Diabète de type 2 et cancer - Médecine Clinique endocrinologie
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Diabète de type 2 et cancer - Médecine Clinique endocrinologie
Le risque de cancer dans les maladies métaboliques Diabète de type 2 et cancer : aspects épidémiologiques Dominique Simon MD, PhD Maître de Conférence des Universités, Praticien Hospitalier Service de Diabétologie, Hôpital de la Pitié, 75013 Paris CESP, INSERM U-1018, 94800 Villejuif Tél : (33) (0)1 42 17 83 69 Fax : (33) (0)1 42 17 82 39 E-mail : [email protected] Mots-clés : diabète de type 2, cancer, épidémiologie, insuline, IGF-1 Parler des relations entre diabète et cancer ne soulevait pas grand enthousiasme jusqu’au 26 juin 2009 où la publication online d’un article dans Diabetologia accusant l’insuline glargine d’entraîner une augmentation du risque de cancer [1] a fait de ce thème un sujet d’actualité. Depuis cette date, au moins une session y est consacrée dans tous les congrès de diabétologie où les amphithéâtres sont assaillis, et les publications ont fleuri. Pourtant, depuis de longues années, le lien entre cancer et diabète fait l’objet de controverses dans le milieu épidémiologique, du fait en particulier de problèmes méthodologiques, sources de nombreux biais, dans la plupart des études. Ainsi, pendant longtemps, les études ont reposé sur des données de mortalité en utilisant les certificats de décès où la mention de diabète bien souvent ne figure pas, amenant ainsi à conclure à une réduction du risque de décès par cancer chez les diabétiques dans une vieille étude en Grande-Bretagne [2]. Malgré des progrès dans l’approche méthodologique et le développement d’études prospectives, avec suivi d’échantillons représentatifs de patients diabétiques sur de longues périodes, la question reste pourtant largement débattue, du fait en particulier du rôle de facteur de confusion joué par l’obésité et l’activité physique [3], et aussi, dans le cas spécifique du cancer du pancréas, de la difficulté à préciser la chronologie d’apparition du diabète et du cancer [4]. Nous allons tenter d’éclairer le débat en rapportant les résultats des études épidémiologiques récentes ainsi que de quelques métaanalyses, en mettant à part le chapitre du cancer du pancréas. Nous évoquerons ensuite les mécanismes physiopathologiques suscepMédecine Clinique endocrinologie & diabète • Avril 2011 • Insuline Simon.indd 9 tibles de relier la survenue d’un cancer et le diabète de type 2, étayés par quelques études épidémiologiques. Données épidémiologiques sur l’association diabète/ hyperglycémie-cancer Parmi les nombreuses publications sur le sujet, nous retiendrons les plus récentes et les plus intéressantes du fait de leur méthodologie et de leur effectif. Etude japonaise d’Inoue [5] Dans cette étude, 97 771 Japonais, représentatifs de la population générale des 40 à 69 ans [moyenne d’âge à l’inclusion = 51,6 ± 7,9 ans (m±sd)], comprenant 47,3 % d’hommes, ont été suivis durant 10,7 ans en moyenne à partir de 1990. Ils avaient rempli à l’inclusion un auto-questionnaire (80 % ont répondu) et ils étaient considérés comme diabétiques s’ils avaient répondu positivement à l’une des deux questions : « un médecin vous a-t-il jamais dit que vous étiez diabétique » ou « Prenez-vous un traitement anti-diabétique ? ». En utilisant cette définition, il y avait dans l’échantillon 6,7 % de diabétiques parmi les hommes et 3,1 % chez les femmes. Durant le suivi, 6 462 cancers ont été diagnostiqués (3907 chez les hommes et 2555 chez les femmes) à partir des données a priori exhaustives fournies par les registres de cancers, les informations hospitalières et les certificats de décès. Après ajustements multiples sur des facteurs de confusion potentiels [âge, indice de corpulence (IC), consommation d’alcool et de légumes 9 08/04/11 11:32 Le risque de cancer dans les maladies métaboliques Tableau 1. Données épidémiologiques chez des Japonais. Risque de cancer chez les diabétiques Hommes Femmes Tous sites : 1,27 (1,14-1,42) Tous sites : 1,21 (0,99-1,47) Foie : 2,24 (1,64-3,04) Estomac : 1,61 (1,02-2,54) Pancréas : 1,85 (1,07-3,20) Foie : 1,94 (1,00-1,85) Rein : 1,92 (1,06-3,46) Ovaires : 2,42 (0,96-6,09) Côlon : 1,36 (1,00-1,85) Pancréas : 1,33 (0,53-3,31) Estomac : 1,23 (0,98-1,54) Sein : 0,83 (0,44-1,57) Prostate : 0,82 (0,51-1,33) Après ajustement sur âge, indice de corpulence, consommation de tabac, alcool et légumes verts, activité physique. Tableau 2. Population suédoise. Risque relatif de cancer (quartile supérieur vs quartile inférieur) Hommes Femmes G0 : 1,08 (0,92-1,27) p = 0,25 G0 : 1,26 (1,09-1,47) p < 0,001 G2 : 0,98 (0,84-1,16) p = 0,99 G2 : 1,31 (1,12-1,52) p < 0,001 Après exclusion du cancer de prostate : Après correction pour variabilité de G0 : G0 : 1,12 (0,92-1,36) p = 0,16 G0 : 1,75 (1,32-2,36) p < 0,001 G2 : 1,17 (0,95-1,45) p = 0,095 G2 : 1,63 (1,26-2,18) p < 0,001 RR identique après ajustement sur indice de corpulence et consommation de tabac. Tableau 3. Population suédoise. Risque relatif de différents cancers (quartile supérieur vs quartile inf.). Glycémie à jeun Glycémie à 2 h Pancréas : 2,49 (1,23-5,45) p = 0,006 Pancréas : 0,91 (0,47-1,78) p = 0,91 Mélanome : 2,16 (1,14-4,35) p = 0,01 Mélanome : 1,65 (0,89-3,17) p = 0,09 Voies urin. : 1,69 (0,95-3,16) p = 0.049 Voies urin. : 1,18 (0,65-2,17) p = 0,78 Endomètre : 1,86 (1,09-3,31) p = 0.019 Endomètre : 1,82 (1,07-3,23) p = 0,03 Prostate : 0,96 (0,74-1,26) p = 0,71 Prostate : 0,79 (0,61-1,02) p = 0,07 RR identique après ajustement sur indice de corpulence et consommation de tabac. verts, activité physique], l’analyse des résultats a montré chez les diabétiques, par rapport aux non diabétiques, un risque significativement accru de 27 % [Intervalle de Confiance à 95 % (IC 95%) = 14 à 42 %] des cancers de toutes localisations chez l’homme, et une augmentation de 21 % chez la femme, à la limite de la signification (Tableau 1) [5]. Chez l’homme diabétique, le risque de cancer du foie était plus que doublé chez les diabétiques, alors que le risque de cancer du pancréas était augmenté de 85 %, celui de cancer du rein de 92 % et celui de cancer du côlon de 36 %, tous les 10 Insuline Simon.indd 10 quatre significativement (Tableau 1). Chez la femme diabétique, seuls les risques de cancer du foie et de cancer de l’estomac étaient significativement accrus, de 94 % et 61 % respectivement, alors que le risque de cancer du sein était réduit de 17 %, non significativement (Tableau 1) [5]. Concernant le cancer du sein chez les diabétiques, les données sont très contradictoires, le risque de décès par cancer du sein diminué non significativement ici, ayant à l’inverse été trouvée augmenté significativement dans une récente étude à Taïwan, avec un risque accru allant de 37% (IC95 % = 16 à 62 %) chez les femmes de 55 à 64 ans à 239 % (IC95 % = 62 à 353 %) chez celles de 75 ans et plus [6]. Etude suédoise de Stattin [7] A partir de 1985, 64 597 Suédois (48,5 % d’hommes) n’ayant pas de diabète connu, âgés de 40 à 60 ans (46,1 ± 9,8 ans à l’inclusion), ont été suivis durant 8,3 ± 3,6 ans. A l’inclusion, les glycémies à jeun (G0) et à la 2ème heure de l’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) (G 2) ont été mesurées sur sang capillaire, avec des chiffres de 5,4±1,0 mmol/l et de 6,6 ± 1,7 mmol/l respectivement. La mesure de G 0 indiquait 87 % de sujets normaux, 10,5 % d’hyperglycémiques modérés à jeun (HMJ) définis par une valeur de G0 ≥ 6,1 mmol/l et 2,5 % de diabétiques définis par G0 ≥ 7,0 mmol/l, alors que la mesure de G2 classait 93 % de sujets comme normaux, 6 % comme intolérants au glucose (IG) (G 2 ≥ 8,9 mmol/l) et 1,0 % comme diabétiques (G 2 ≥ 12,1 mmol/l). Durant le suivi, 2 478 cas de cancers ont été découverts (46,5 % chez des hommes) et le risque relatif de cancer a été calculé pour les sujets du quartile supérieur de glycémie par rapport aux sujets du quartile inférieur, pour les cancers toutes causes dans chaque sexe (Tableau 2), et pour les différentes localisations tous sexes confondus (Tableau 3). Le Tableau 2 montre une augmentation significative du risque de cancer dans le quartile glycémique supérieur uniquement chez les femmes, tant pour G0 que pour G2. Ce risque accru chez les femmes devient beaucoup plus important et atteint 75 % pour G0 et 63 % pour G2 lorsqu’on réduit la variabilité glycémique en prenant en compte une deuxième mesure glycémique réalisée plusieurs années après l’inclusion chez près de 10 000 sujets [7]. En revanche, chez les hommes, même en excluant les cas de cancer de la prostate, faiblement associé négativement au niveau glycémique, aucune relation significative n’était relevée, et il n’y avait pas non plus chez eux de risque accru de cancer en cas d’HMJ, d’IG ou de diabète par rapport aux Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Avril 2011 • 08/04/11 11:32 Le risque de cancer dans les maladies métaboliques sujets normoglycémiques. Concernant les sites de cancers, pour G0 le risque était significativement accru pour le pancréas, le mélanome malin et l’endomètre, alors que pour G 2 seul le cancer de l’endomètre était significativement plus fréquent chez les femmes du quartile supérieur (Tableau 3) [7]. Etude coréenne de Jee [8] Les fonctionnaires coréens ont été invités par leur système national d’Assurance Maladie à participer à une étude de prévention du cancer en 1992 où ils ont eu un examen clinique et une mesure de G 0 à l’inclusion. Le taux de participation a atteint 95 %, permettant le recrutement de 1 298 385 sujets (63,9 % d’hommes) de 30 à 95 ans (46,9 ± 11,5 ans à l’inclusion) suivis 9,4 ans en moyenne, période durant laquelle 53 833 cancers incidents ont été diagnostiqués (70,1 % chez des hommes) [8]. La comparaison entre les catégories ayant le taux de G0 le plus haut (≥ 7,8 mmol/l) et le plus bas (< 5,0 mmol/l) montre dans chaque sexe un risque significativement augmenté d’incidence de tous les cancers et de mortalité par cancer chez les sujets ayant les taux les plus élevés de glycémie, et aussi un risque significativement accru de mortalité liée aux cancers du pancréas et du foie, après ajustement sur l’âge et la consommation d’alcool et de tabac (Tableau 4). Chez l’homme seulement était noté un risque accru de décès par cancer colorectal en cas de glycémie élevée (Tableau 4). L’ajustement sur l’IC ne modifiait pas ces résultats et le risque de mortalité par cancer augmentait graduellement avec les taux croissants de G0 dans toutes les classes d’IC. La comparaison entre diabétiques (définis par un traitement du diabète ou G0 ≥ 7,0 mmol/l) et les sujets ayant G0 < 5,0 mmol/l donnait des résultats à peu près identiques [8]. Etude autrichienne de Rapp [9] E n t r e 1 9 8 8 e t 2 0 0 1 , 1 4 0 8 1 3 habitants (45,2% d’hommes) de la province du Voralberg en Autriche, Tableau 4. Population coréenne. Hazard ratios des cancers suivant le niveau glycémique à jeun. HR* chez les sujets avec G0 haute (≥ 7,8 mmol/l) vs les sujets avec G0 basse (< 5,0 mmol/l) chez les hommes et chez les femmes respectivement : Incidence tous cancers = 1,22 (1,16-1,27) et 1,15 (1,01-1,25) Mortalité par cancer toutes causes = 1,29 (1,22-1,37) et 1,23 (1,09-1,39) Mortalité par cancer pancréatique = 1,91 (1,52-2,41) et 2,05 (1,43-2,93) Mortalité par cancer du foie = 1,57 (1,40-1,76) et 1,33 (1,01-1,81) Mortalité par cancer colo-rectal = 1,31 (1,03-1,67) (significatif seulement chez les hommes) * ajusté sur l’âge et la consommation d’alcool et de tabac. Tableau 5. Population autrichienne. Hazard ratios des cancers suivant le niveau glycémique à jeun. HR* chez les sujets avec G0 haute (≥ 7,0 mM) vs groupe de référence (G0 entre 4,2 et 5,2 mM) : Pour l’incidence de tous les cancers = 1,20 (1,03-1,39) chez les hommes et 1,28 (1,08-1,53) chez les femmes Pour le cancer du foie = 3,56 (1,58-8,02) dans les deux sexes combinés Pour les cancers de la vésicule et des voies biliaires = 3,35 (1,16-9,70) dans les deux sexes combinés *ajusté sur l’âge, l’indice de corpulence, la catégorie professionnelle et le tabagisme âgés de 35 à 54 ans (43±15 ans), indemnes de cancer, ont été inclus dans une étude épidémiologique avec mesure initiale de G 0. Les 2/3 de la population ont accepté de participer. Durant le suivi moyen de 8,4±3,8 ans, 5 212 cancers ont été diagnostiqués. En prenant comme référence les sujets appartenant aux 2 ème et 3 ème quartiles de G0 (entre 4,2 et 5,2 mmol/l), les sujets diabétiques à l’inclusion (G 0 ≥ 7,0 mmol/l) avaient un risque significativement augmenté d’incidence de cancer dans chaque sexe et, en regroupant hommes et femmes, un risque accru significativement de cancer du foie et de cancer de la vésicule et des voies biliaires (Tableau 5) [9]. Méta-analyses sur la relation diabète-cancer de la prostate [10, 11] Partant de 14 études publiées entre 1971 et 2002, comprenant 9 études de cohorte et 5 études cas-témoins, une première méta-analyse très bien conduite a montré une réduction du risque de cancer de la prostate minime Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Avril 2011 • Insuline Simon.indd 11 mais significative, de 9 % (IC95 % = 4 à 14 % ou 6 à 12 % suivant le modèle d’analyse statistique utilisé) [10]. Ce résultat a été confirmé par une métaanalyse plus récente [11] ayant utilisé les données de 19 études dont 12 figuraient déjà dans la première métaanalyse. La réduction du risque de cancer de la prostate chez les patients diabétiques atteignait cette fois 16 % (IC95 % = 7 à 24 %) et se trouvait renforcée en retenant seulement les études postérieures à l’introduction du dépistage du cancer prostatique par le dosage des PSA, montant alors à 27 % (IC95 % = 17 à 36 %) [11]. Synthèse des données épidémiologiques sur la relation diabète/ hyperglycémie-cancer De l’ensemble de ces résultats, il ressort incontestablement une discrète augmentation du risque d’incidence du cancer et de mortalité par cancer chez les patients diabétiques et les sujets hyperglycémiques, exception faite du cancer de la prostate moins fréquent chez les diabétiques. La 11 08/04/11 11:32 Le risque de cancer dans les maladies métaboliques Diabète de type 2 Facteurs liés au mode de vie • Régime • Activité physique • Adiposité Facteurs métaboliques • Insuline • IGF • Hormones Cancer Figure 1. Mécanismes susceptibles d’expliquer le lien entre diabète/hyperglycémie et cancer. sphère digestive représente la localisation où le risque de cancer chez les diabétiques et les hyperglycémiques est le plus augmenté par rapport aux sujets normoglycémiques, en particulier au niveau du foie, du côlon et du rectum, ainsi que du pancréas dont nous allons reparler plus loin. Concernant le cancer colorectal, une étude prospective anglaise en population générale, l’« EPI Cancer-Norfolk Study », outre qu’elle confirmait une augmentation importante du risque de survenue de ce cancer à 6 ans chez les diabétiques avec un risque relatif (RR) de 3,18 (IC 95 % = 1,36 à 7,40), montrait de plus que ce risque augmentait de façon graduelle avec le taux croissant d’HbA1c sur l’ensemble de la population, le risque le plus faible étant observé chez les sujets ayant une HbA1c < 5 % [12]. Le RR de cancer colorectal incident pour une augmentation de 1 % du taux d’HbA1c était égal à 1,34 (IC 95% = 1,12 à 1,59), après ajustement sur l’âge, le sexe, l’IC et la consommation de tabac [12]. Cette relation de type « effet-dose », déjà rapportée dans l’étude coréenne [8], constitue un argument important pour considérer que, malgré la nature observationnelle de ces données, un lien de causalité est assez vraisemblable et qu’il ne s’agit pas d’une simple association entre niveau glycémique ou diabète et risque de cancer. Par ailleurs, la probabilité de découverte d’un cancer chez un diabétique est sans doute accrue par le suivi médical rapproché qu’impose cette maladie métabolique chronique, et le biais de dépistage ainsi créé pourrait expliquer l’association diabète-cancer retrouvée 12 Insuline Simon.indd 12 dans les études observationnelles que nous avons décrites. Le fait qu’un lien graduel ait également été démontré en population générale entre cancer et glycémie croissante, incluant des niveaux glycémiques strictement normaux, laisse à penser que ce biais ne peut expliquer qu’en partie l’association. Mécanismes potentiels du lien entre niveau glycémique et cancer Diverses hypothèses, résumées à la Figure 1, ont été proposées pour expliquer le lien entre niveau glycémique et cancer. Il pourrait s’agir d’un mécanisme commun susceptible de favoriser à la fois la survenue d’un DT2 et l’apparition d’un cancer. Dans ce cas, il s’agirait d’une simple association entre DT2 et cancer, et non pas d’un lien direct, encore moins causal. Ainsi, par exemple, des facteurs environnementaux, ayant trait au mode de vie, influencent en même temps le risque de DT2 et le risque de cancer. Il s’agit d’une part de l’alimentation, avec la notion qu’environ 35% des cancers aux Etats-Unis sont attribuables au régime [13] et que les populations qui ont une alimentation riche en légumes et en fruits avec des apports réduits en graisses animales, en viandes et en calories totales développent moins de cancers [14] ; or ces mesures diététiques ont par ailleurs bien démontré leur efficacité dans la prévention du DT2 [15-17]. Il s’agit d’autre part de l’activité physique, dont l’influence bénéfique pour prévenir le cancer est bien établie [18], probablement via des modifications hormonales essentiellement, et dont l’effet majeur pour prévenir le DT2 a été retrouvé dans diverses populations [15-17]. Si des problèmes liés à l’alimentation et à l’activité physique étaient à l’origine d’un côté d’un cancer et de l’autre du DT2, ces facteurs pourraient être considérés comme des facteurs de confusion dans le lien diabète/hyperglycémie-cancer. Même s’il n’est pas exclu qu’il contribue à l’association diabètecancer, ce mécanisme ne peut l’expliquer qu’en partie, en particulier parce que la plupart des données indiquant un risque accru de cancer en cas de DT2 ou d’hyperglycémie, étaient ajustées sur l’IC [5, 7-9]. Aujourd’hui, les hypothèses physio-pathologiques retenues pour expliquer le lien diabète/hyperglycémie-cancer évoquent des mécanismes biologiques, tout particulièrement hormonaux, impliquant l’insulinorésistance. En effet, dans la genèse du DT2, intervient tout d’abord une moindre sensibilité à l’insuline, avec un hyperinsulinisme et une élévation des taux circulants des Insulinlike Growth Factors (IGF) qui stimulent la prolifération cellulaire dans de nombreux organes, en particulier le foie, le pancréas, le côlon, l’ovaire, le sein [19, 20], les sites les plus concernés par un risque accru de cancer dans le DT2. Cet effet est décuplé par le fait que l’insuline en excès se lie et active le récepteur IGF-1 et, de plus, réduit le taux de la protéine de liaison, l’IGFBP1, entraînant une élévation de l’IGF-1 libre circulante [21]. Quelques études épidémiologiques prospectives accréditent ces hypothèses hormonales : ce sont en particulier les données de l’Etude Prospective Parisienne pour l’insuline et l’hormone de croissance (GH) [22, 23] et de l’étude de Rancho Bernardo pour l’IGF-1 [24]. Dans l’Etude Prospective Parisienne, 6237 policiers de 44 à 55 ans ont été inclus, âgés de 47 ans en moyenne, puis suivis durant 23,8 ans, et parmi eux 1739 sont décédés durant cette période, dont 778 par cancer, incluant 25 cancers du foie. Les taux d’insulinémie à l’inclusion, tant à jeun Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Avril 2011 • 08/04/11 11:32 Le risque de cancer dans les maladies métaboliques qu’à la 2ème heure de l’HGPO, étaient associés significativement au risque de décès par cancer du foie, avec des Hazards Ratios (HR) ajustés sur l’âge et l’IC égaux respectivement à 2,45 (IC95 % = 1,63 à 3,70) et 3,05 (IC 95% = 1,95 à 4,77), avec un effet doseréponse [22]. Dans ce même article, une relation inverse était décrite entre le niveau d’insulinémie et le risque de décès par cancer des lèvres, de la cavité buccale, du larynx, du pharynx et de l’estomac, mais il est vraisemblable que cette relation était due à un facteur de confusion représenté par la consommation d’alcool, mal prise en compte dans l’analyse statistique [22]. Un sous-groupe de 864 policiers de cette Etude Prospective Parisienne a eu une mesure de la GH à jeun (GH0) (médiane = 0,5 mg/l) et à la 2ème heure de l’HGPO (GH 2) (95 ème percentile = 1,1 mg/l) et 171 parmi eux sont décédés après un suivi moyen de 18 ans. Après avoir exclu 3 sujets ayant un taux de GH très élevé probablement lié à une acromégalie, le risque de décès toutes causes était significativement associé à une valeur de GH0 > 0,5 mg/l (p = 0,02) et à une valeur de GH2 > 1,1 mg/l (p = 0,004), et le HR ajusté sur l’âge et l’IC pour un décès par cancer associé à un taux de GH2 > 1,1 mg/l était significativement augmenté, égal à 2,59 (IC95 % = 1,17 à 5,73) [23]. Dans l’étude de Rancho Bernardo, 633 hommes âgés de 73,4±7,5 ans à l’inclusion ont eu une mesure d’IGF-1 (médiane = 96 ng/ ml), puis 368 sont décédés, dont 74 par cancer, durant les 18 années de suivi. Une association positive significative a été mise en évidence entre le taux initial d’IGF-1 et le risque de décès par cancer (p = 0,039) [24]. Par rapport aux hommes ayant un taux d’IGF-1 ≤ 100 ng/ml, les sujets ayant un taux d’IGF-1 > 100 ng/ml (46 % de l’échantillon) avaient un HR de décès par cancer, ajusté sur l’âge, le taux d’IGF-BP1, l’IC, le rapport tour de taille/tour de hanches, la consommation d’alcool et de tabac, l’activité physique et les antécédents de cancer, égal à 1,82 (IC95 % = 1,11 à 2,96) et le risque de décès par cancer augmentait progressivement avec les taux croissants d’IGF-1, avec un HR ajusté égal à 1,61 (IC95 % = 1,28 à 2,02) pour un taux d’IGF-1 de 120 à 159 ng/ml, à 2,05 (IC95 % = 1,41 à 2,98) pour un taux d’IGF-1 de 160 à 199 ng/ml et à 2,61 (IC95 % = 1,46 à 4,64) pour un taux d’IGF-1 ≥ 200 ng/ml [24]. Ces données épidémiologiques apportent des arguments complémentaires importants et convergents pour conforter les hypothèses hormonales décrites plus haut, faisant jouer un rôle essentiel à l’insuline et à l’IGF-1 dans la relation diabète/hyperglycémie-cancer. La place centrale tenue par l’hyperinsulinémie dans cette relation sera encore soulignée dans les chapitres consacrés par ailleurs au risque de cancer associé aux traitements du diabète. Concernant la protection vis-àvis du cancer de la prostate chez les hommes diabétiques, elle pourrait être liée à la réduction du taux des androgènes chez les hommes atteints de DT2 [25], un taux élevé d’androgènes étant connu pour être associé à un risque accru de cancer de la prostate [26]. Une étude épidémiologique finlandaise récente semble confirmer cette hypothèse : elle a montré que la réduction du cancer de la prostate était identique quel que soit le traitement antidiabétique utilisé, et qu’elle était essentiellement liée à la durée du diabète, d’autant plus importante que le diabète était ancien [27]. Cette constatation renforce l’hypothèse d’un mécanisme hormonal puisqu’on sait par ailleurs que le taux d’androgènes diminue avec le vieillissement chez l’homme [28]. De plus, un mécanisme génétique pourrait également intervenir, quelques gènes étant impliqués dans les deux pathologies, avec en particulier un allèle de HNF-1B qui prédispose au DT2 et qui protège du cancer de la prostate [29]. Diabète et cancer du pancréas La difficulté à évaluer et à expliquer l’association entre diabète et cancer du pancréas provient du fait que le diabète peut être une manifestation précoce du cancer du pancréas, Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Avril 2011 • Insuline Simon.indd 13 avant que celui-ci ne soit reconnu : comme pour toutes les localisations de cancer, le DT2 et l’insulino-résistance pourraient être la conséquence d’un cancer débutant encore non diagnostiqué, mais de plus, pour le pancréas, le DT2 pourrait aussi être lié à l’état pré-cancéreux du pancréas avec des conséquences sur la capacité d’insulino-sécrétion, moins sans doute du fait du volume tumoral que de la mise en circulation localement de peptides diabétogènes, d’après des études de biologie moléculaire [30]. C’est dire que, pour le pancréas plus encore que pour tout autre siège de cancer, il est indispensable de n’inclure dans les analyses que les cancers dont la découverte a suivi le diagnostic du diabète avec un délai d’au moins un an entre les deux diagnostics. C’est en particulier ce qui a été fait pour sélectionner les 17 études cas-témoins et les 19 études de cohorte incluses dans la méta-analyse de Huxley [4]. Dans ce travail, 9220 cas de cancer du pancréas ont été réunis, montrant un risque significativement augmenté de cancer du pancréas en cas de DT2 avec un odds ratio de 1,82 (IC95 % = 1,66 à 1,89) mais aussi un important degré d’hétérogénéité tant au sein des études cas-témoins que des études de cohorte, dû en particulier à la durée du DT2 lors de la découverte du cancer : les sujets ayant une courte durée de diabète (1 à 4 ans) avaient un risque plus important de cancer du pancréas avec un odds ratio de 2,05 (IC95 % = 1,87 à 2,25) par rapport aux sujets ayant un diabète connu depuis 5 à 9 ans pour lesquels l’odds ratio était de 1,54 (IC95 % = 1,31 à 1,81) et ceux dont la durée de diabète était de 10 ans et plus dont l’odds ratio était de 1,51 (IC95 % = 1,16 à 1,96). Cette relation négative du risque de cancer et de la durée d’évolution du DT2 n’est pas favorable à une forte relation de causalité entre DT2 et cancer du pancréas [4]. Indiquons qu’une relation quasi identique a été mise en évidence entre le DT1 ou le diabète juvénile et le cancer du pancréas [31] : une métaanalyse reposant sur 6 études castémoins et 3 études de cohorte a mis en évidence, par rapport à des sujets 13 08/04/11 11:32 Le risque de cancer dans les maladies métaboliques non diabétiques, un risque relatif de 2,39 (IC95 % = 1,46 à 3,92) pour les études de cohorte et un odds ratio de 1,56 (IC95 % = 0,87 à 2,78) pour les études cas-témoins, soit globalement un risque augmenté de 2,00 (IC95 % = 1,37 à 3,01) chez les patients atteints de DT1 ou de diabète juvénile [31]. Par ailleurs, chez des sujets non diabétiques de la cohorte de la Chicago Heart Association [32], une association croissante, assez linéaire (p = 0,01 pour la tendance), a été mise en évidence entre le niveau glycémique 1 heure après charge de 50 grammes de glucose et le risque de survenue à 25 ans d’un cancer du pancréas : après ajustement sur l’âge, l’origine ethnique, la consommation de tabac et l’indice de corpulence, par rapport aux sujets ayant une glycémie ≤ 119 mg/dl, le risque relatif de décès par cancer du pancréas était de 1,65 (IC95 % = 1,05 à 2,60) pour ceux dont la glycémie se situait entre 120 et 159 mg/dl, de 1,60 (IC95 % = 0,95 à 2,70) pour ceux entre 160 et 199 mg/dl et de 2,15 (IC95 % = 1,22 à 3,80) pour ceux ≥ 200 mg/dl. La relation était peu modifiée en écartant de l’analyse les sujets décédés de cancer du pancréas dans les 5 années suivant le test de charge en glucose [32]. Qu’il s’agisse de DT2 ou d’une anomalie fruste de la glyco-régulation, il est suggéré que les fortes concentrations locales d’insuline irriguant les cellules exocrines pancréatiques du fait de l’insulino-résistance, expliqueraient ce risque accru de développement tumoral pancréatique, par un effet direct [33] et via les facteurs de croissance [21]. Au total, malgré cette discrète augmentation du risque de cancer du pancréas chez les diabétiques, il est sans doute raisonnable de conclure qu’il n’y a pas actuellement évidence qu’un dépistage systématique du cancer du pancréas chez des diabétiques récemment diagnostiqués réduirait la mortalité par cancer du pancréas [34]. Influence du cancer sur le diabète Il est habituel d’observer le déséquilibre d’un diabète préexistant en cas de survenue d’un cancer. Chez 14 Insuline Simon.indd 14 un patient diabétique, une détérioration du contrôle glycémique sans explication évidente (changement de régime, d’activité physique, moins bonne observance…) amène tout bon clinicien à rechercher une pathologie intercurrente, surtout si une perte de poids, a priori bénéfique pour l’équilibre métabolique, accompagne ce déséquilibre. Dans cette situation, une des hypothèses à évoquer en priorité, à côté d’une hyperthyroïdie et d’une pathologie infectieuse, est bien sûr l’existence d’un cancer méconnu. Les mécanismes pouvant expliquer la détérioration du contrôle glycémique en présence d’un cancer sont divers : réduction de l’activité physique, perte de la masse maigre avec fonte musculaire et « adiposité sarcopénique », avec augmentation du rapport tour de taille sur tour de hanche. Quand le cancer est plus évolué, un état de cachexie peut s’installer sous l’influence de la mise en circulation de cytokines ayant des effets cataboliques majeurs, tel le TNF-a, entraînant de grands désordres métaboliques avec lipolyse et insulino-résistance [35]. Influence du diabète sur le cancer A l’inverse, un diabète pré-existant peut retentir fâcheusement sur l’évolution du cancer, comme l’indique une méta-analyse publiée récemment [36]. Dans ce travail, 23 articles comparant la durée de survie de patients diabétiques et non diabétiques, atteints de cancer et suivis au moins 3 mois, ont été rassemblés, montrant une surmortalité significative chez les patients diabétiques, avec un HR ajusté sur l’âge et la sévérité du cancer de 1,41 (IC95 % = 1,28 à 1,55). Ce résultat apparaît robuste car il n’est pas modifié en fonction de la période de l’étude (avant ou après 1996), des modalités de recrutement des patients (en population ou à partir de centres de soins) ou des critères diagnostiques du diabète utilisés [36]. Ce risque accru de mortalité chez les diabétiques était significatif pour diverses localisations de cancer : endomètre (HR de 1,76 avec IC95 % = 1,34 à 2,31), sein (HR de 1,61 avec IC95 % = 1,46 à 1,78), et colorectal (HR de 1,32 avec IC95 % = 1,24 à 1,41) [36]. Plusieurs explications ont été avancées, ne s’excluant pas mutuellement, pour cette surmortalité chez les diabétiques en cas de cancer [37] : l’environnement métabolique en cas de DT2 surajouté pourrait faciliter la prolifération des cellules tumorales du fait des effets de l’hyperinsulinémie et des IGF, comme nous l’avons vu [19-21] ; l’hyperglycémie pourrait aussi faciliter la survenue de métastases en augmentant la perméabilité des cellules endothéliales par libération de radicaux libres et altération de la membrane basale [38] ; les patients diabétiques semblent être traités moins agressivement pour leur cancer que les non diabétiques, d’autant qu’ils ont fréquemment des co-morbidités liées aux complications du diabète [37] ; les patients diabétiques semblent souvent moins bien répondre au traitement du cancer, en particulier du fait d’une plus grande fréquence des infections et d’une mortalité per et post-opératoire plus grande ; enfin la présence d’un cancer et son traitement peuvent réduire l’attention portée par le patient et les soignants au traitement du diabète, ainsi que de l’hypertension et de la dyslipidémie souvent associées, soulignant l’importance d’une collaboration des cancérologues avec une équipe de diabétologie [39]. Conclusion Au total, si on fait exception du cancer de la prostate, l’association entre DT2 ou hyperglycémie et cancer apparaît incontestable, avec un risque modérément augmenté de cancer, en particulier de la sphère digestive, lorsque le niveau glycémique s’élève. Une relation de causalité semble assez probable, en faisant jouer un rôle essentiel à l’hyperinsulinémie et aux facteurs de croissance, au-delà du risque de cancer attribuable à la simple obésité. Cette hypothèse est renforcée par les données exposées dans les autres chapitres concernant l’associa- Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Avril 2011 • 08/04/11 11:32 Le risque de cancer dans les maladies métaboliques tion entre risque de cancer et traitements du diabète. Pour intéressantes qu’elles soient sur le plan conceptuel, toutes les informations que nous avons présentées et discutées sur l’association diabètecancer ne doivent pas faire oublier que la priorité chez les patients diabétiques avérés reste de réduire les complications micro et macrovasculaires, et en particulier la morbi-mortalité de cause cardiovasculaire. Cependant, en amont du diabète de type 2, à une époque où l’obésité, les maladies métaboliques, les maladies cardiovasculaires et les cancers sont en grande expansion à travers le monde, il apparaît urgent de développer des programmes de prévention axés sur l’amélioration de l’hygiène de vie au niveau de l’ensemble de la population, afin de réduire l’impact sur les individus et sur la société de ces grands fléaux de Santé Publique [40, 41]. Références 1. Hemkens LG et al, Diabetologia 2009 ; 52:1732. 2. Fuller JH et al, Diabetologia 1983 ; 24:336. 3. Calle EE et al, N Engl J Med 2003 ; 348:1625. 4. 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