La légendaire collection du prince du Liechtenstein

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La légendaire collection du prince du Liechtenstein
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Le prince Hans-Adam
de Liechtenstein
chez lui, à Vaduz. Dans
les réserves de peintures,
où les tableaux sont
accrochés sur des
cimaises métalliques, une
conservatrice lui présente
un « Portait d’homme »
de Samuel Hoogstraten
qui vient d’être restauré.
Pour la première fois, la collection du prince du
Liechtenstein va être exposée en France. Découvrez
en avant-première quelques-uns de ses chefsd’œuvre, présentés par le prince Hans-Adam
lui-même, qui nous a reçus chez lui, à Vaduz.
PAR VÉRONIQUE PRAT (TEXTE) ET RAPHAËL GAILLARDE (PHOTOS)
La légendaire collection du prince du Liechtenstein
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Un budget d’achat
supérieur à celui
de tous les
musées d’Europe
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A
Influencé par
l’antiquité classique,
cet « Apollon »
(vers 1720) de Georg
Raphaël Donner
est une acquisition
récente.
SAMMLUNGEN DES FÜRSTEN VON UND ZU LIECHTENSTEIN, VADUZ–WIEN
Dominé par les Alpes, le château de Liechtenstein, commencé au XIIe siècle, surplombe Vaduz. C’est là que réside la famille princière qui possède aussi deux châteaux à Vienne.
Le prince Hans-Adam dans le salon des tapisseries. A gauche derrière lui, une tenture réalisée au XVIIe siècle dans les Flandres d’après un carton de Rubens.
Vaduz, le château n’est pas
difficile à trouver : perché
tout en haut, il domine la
ville de sa stature médiévale.
Un décor idéal pour tourner
Peau d’Ane ou La Belle au
bois dormant, bien qu’il
s’agisse d’un authentique
bâtiment du XIIe siècle avec forteresse, tours, pont-levis et clocher. A l’intérieur, lumière rare, décor d’armures et de trophées
de chasse. « Ma famille habite ici depuis sept cents ans », précise le
propriétaire des lieux, le prince Hans-Adam II von und zu
Liechtenstein, quinzième souverain de l’un des plus minuscules
pays d’Europe, 25 kilomètres de long sur 10 de large, mais ultime principauté survivante du Saint Empire fondé en 962. Le
Liechtenstein, ce sont huit siècles d’histoire repliés sur
160 kilomètres carrés. Son prince n’est pas d’opérette, il est le
plus riche des monarques européens. Elancé, cheveux blancs
et regard clair, cet homme de 66 ans a un solide pedigree : descendant des empereurs germaniques, des rois d’Espagne, du
Portugal, de Bavière, de Naples, arrière-petit-neveu de l’empereur François-Joseph d’Autriche, sa lignée compte parmi les plus
anciennes familles aristocratiques d’Europe encore existantes.
Les Liechtenstein sont de grands seigneurs qui se sont battus aux
côtés des Habsbourg contre les Hongrois, les Tchèques, les Bohémiens. Ils sont princes de l’Empire, cardinaux, chanceliers
d’université, meneurs de lansquenets. Leurs armes, de gueules
et d’or, avec l’aigle de Silésie, le crancelin des Kuenring, la harpie
de la Frise orientale, le cor de Jägerndorf, rappellent leur bravoure,
leur volonté de bâtir, leur goût de collectionner.
Collectionner ? C’est la grande affaire familiale depuis 1650. La
collection des princes von und zu Liechtenstein rassemble cinq
siècles de chefs-d’œuvre, dans tous les domaines : peintures, sculptures, livres, tapisseries, mobilier, porcelaine, orfèvrerie. C’est tout
simplement la plus importante collection privée d’Europe, par sa
variété et sa qualité, bien sûr, mais aussi par sa longévité. La plupart des ensembles en main privée se prolongent en effet rarement au-delà de deux générations, soit parce qu’ils sont partagés entre différents héritiers, soit parce qu’ils n’intéressent
guère les descendants de leur créateur. La maison de
Liechtenstein a au contraire transmis le goût de l’art de •••
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e
••• génération en génération, sans rupture depuis le XVII siècle,
complétant ses richesses avec clairvoyance. Elle ne s’est pas contentée des chefs-d’œuvre acquis, aussi importants soient-ils, mais a
toujours mené une politique d’acquisitions dynamique pour approfondir et développer les axes majeurs de la collection, en lui
adjoignant régulièrement de nouvelles œuvres qui, par disposition testamentaire, revenaient à l’aîné. Ces œuvres sont là sur les
murs du château de Vaduz : des paysages flamands dans le bureau du prince, qui les a disposés autour d’une magnifique suite
de bronzes italiens, dont un Marc-Aurèle à la très belle et sombre
patine. Dans la salle à manger, ce sont des natures mortes avec
leurs somptueux arrangements de fleurs et de fruits. Dans l’enfilade de salons, les portraits se mêlent aux scènes de genre, tout
cela voisinant avec de magnifiques tapisseries, des vitrines de
chopes et de plats en or et argent, des céramiques. Partout, des photos de famille, le mariage de l’aîné, le baptême du petit dernier, qui
donnent charme et intimité à cette grande demeure médiévale.
Hans-Adam Ier, dit « le Riche », prête de l’argent
à la famille impériale elle-même
PHOTOS : D.R.
Des chefs-d’œuvre
acquis pendant
sept générations
Les natures mortes sont l’un des points forts de la collection. Ici, un somptueux
« Bouquet » de Jan Van Huysum, qui fut l’un des artistes les plus recherchés de son temps.
Aucun peintre ne sut donner à ses modèles autant d’aristocratie que Van Dyck. Dans
ce « Portrait de femme », la sobriété des noirs et des gris est d’un extrême raffinement.
Par une correspondance de 1597 entre l’empereur Rodolphe II et
Karl Ier de Liechtenstein, nous savons que les deux souverains partageaient le même amour effréné des arts. Rodolphe, qui avait fait
de Prague le centre culturel et spirituel de l’Europe centrale, servit de modèle à Karl qui, à la fin de sa vie, conservait dans sa guardaroba des tapisseries, du mobilier précieux, des objets en or et
en argent, des vases en cristal de roche, des marqueteries en pierres
dures ainsi que des tableaux. Ce sera le noyau des collections princières. Karl Ier eut aussi le flair de commander au génial sculpteur
Adrien de Vries les deux bronzes grandeur nature, un Christ de
douleur et un Saint Sébastien, qui font partie du florilège de la collection. Comme son père, Karl Eusebius von Liechtenstein acquit
des œuvres d’art mais il avait aussi une jolie plume et écrivit, à l’intention de son fils, un Traité sur l’éducation des princes. C’est de son
règne que date l’achat d’un mystérieux chef-d’œuvre, un Portrait
d’homme en buste daté de 1456, un parchemin sur bois qui pourrait être de Barthélémy d’Eyck ou, mieux encore, de Jean Fouquet.
Le fils de Karl Eusebius, Hans-Adam, dit « Adam le Riche », va
régner en grand seigneur. Les revenus de ses propriétés, qui lui
permettent d’avancer des millions à la maison impériale ellemême, vont financer l’acquisition des plus belles pièces offertes
alors sur le marché. En cela, Hans-Adam s’inscrit bien dans cette
lignée de princes qui, suivant l’exemple de Louis XIV, réunissent
de somptueuses collections dans leurs palais : Auguste III à
Dresde, Frédéric II à Berlin ou la Grande Catherine à SaintPétersbourg, qui fait construire l’Ermitage pour y abriter ses
tableaux. Hans-Adam, lui, achète ce qui est alors le plus coté, les
grands Italiens du XVIIe siècle, contemporains et élèves des Car- •••
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Ce « Portrait d’homme », qui passe pour être celui du duc d’Urbin, aurait été peint par Raphaël vers 1505. Quelle autre collection privée peut se vanter d’une telle richesse ?
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que Johann II (1840-1929) va chercher à combler avec l’aide de Wilhelm von Bode, le plus grand connaisseur du temps et le futur
directeur du musée de Berlin. A la mort du prince, en 1929, non
seulement la galerie Liechtenstein était l’égale des plus grands
musées d’Europe, mais il en émanait aussi une atmosphère noble
et chaleureuse qui l’a toujours distinguée des autres.
Les fonctionnaires nazis décident
de confisquer la collection de tableaux
C’est également à Johann II que l’on doit la remise en état du berceau de la famille, le château Liechtenstein aux portes de Vienne,
et celui de Vaduz qui allait servir de résidence à partir de 1938. Menacée par les fonctionnaires nazis de la confiscation de ses tableaux
et objets d’art, la famille princière décida en effet de se replier à Vaduz en emportant avec elle ce qu’elle réussit à sauver de sa collection. Aujourd’hui, alors que de grands chefs-d’œuvre sont toujours
à Vaduz, la très riche section consacrée à l’art baroque a regagné le
palais de Vienne. Sont exposés là quelque 240 tableaux et une cinquantaine de sculptures, ce qui ne représente pourtant que 10 % de
la collection entière. Insatiable, le prince n’en poursuit pas moins
ses acquisitions, très présent sur le marché de l’art international :
« J’achète en priorité des œuvres ayant appartenu à ma famille mais dispersées (allusion à l’exceptionnel Portrait de Ginevra da Benci, de
Léonard de Vinci, que le père du prince actuel a vendu à la National Gallery de Washington en 1967, ndlr) et des œuvres qui complè-
Les peintres vénitiens sont présents dans la collection : Canaletto, avec cette « Vue
de la place Saint-Marc », et Bellotto, qui peignit le château familial de Vienne.
••• rache : Guido Reni, Francesco Albani, Giovanni Lanfranco. Et
les ténors flamands, Rubens, Van Dyck et Jordaens. La collection
Liechtenstein rassemble trente-trois Rubens : aucune autre collection ne peut se vanter d’en avoir autant. Parmi eux, l’un des plus
fameux décors conçus par le peintre, celui qui retrace l’épopée du
consul romain Decius Mus, proposé dans le commerce d’art
en 1693. Le prince Hans-Adam le souffla à ses deux principaux rivaux, les princes-électeurs Johann-Wilhelm du Palatinat et MaxEmmanuel de Bavière. « Pour la petite histoire, confie l’actuel prince
Hans-Adam alors que nous longeons un couloir où sont accrochés
les portraits de ses ancêtres, mon père m’a donné ce prénom pour que
je gère notre patrimoine avec autant de réussite que mon aïeul du XVIIe
siècle. » D’après les proches du prince, la prière a été entendue.
Joseph Wenzel Ier de Liechtenstein (1696-1772) alliait à ses talents
militaires une grande habileté politique, qui amena l’empereur
à lui confier de nombreuses missions diplomatiques auprès des
cours étrangères. Il profita de son séjour à Paris pour découvrir
l’art français, peu représenté jusque-là au sein de la collection.
Un autre secteur était assez pauvre, celui des primitifs italiens,
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PHOTOS : SAMMLUNGEN DES FÜRSTEN VON UND ZU LIECHTENSTEIN, VADUZ–WIEN
La seule collection
à posséder
trente-trois Rubens
L’un des trente-trois Rubens de la collection Liechtenstein : « Mars et Rhéa Silvia »,
inspiré d’Ovide. La déesse avait plu à Mars qui la fit enlever pendant son sommeil.
Monsieur Santo MICALI, Directeur de la Galerie
MERMOZ, souhaite réagir à l’article paru dans
le quotidien Le Figaro du 24 mars 2011 dans
la rubrique « Culture & vous » page 34 : « Polémique autour d’une divinité maya ». Cet
article fait état de la vente d’une sculpture
maya (lot n°107) à un prix record de près de 3
millions d’euros dont l’authenticité est contestée par l’Inah du Mexique, sculpture qui a été
« acquise auprès de la Galerie MERMOZ, référence internationale mais contestée par des
spécialistes ». L’art et son marché attachent une
importance considérable à la réputation professionnelle et l’on ne saurait confondre les spécialistes. Créée en 1970, la Galerie MERMOZ est
depuis spécialisée dans l’Art Précolombien de la Mésoamérique
et d’Amérique du Sud. Son directeur, Santo MICALI, est membre
du Syndicat des Antiquaires depuis 1975 et de la Compagnie
Nationale des Experts. Tous les objets qu’elle vend (notamment
56 des 215 objets de la vente de la collection d’Henri LAW, dont
les pièces majeures sont les lots n°42, 93, 106, 107, 111, 147, 150
et 157) sont accompagnés d’un certificat d’authenticité et la
Galerie est d’ailleurs à même de fournir les études scientifiques
complémentaires de thermoluminescence, de microanalyse,
analyses de surface et scanner pour chacun d’eux. Les Insinuations polémiques portées sur les qualités professionnelles de la
Galerie MERMOZ, qui ne sont au demeurant aucunement documentées, autrement que par la référence à « des spécialistes »
anonymes, n’ont rien de sérieux, et paraissent en l’état davantage
céder à une tentative de dénigrement sans fondement.
D’après la conclusion des experts français du laboratoire Microanalyse, sciences des matériaux anciens et du patrimoine
(MSMAP) de Pessac, rendu le 29 avril, la sculpture date bien de la
période classique Maya entre 500 et 950 après J.C.
tent les collections dans des domaines où elles étaient plus faibles. » Il passe
pour bénéficier d’un budget supérieur à celui de tous les autres musées européens, ce qu’il confirme en effet : « Nous n’avons pas de budget fixe, il varie en fonction des circonstances et de l’offre du marché. Si
une œuvre me plaît, je suis prêt à la payer très cher. » C’est ainsi que le
prince a fait en 2004 une acquisition qui a défrayé la chronique,
l’achat du légendaire Badminton Cabinet en ébène, pierres dures et
bronze doré, pour la coquette somme de 28 millions d’euros, un prix
qu’aucun des grands musées européens ne pouvaient offrir et, de
fait, la somme la plus élevée jamais payée pour un meuble ; ou,
en 2003, un imposant Portrait d’homme de Frans Hals, un nom qui
n’était pas encore présent dans la collection Liechtenstein, pour
2 350 000 euros.
D’enrichissement en enrichissement, quel est l’avenir de cette ancestrale collection ? La question ne trouble pas le prince HansAdam : « Nous allons continuer, bien sûr. J’aime penser que notre famille sera connue dans l’histoire pour son amour de l’art. Les princes,
les seigneurs, les papes ont de tout temps trouvé dans la collection un reflet de leur personnalité et, non sans narcissisme, l’illustration de leur
rang. Mais quand le collectionnisme s’ouvre au mécénat et donne à tous
des moyens d’instruction, cette maladie qui était héréditaire devient
■ VÉRONIQUE PRAT
sympathique. »
Palais Lumière, quai Albert-Besson, 74500 Evian, du 4 juin au 2 octobre 2011. Le catalogue,
sous la direction de Johann Kräftner et Caroline Messensee, Editions Gourcuff- Gradenigo,
est le premier ouvrage en français sur la collection Liechtenstein. Très précis et documenté.
GALERIE MERMOZ
Depuis 1970
Santo Micali
ART PRECOLOMBIEN - ANTIQUITES
GUERRERO – Mexique 400 - 100 AV J.C.
Hauteur : 42 cm - Largeur : 18,5 cm - Epaisseur : 17 cm
Expert Consultant - Membre du C.N.E - Membre du S.N.A
6 rue du Cirque 75008 PARIS - Tél : +33 (0)1 42 25 84 80 - Tél : +33 (0)1 45 63 10 15
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