Lesamphis bondés del`université d`Amiens

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Lesamphis bondés del`université d`Amiens
PAYS : France
RUBRIQUE : France
PAGE(S) : 11
DIFFUSION : 273111
SURFACE : 69 %
JOURNALISTE : Benoît Floc'h
PERIODICITE : Quotidien
25 septembre 2015 - N°21987
france
Lesamphis bondés de l’université d’Amiens
L’établissement
doit accueillir 28 000 étudiants, soit 5 000 de plus qu’en 2010
REPORTAGE
amiens – envoyé spécial
orsque Fabrice Wallois entre dans l’amphi A pour
donner son cours de physiologie aux étudiants de
première année de médecine,
l’ambiance est chaude. Une dizaine de redoublants – les « carrés » – viennent d’entonner quelques chants de salle de garde,
avant de défier la masse de « bizuths » qui les entourent : «Lesbizuths, c’est des pédés!», à quoi
ceux-ci rétorquent «Les carrés,
c’est des pédés! » Imperturbable,
Fabrice Wallois descend l’amphi,
répond à la question d’un appariteur, tandis que l’assistance hurle –
en vain – «un bisou ! un bisou ! »…
Mais les 600 étudiants secalment
vite : ils savent que la compétition
est sans pitié en médecine. Et plus
encore cette année qu’en 2014: la
faculté de médecine de l’université Picardie - Jules-Verne (UPJV)
d’Amiens bat un nouveau record
d’inscrits.
Tout comme d’autres filières.
«En cinq ans, nous sommes passés
de 23000 à 28 000 étudiants , assure Michel Brazier, président de
l’université . Et cette année, nous
avons 20 % de néo-bacheliers de
plus. » En santé, la hausse des effectifs est de 36 % en un an. En
droit, elle est de 18 %.«C’eststructurel ,indique la doyenne de droit,
Aurore Chaigneau . Depuis 2004,
nous avons gagné 67 % d’étudiants. » L’Ecole supérieure du
professorat et de l’éducation
(ESPE),enfin, accueillait 716 étudiants en 2012; ils seront 1600
cette année.
«Notre région a besoin de cadres,
rappelle M. Brazier, et il faut les
L
former sur place. Nous sommes
donc contents d’accueillir ces jeunes. Sousles casquettes en arrière,
il y a des intelligences à découvrir… » Les étudiants de l’UPJV
sont, plus qu’ailleurs, issus de familles défavorisées. Ils baignent
dans une culture qui ne les
pousse guère às’exiler ou à tenter
le supérieur. Il faut croire que les
temps changent. Reste que « la
moitié des étudiants de licence
sont boursiers , constate M. Brazier . Un tiers est salarié. Nous accueillons également davantage de
jeunes handicapés. Tous auront
souvent besoin de quatre ou cinq
ans pour faire leur licence, contre
trois auparavant. »
Partout, on pousse les murs
Leur réussite implique un accompagnement attentif. Mais «nous
n’avons bénéficié d’aucun emploi
supplémentaire à la fac de médecine depuisdix ans,déplore Gabriel
Choukroun, le doyen . Les 5000
“emplois Fioraso” [1000 emplois
par an de 2012 à 2017,promis par
l’ex-ministre de l’enseignement
supérieur] ,jene saispas où ils sont
passés…». En droit, où les étudiants sont passésde 1500 à 2500
en dix ans, l’équipe n’a progressé
que de 51à 56 permanents.
«Nous faisons aveclesmoyens du
bord , soupire Aurore Chaigneau .
Mais, il y a dix ans, j’avais un enseignant pour 30 étudiants, contre 1
pour 43 aujourd’hui. Les TD [travaux dirigés] sefont à 45,alors que
la limite est à 25.Et c’estle seul moment d’échange pour lespremière
année… La qualité de l’enseignement en pâtit. On optimise l’organisation, mais là, nous sommes à saturation complète.»
En médecine, les étudiants en
première année commune d’études de santé (Paces)sont toujours
plus nombreux. Mais le nombre
de places en deuxième année, lui,
ne varie pas : 382. Installée dans
l’amphi de M. Wallois, Alexandra
Lefebvre, 18ans, ne se fait pas d’illusion : «Plus les étudiants arrivent, plus la sélection augmente.
Beaucoup d’entre nous vont virer.
Pour aller où ?» Et la sélection se
jouera «au quart de point »,ajoute
« Il y a dix ans,
j’avais un
enseignant pour
30 étudiants,
contre 1pour
43 aujourd’hui »
AURORE CHAIGNEAU
doyenne de la faculté de droit
Doryan Leborgne, même âge,
quelques rangs plus haut : «Il y
aura beaucoup d’étudiants proches
du résultat, mais qui ne seront pas
pris. Çafait de la déception. »
A l’ESPE,ladirectrice Nathalie Catellani dit avoir perdu un cinquième de ses enseignants en
quelques années. Elle a décidé de
ne plus assurer le suivi des stages
des étudiants en première année
de master. «Ah bon ?On n’était pas
au courant !,s’indigne, dans le hall,
une étudiante qui souhaite conserver l’anonymat . On est encore
lâchés.Çane change pas…»
Partout on cherche des mètres
carrés, on pousse les murs et on
ajoute des chaises dans les amphis. La fac de droit a demandé à
celle de sciences d’héberger ses
étudiants. Le cours de M. Wallois
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25 septembre 2015 - N°21987
est filmé, ce qui permet à plusieurs centaines d’autres étudiants de le suivre à distance.
Mais la fac de médecine, pourtant
toute neuve, est déjà proche de sa
capacité maximale. Et les baby
boomers de l’an 2000 n’ont pas
encore passéle bac…
« Ça va coincer
gène. Mais, dans le même temps,
de combien augmentera le nombre d’étudiants ? p
benoît
floc’h
LECONTEXTE
»
Beaucoup repose sur la bonne volonté des personnels. Mais «on ne
pourra pas leur demander, année
après année, de faire des efforts ,
prévient M. Brazier. Il me manque
300 enseignants et autant de personnels techniques et administratifs. Mon budget estde 198millions
d’euros.Il m’en faudrait 250 à 300 !
L’Etatfixe l’objectif d’atteindre 60 %
d’une classed’âge diplômée du supérieur. Très bien. Est-il prêt à nous
en donner lesmoyens ?»
En attendant, estime la doyenne
de droit, il faudra en passer par la
sélection, dès la première année.
«Tout le monde est d’accord en
droit, même les étudiants , assure
Aurore Chaigneau. Lescontraintes
sont trop fortes… La première année de droit est devenue une sorte
de réservoir et les professeurs en
sont réduits à voir qui va tenir jusqu’en juin. Ils n’ont plus de plaisir à
enseigner avecde tels effectifs…»
S’il reconnaît que «ça va coincer
très prochainement », Sébastien
Delescluse, président de la Fédération des associations étudiantes picardes (FAEP-FAGE),rejette
l’idée. « La majorité des cours est
concentrée sur trois jours et demi
pour arranger les enseignants ,
constate-il . Nous pourrions commencer par étaler l’enseignement
du lundi matin au vendredi soir.
Mais il faudra bien sûr plus de
moyens, ici comme ailleurs. En attendant, on a l’espoir que les chosess’améliorent un peu avec la citadelle. »
La citadelle, c’est l’ancienne caserne, nouveau campus de centre-ville où une partie de l’université s’installera à la rentrée 2016.
Ce qui apportera un peu d’oxy-
65 000 ÉTUDIANTS
ENPLUS
Lesuniversitésvont accueillir
cette année65000étudiants
supplémentaires, selon les
projections du secrétariat d’Etat
à l’enseignement supérieur.
Unegrande partie d’entre eux
sont des néo-étudiants.
Lesfilières qui connaissentla
plus forte hausse en première
annéesont les universitéshors
IUT(+ 2,8%), les classespréparatoires (+2,5%) et les IUT
(+1,7%). C’estl’équivalent de
trois ou quatre universitésnouvelles,a indiqué Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé
de l’enseignement supérieur.
Autotal, les universités
accueillent 1597000 étudiants.
Dansl’ensemblede l’enseignement supérieur,ils sont
2509000.Celareprésenteune
haussede 1,5% par rapport à
2014,soit 38000 étudiants.
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Cours de
première
année de
médecine
à l’université
Picardie Jules-Verne,
à Amiens, le
22septembre.
MATHIEUFARCY/
COLLECTIF
KAIROS
POUR«LE MONDE»
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