L`entrée en scène de Lady Anne Par Axelle Abella
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L`entrée en scène de Lady Anne Par Axelle Abella
L’entrée en scène de Lady Anne « Une scène classique mythique » Par Axelle Abella (Etudiante en Master Atrs du spectacle à l’Université Paul Valéry de Montpellier) L’entrée en scène de Lady Anne, interprétée remarquablement par Roxane Borgna, est l’un des instants les plus attendus de toute la pièce. Scène mythique du répertoire, la confrontation entre Richard et Lady Anne constitue certainement l’un des instants les plus lyriques du spectacle. Scène emblématique, parcourant tous les états de l’âme humaine, les pleurs, les malédictions, l’affront, la résistance et l’abandon, elle est aujourd’hui considérée comme l’une les plus difficiles à interpréter de tout le répertoire shakespearien. Dans la pièce, la jeune femme pleure un mari, un père et un beau-père que lui a arraché Richard. Et c’est en suivant le cortège funéraire emportant la dépouille de son beau-père le roi Henri VI que Richard lui barre la route, faisant fuir les porteurs du cercueil. Ici, Jean-Claude Fall a choisi d’accentuer le côté dramatique en prenant la liberté de changer la situation afin de rendre compte de l’intimité de cette scène. Ce n’est pas un beau-père que Lady Anne pleure, c’est son mari, le prince Edouard. Et ce n’est pas sur la route menant au cimetière que les personnages se rencontrent, c’est à la morgue. Tandis que Lady Anne, étendue sur le corps inerte de son mari, hurle ses malédictions à l’égard de Richard, celui-ci patiente, tout d’abord dissimulé sous le brancard puis démasqué par la sonnerie de son téléphone portable. Richard et Lady Anne se retrouvent alors face à face et c’est dans une véritable joute oratoire que le spectateur est emporté. La jeune femme s’adresse au tyran avec toute la noblesse d’une tragédienne grecque, car à la différence des autres reines, la seule arme que détienne Anne est la parole. Les deux personnages ne se répondent pas, ils s’agressent. Mais au fil de la scène, le langage s’amenuise, car plus Lady Anne est proche de succomber à Richard, plus ses répliques s’espacent, pour laisser une plus grande place au charnel. De même, le cadavre du prince, d’abord au centre de l’espace, du jeu des acteurs et des préoccupations des personnages, va petit à petit laisser place au tyran, à la rhétorique et au désir. Tout le travail des comédiens a donc consisté à défier les corps afin de rendre cette scène la plus bestiale possible. Car comment justifier la victoire de Richard sur Lady Anne ? Comment cette femme a-t-elle pu passer de la haine au désir et se retrouver dans le lit du meurtrier de son mari en seulement quarante trois répliques? Lady Anne est un personnage jeune, bouillonnant, en rage. En plongeant la tête du meurtrier dans les entrailles ensanglantées de la victime, c’est une parade érotique inconsciente qu’elle lui livre. Le sang, nous signifiant la mort mais également l’organique, les menstruations, est un appel à l’instinct et à la nature humaine. Car ce n’est pas par amour que Lady Anne succombe à Richard mais par désespoir et par haine, et c’est ici que le jeu d’acteur, plus physique que psychologique se justifie. « Il nous fallait trouver comment ces scènes très physiques se faisaient. Le baiser qu’elle lui donne est un geste de désespoir, attraper quelqu’un dans le désespoir, dans l’affront, et pas dans l’amour. Elle fait alliance avec lui, mais elle n’est pas amoureuse. C’est un personnage très seul, très fragile, et sans pouvoir, qui essaie de subsister tout en sachant qu’elle fait une alliance maléfique ».¹ 1. Propos recueillis lors de l’entretien avec Roxanne Borgna le 10 Janvier 2009. Ainsi Lady Anne succombe à Richard à la fin de cette scène. Le désir, le désespoir, la fragilité l’ont jetée violemment dans son lit, tandis qu’au départ elle n’était qu’un personnage de haine et de douleur. Cette scène annonce toutes les futures victoires du tyran, et Lady Anne sera la première à être ainsi instrumentalisée. C’est au sein de cette scène que toute la beauté de la poésie shakespearienne trouve toute sa grandeur, car jamais auparavant un dramaturge n’avait rédigé un texte d’une telle ampleur. Richard vient d’assassiner tous les hommes proches de Lady Anne, et réussit cependant à conquérir la jeune femme, dans la pièce même où repose le cadavre encore chaud de son mari. Richard vient de nous offrir l’une des plus belles scènes de séduction de tout le répertoire, et conscient de sa victoire, alors que Lady Anne soudain effrayée s’est enfuie, il prend une nouvelle fois le public à témoin : « Femme fut-elle jamais courtisée de cette façon ? Femme fut-elle jamais conquise de cette façon ? Je l’aurai mais je ne la garderai pas longtemps. Quoi, moi qui ai tué son mari et son père : La prendre au plus fort de la haine, Des malédictions à la bouche, des larmes dans les yeux, Et tout prés d’elle, le sanglant témoignage de sa haine pour moi ; Avoir Dieu, sa conscience et tous ces obstacles contre moi… N’avoir aucun ami pour soutenir ma cause, Hormis le diable et des regards trompeurs… Et pourtant la gagner, tout un monde contre rien ! » Acte I, scène 2. Enfin, le langage, seule arme efficace que possèdent les femmes dans cette œuvre, vient également au secours de Lady Anne qui s’exprime dans une langue grandiloquente, éclaboussant le tyran d’une poésie reprenant la métrique des tragédies grecques. Sans doute parce qu’Anne n’a aucun pouvoir, sa seule force résidant dans son langage. Le chœur des femmes dans Richard III. « Le lecteur et surtout le spectateur seront également sensibles à l’importance des chœurs, à cet effet de convergence qui conduit les femmes, devenues pleureuses, à chanter, assises, cette sorte d’opéra, chacune clamant son couplet comme une plainte psalmodiée, chacune voyant sa propre misère et celle des siens, et toutes ensemble cependant récitant cette lente et morne polyphonie de la douleur maternelle. »¹ Si Richard III est une pièce traitant des hommes et de la conquête du pouvoir, il n’en reste pas moins que les personnages féminins en constituent les rouages indispensables. Car le comte de Gloucester n’aurait pu devenir le sanglant Richard III sans ce chœur de reines, rôles secondaires de premier plan, qui traversent l’œuvre tel un cri déchirant d’humanité.