter que des extraits. Jim Lindner, conservateur et inventeur Lorsque Jim Lindner, aujourd’hui âgé de 60 ans, a accepté en 2001 de devenir conseiller vidéo en chef à la Library of Congress, il avait déjà numérisé les œuvres d’art vidéo d’Andy Warhol et les archives des actualités de la chaîne NBC pour les années 1960 et 1970. Il s’est alors retrouvé face à une montagne de centaines de milliers de cassettes vidéo avec des films, des supports d’information et des enregistrements privés de toutes sortes. La plupart d’entre elles avaient été envoyées dans le cadre de l’obligation légale, les autres provenaient de diverses archives et collections privées. Lors de son entretien téléphonique avec Memoriav, Jim Lindner s’est souvenu avec humour de ce défi «insensé» : «Il m’était deman- PIONNIERS / PIONNIERS dé de faire en sorte que les documents d’archive soient conservés jusqu’à 200 ans après la fin de la république. En tant que technologue et futurologue, cela m’a tout de suite causé de beaux soucis». Jim Lindner avertit ses employeurs qu’il faudrait au moins 85 ans pour lire une à une toutes les bandes. Pendant plusieurs mois, les procédures possibles et les frais associés ont fait l’objet de discussions, jusqu’à ce que Lindner décide en 2002 de créer avec ses propres fonds un robot capable de lire et de numériser en même temps plusieurs bandes. Ainsi est né le système SAMMA (System for the Automated Migration of Media Assets), que Jim Lindner a vendu à la Library of Congress puis à de nombreuses autres institutions de par le monde. Dans ce système, plusieurs robots fonctionnent en même temps, avec chacun jusqu’à six lecteurs en fonction du nombre de formats différents qui sont traités. Chaque robot a approximativement les dimensions d’une armoire et repose sur des roulettes. Dans la partie supérieure, les bandes sont empilées manuellement dans une sorte de carrousel, d’où elles sont acheminées automatiquement par le robot dans les lecteurs. Elles sont numérisées selon des critères prédéfinis, puis identifiées, migrées et enregistrées sous un format numérique. Lorsque le travail sur une bande vidéo est terminé, le robot en prend une autre sur le carrousel et la fait passer dans le lecteur correspondant. Le système SAMMA fonctionne 24 h/24 et 7 j/7 ce qui, selon Jim Lindner, représente une économie de 90 pour cent : «Un système basé sur des robots fait moins de pauses café et a besoin de beaucoup moins de sommeil», déclare-t-il, amusé. SAMMA produit en général trois copies numériques : un fichier d’archive au format JPEG2000, permettant une compression sans perte de qualité ; un fichier maître très légèrement compressé, qui peut par exemple être utilisé par des producteurs de télévision ; et enfin, un fichier d’accès de type MPEG-4, qui peut être accessible aussi via Internet. Des métadonnées sont enregistrées simultanément dans tous les formats, afin que les éventuelles erreurs puissent être identifiées, enregistrées et, si nécessaire, réparées ultérieurement. Les fichiers d’archive JPEG2000 sont écrits sur des bandes de données. Les originaux sont conservés, tout du moins tant qu’il existe des appareils permettant de les lire. MEMORIAV Le Packard Campus «vert» (Virginie), parfaitement intégré dans le paysage ; Jim Lindner, inventeur de SAMMA et architecte de conservation. Photo : Library of Congress / Abby Brack PIONNIERS / PIONNIERS The Commons The Commons est le résultat d’un dilemme. Etant donné que le statut de droit d’auteur des images que la Library of Congress voulait mettre en ligne n’était pas couvert par les règles existantes de Flickr, la nouvelle définition «Aucune restriction de droit d’auteur connue» a été créée. Ce modèle a rapidement fait école et de plus en plus de bibliothèques et musées du monde entier s’en servent pour mettre à disposition du public leurs documents libres de droits d’auteur. Actuellement, le portail The Commons de Flickr permet d’accéder à 72 autres institutions, qui vont de la NASA à une bibliothèque municipale des montagnes norvégiennes. Les utilisateurs peuvent utiliser les images et sont expressément invités à ajouter leurs propres tags et commentaires sur le site Internet de The Commons, dans Pour Jim Lindner, il est crucial que les vidéos soient altérées le moins possible et soient archivées telles qu’elles ont été tournées : «Nous sommes là pour conserver les œuvres, non pour les modifier», souligne-t-il. Il ne faut à aucun prix utiliser un support sur lequel on ne pourrait plus revenir à l’avenir. Jim Lindner, qui a reçu en 2012 un EMMY pour son invention, attend que soit développé au cours des cinq prochaines années un format qui remplacera le JPEG2000. Il espère que cela permettra d’assurer une compatibilité optimale à l’échelle mondiale. Si l’on s’entend un jour pour utiliser une nouvelle norme, il faudra migrer tous les documents numérisés jusqu’alors vers ce format. Lorsque Memoriav demande à Reto Kromer, conservateur et restaurateur suisse, quels sont les plus grands problèmes rencontrés à l’heure actuelle, il répond qu’il s’agit de la compatibilité et de l’accès. Cet expert international explique que cela ne tient pas uniquement aux fichiers mais aussi à la manière dont ils ont été inscrits sur leurs supports respectifs et dont on peut ensuite les lire. À cet égard, on est habituellement tributaire des fabricants proposant les logiciels requis, qui sont généralement fournis sous licence commerciale. une perspective d’amélioration. w www.flickr.com/commons Gene DeAnna, amateur de musique et administrateur de documents sonores Si, dans le moteur de recherche qui se trouve sur la page principale de la Library of Congress, on choisit le département «Audio Recording» et que l’on saisit ensuite «Swiss German», on peut trouver quatre enregistrements du jodler de Lucerne, Fritz Zimmermann, dont les disques avaient été édités par la société Victor en 1920 et 1921.* Les quatre titres De Gaemsjaeger, D’meitschi von Emmetal, D’heimet et Mein Schweizerland (titres tels que présentés par la Library of Congress) peuvent être écoutés dans la rubrique «National Jukebox» du département AV en ligne de la Library of Congress. Le juke-box est un projet du responsable du département des supports sonores, Gene DeAnna. Il regroupe actuellement 10 000 titres, mais Gene DeAnna voudrait doubler ce chiffre rapidement. Les visiteurs en ligne peuvent * A ce sujet, voir l’article de Hans Peter Woessner Helvetica im Ausland statt in der Schweizer Schallplattensammlung, dans le bulletin Memoriav n°18 (10/2011). même composer une playlist à partir des en registrements disponibles et proposer de la mettre en ligne. Dans son département, Gene DeAnna gère plus de 3,5 millions de documents sonores, avec pratiquement tous types de formats, dont des cylindres de cire des années 1880, des rouleaux de reproduction, des disques en gomme-laque, en métal et en vinyle, des bandes sonores avec divers types de contenus, des CD et des produits existant uniquement au format numérique. Chaque année, entre 20 000 et 25 000 supports sonores sont numérisés. La priorité est accordée aux films sensibles et aux bandes magnétiques, des formats qui risquent bientôt de ne plus pouvoir être lus. Dans le département consacré aux documents sonores, on crée aussi un fichier d’archive non traité (format : WAV 96/24) et un fichier d’accès (WAV 44,1/16). Les enregistrements sur disque endommagés sont traités avec le système IRENE (Image, Reconstruct, Erase, Noise, etc.). Celui-ci les scanne, sans toucher le disque, pour créer une sorte de carte numérique du sillon à partir de laquelle on peut reconstruire la piste audio. «La toute nouvelle version d’IRENE est incroyable», déclare avec enthousiasme Gene DeAnna à Memoriav, «avec une variante en trois dimensions, capable de lire les cylindres». Lors de notre conversation téléphonique, Gene DeAnna nous explique qu’aux ÉtatsUnis, il règle un «véritable chaos» en matière de droits d’auteur pour la musique. Ce n’est qu’en 1972 qu’une loi sur les droits d’auteur applicable dans tout le pays a été instaurée. Il y a donc seulement 41 ans que la Library of Congress gère les droits d’auteur et reçoit à ce titre des exemplaires de chaque production musicale. Pour toutes les œuvres antérieures, la bibliothèque compte sur les dons et les achats. Gene DeAnna est particulièrement fier du plus important don réalisé, celui de la société Universal en 2011. Il occupe plus de 1,5 km d’espace d’archive et comprend 200 000 disques originaux et bandes sonores de la période comprise entre 1930 et 1950, parmi lesquels quelques trésors de Louis Armstrong. Universal en conserve cependant les droits d’auteur (cf. «chaos»). Il en va autrement avec les disques de Fritz Zimmermann : grâce à un accord sur les droits d’auteur conclu avec le propriétaire actuel de Victor, Sony, la Library of Congress est autorisée à MEMORIAV mettre en ligne ces morceaux en streaming. La Library of Congress possède également une incroyable collection d’enregistrements radio. Gene DeAnna estime que le don de la NBC, qui comprend près de 150 000 films de 1935 à 1970, est une «véritable malle aux trésors», y compris pour les historiens et les sociologues. Ils ont été provisoirement copiés sur des bandes sonores et sont, selon Gene DeAnna, la collection la plus utilisée parmi les archives sonores. Gene DeAnna, et d’autres avec lui, sont cependant inquiets. En cette période de restrictions budgétaires publiques, il souhaiterait que le secteur privé témoigne davantage de reconnaissance pour le travail de la Library of Congress et lui dispense un soutien financier accru. Les réseaux sociaux, une porte d’entrée dans l’univers des archives Début 2007, avant la création du National Jukebox, la Library of Congress commençait déjà à rechercher de nouveaux moyens d’acquérir rapidement et à moindres frais le plus grand nombre possible de «client(e)s» supplémentaires. Elle en est arrivée à la conclusion que les gens communiquent bien sur les images, tout particulièrement dans le contexte d’un réseau social. Après quelques études, un projet pilote pour la diffusion d’images a été mis au point et Flickr a été jugé le forum le plus approprié pour le réaliser. Cependant, les possibilités qu’offrait alors Flickr pour l’indication des droits d’auteur ne répondaient pas aux exigences des supports de la Library of Congress. Cela a mené à la création d’un portail Flickr dédié, The Commons (voir encadré). Une fois ces difficultés surmontées, les premiers enregistrements historiques ont été sélectionnés avec soin et mis en ligne en janvier 2008. La sélection a été effectuée de façon à représenter un éventail aussi large que possible d’époques, de thèmes, de lieux et de métadonnées, dans l’espoir que les utilisateurs les complèteraient par leurs propres informations et connaissances. Au bout de 9 mois, le premier bilan était très encourageant : le flux Flickr avait déjà été consulté plus de 10 millions de fois et près de 80% des images avaient été mises en favoris par les utilisateurs et enregistrées dans les collections personnelles. Autre grand succès : le crowdsourcing a porté ses fruits, de plus en Conservation des vidéos et des films à Culpepper, ci-dessus avec le robot SAMMA. Photo : Library of Congress / Abby Brack plus de membres ajoutant des informations supplémentaires aux images ainsi que des tags, ce qui a souvent permis de les classer dans des catégories supplémentaires. Actuellement, sur le flux Flickr de la Library of Congress, près de 20 000 images sont disponibles sur des thèmes tels que «Visages à l’époque de la guerre civile américaine», «Baseball Americana» ou encore «L’empire russe en couleurs». La Library of Congress utilise également une chaîne YouTube et propose des court-métrages sur iTunes ainsi qu’un abonnement à des podcasts et des webcasts. Enfin, la bibliothèque est présente sur Facebook et tient un compte Twitter. En dépit de tous les bouleversements qui se sont produit entre le XIXe siècle et aujourd’hui, la Library of Congress a toujours gardé la volonté de conserver le patrimoine culturel, pour maintenir la conscience collective américaine le plus longtemps possible dans l ’avenir. Gene DeAnna tient à souligner à quel point l’accès à notre héritage culturel est important et bé néfique pour la créativité des artistes contemporains : si l’on rompait cette continuité, met-il en garde, «cela reviendrait à modifier le cours d’un fleuve».