Sur le chemin du ciel
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Sur le chemin du ciel
BEI 2 (1984): 213-279 Michael WITZEL (Institut Kern, Leiden) Sur le chemin du ciel Conférence présentée le 16 décembre 1983* (organisée avec l'aide de l'ERA 94 du CNRS) II y a presque quatre-vingt-dix ans qu'un certain Fritz Bonsens (alias Alfred Hillebrandt), dans un pamphlet intitulé Die Götter des gveda. Eine euhemeristische Skizze1 a attaqué la méthode d'explication de la mythologie du Veda par une "mythologie de la nature", méthode inaugurée par M. Mülller, Roth, Kuhn, Bergaigne, Bloomfield et ... Hillebrandt. Bonsens commence donc par : "Indra war einst ein grosser Råjan wie es auch heute noch Råjans in Indien giebt' et en arrive à dire : "Le gveda ne connaît pas de phénomènes naturels devenus dieux, il ne connaît que des hommes". ("Wir gelangen zu einem neuen gesunden System der vedischen Götterlehre : Der RV kennt keine zu Göttern gewordenen Naturerscheinungen ; er kennt nur Menschen".)2 Depuis lors, d'autres méthodes dans 1'interprétation de la mythologie védique se sont développées,3 notamment la méthode 1 Cet essai, paru xà Breslau en 1894, était en fait dirigé contre l'interprétation "médiévale" du RV par Pischel et Geldner, dans leurs Vedische Studien I-III (Stuttgart, 1889-1892). 2 Point de vue en faveur dans l'Inde contemporaine, semble-t-il : voir le compte-rendu d'un ouvrage de cette tendance par W. Rau, IIJ 21, 1979, p. 281 ; et Proceedings of the 31th International Congress of Human Sciences in Asia and North Africa. Tokyo-Kyoto (éd. T. Yamamoto, Tokyo, 1984), p. 534. 3 A peu près parallèlement aux théories des ethnologues, qui ont parfois suivi les idées des indianistes (au 19e siècle) ou des linguistes (au 20e siècle). structurale. Cependant, je pense qu'on n'a pas encore < 214 > bien observé le statut du ciel nocturne dans cette mythologie ; F.B.J. Kuiper fait exception.4 Dans les pages qui suivent, je tenterai de présenter quelques aspects de cette mythologie, et j'espère qu'il en résultera ni une "esquisse evhémériste", ni une nouvelle "mythologie de la nature".5 I Nous savons que le ciel est le domaine des dieux védiques et que les hommes espèrent aller au ciel (pour une période bien circonscrite).6 Le ciel, c'est dyáu : le ciel du jour illuminé par le soleil (srya-); il est aussi appelé svàr "lumière, soleil" ou svargá- loká- "le monde brillant", ainsi qu'on traduit habituellement. Il est bien connu que les Indiens gvédiques attachaient beaucoup d'importance à certains phénomènes célestes majeurs7: le lever du soleil, précédé de l'aurore (uás-), et la marche de la lune à tra- vers les constellations (nákatra-), et aussi le passage des mois et des saisons (tú-) d'une année. L'importance de la 4 Voir notamment son livre Varua and Vidūaka, Amsterdam, 1979, pp. 1-64 passim, - et ses articles rassemblés dans Ancient Indian Cosmogony (éd. J. Irwin), Delhi, 1983 ; ces deux titres sont abrégés ciaprès en VaV et AIC respectivement. 5 "But then, does not a subjective one-sideness often seem to be a necessary precondition for arriving at new ideas? And should we not acquiesce in this as a necessary part of the måyå in which we live ?" (Kuiper, AIC, p. 27). 6 Sur la vie après la mort, dans le paradis de Yama , voir mon article à paraître : "On the earliest form of the < 238 > idea of rebirth in India" (bref résumé dans Proceedings of the 31th Intern. Congress, p. 145 sq.) -, abrégé ci-après en "Rebirth". 7 Information générale chez W. Kirfel, Die Kosmographie der Inder. Bonn, 1920 (réimpr. Darmstadt, 1967), pp. 2- 53. Pour la course du soleil (pendant un jour et une nuit), cf. JUB 4.5.1 ; pour le mouvement des nakatra (?) vers le Sud, cf. TS 5.3.4.5. première apparition de l'aurore du Nouvel An a été également étudiée,8 mais il est moins connu que les Indo-Iraniens et les Aryens (g)védiques observaient beaucoup d'autres phénomènes du ciel diurne et du ciel nocturne, par exemple les levers (et couchers) diurnes du soleil pendant une année : pratiquement, ils ont lieu chaque fois à un endroit différent, variant du Nord-Est (solstice d'été) au Sud-Est (solstice d'hiver).9 Il y a un certain nombre d'autres observations, qui se trouvent dans les textes védiques et qui n'ont pas été bien comprises.10 Ici, je me propose de traiter d'un seul aspect du ciel nocturne, celui <215 > du mouvement des étoiles en général (bien décrit par l'hymne RV 1.105)11 et celui de la Voie Lactée en particulier.12 8 Surtout par Kuiper (dans AIC et VaV) ; voir aussi H.P. Schmidt, Bhaspati und Indra, Wiesbaden, 1968, pp. 180, 240, 243. On notera qu'Indra est né au mois de mågha, mois du solstice d'hiver et du Nouvel An, cf. VådhB (in AO 6, 1928, p. 134) . 9 Cette observation doit remonter à l'époque du RV : voir 7.87.1 rádat pathó váruah sryåya "Varua a tracé les chemins pour le soleil", notamment les (365) pathá (pluriel : il ne s'agit donc pas des deux trajets quotidiens, en comptant le retour pendant la nuit). Pour les trajets du soleil pendant une année, cf. Kirfel, Kosmographie, p. 26 ; ŚB 8.7.2.13, KB 19.3 (19.1.28) est particulièrement clair : course vers le Nord pendant six mois, puis arrêt; et retour vers le Sud, etc. ; cf. aussi TS 6.5.3.3, KS 28.2, KpS 44.2 (tasmåd savatsara jyotir upary-upari carati) et JB 2.25-26 (§ 117). 10 Notamment - la question des quarante jours (cf.. infra n. 120), - la période des dyumna (voir préalablement H.W. Bodewitz, JaiminīyaBråhmaa 1, 1 - 65 (Translation and commentary), Leiden, 1973, p. 32 sq.), - le "mois" intercalaire ("treizième mois"), - les noms de certaines constellations (avec même un "dauphin", JB § 194), le problème des planètes (graha ?), les étoiles filantes (MS 1.1.6 : 124.2), - Sirius et Orion (cf. B. Forssman, KZ 82, 1968, pp. 37-65). Il est impossible de traiter ici < 239 > tous ces problèmes ; je projette d'en discuter quelques-uns en collaboration avec M. P. Nieskens. 11 Cet hymne offre quelques interprétations sûres : il décrit le lever de la lune (1), des sept étoiles de la Grande Ourse (9 am yé saptá raśmáya), le coucher des cinq étoiles nommées ukan- (peut-être le Tandis que dyáu représente le ciel lumineux du jour, et aussi le ciel nocturne (d'après RV 1.105.10, cf. note 9 et Kirfel, Kosmographie, p. 34), le sens de svàr est ambigu : ce mot peut désigner "le soleil" et "le ciel illuminé", ou bien "le paradis lumineux (des dieux)", au firmament (nka-) du ciel. De même, svargá- (loká-) désigne le paradis (de la lumière).13 La connotation lumineuse de ces mots réside dans leurs nakatra hasta, cf. Kirfel, Kosmographie, p. 139 ; autre interprétation chez C. Kiehnle, Vedisch uk und uk/vak, Wiesbaden, 1979, p. 82 sq. ; cf. A. Scherer, Die Gestirnnamen bei den indogermanischen Völkern. Heidelberg, 1953, s.v. "Ochse"), qui se trouvaient au milieu du haut ciel (10 am yé páñcokáo mádhye tasthúr mahó divá) ; et la position des "bien-ailés" qui sont "assis au milieu du ciel" sur la (voie) montant au ciel, et qui "écartent du chemin le loup venant en travers des eaux juvéniles" (11 supar etá åsate mádhya åródhane divá / té sedhanti pathó vka tárantam yahvátīr apá) : peut-être ce "loup" (près de notre Scorpion) est-il situé dans la branche de la Voie Lactée au moment du lever du soleil (12). Dans la Voie Lactée, on trouve aussi l'Aigle (singulier !), et tout près de la "porte", cf. RV 3.7.7 et infra n. 69. Voir aussi "la marche du haut ciel" : divó bható gåtú (RV 1.71.2). 12 Kuiper estime que "in the nocturnal aspect of the cosmos the cosmic waters form the night-time sky and are, accordingly, automatically above the earth" (AIC, p. 144 ; cf. aussi "The bliss of Aša", IIJ 8, 1964, p. 107 sqq. et AIC, pp. 37, 74, 78-9, 146, 150). Je montrerai plus loin que ce n'est pas tout le ciel nocturne qui correspond aux eaux cosmiques, mais seulement la rivière céleste, la Voie Lactée (mais cf. JB 1.5 (§ 1) et ChU 8. 4.1). La lumière du jour pénètre les eaux pendant la nuit : c'est pour cela qu'elles sont claires pendant la < 240 > nuit (et sombres - JUB 1.25 - pendant le jour : la nuit y est entrée). Ainsi, la Voie Lactée est claire, brillante comme une rivière pendant la nuit : la lumière du jour (svar) y est entrée, et elle n'est pas visible pendant le jour : la nuit y est entrée ; elle est alors trop sombre pour être visible (TS 6.4.2.4). La VS dit : kí samúdrasama sára ? - dyáu (23.47-8). 13 En termes cosnmogoniques, il n'y avait pas de nuit aux temps originaires. C'est seulement après la mort de Yama - le fils du dieu Vivasvant, mais aussi le premier mortel - que les dieux créèrent la nuit, racines (*dieu-, sh2uel(g)-), mais l'expression svargá- loká-, qui signifie littéralement "le monde lumi- neux", "l'espace lumineux", désigne en fait, si l'on passe en revue les passages védiques, la Voie Lactée-14 : - La Voie Lactée "se meut vers l'Est"15 ou "un peu vers l'Est et vers le Nord"16 : c'est-à-dire qu'à la différence du soleil et de la lune, elle se déplace apasalaví (dans le sens inverse des aiguilles d'une montre), comme on peut l'observer pour une de ses étoiles au cours de l'année. - Puisque la Voie Lactée est très légèrement courbe et s'organise autour du pôle céleste, pour quelques mois une de ses étoiles particulières se trouve au-dessus du pôle, et pour quelques-mois audessous de l'étoile polaire17 - ou, au début de la période védique, des trois étoiles autour du pôle18 (voir figure l).19 afin que Yamī oublie la mort de Yama (MS 1.5.12, cf. MS 4.6.7 : 89.17 ; voir JB 3.361 pour les dyumna). 14 Interprétation déjà avancée par D. Schrapel, dans Untersuchung der Partikel iva und anderer lexikalisch-syntaktischer Probleme der vedischen Prosa..., Diss. Marburg, 1970, pp. 53-6. Cette thèse (non publiée) est souvent ingénieuse, mais maladroite dans la traduction d'iva comme "kontingental", "ayant une portion de ..." 15 TB 1.36.5 : pr iva hí suvargó loká. 16 JB 2.298 (: 288.9) prå iva ha vå uda svargo loka (mal compris par Caland, § 156 n. 22). 17 C'est pourquoi savatsaró vái svargó loká MS 4.67 : 90.1. 18 Du fait de la précession, le pôle Nord céleste se trouve aujourd'hui dans la Petite Ourse, mais entre 2000 et 1000 avant notre ère, il était entre celle-ci et le Dragon ; en 1800 environ avant notre ère, la position du pôle se définissait par trois étoiles remarquables de la Petite Ourse et du Dragon, qui formaient un triangle (cf. R. Müller, Der Himmel über den Menschen der Steinzeit, Berlin-New York, 1970, p. 137).- Sur ces phénomènes, comme sur d'autres faits d'astronomie, on peut lire "Astronomy with the naked eye", par A.F. Aveni, dans son ouvrage <241 > Sky watchers of Ancient Mexico, Austin (Tex.), 1980, pp. 48-132. La plupart des données de cet article sont calculées pour 20 degrés de latitude Nord (situation du Yucatan, le territoire Maya), mais elles conviennent mieux à la confrontation des faits védiques (Delhi et le - Pour l' "ascension" de la Voie Lactée - entre le solstice d'hiver et le solstice d'été -, une force sera nécessaire, mais pas pour la descente.20 On peut trouver cette force dans certains rituels,21 comme le gavåm ayana qui culmine le jour où le soleil (ou une région de la Voie Lactée) atteint son point le plus haut : le viūvat "le (jour) du faîte"; le jour du solstice d'été. Le soleil devra recevoir l'aide du rituel pendant la période où il marche vers le Nord (uttaråyaa, voir fig. 3 b). Tout comme l'agnihotra < 216 > quotidien assure le lever du soleil, le gavåm ayana assure le passage des deux moments critiques : les solstices d'hiver et Kuruketra sont situés à 30 degrés environ de latitude Nord) que nos cartes, qui sont calculées pour 50 degrés environ de latitude Nord. Cette étude est d'une valeur extrême pour 1'appréciation des phénomènes védiques (et iraniens). 19 Les cartes sont dessinées pour 30 degrés de latitude Nord (Delhi, le Panjab méridional, le Sīstån - et aussi Bassorah, Le Caire). Sous nos latitudes (environ 50 degrés Nord), nous pouvons voir une portion du ciel nocturne au-dessus du pôle Nord plus grande qu'à 30 degrés Nord. La Grande Ourse est visible dans nos régions toute l'année, mais pas en Inde ; de nos jours, elle est visible à peu près de janvier à avril et de juillet à octobre (cf. ŚB 13.8.1.9, Mbh III 11855).- La date du lever héliaque d'une étoile dépend de l'élévation depuis l'équateur : elle varie d'environ un à deux jours pour un degré. Finalement, aujourd'hui, à cause de la précession, les constellations ont une position plus occidentale de 42 degrés par rapport à celle des temps védiques. Concrètement, les Pléiades se lèvent aujourd'hui plus tôt qu'à l'époque védique (ca. 1000 avant notre ère). 20 pratīpam iva vai svargo loka "partiellement à contre-courant, le monde lumineux (se meut)" JB 2.298 : 288.8 ; pratikūlám iva hītás svargó loká "en effet, à partir de ce point-ci, le monde lumineux (se meut) partiellement à contre-courant" (i.e. à partir du moment initial du < 242 > gavam ayana, du solstice d'hiver) TS 7.5.7.4, JB 1.85, PB 6.7.10, KS 33.7. Le mouvement à contre-courant est inverse de celui du soleil ; de même, une étoile donnée "s'enfonce" au-dessous du pôle, et puis monte, à contre-courant, vers le pôle -, cf. TS 5.4.1.4 tásmad pråc nåni ca pratīc nåni ca nákatråny å vartante. 21 Cf. JB 2.298 et KS 33.7 précités. d'été, aux jours mahåvrata et viūvat.22 La Voie Lactée est continue (satata-) : JB 1.85 satata iva vai svargo loka "En vérité le monde brillant est presque continu". Elle forme un cordon (tantu-).23 Le rapport avec l'aire rituelle est évident, déjà dans l'AV 12.2.38 = PS 17.31.8 úpåstarīr ákaro lokám etám urú prathatåm ásama svargá tásmi chrayåtai mahiá suparó dev enam devátåbhya práyacchån "Tu as étendu (la litière sacrificielle : barhí-), tu as créé ce monde; que le (monde) brillant, sans pareil, s'étende largement ! Sur ce (monde) s'appuiera l'aigle majestueux. Les dieux doivent le remettre aux déités".24 La Voie Lactée est identifiée ici avec la litière, qui s'étend entre les mondes terrestre (feu gårhapatya), céleste (åhavanīya) et lunaire 22 Il est impossible de discuter ici ce rituel. Je me con- tente d'indiquer le traitement qui en est donné par TS 7.5, KS 33-34.5, PB 4-5.10 - cf. KB 19.3.- On remarquera en outre que le hotar, assis sur une balançoire, se balance d'Est en Ouest : image du mouvement de la Voie Lactée (ĀpŚS 21.17.13, AĀ 1.2.4, ŚŚS 17.18). Ce mouvement diffère du mouvement annuel du soleil : Nord - Est - Sud - Est - Nord. Mais les deux "queues" de la Voie Lactée, comprenant notamment la "porte" (cf. n. b9), ne se trouvent à l'Est (ou à l'Ouest) qu'aux solstices, le matin (ou le soir, respectivement) ; elles contribuent au mouvement du soleil pendant la nuit (cf. n. 118), et à son retour à l'Est, entre les eaux de la Voie Lactée. 23 L'idée du cordon est très importante pour le rituel et la mythologie védiques, voir "Rebirch". La Voie Lactée était considérée par les Mayas comme un cordon ombilical, cf. Aveni, op.cit., p. 97 ; pour un reflet rituel de cette conception, voir plus bas n. 25. Les Indiens védiques, eux aussi, décrivent un cordon ombilical entre la terre et le ciel (le soleil), et le comparent avec celui qui relie l'homme à ses ancêtres, là-haut, dans le paradis des dieux ou de Yama ; cf. n. 60. 24 L'identité des étoiles de l'Aigle est douteuse, mais cf. n. 69 ci-dessous, sur la porte de la Voie Lactée. D'après ŚB 12.2.3.7, l'année de sattra est l'aigle ; AV 10.8.13 <243 > décrit les ailes du hasa céleste (sahasråhnyá-) ; on lit devayåna- dans la version de la PS(K). - cf. n. 70. (dakiågni),25 Ces exemples26 suffisent à montrer qu'il a existé une notion védique de la Voie Lactée, notion presque ignorée jusqu'à maintenant.27 II 25 La vedi, s'étendanc entre les feux gårhapatya (: la terre) et åhavanīya (: le soleil, le ciel), a la forme d'un trapèze allongé, dont les côtés sont convaves: Cette position entre "terre" et "ciel" est symbolique de la Voie Lactée. Selon le même schéma, le Kuruketra est le devaya jana (n. 50), et le doåb de la Gagå et de la Yamunå est appelé antarvedi - cf. ĀpŚS 4.5.1. 26 RV 1.154.5-6 est également fort intéressant : padé paramé réfère-t-il à la Voie Lactée, et gvo bhriśgå à l'aurore, ou aux extrémités de la Voie Lactée ? 27 La Voie Lactée n'est mentionnée que rarement dans les ouvrages qui traitent de la mythologie védique ; et quand elle est évoquée, ce n'est que très incidemment : cf. Weber, Abh. der Preuss. Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1893, p. 84 (la voie d'Aryaman) et Festgruss an R. v. Roth, Stuttgart, 1893, p.138 (voir la remarque de Whitney ad AV 18.2.31) ; Hillebrandt, Vedische Mythologie. Breslau, 1927-1929, I, p. 383 et II, p. 359 ; sur la Raså, Whitney - AV 4.2.5 ; Griswold, The Religion of the Rigveda, London, 1923, p. 284 ; Aufrecht, ZDMG 13, 1859, p. 498 ; Hertel, Die awest. Herrschafts- u. Siegesfeuer, Leipzig, 1931, pp. 15, 51, 119.- Lüders (Varua, Göttingen, 1951-1959) a bien observé la "rivière de lait" (et d'autres boissons agréables), mais n'est pas arrivé à la conclusion que svarga- loka- = Sarasvatī = Voie Lactée, cf. Varua II, p. 351 sqq. On ne trouve absolument rien sur la Voie Lactée dans le livre précité <244 > (n. 11) de Scherer : Die Gestirnnamen bei den indogerm. Völkern.- Aucun de ces philologues n'a observé l'importance du mouvement de la Voie Lactée (pendant chaque nuit et pendant l'année), à l'exception de Schrapel, loc. laud, n. 14. Or, le svargá- loká- "monde brillant, Voie Lactée" est pratiquement absent du gveda ; les premières occurrences apparaissent dans 1'Atharvaveda, Śaunaka et Paippalåda. Dans le RV, svargá - n'est attesté qu'une fois, dans une addition à l'hymne de Purūravas et Urvaśī : 10.95.18 svargá u tvám api mådayase "Toi aussi, tu te réjouiras dans le (monde) brillant".28 Comment le RV appelle-t-il donc la Voie Lactée ? < 217 > II est remarquable que les mythologues n'aient pas recon- nu29 ce phénomène, pourtant très visible dans le ciel de l'Inde en automne, en hiver et au printemps (mais parfois aussi pendant la mousson). Je pense, que le nom gvédique de la Voie Lactée est Sarasvatī, étymologiquement "celle qui est pourvue (de beaucoup) d'étangs". C'est là une dénomination adéquate.30 Comme beaucoup d'autres peuples les Indiens voient dans ce phénomène céleste une rivière ; c'est aussi le cas dans la littérature post-védique, où svar-nadī et svar-gagå "Ganga céleste" sont deux désignations fréquentes.31 28 La dimension originelle de cet hymne, qui a dix-huit strophes dans le RV, est incertaine : d'après ŚB 11.5.1.10, c'est "l'hymne à quinze strophes". 29 A quelques exceptions près : Hertel, Hillebrandt, etc. (cf. supra n. 27). 30 La Voie Lactée comporte beaucoup d'extensions mineures, et une seule extension importante : la division en deux branches, dans les constellations de l'Aigle et de la Lyre ; cf. n. 70. 31 Autres dénominations : Måndakinī, Pupodaka Vaitaraī, Ākåśagagå, Suranadī, Haritålī, Någavīthī, Viyadgagå, Devanadī, Svarsataragiī, Svargamandåkinī, Svargasaridvarå, Svargåpagå, Svardhunī, Svarvåpī ("étang céleste" : "Ganga céleste"), etc., - cf. Kirfel, Kosmographie, p. 109 sq. ; Lüders, Varua I, p. 156 sqq. et II, p. 679.- Il est étonnant que Lüders (Varua I, p. 138 sqq. ; II, p. 589 et passim) évoque souvent la "rivière céleste" (sur sa carte, loc. cit., une de ces "rivières célestes" est même appelée Sarasvatī), sans pourtant identifier cette rivière à la Voie Lactée. Si l'on considère les passages védiques où Sarasvatī est mentionnée, on verra très vite qu'elle est une rivière terrestre,32 une déesse qui gouverne la fécondité des femmes,33 mais aussi qu'elle reçoit ces descriptions bien moins banales. Elle descend des montagnes (de l'Himålaya), mais également du "haut ciel" : RV 5.43.11 no divó bhatá parvatd , sárasvatī yajat gantu yajñám "Que du haut ciel, de la montagne, Sarasvatī, digne du sacrifice, vienne à notre sacrifice !" On peut rappeler ici que, selon F.B.J. Kuiper, le rocher, la montagne est le mont primordial qui, retourné et renversé pendant la nuit, est situé dans le ciel nocturne.34 Le voisinage de la déesse Rkå, qui aide à la formation de l'embryon et à 1'accouchement, indique que Sarasvatī ne peut pas être seulement une rivière : RV 5.42.12 va pátnīr nadyà ... | sárasvatī bhaddivótá råk, daśasyántīr varivasyantu śubhr "Que les rivières, les épouses du taureau ... Sarasvatī provenant du haut ciel et Råkå, splendides, soient agréables et nous fassent réussir !" L'hymne RV 6.61 est plus clair (cf. les strophes 1, 3, 5, 6, 14) ; on voit que l'idée d'une déesse se croise avec celle d'une ri- vière - "avec des roues d'or" (hírayavartani- str. 7) : "Elle a rempli les (espaces) terrestres et le large espace < 218 > intermédiaire" (åpaprúī prthivåny urú rájo antárikam, str. 11). Dans la strophe 12, on a plus clairement : triadhásthå saptádhåtu, pañca 32 RV 7.95, 10.75.5, etc. Lommel (Kleine Schriften, Wiesbaden, 1978, p. 237 sqq.) définit la Raså comme une rivière à la fois terrestre et mythique, mais il récuse l'identification avec la Voie Lactée (p. 195 sq.). Pour Sarasvatī et Arəduuī Sūrå Anåhitå de l'Avesta, il admet une forme céleste et terrestre, en plus du statut de déesse (cf. "Anåhitå-Sarasvatī", in Kl. Schr., p. 305 sqq.) ; mais il n'accepte pas non plus l'identification < 245 > de la Sarasvatī avec la Voie Lactée (p. 407 n. 6). 33 RV 2.41.17, 10.184.2, etc. Pour av. Arəduuī Sūrå Anåhitå, voir cidessous n. 89. 34 AIC, pp. 35 sq., 78, 80, etc. (cf. n. 73).- Sur le cours du soleil, on lira JUB 4.5.1 : après son coucher, il est aśnasu "dans les pierres" ; ce passage offre une bonne description des activités divines en relation avec le soleil durant les vingt-quatre heures du jour.- La MS (3.11.3 : 144.5) dit : påtá no aśvina díva, påhí nákta sarasvati (cf. aussi VS, KS, TB) ; comment expliquer le lien entre Sarasvatī et la nuit ? jåt vardháyantī "Elle a trois séjours, elle est constituée de sept éléments (des affluents ? - RV 10. 75), elle accroît les cinq peuples". Venant du ciel, elle traverse donc l'espace aérien et parcourt la terre, avec ses sept soeurs (les rivières du Panjab).- Parfois, il y a trois Sarasvatīs : AV(Ś) 6.100.1 dev adu sryo adåd, dyáur adåt pthivy àdåt | tisrá sárasvatīr adu, sácittå viadanam "Les dieux ont donné, le soleil a donné, la terre a donné, les trois Sarasvatīs ont donné unanimement un antidote." Sarasvatī est mentionnée une fois dans un contexte fort intéressant pour sa position dans la cosmologie védique : AV(Ś) 6.89.3 máhya två mitrváruau, máhyam dev sárasvatī | máhya två mádhya bhmyå, ubhv ántau sám asyatåm "Vers toi, pour moi Mitra et Varua, pour moi la déesse Sarasvatī, pour moi le centre de la terre qu'ils jettent ensemble les deux confins (de la terre/de la Sarasvatī)." Nous verrons que Sarasvatī - la Voie Lactée - se trouve une fois au centre, une autre fois aux confins de la terre (à l'horizon) : en ces points, la Voie Lactée semble toucher la terre pendant la nuit (pour quelques heures, le cas échéant), voir fig. 1 et 4. III Laissons de c'té pour un moment la Voie Lactée, et considérons quelques aspects de la conception védique du paradis - dans le ciel ou chez le dieu Yama. Il est bien connu35 que la vie de ceux qui ont gagné le ciel est très agréable (RV 9.113) : avec un corps parfait, auquel même les membres perdus à la guerre sont restitués, les < 219 > pit sont assis sous un arbre (aśvattha, supalåśa) au feuillage ombragé (RV 10.135.1) et boivent du madhu (AV 5.4.3, 18. 4.3), ou jouent aux dés (VådhB).36 " Ce paradis est situé dans le ciel, qui a trois37 niveaux : ŚB 9.2.3.26 "De la terre, je 35 Voir la description dans Kirfel, Kosmographie, p. 43 ; et Kuiper, AIC, pp. 68 et 82 ("The bliss of Aša"). 36 Cf. l'édition et le commentaire de Caland, AO 4, 1926, p. 198 (§ 91). 37 C'est bien l'idée post-gvédique. Dans le RV, on parle du troisième ciel, mais on ne fait pas de distinction entre les trois niveaux, - cf. monterai dans l'espace aérien, de l'espace aérien au ciel (dívam), du ciel, du dos du firmament (divó, nkasya pht) à la lumière (svàr, jyótir agåm)". Il se trouve audessus de la Grande Ourse (RV 10.82.2). Le paradis est identique au palais du roi Yama, mais il peut être distinct de celui des dieux.38 IV Kuiper, AIC, p. 44 et VaV, p. 38. On trouve le pradyáu (AV 18.2.48), divers loka (JB § 143), le varman (KS 36.6), ciel suprême ; dans l'Avesta, le paradis suprême (i.e. la lumière) est superposé aux trois autres (Vīštåsp Yt., 63). 38 Mais il correspond à celui de Varua (Kuiper, AIC, pp. 82-3. Le royaume de Yama est souvent placé dans la région méridionale, aux enfers ; c'est une idée relativement récente, qui s'est développée à partir de l'opposition Nord = uttara- "au-dessus" : Sud = X, etc. Le couple prégvédique était Nord = *savya- "à gauche" (cf. l'iranien - MSS 30, 1972, p. 163 sqq. -, l'ombrien et le vieil irlandais) : Sud = dakia- ; cf. aussi Kuiper, AIC, p. 31 et VaV, p. 55 sqq. En védique seuls uttara- et dakia- ont subsisté.- En outre, toujours < 246 > selon Kuiper (AIC, p. 35 sqq.), le monde souterrain, renversé, vient se placer au zénith du ciel nocturne ; à ce moment, le paradis des dieux (au-dessus du póle céleste) et celui de Yama sont voisins, cf. PS 8.19.5-6 : ye . . . pitaras ... ye vå pacante odanam, te vai yamasya råjyåd uttare loka åsate "... (les pères) sont assis dans le monde plus élevé (ou bien : septentrional) que le royaume de Yama".- Pour leur sagamana (cf. le *swid- reconstruit par Thieme, "Hades", in Studien zur indogermanischen Wortkunde, Berlin, 1952 -, reproduit dans Indogermanische Dichtersprache (éd. R. Schmitt), Darmstadt, 1968, p. 133 sqq.), voir JB 2.25.- Probablement, le "paradis" des dieux est situé en permanence au-dessus de la Voie Lactée, plus haut, au nåka ("sommet") du firmament, et ne bouge pas comme le fait le paradis de Yama, qui descend avec le mouvement de la Voie Lactée vers l'Ouest et le Sud (région propre à Yama dans l'épopée), cf. ŚB 13.8.1.9 : du Nord-Est au Nord-Ouest. Comment est-i1 possible de monter jusqu'au paradis ? - Les dieux mêmes n'y étaient pas à l'origine du monde. Ils ont gagné le ciel en y montant grâce au rituel39 ; les asura et les sådhya (les pūrve devå) y étaient arrivés avant eux.40 Indra et Rudra sont parmi les derniers arrivés.41 Les humains qui ont pu y parvenir sont les i : comme les dieux, ils sont des habitants permanents du ciel ; on peut les reconnaître près du zénith. Les "sept is" constituent la Grande Ourse (en avestique, haptō iriga "les sept liga, les sept signes").42 Les hommes peuvent monter au ciel43 au cours de certains rites particuliers, comme l'édification de l'autel du feu (agnicayana), dont les briques sont empilées en forme d'oiseau (forme reprise plus tard pour les tombes), ou comme le Våjapeya : au cours de ce rite le sacrifiant (yajamåna) doit monter et s'asseoir sur une roue au sommet d'un poteau.44 Lors 39 TS 7.4.2,1, AB 3.42 ; d'après TS 7.4.2, les dieux étaient jadis semblables aux homes. 40 Cf. Kuiper, VaV, p. 242 sqq. ; et TS 7.2.1. 41 TS 7.1.4, 7.2.5, 7.4.6. 42 Cf. JB 2.302 : lokånå puyatamo yam ... saptaraya årdhnuvan. Dans l'Avesta, les hapta srauuō (acc. plur.) sont une autre constellation, probablement les Pléiades (les Kttikå en Inde).- A 30 degrés de latitude Nord, la Grande Ourse est visible pendant toute l'année ; au Sud, seulement pour une partie de l'année, voir n. 19. 43 Sur la voie qui mène aux dieux, cf. RV 10.2.7, 10.14.2, 10.15.14. 10.30.1, 10.51.2 ; cette voie n'est pas sûre (RV 3.54.5) ; les dieux ont fermé le ciel : ŚB 1.6.2.1, TS 6.5.3.1. AB 3.42. < 247 > 44 Symbole du mouvement du soleil (cf. RV 1.164.2 et 12), que l'on rencontre chez de nombreux peuples : par ex., chez les Mexicains, quatre hommes, les jambes attachées avec des cordes à un poteau, se laissent tomber et descendent en tournant autour de ce poteau (voyez le mois de septembre dans le calendrier de l'UNESCO pour 1984).- A propos d'une voie aux confins de la terre, jusqu'au paradis de Yama, cf. RV 10.114.10. d'autres rites comme les sattra,45 le yajamåna lui-même devient prêtre : il est le ghapati des autres membres du < 220 > groupe exécutant le sattra. Grâce à ces "séances", on espère obtenir du bétail, des richesses, des enfants : désirs communs dans le Véda ; mais les sattra ont pour particularité de ne se terminer que lorsque leur but (utthåna, udc, tīrtha) est atteint. Par exemple, le but ne sera atteint que si cent boeufs deviennent mille, "parce que ce monde-là (le ciel, asau loka) vaut un millier" (TS 7.2.4 ; ou bien : "est situé à une hauteur de mille boeufs").46 Même si l'on atteint cet objectif, on n'y reste pas, surtout s'il s'agit du monde céleste : TS 7.3.10.3-4 yád imá loká ná pratyavaróheyur ud vå mdyeyur yájamåna prá vå mīyeran "S'ils ne redescendaient pas dans notre monde, les sacrifiants deviendraient fous ou périraient".47 Parmi les sattra, quelques-uns se caractérisent par des "pèlerinages au bord de la Sarasvatī" : ce sont les yåtsattra.48 V 45 Voir Hillebrandt, Ritualliteratur. Strassburg, 1897, p. 154 sqq. (sur les yåtsattra, p. 158 sq.) et Heesterman, "Vråtya and Sacrifice", IIJ 6, 1962, pp. 1-37. 46 AB 2.17 : sahasråśvine vå ita svargo loka ; KB 8.9 parle de douze jours. 47 Cf. AB 4.21.4 et Schrapel, op.cit., p. 33.- Voir encore TS 7.3.4, 7.4.4.3, 7.5.4.1, 7.5.8.4, PB 4.6.17 et ŚB 4.5.8.11, TS 7.1.7.4, JB 1.87 (§ 11).- Je ne peux que mentionner en passant la relation entre la Voie Lactée, le tantu de l'homme (cf. n. 23 et 60), et la procréation, relation évidente pour Sarasvatī et av. Arəduuī Sūrå Anåhitå (voir.Yt. 5, et aussi Yt. 4.65). Notez que dans l'Avesta les Frauuai portent l'embryon (ou bien l'âme'?) des hommes vivants et à naître paitii.åpəm : à contrecourant. 48 JB 2.297 sqq., PB 25.10-13, TS 7.2.1.3-4 ; cf. KS 33-34, AB 2.19, BŚS 16, 29-30, ĀpŚS 23.11.4-13.15, ŚŚS 13.29, ĀŚS 12.6, KŚS 24.5.25-41, LŚS 10.15-19.4 ; et JB 2.339. Aujourd'hui, la Sarsuti est une rivière de l'Est du Panjab, située au Nord-Ouest de Delhi, et souvent appelée Ghaggar dans nos atlas. A l'époque védique, elle devait être une rivière bien plus importante, comme nous le fait penser ce lit aride qui longe l'Indus, jusqu'à la Camargue du Kacch : le Nåå et le Hakra.49 La Sarsuti et le Chautang modernes - les Sarasvatī et Dadvatī védiques - forment les frontières du Kuruketra, toponyme que l'on ne rencontre pas dans le RV ni dans l'AV. Mais dès la période des Sahitås du YV (MS, KS et TS), le Kuruketra (voir fig. 2) est le territoire sacré : devayajanam - l'aire sacrificielle des dieux50 ; c'est aussi le champ de bataille du Mahåbhårata. 49 Voir Ecology and archeology of W. India (éd. D.P. Agrawal et M.B. Pande), Delhi, 1977. - Le problème de la localisation de la Sarasvatī védique est célèbre : dans la période des textes moyen-véd. (les Bråhmaas), elle n'est plus, comme dans le RV, une rivière majestueuse, mais elle se perd dans les sables du désert (vinaśana et < 248> upamajjana : voir ci-dessous). Les deux branches de la Sarasvatī céleste, la Voie Lactée, représentent bien ce vinaśana, comme on peut le voir sur une carte des étoiles. - Le livre de M.I. Khan, Sarasvatī in Sanskrit literature (Ghaziabad, 1978), donne beaucoup de faits (Véda, Puråas, et quelques passages de la littérature classique), mais pas d'interprétation adéquate. L'auteur conçoit Sarasvatī comme une déesse et une rivière terrestre. Son interprétation est très dépendante de celle des exégètes comme Såyaa, Mahīdhara, et des indianistes du 19e siècle ; il propose une discussion fantaisiste (p. 12 sqq.) sur la Sarasvatī dans une période géologique où il y avait une mer à la place du Rajasthan, etc. 50 Il est notable que l'aspect naturel du Kuruketra ne répond pas aux exigences du terrain sacrificiel védique : il présente une déclivité du Nord-Est vers le Sud-Ouest (graduelle, entre 200 m. environ à sa sortie des Siwalik, et 85 m., près de Thanesar), alors que les textes prescrivent une déclivité de l'Ouest vers l'Est ou le Nord-Est : VådhB (cf. AO 6, 1928, p. 208, § 90), B 2.10, Śrautakoa. Encyclopaedia of Vedic Sacrificial Ritual (Poona, 1958), II (English Section), p. 13, etc. Le Kuruketra a donc la nature d'un terrain de crémation et d'enterrement. Lisons un des textes qui décrivent le sattra au bord de la Sarasvatī (et de la Dadvatī, cf. infra § VIII) : < 221 > JB II 297 (§ 156) sqq.51 "La consécration (dīkå) se fait là où la Sarasvatī disparaît (dans les sables du désert). Ils procèdent à la consécration sur le bord méridional (de la Sarasvatī) ... Chaque jour ils vont aussi loin qu'ils ont pu lancer la śamyå (la cheville du joug). Ces lancers de la śamyå constituent de véritables enjambées vers le monde brillant. Ils s'avancent à grandes La raison de la définition du Kuru- ketra comme le terrain sacrificiel par excellence est ailleurs : c'est la déclivité vers la Yamunå, cf. infra. 51 Texte (où les passages importants sont soulignés) : teå sarasvatyå upamajjane dīkå. dakie tīre dīkante |297| śamyåparåsa yanti. ete ha vai svargasya lokasya vikramå yac chamyåparåsa. svargasyaiva tal lokasya vikramån kramamåå yanti. ghnanta åkrośanto yanti. etad vai balasya rūpa yad dhatam åkruam. sarasvatyå yanti. våg vai sarasvatī. våg u devayåna pantha. devayånenaiva < 249 > tat pathå yanti. pratīpam yanti. pratīpam iva vai svargo loka. svarga eva tal lokam pratipadyate. pråñc ca udåñc ca yanti. prå iva ha vå idam svargo loka. svargam eva tal loka rohanto yanti. å Prakåt Pråsravaåd yanti. ea u ha vai våco 'nto yat Praka Pråsravaa. yatro ha vai våco 'ntam, tat svargo loka. svargam evaital loka gacchanti. | 298 | ... teåm etå udco : yat samåpayanti, saikå. yad eå mriyate, saikå. yad daśa gåvaś ca śatam bhavanti, saikå. yac chatam gåvas sahasram bhavanti, saikå. tena haitena Puråyu Sthūra-ghapataya. tån ha Trikartåå vå Salvånå vyådhinī paryutthåya jigyu. tad dhaiå ghapatim jighnu. ta hema ghapati hatam abhita kpayamåå niedu. tam u ha dhruvagopa såkaśinenaiva dravanta nijajñau. sa åhavanīyåd evordhva svarga lokam åcakråme. sa hovåca : må kpayadhve. 'yam vå ima kpayadhve, 'ya vai sa åhavanīyåd evordhva svarga lokam åkråmasteti ... | 299 | ... teåm u teå Parīåd iti Kuruketrasya jaghanårdhe saraskan (?) tam (?) dīkåyai. te pråñco yanti samayå Kuruketram. etad vai devånåm devayajana yat ketra. devånåm eva tad devayajanena yanti. team Yamunåvabhtha. ea vai svargo loko yad Yamunå. svargam eva tal loka gacchanti. || enjambées vers le monde brillant.52 Ils vont en frappant et criant. Telle est la forme (bien connue) de la force : le battement et le cri.53 Ils longent la Sarasvatī. Or, la Sarasvatī est la parole54 et la voie conduisant aux dieux, c'est la parole. Ils prennent la voie des dieux.55 Ils remontent le courant (de la Sarasvatī). Le contre-courant est pour ainsi dire le monde brillant (i.e. le mouvement de la Voie Lactée, le matin, de décembre à juin ; voir fig. 3 a). C'est ainsi que l'on atteint le monde brillant. Ils vont vers l'Est et le Nord (ou bien : vers le Nord-Est).56 Le monde brillant est partiellement (iva) au Nord-Est57 (i.e. se meut vers le Nord-Est - de décembre à juin). Ils vont, en montant vers le monde brillant. Ils vont jusqu'au Praka Pråsravaa (le centre du monde : JUB 4.6.12). Le Praksa Prasravana est là où finit la parole. Là où finit la parole,58 là se situe le monde brillant. Ils vont si bien qu'ils arrivent au 52 Pendant l'année, chaque nuit, une étoile différente se présente à l'horizon oriental : les Pléiades, par ex. ; un an après, les Pléiades réapparaissent. - Ce mouvement coïncide avec celui de Viu, qui monte le long du pilier, de l'arbre cosmique (cf. n. 73) au moment du Nouvel An, et qui redescend ensuite (cf. Kuiper, AIC, p. 49. 53 Cf. Heesterman, IIJ 6, 1962, p. 35 ; et pour les yåt- sattra en général : "Householder and Wanderer", in Way of life. Essays in honour of L. Dumont (éd. T.N. Madan), Delhi. 1981, § 3 ; "Vedisches Opfer und Transzendenz", < 250 > in Transzendenzerfahrung, VolIzugshorizont des Heils (éd. G. Oberhammer), Wien, 1978, p. 33 sq. 54 Equation bien connue, dont l'origine est obscure ; cf. infra n. 58. 55 Les dieux, eux aussi, sont montés au ciel, comme l'ont fait après eux les i, etc. (cf. n. 40 et 41), proba- blement à la manière de la chienne Saramå, en passant par les paritakmyå (cf. n. 92). 56 Schrapel (op. cit., pp. 52-3, 54) estime que prå ivodå ne veut dire que "(kontingental =) ein Stück östlich nach Norden" ; mais ici la double insertion de ca peut indiquer une succession : "vers l'Est et (puis) vers le Nord" - cf. fig. 2. 57 Il faut lire udå : les manuscrits ont udå ; l'édition de R. Vira et L. Chandra donne idam. 58 L'identification de Sarasvatī avec la parole (våc) est fréquente dans les textes post-gvédiques. L'hymne RV 10.125 décrit våc avec les mêmes monde brillant. - (298) Ces sattra ont ces accomplissements (udc; utthåna TS) : - s'ils réussissent complètement, c'en est un ; - si l'un d'eux meurt, c'en est un ; - si cent vaches deviennent mille, c'en est un.59 Par ce sacrifice, les Puråyu Sthūra-Ghapati sacrifièrent. Les chasseurs des Trigarta et des Salva les ont cernés et vaincus. Alors, ils ont tué leur ghapati. Et le dhruvagopa le vit (distinctement) courir le long de la Du haut de sakåśina (ligne centrale de l'aire sacrificielle).60 l'åhavanīya (feu oriental) il a pris le chemin du < 222 > monde brillant. - Il (le dhruvagopa) dit : "Ne vous lamentez pas ! Cet (homme), sur qui vous vous lamentez ici, il a pris depuis l'ahavanīya le chemin du monde brillant". (299) ... Dans ces sattra il y a (un étang) pour la dīkå : Parīah, dans l'Ouest du Kuruketra. Ils vont vers l'Est, à travers tout le Kuruketra. Ce territoire est le champ sacrificiel des dieux. Ils traversent le champ sacrificiel des dieux. Ils prennent leur bain final61 dans la (rivière) Yamunå. Or la Yamunå est le monde brillant. Ils vont donc ainsi vers le monde brillant." termes que Sarasvatī, spécialement dans la strophe 7 : máma yónir apsv àntá samudré / táto ví tihe bhúvannu víśvå, utmúm dym varmáópa spåmi ; cf. RV 1.164.41-42 et le commentaire de Geldner sur RV 1.3.10-11 et 7.95. Notez que la Sarasvatī épique est appelée Plakå, plakåjåtå. 59 Traduction néerlandaise par Caland, "Over en uit het JB", Mededeelingen der Koninklijke Akademie .... Amsterdam, Deel I, 1914, p. 86 ; cf. aussi Heesterman, "Vedisches Opfer und Transzendenz" (op.cit. n. 53), p. 34 sq. 60 C'est significatif : la ligne centrale forme la connexion (cf. tantu) entre le feu occidental (gårhapatya) , représentant la terre, et le feu oriental (åhavanīya), représentant le soleil, le ciel. 61 L'avabhta ramène, comme le mot le dit, le sacrifiant < 251 > (yajamåna) du monde céleste à la terre, dans tous les sacrifices solennels (Soma, etc.) ; ce bain final transforme le yajamåna, d'une personne semi-divine, en un homme normal (cf. Heesterman, IIJ 6, 1962, p. 19), qui souhaite vivre ses "cent années", cf. PB 4.6.19 et n. 47. Par de telles identifications brahmaniques, typiques de toute la litterature du Yajurveda et des Bråhmaas,62 le Kuruketra entier devient le champ des dieux,63 et les rivières Sarasvatī et Yamunå deviennent la Voie Lacteée, le "monde brillant", le "ciel".64 Dans ce rite, on va donc du point terminal (où la Sarasvatī se perd dans les sables) au bord méridional de la rivière, en progressant chaque jour de quelques dizaines de mètres vers l'Est,65 et puis au Nord (vers l'Himålaya et la source de la Sarasvatī).66 Comme le rite commence en hiver,67 la progression correspond au convenient de l'extrémité occidentale de la Voie Lactée (pres de la constellation' de l'Aigle), qui se deplace quotidiennement, un peu au-dessus du pôle, en montane lentement depuis l'Est vers le Sud, puis en descendant pour disparaître enfin à 1'Ouest au mois de juillet. Cette extrémité de la Voie Lactée ne reapparaîtra au matin qu'en décembre, avant le lever du soleil ; au 62 Voir notamment Oldenberg, Vorwissenschaftliche Wissenschaft, Göttingen, 1919 ; Schayer, "Die Weltanschauung der Bråhmaa-Texte", Rocznik Orientalistyczny II, 1924, p. 57 sqq. ; Witzel, On magical thought, Leiden, 1979. 63 Et le centre cosmique de la terre, cf. n. 80. 64 Voir aussi 1'interprétation de ŚB 12.2.1, où le sattra équivaut à une traversée de l'océan ; le premier et le dernier jour sont des tīrtha : des "gués" ; le jour médian (viūvat : solstice d'été) est une île, qui est visible dans la Voie Lactée, à 1'horizon oriental, dans la constellation des Gémeaux. 65 Il est difficile de se représenter cette pratique. Comme la Sarasvatī est longue de 180 km. au moins (Imperial Gazetteer of India 22, p. 97), ou bien de 600 km. (depuis l'Himålaya jusqu'à la confluence du Naiwal), la progression, telle qu'elle est prescrite par le PB et le JB , devrait durer plusieurs années, et non pas une moitié d'année (le temps mis par la Voie Lactée pour "remonter" au pôle Nord) ; mais il faut tenir compte des "accomplissements" mentionnés ci-dessus ; voir aussi plus loin, au § VIII. 66 La Sindhu aussi se déplace vers le Nord, d'après RV 2.15.6 (dans un contexte astronomique). 67 Au moment du solstice, cf. PB 5.9.1 (ekåaka) - traduction de Caland -, et TS 7.4. 8 - traduction de Keith. solstice d'hiver, une des deux branches de cette partie occidentale de la Voie Lactée est visible distinctement (voir fig. 3 a). Au matin - moment important pour commencer le sacrifice -, quand les étoiles sont encore visibles, on se tourne vers l'Est, par exemple pour accomplir le sacrifice de l'Agnihotra, qui est destiné a faire se lever le soleil. En < 223 > hiver,68 on observe à (à ce moment un phénomène caractéristique : à l'Est, près de la constellation de l'Aigle dans notre astronomie, la Voie Lactée se divise en deux branches (deux rivières) qui forment la "porte du ciel",69 comme dit le ŚB : dans le rituel, on se tourne vers le Nord-Est, parce que, "dans cette direction, se trouve la porte du ciel" (ŚB 6.6.2.4), voir fig. 3 c. Cette porte apparaît avant le lever du soleil, pendant quelques semaines avant le solstice d'hiver.70 En passant cette "porte" et en remontant vers l'Est et le Nord 68 En regardant le ciel nocturne, nous ne devons pas oublier deux faits : - l'écart entre notre latitude (50 degrés) < 252 > et celle du Kuruketra (30 degrés), et - l'effet de la précession. Voyez en appendice le tableau procuré par M. P. Nieskens (pp. 267-8). Par conséquent, les étoiles que nous voyons se lever à la fin du mois de janvier sont celles qui se sont levées au solstice d'hiver pendant la période védique (environ 1000 avant notre ère). 69 Voir aussi la description de la forme des nakatra 14-16 (toraa). cf. Kirfel, Kosmographie, p. 139 - et, pour d'autres parties, p. 38. Hertel (Siegesfeuer, p. 15) semble avoir été le seul à observer ce phénomène, mais il confond les trois apaγžåra de l'Avesta avec les quatre fleuves du Véda. - Pour des phénomènes similaires, visibles dans les régions (sub)tropicales, cf. Aveni, Skywatchers, p. 46 : les Indiens du Pérou parlent de "constellations noires", visibles dans la Voie Lactée, qu'ils nomment Renard, Faisan, Lama, Serpent, etc.; parmi celles-ci, le Renard et le Faisan font partie de la "porte du ciel" des Indiens védiques. 70 Autrement dit : toute la porte est visible (les étoiles γ du Sagittaire et ζ de l'Aigle, en 1000 avant notre ère) à l'Est et au Nord-Est. Puis, au solstice d'hiver, le soleil prend la suite, au Sud-Est : il peut "entrer par la porte" (disparaissant au Nord-Est) et monter après la paritakmyå, le solstice. Il faut rappeler que la "porte" est bien visible en été, le soir ; en regardant vers l'Est, son "sommet" pointu apparaît dirigé vers le bas, le long de la Sarasvatī - 1'image terrestre de la Voie Lactée -, on remonte aussi la Voie Lactée, dont chaque matin une portion nouvelle devient visible à l'Est et au Nord-Est. On va à contre-courant de la Sarasvatī, - et aussi "à contre- courant" de la Voie Lactée, puisque celle-ci, le matin, est à son point le plus haut, presqu'au zénith, en mai et juin, avant de redescendre vers le Sud-Est, le Sud et le Sud-Ouest en automne (alors que la "porte" n'est plus visible le ma- tin). L'ascension est donc la voie des dieux, et la descente celle des mânes, des "pères" : le devayåna et le pityåna.71 Pendant son ascension, la Voie Lactée a besoin du rituel du gavåm ayana,72 au cours duquel les vers le monde des pit ; au solstice, elle se trouve au Sud-Est, cf. ŚB 13.8.1.5 : la porte du monde des ancêtres (pitloka) se trouve au SudEst (pråcī ca dakiåm) < 253 > JUB 4.15.4 est particulièrement clair sur ce point : tato vai te svargasya lokasya dvåram anuprajñåyånårtas svasti savatsarasyodca gatvå svarga lokam åyan "(Les si, sous la direction de Agastya), après avoir vu la porte du ciel brillant et avoir marché sans dommage jusqu'à la fin (udc, terme des sattra, cf. § IV) de l'année, sont allés au ciel brillant." ŚB 1.6.1.19 dit que ces deux portes sont le printemps (vasanta) et l'hiver (hemanta). 71 Cette interprétation correspond aux faits gvédiques, cf. RV 10.88.15 et 10.17.8 (Sarasvatī avec les pit - dans le même char). L'Ashkun, langue kafire, a retenu deã wirecu "la voie des dieux, la Voie Lactée" (Turner, A Comparative Dictionary of the Indo-Aryan Languages, London, 1966, 6523). - Le manichéisme connaît la "colonne dé Gloire", "de la lumière" : parthe båmistūn.- Les opinions des textes védiques tardifs et des Upaniad diffèrent, et présentent une nouvelle solution : le devayåna s'achève dans le soleil, le pityåna dans la lune, d'où les åmes doivent revenir sur la terre ; pour un autre devayåna, cf. Thieme, Kleine Schriften, Wiesbaden, 1971, p. 95.- Sarasvatī joue aussi un rôle dans l'anvårambhanīya-ii, cf. Krick, Das Ritual der Feuergründung, Wien, 1982, p. 496 sq. ; voir plus haut n. 47. 72 Le gavåm ayana "la marche des vaches" est un des rites importants (cf. déjà n. 22), qui sont liés au cours de l'année, et surtout à ses moments "critiques", comme 1'agnihotra (quotidien), le dårśa/pauramåsa- (semi-mensuel), le cåturmåsya (trois fois par an), le soma (une fois par an) ; le gavåm ayana dure toute une année. Ce nom sacrifiants utilisent ce mouvement pour "aller au ciel". - Le terme de ce pèlerinage sacrificiel est l'arbre Plaka Pråsravaa : la source de la Sarasvatī, comme le dit le nom même. Cet arbre est en même temps le centre du monde73 et du ciel, l'axe du monde, dans le JUB (4.26.12 : plakasya pråsravaasya pradeśamåtråd udak tat pthivyai madhyam) et le VådhPiS (divo madhyam).74 De fait, le bain final - terme du sacrifice - se prend dans la Yamunå, située à l'Est du Plaka Pråsravaa. C'est à ce stade, en été, que l'on voit au Nord, le matin, la Voie Lactée qui couronne le pôle d'Est en Ouest, voir fig. 4. < 224 > Autre reflet terrestre de cette situation céleste : la Sarasvatī75 et la Yamunå76 viennent "du haut", de 1 ' Himålaya, et se dirigent vers n'a pas été expliqué par Caland (PB 4.1.1) : il y a une corrélation nécessaire avec le mouvement du soleil, < 254 > qui se lève chaque jour à un endroit différent. Uas, l'Aurore (identifiée à une vache, gau) doit apparaītre 360 (ou bien 365) fois à un lieu différent : ce sont les 365 gåva, dont la marche annuelle constitue le gavåm ayana. - On notera que ce rite est une "nage sur l'océan de l'année", cf. KS 33.5, TS 7.5.3, etc.; l'ascension au ciel se fait "avec l'éclat lumineux (des étoiles)" : jyotimatå bhåså (KS 34.8). 73 Le Kuruketra est donc le centre, le madhyadeśa, cf. AB 38.3 : asyåm ... madhyamåyåm ... diśi ye ... Kurupañcålånåm råjåna, etc.- Voir Bosch, The Golden Germ, The Hague, 1960 et Kuiper, AIC, p. 32. 74 Non publié, cf. manuscrit de Madras, N o . R 4375 (StII 1, 1975, p. 89). Voir aussi VS 16.51 : l'arme de Rudra sur l'arbre le plus haut. - Sur le p1aka, l'arbre comme axe du monde, cf. Kuiper, AIC, p. 143 et Thieme, Kl. Schr. p. 84 sq. ; sur la fonction du yūpa, et notamment de sa partie supérieure, cf. TS 6.3.4.8. Rien de nouveau chez Bharadwaj, "Plaka Praåsravaa", ABORI 58-59 (Diamond Jubilee Volume), 1978, pp. 479-87. - En établissant un terrain sacrificiel, le yajamåna et le prêtre créent pour eux-mêmes un centre de l'univers (cf. n. 25). Il a existé un monastère situé "au milieu du monde", au vhumi-age-majhi (cf. Schlingloff, IF 72, 1967, p. 320 - repris par Eggermont, IIJ 14, 1972, p. 82). 75 La rivière céleste est aussi appelée Sindhu (cf. Lüders, Varua I, p. 153) ; la Sindhu céleste est la mère de la Sarasvatī terrestre (RV 7.36.6). l'Ouest et vers l'Est, respectivement - voir fig. 5. Par la Yamunå, qui correspond à la "branche Est" de la Voie Lactée, on revient sur terre.77 Il est nécessaire de passer par cette rivière, si l'on ne veut pas rester dans le ciel, au zénith, ou disparaître dans le mouvement de la Voie Lactée au-dessous de 1'horizon, au Sud-Ouest, puis au Sud-Est, dans la région des pit.78 VI Si ces observations sont correctes, nous pouvons en tirer quelques conclusions, qui ont des conséquences plus ou moins importantes pour les cosmologies indienne et indo-iranienne. a) Pèlerinage et suicide. Nous avons retrouvé le premier pèlerinage le long d'une rivière sacrée : dans le cas présent, c'est la plus sainte. Plus tard, dans le Mahåbhårata, il y aura beaucoup de tīrtha sacrés sur les bords de la Sarasvatī et d'autres rivières.79 Un lieu sacré entre tous est celui de la 76 On peut spéculer sur le nom de cette rivière : l'étymologie par yam-, du couple yamá- : yam , est séduisante. Le suffixe -una- apparaît aussi dans Varua (cf. Hamp, IIJ 4, 1960, p. 64) ; la Yamunå serait donc la "jumelle" < 255 > de la Sarasvatī. 77 On peut spéculer sur le nom de cette rivière : l'étymologie par yam-, du couple yamá- : yam , est séduisante. Le suffixe -una- apparaît aussi dans Varua (cf. Hamp, IIJ 4, 1960, p. 64) ; la Yamunå serait donc la "jumelle" < 255 > de la Sarasvatī. 78 Cf. aussi ŚB 13.8.1.13 : les eaux au Nord ou à l'Ouest d'une tombe.De tels pèlerinages sont comparables aux "voyages" d'extase de Bhujyu (RV 1.116.3-5) et, dans l'Avesta, de Påuruua (Yt. 5.61 sqq.) : tous deux s'élèvent au-dessus d'une vaste étendue d'eau située dans le ciel. 79 Voir, entre autres, E.W. Hopkins, "Sacred Rivers of In- dia", in Studies in the History of Religions offered to C.H. Toy, New York, 1912, p. 213 sqq. ; Epic Mythology, Strassburg, 1915, p. 5 sqq. ; l'index du triveī à Prayåga/ Allahabad, où la Yamunå, le Gange et la rivière céleste con- fluent invisiblement. Comme on sait, le Gange tombe du ciel sur la tête de Śiva et, de fleuve céleste (svaradī, etc.), se transforme en rivière terrestre.80 Nous avons déjà vu que la Yamunå est le "monde brillant", le "ciel", le paradis. La Voie Lactée - telle qu'on la voit chaque nuit tombe du ciel sur la terre en un ou en deux fleuves, par exemple en décembre, le soir, sur la fig. 6. < 225 > Dans le Nord de l'Inde, un tel scénario peut être restitué pour la Yamunå, le Gange (et aussi le Brahmaputra ?). Prayåga nous intéresse pour une autre raison : c'est en effet au confluent de la Yamunå et du Gange que l'on se suicide en se jetant dans le fleuve du haut d'un arbre. En accomplissant cet acte à cet endroit, on gagne immédiatement le paradis.81 Tout cela n'est pas sans rappeler le pèlerinage, le yåtsattra au bord de la Sarasvatī ; comme du haut de l'arbre de Triplaka au bord de la Yamunå, c'est au Plaksa Pråsravaa qu'on atteint le but, ou qu'on devient "invisible" aux yeux des humains, comme dit le PB.82 L'arbre de Prayåga sera donc - comme le Plaka - l'axe du monde : en se Mahåbhårata de Sørensen, p. 621 : Mbh. IX 35 sqq. ; M lle M. Biardeau, "Gagå/Yamunå, la rivière du salut et celle des origines", in Dictionnaire des mythologies, Paris, 1981, pp. 442-4 ; et aussi D.L. Eck, History of Religions 20, 1981, pp. 323-44. 80 Il y a aussi des mythologies épiques et puråniques <256 > différentes, cf. Kirfel, Kosmographie, pp. 109 et 175 ; voir aussi, pour une autre interprétation de la Gagå et de la Yamunå, Kuiper, AIC, p. 32 et Biardeau, loc. cit. 81 Cf. B. Kölver, Textkritische und philologische Untersuchungen zur Råjataragiī des Kalhaa, Wiesbaden, 1971, et J. Filliozat, "L'abandon de la vie par le sage et les suicides du criminel et du héros dans la tradition indienne", Arts Asiatiques 15, 1967, pp. 65-88 ; voir aussi Oertel, KZ 68, 1944, p. 60 n. 1 (ŚB 10.2.6.7). 82 Voir ci-dessous § VII, et surtout l'interprétation de LŚS 10.19.11-15 ; cf. aussi Heesterman, "Vedisches Opfer und Transzendenz" (cf. n. 53), pp. 33-4 et Krick, Feuergründung, p. 498 sqq. suicidant là, on peut atteindre le ciel par cet "escalier céleste".83 Il ne semble que la tradition médiévale ne fait que continuer les croyances de l'époque védique en les transférant dans le centre de la culture postvédique, c'est-à-dire dans le Madhyadeśa. b) Av. Vouru.kaa et həndu. Le matériel "défectueux" de l'Avesta contient quelques passages qui reflètent un système cosmologique similaire à celui du Véda. Au "monde brillant" (svarga- loka-, Sarasvatī) de l'Inde correspondrait le "lac" - ou mieux : la "nappe d'eau" - du zraiiah- Vouru.kaa- "qui a de larges baies", tout comme la Sarasvatī a beaucoup d'étangs.84 Le Vouru.kaa est qualifié de "brillant" (båmi-).85 De même que le Plaka est situé au centre du monde et du ciel, un arbre vīspō.biš- "qui guérit tout",86 marque le centre du zraiiah Vouru.kaa. Un aigle (ou faucon)87 83 Cette idée, qui est connue ailleurs (e.g. dans la Bible : "l'échelle de Jacob", Gen. 28.12), apparaît sous diverses formes en Inde : Viu montant à l'arbre céleste (Kuiper, AIC, p. 54 sq.), ou encore la bande métallique suspendue aux pagodes népalaises ; cf. Rå jataragiī 7.94. 84 Le Vouru.kaa a reçu beaucoup d'interprétations : la mer d'Aral, la Caspienne, etc. Mais il y a d'autres possibilités. En effet, le neutre zraiiah- (= véd. jráyas-) est bien traduit par all. Bahn "route large, dégagée" ; cf. le jrayas- "route, parcours" d'Agni sur la terre, en RV 1.140.9 ; vieux-perse draya (DB 5.23) et persan mod. daryå signifient "rivière" (à l'exclusion des cas où la Méditerranée est visée). A l'exception du "lac Hamum" (zraiiah- kąsaoiia-), l'avestique n'indique pas que le nom zraiiah- réfère à un lac, plutôt qu'à une rivière ou un océan. - Les écoulements (apaγžåra-) du zraiiah- Vouru. kaa- sont Haosrauuah-, Va hazdåh- et Aβždånuuan- (cf. infra n. 120). 85 Yt. 13:59 ; cf. le rapport avec le arənah-. < 257 > 86 Yt. 12.17 ; il est dit aussi huuåpi- (V. 5.19) : "ayant des ondes pures" ? 87 saẽna- (Yt. 12.17) = véd. śyená-. Le Yt. 12, en 16-25, offre une description parfaite du mouvement de la Voie Lactée (Vouru.kaa, Rahå) autour de l'arbre cosmique, et de la montagne centrale primordiale (Harå, Haraitī), d'où sort la Arəduuī, et où il n'y a ni nuit y réside : "L'aigle divin reste dans le monde sans pareil", comme dit l'AV (cf. supra p. 216). Il s'appelle Sarasvat dans le RV : 1.164.52 divyám supará våyasám bhántam, apm gárbham darśatám óadhīnåm ... sárasvantam "L'aigle divin, l'oiseau supérieur, l'enbryon des < 226 > eaux et des plantes, agréable à voir, ... Sarasvat".88 Le fleuve qui tombe du ciel et des montagnes sur la terre est, comme dans le Véda, une rivière et une déesse : Arəduuī Sūrå Anåhitå "la prospérante, brave, immaculée",89 qui donne des enfants comme Sarasvatī. Parfois cette rivière est nommée la Rahå = véd. Raså, et une fois la Vahī = véd. *Vasvī, qui est confondue avec l'océan entourant le monde. La Raså védique est décrite assez clairement en RV 10.108 et JB 2.440. Dans le RV, la chienne Saramå, envoyée par les dieux pour guetter les vaches des Pais, court au b'out du monde, aux points d'inflexion - c'est-à-dire les "points critiques" (paritakmyå)90 - , près des eaux de la Raså ; en sautant la Raså, elle parcourt les confins du ciel (pári divó ántån ... pátantī, str. 5). Dans le JB, la cachette des Pais se trouve dans une île de la Raså : l'île formée par les deux fleuves de la ni ténèbres (cf. véd. svar aśman) ; les étoiles, la lune et le soleil tournent autour de cette montagne. - Du xara- (= véd. khara- ) qui s'y trouve (Y. 42.4), on rapprochera l'âne de Yama en RV 1.116.2 (et 1.162.21, 5.53.5) ; cf. gardabha- et råsabha- dans le RV : la "course" (åjí-) de Yama seraitelle son mouvement avec le ciel nocturne ? 88 JB 3.66 upari(-) śyena-svarga- loka- (cf. av. upairi. saẽna- pour l'Hindou-Kouch) ; en JB 3.270, l'expression désigne le ciel des Atharvan. 89 Sur le Yt. 5, qui lui est consacré, voir la thèse de N. Oettinger (München, 1984).- Je renvoie à la théorie de Lommel (op.cit. n. 32). La rivière/déesse Arəduuī Sūrå Anåhitå se trouve au-dessus du soleil (Yt. 5.90) et au milieu des étoiles (Yt. 5.132) ; notez aussi que ses eaux coulent en hiver comme en automne, - ce qui ne se produit jamais en Iran et au Turkestan : la quantité d'eau est maximale en automne, par suite du dégel et des pluies printanières. 90 Terme de la course de chars, utilisé pour les points de la "course" du soleil (les solstices). Dans l'Avesta, dūraẽ.uruuaẽsa- (Yt. 13.58) est un point de la "course" des étoiles. - Sur Saramå et les Pais, cf. H.P. Schmidt, Bhaspati und Indra, pp. 241 et 189 sqq. ; voir aussi RV 10.114.10. Voie Lactée, qui ne s'ouvre que dans la constellation de l'Aigle. Le JB dit : eå ha vai så Raså yaiårvåk samudrasya våpåyatī (+vår åyatī)91 "C'est la Raså (bien connue) qui, tournée par ici, va vers l'eau de l'océan". Comme la Rahå avestique, la Raså vient du samudra (céleste) vers nous (arvåk), vers le monde terrestre.92 Il est intéressant de noter ici que les dieux avaient d'abord envoyé un aigle - qui, dans la Voie Lactée, rappelle l'aigle de l'AV. L'océan, fleuve des bords du monde, est aussi nommé le Vouru.kaa ; mais il n'est pas désigné par Sarasvatī en védique, mais seulement par samudra (et Raså).93 En avestique, on rencontre encore les hədu oriental et occidental (Y. 57.29 : ušastaire hənduuō ... daošastaire), qui ne sont pas les sapta sindhu du Véda (ou les hapta hədu de V. 1.18), Yt. 10.104 est suffisamment clair : Mitra saisit le trompeur sur le hədu occidental et le hədu oriental,94 < 227 > à 1 ' embouchure de la Rahå, au centre du monde, - ce qui correspond aux termes atharvavédiques (6.89.3 : mádhyam bhmyå ubhv ántau).95 Nous constatons donc une quasi-identité des conceptions védiques et avestiques du ciel nocturne et des fleuves célestes. 91 Conjecture ancienne de K. Hoffmann (dans ses cours). < 258 > Autre possibilité : vr + avåyat (cf. RV 8.91.1). 92 Le mouvement de la Voie Lactée explique aussi que la chienne Saramå ne sait pas où se trouve la cachette des Pais (sur "l'île de la Raså") ; cf. H.P. Schmidt, op. cit., p. 189). - Souvent, la Raså apparaît comme une rivière éloignée mythique, cf. RV 10.75.6 : une petite (?) rivière qui se jette dans l'Indus (là-haut, dans l'Himålaya) ; c'est aussi le sixième pays, en V. 1.19 : upa aoδaẽšu rahaii-, cf. fig. 13. 93 On rencontre ensemble Sindhu et Raså en RV,4.43.6. 94 Souvent mal interprété,: "im westlichen und östlichen Indien" (!) selon Bartholomae-Wolff. - Thieme comprend : "frontier (of the inhabited world)", donc "mer, océan" et "rivière frontalière" (i.e. l'Indus). cf. "Sanskrit sindhu-/Sindhu- and Old Iranian hindu-/Hindu-" in W.B. Henning Memorial Volume, London, 1970, p. 447 sqq. 95 Cf. RV 10.136.5 (océan oriental et occidental) et 10.30.10 ; une strophe seulement (ĀpŚS 5,11.6) parle de deux sources de la Sarasvatī "qui doivent s'enflammer". c) Le arənah-. Ces considérations ne sont pas sans portée pour un autre problème fort intéressant de la mythologie iranienne : celui du arənah- "la majesté (des rois)", "la gloire", qui reste sur les rois et parfois va se cacher dans le fleuve (le "lac") Vouru.kaa. En védique, le mot correspondant, qui serait *svaras-, n'existe pas ; mais nous y trouvons svàrara-, dans une demi-douzaine de passages. Ce mot désigne un étang, ou la source du Soma, située au firmament (comme l'a déjà fait observer Lüders).96 Selon Kuiper,97 ce serait le kośa ("tonneau") au zénith du ciel nocturne, qui est renversé par Varua pour faire tomber l'eau, entre autres l'eau des pluies. Je pense que cette lueur éclatante représentée par le arənah- est située au zénith, et que pendant la nuit elle tombe au-dessus du point le plus septentrional de la Voie Lactée, près du pô leNord (nåka), où est situé - comme le dit une Upaniad - le monde du Brahman, et d'où l'on peut voir tourner les deux roues, celle du jour et celle de la nuit.98 d) Les sindhu du RV. L'idée d'une rivière céleste - bien connue chez beaucoup de peuples est très importante pour une interprétation correcte du RV. On se souvient immédiatement de la théorie < 228 > de Lüders, d'après laquelle il y a des rivières, des lacs ou des océans au-dessus du ciel visible.99 - On trouve effectivement quelques passages qui en font état, comme RV 3.22.3 : ágne divó áram áchå jigåsy áchå dev ūcie 96 Varua II. pp. 396-401. 97 AIC, p. 138 sqq. ("The Heavenly Bucket").- Ce kośa est symbolisé dans le rituel du mahåvrata par des kumbha que portent des jeunes filles sur leur tête (JB 2.404 : § 165) : la tête est le symbole du ciel (divo rūpam yan mūrdhå). Voir aussi AV 10.8.9 : une cruche (camasa) avec deux trous, renversée près des Sept i. 98 KU 1.4 ; cf. infra n. 111. 99 Varua I, pp. 111-21, 138-166, 239 sqq., 271-5 ; II, pp. 351-9, 375-89, 588 sq. - Voir cependant les critiques de K. Hoffmann, in Aufsätze zur Indoiranistik (Wiesbaden, 1975-1976), p. 47 sq. ; et Kuiper, AIC, p. 79. dhíyå yé | y rocané parástat sryasya ys cåvástad upatíhanta pa "0 Agni, tu marches vers le flot du ciel ; tu t'es adressé aux dieux ... / (tu marches) vers les eaux, celles qui sont dans l'espace lumineux de l'autre côté du soleil, et vers celles qui se tiennent au-dessous (du soleil) de ce côté-ci" (cf. aussi divó ára- en 8.26.17). Parmi d'autres passages, on notera le påda discuté RV 2.28.4 : váyo ná paptū raghuy párijman "Comme les oiseaux, ils (les fleuves célestes) vo- lent rapidement dans (leur) cours". Comme l'a vu Bartholomae, párijman est un composé des mots pári jmán "autour (de nous) sur la terre".100 Tout cela est une description parfaite des fleuves, ou des "branches"101 de la Voie Lactée, qui tourne autour du pôle céleste, et qui parfois forme une rivière horizontale près de 1'horizon,102 ou même deux rivières interrompues 100 Geldner, Vedische Studien II, p. 225 (ad RV 9.91.1) <259> cf. TS 7.1.20(1 ; voir Bartholomae, BB 15, 1889, p. 25 ; Wackernagel, Altindische Grammatik III, p. 243. - K. Hoffmann (Aufsätze, p. 48) refuse la théorie des rivières célestes et traduit parijman par "ringsherum, allenthalben" (sur la terre), - cf. n. 102. 101 D'où l'idée des quatres fleuves de l'épopée et des Puråas, qui circulent et coulent depuis le mont Meru/Sumeru vers les quatre points cardinaux (cf. Lüders, Varua I, p. 284 sqq.) ; voir la bibliographie donnée par Kuiper, AIC, p. 142 n. 1), et Kirfel, qui compare RV 1.62.6 (Kosmographie, p. 40). - Hertel n'a pas observé ce fait : il pense aux deux ou trois "branches" visibles en Europe centrale, qui "coulent" du pôle Nord (pour les trois rivières du Véda, cf. Lüders, Varua II, pp. 692-3). Sur les quatre rivières du ciel, voir Lüders, Varua I, p. 276 sqq. ; on remarquera que la carte de Lüders (avec l'idée bouddhique des quatre rivières) correspond plus ou moins à la réalité géographique, met aussi à l'astronomie, cf. fig. 1. 102 A 50 degrés environ de latitude Nord, nous voyons les sindhu et samudra au bout du monde, et souterrains ; sur h dya-samudrá- cf. Kuiper, AIC, p. 148 : "The term samudra was used in Vedic times both for the oceans that surrounded the earth in the mythical cosmology and for the cosmic waters under the earth" ; voir AB 8.15 (antåd å parårdhåt pthivyai samudraparyantayai), AV 4.16.3, 13.2.30, et RV 10.136.5 (PS 5.38) -, cf. n. 113. JUB 1.25 décrit l'océan (samudra) comme une frontière entre mortel et immortel, entre terre et ciel. Le soleil se par la terre à l'horizon (vu du Nord de l'Inde ou de l'Iran) : les sindhu/hədu/samudra oriental et occidental du RV et de l'Avesta (voir fig. 7). e) La montagne céleste. L'idée de la Voie Lactée a aussi des conséquences pour l'interprétation du rôle de Varua et de la "place du ta". On sait que Varua, le soir, entre dans sa maison aquatique (RV 2.38.8), dans le Sindhu (7.87.16) ; Kuiper a montré que ce dieu, au zénith du ciel nocturne, tient l'arbre aśvattha par les racines, - donc avec les branches vers le bas (voir fig. 11).103 Toujours selon Kuiper, la montagne primordiale (giri-) est également renversée pendant la nuit, et située lève au bord de l'océan (donc à travers un "océan" visible ?) : c'est pourquoi il a une position stable dans le monde immortel (le "ciel" et la montagne < 260 > souterraine de l'autre c'té de l'océan ?), cf. JUB 4. 5.1 : supra n. 34 103 Cf. AIC, p. 35, etc. Mentionnons un fait peu connu : il y a plus d'un siècle, on a découvert au Danemark, dans le marais de Skiel (Jutland), un poteau en chêne, qui était planté à l'envers dans un tas de pierres ; au fond de ce tas, il y avait les restes d'un moulin manuel, cf. Feddersen, Aarböger f. nord. Oldkynlighet og Historie, 1881, p. 360. - Ce dépôt semble combiner les idées d'arbre cosmique (cf. irminsul, yggdrasil) et de mouvement du ciel. Sur le thème du moulin, qui est connu aussi en Italie, dans l'Inde post-védique (BhP. 4. 8), voir Scherer, Gestirnnamen, p. 136. Le mythe du barattement de l'océan n'est pas loin, cf. Kuiper, AIC, pp. 49, 99, etc. - Avec l'ascension de Varua au zénith du ciel nocturne, Yama et son paradis se meuvent aussi. Je pense que le mouvement de la Voie Lactée par la gauche (à contre-courant : prasalavi, et non pradakia) joue un rôle important dans la tendance sinistroverse des rites funéraires et dans les rites destinés aux pit ; cf. Lommel, Kl. Schr. p. 101 et Caland, "Een Indogermaansch LustratieGebruik", Mededeelingen der K. Akademie ..., Amsterdam, Reeks IV. Deel II, 1898, pp. 275-325. dans le ciel nocturne.104 Mais cela reste plus difficile à < 229 > comprendre pour nous. Dans ce cas, je formulerai l'hypothèse suivante. Si l'on accepte l'idée d'un fleuve céleste (appelé Sarasvatī = svarga- loka-) qui tombe chaque nuit sur la terre (dans les positions schématisées sur la figure 8), on peut imaginer que la montagne est la partie du ciel située au-dessous de la Voie Lactée (voir fig. 9).105 Cela concorde avec la description donnée par AV 10.5.20 : yó va po 'pm áśmå pir divyò apsv àntar "What of you, o waters, is thé heavenly spotted one (i.e. la montagne, le rocher)106 of the waters within the waters" (Whitney). La "pierre mouchetée" serait la montagne du ciel nocturne avec les étoiles extérieures à la Voie Lactée. Chaque nuit, cette montagne tourne : par exemple, au moment critique du solstice d'hiver, à 18 heures environ, le ciel nocturne se présentera comme dessiné sur la figure 9.107 Le matin, en revanche, la position de la montagne est inversée. En effet, la Voie Lactée à 30 degrés de latitude Nord (près de Delhi, dans le Kuruketra) 104 AIC, p. 35 sqq. ; cf. aussi Hertel, Die Sonne und Mithra im Avesta, Leipzig, 1927, p. 112 ; et Reichelt, "Der steinerne Himmel", IF 32, 1913, pp. 23-57. Idée analogue en JUB 1.25, 4.5.1 (cf. n. 34 et 102) : les étoiles sont des lueurs brillant par les trous du ciel de pierre ; de même le soleil, selon JUB 1.3.1. 105 Il faut se rappeler que seule la Voie Lactée est vue comme un fleuve céleste. Le reste du ciel nocturne est <261 > d'une autre nature : les étoiles sont des divinités ou des i, ou bien la résidence de ceux-ci (e.g. Rudra = Sirius : véd. tiya / av. tištriia, les Sept i = la Grande Ourse, etc.). Les hommes vertueux, eux aussi, obtiennent une résidence dans telle ou telle étoile (MS 1.8.6 : 123.19 sqq., et TS 5.4.1.3), pour une période bien déterminée, jusqu'à leur descente et leur renaissance, cf. "Rebirth". 106 La Voie Lactée est dite aśmanvatī en AV 19.2.26-27, cf. RV 10.53.8. Il y a dans le Kuruketra une rivière appelée dad-vatī "pourvue de pierre(s)", cf. Mayrhofer, KEWA II, p. 61. - Les étoiles sont les mille espions de Varua (AV 4.16.4). 107 La montagne visible au-dessous de la rivière céleste correspond au gairi- us.hədauua- de l'Avesta : "la montagne qui surgit de la rivière", située au milieu du Vouru.kaa ; cf. Thieme, Henning Mémorial Volume, p. 449. n'est pas entièrement visible, comme sous nos latitudes ; elle forme deux "rivières" - sindhu -, qui semblent sortir de la montagne, à environ 6 heures du matin en hiver (voir fig. 10). Ainsi, la montagne, qui est renversée pendant la nuit, devient graduellement, au matin, la montagne souterraine ; et son "reste", visible sur l'horizon au moment du lever du soleil, est remplacé par le giri du jour : le Himavant, qui est souvent appelé simplement giri, uttara- giri-. Pendant la nuit, le ta est situé, selon Kuiper, dans la montagne, au firmament (nåka) près du pôle Nord.108 Beaucoup d'autres images et concepts védiques sont en relation avec la notion de la Voie Lactée et de son mouvement, comme avec sa contrepartie diurne : le soleil et son mouvement quotidien. Il nous suffira de rappeler ici le devayåna et le pityåna.109 < 230 > f) Les deux roues du monde. Plus tard, dans les Upaniad, le délivré, l'émancipé qui a gagné le monde du Brahman, circule entre le soleil et la lune, au sommet d'un endroit "au-delà duquel il n'est plus possible de continuer" (JUB 3.28).110 De cette position, on peut voir le jour et la nuit évoluer "comme deux roues" (KU 1.4).111 Une telle image ne peut se comprendre que si nous nous rappelons que le soleil a une face brillante (pendant le jour) et une face noire (pendant la nuit) ; l'autre roue est celle du ciel nocturne, qui va en sens contraire de celle du jour (voir fig. 12).112 108 AIC, pp. 80-83 ; cf. supra n. 38 109 Cf. supra n. 71 ; pour les deux yåna des Upaniad, voir ChU 5.10. Contre toute attente, les Asura fuient vers le Nord (ŚB 1.2.4.11), et non vers le Sud. Je suppose qu'ici les Asura vont s'échapper grâce au mouvement de la Voie Lactée vers le Nord, et puis vers l'Ouest et le Sud ; - cf. aussi Kuiper, VaV, p. 34 sq. 110 eo 'nto 'ta para pravåho nåsti. 111 Voir la traduction et la discussion par Thieme, Kl. Schr. p.82 sqq. ; cf. déjà RV 1.185.1 et 10.89.4. On retrouve la même idée en ŚB 2.3.3.11; voir aussi Yt. 19.43. 112 Cf. déjà Sieg, "Der Nachtweg der Sonne nach der vedischen Anschauung", Nachrichten der K. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Phil.-hist. Kl., 1923 - < 262 > renvoyant, p. 3 n. l, à Caland, Depuis sa position élevée, le délivré contemple le mouvement des jours comme un cocher les roues de son char. - Une vision analogue se trouve déjà dans le RV, dans l'hymne 10.136 : un muni qui a bu du philtre (de Rudra) circule avec les dieux et avec les vents à travers 1'atmosphère, en regardant tous les êtres ; ce muni habite au bord des deux océans, l'oriental et l'occidental, qui sont évidemment les deux hədu de l'Avesta.113 g) La place du paradis. Le point le plus haut, plus élevé même que le pôle Nord, à savoir le nåka (ou divá phám) est donc le paradis des dieux. Il est situé au zénith nocturne, ou en dessous ; on sait que les termes désignant le Nord signifient "au dessus", cf. skr. uttara- et av. upara- (apåxəδra-). 114 Avec la descente de la Voie Lactée, la région des pit et de Yama sera WZKM 26, 1912, p. 119 ; bibliographie chez Keith, traduction de l'AB (ad III 44 ann. 2 ; Caland, ad PB 12.9.6 ; Speijer, JBRAS 1906, p. 723. Voir Kuiper, AIC, p. 128 : "Upperworld and Underworld are not only situated at the top and the bottom of the world axis but also, on a horizontal plane, to the right and the left of it" ; cf. l'ascension et la descente de Viu. - Autres images : deux samudra en JB 1.5 (§ 1), la roue du temps en RV 1.164.11, des roues pour gagner le ciel en TS 7.2.2.3, le yajña perpétuel en AB 34.3, JB 1.258. 113 L'interprétation "réaliste" par la localisation dans l'océan Indien (le golfe du Bengale et la mer d'Oman) n'est pas nécessaire : notez que le muni ne circule pas sur la terre, mais avec les vents et les dieux. De même, le brahmacårin se trouve sur l'océan de l'Est et du Nord, en AV 11.5.6 ; à l'adresse de Rudra, l'AV dit : "from the eastern thou smitest in the northern ocean" (11.2.25 -, où Whitney se déclare "surprised"); cf. salilasya phe samudre (AV 11.5.26). ChU 6.10.1 décrit le mouvement des nadī célestes, de l'Est (vers le Nord) et de l'Ouest (vers le Sud) : samudråt samudram ; cf. les deux samudra de Varua, en AV 4.16.3.En BŚS 16.30 est décrit un yåtsattra appelé muny-ayana. 114 Cf. MSS 30, 1972, p. 163 sqq. - Dans l'hémisphère septentrional, 1'orientation pendant la nuit n'est possible qu'au moyen d'une observation des étoiles proches du pôle Nord (ainsi que de la Petite donc le Sud, soit "en dessous" : skr. dakia-/ adhara-, av. aδara-. Ce développement est très clair en iranien : le Nord est la région des daẽuua- (les anciens *daiua- : véd. devá-). et le Sud la résidence de Yima, qui a élargi le monde trois fois en direction du Sud (V. 2).115 <231> VII Nous revenons maintenant à notre point de départ : le pèlerinage au bord de la Sårasvatī terrestre. Nous lirons à ce propos un autre texte, où nous retrouverons nombre des éléments déjà mentionnés : PB 25.10116 - "Ils procèdent à la consécration là où disparaît la Ourse) ; un peu au Sud de Delhi, la Croix du Sud (près du pôle) devient visible : elle peut servir de point de repère. 115 Cf. MSS 30, 1972, p. 163 sqq. - Dans l'hémisphère septentrional, 1'orientation pendant la nuit n'est possible qu'au moyen d'une observation des étoiles proches du pôle Nord (ainsi que de la Petite Ourse) ; un peu au Sud de Delhi, la Croix du Sud (près du pôle) devient visible : elle peut servir de point de repère.Voyez aussi AV 11.6.11, où les Sept i (la Grande Ourse), les eaux divines, Prajåpati, les pit et Yama sont < 263 > invoqués tous ensernble. 116 Texte (où les passages importants sont soulignés) : Sarasvatyå vinaśane dīkante. (1) ... (2) adhvaryu śamyå paråsyati. sa yatra nipatati, tad gårhapatyas, ... Mitråvaruayor ayanam. (9) etena vai Mitråvaruåv imån lokån åjayatåm. ahoråtrau vai Mitråvaruav : ahar Mitro, råtrir Varua. (10) ... Sarasvatyå vai deva ådityam astabhnuvan. så nåyacchat. såbhivlīyata. tasmåt så kubjimatīva. ta brhatyåstabhnuvan. ... (11) pratīpam yanti. na hy anvīpam aavai. pūrena pakaså yanti. (12) tad dhi praty ekå åpnoti. (13) Dadvaty eva. (U) Dadvatyå apyaye ... atiyanti. (15) catuścatvåriśad åśvīnåni Sarasvatyå vinaśanåt Plaka Pråsravaas. Tåvad ita svargo loka. Sarasvatīsammitenådhvanå svarga loka yanti. (16) etena vai Namī Såpyo Vaideho rajåñjaså svarga lokam ait ... yadå Plakam Pråsravaam ågacchanty, athotthånam. (21) Kårapacavam prati Yamunåm avabhtam abhyavayanti. (23) - 25.13 : ... Vyare Naitandhave 'gnim andhīta savatsare Parīahy agnīn ådadhīta. (1) sa Sarasvatī.(1) ... L'adhvaryu jette la śamyå (la cheville). Là où elle tombe, voilà le (feu) gårhapatya. (4) ... C'est "la marche de Mitra et Varua".117 (9) ... Avec ce (rituel) Mitra et Varua ont conquis ces mondes. Mitra et Varua, ce sont le jour et la nuit : Mitra est le jour, Varua la nuit. (10) ... Avec la Sarasvatī les dieux étayèrent le soleil. Elle ne pouvait soutenir (le soleil). Elle glissait. Voilà pourquoi elle est un peu bossue.118 Ils l'étayèrent avec la Bhatī (un mètre). (11) ... Ils (les sacrifiants) remontent le courant (de la Sarasvatī'). Il n'est pas possible d'atteindre (le but) quand (on marche) dans le sens du fleuve. Ils vont au bord oriental ; c'est là que la (Sarasvatī) reçoit une seule (rivière) : c'est la Dadvatī.119 (14) Au confluent avec la Dadvatī ... ils la traversent. (15) A quarante quatre (jours)120 de cheval à partir de la disparition de dakiena tīrea Dadvatyå ... śamyåparasīyåt. (2) ... etåvatī våva prajåpater vedir, yåvat Kuruketram iti ... dakiena tīrea Dadvatyå śamyåparåsyeti, Triplakån prati Yamunåm avabhtam abhyavaiti. tad eva manuyebhyas tiro bhavati. (4) 117 Difficile à comprendre : Mitra/le jour/le soleil ne se déplace pas vers le Nord-Est -, sauf peut-être pendant la nuit, quand le soleil retourne vers le (Nord-/Sud-) Est en montrant sa face noire, cf. note suivante. 118 Cette phrase est importante : les dieux ont pu étayer le soleil avec la Voie Lactée, parce que le Soleil revient à l'Est en plaçant sa face noire vers la terre, évidemment avec le mouvement de la Voie Lactée. - Le PB < 264 > explique pourquoi les prêtres dans le rite du Soma doivent gagner le ciel en se mouvant "comme des serpents" (sarpanti) ; cf. aussi Manor avasarpaam, ŚB 1. 8.1.6 (sur la "montagne septentrionale", l'Himålaya) et JB 2.243 ; PB 6.7.9 (avec la traduction de Caland), JB 1.85 (§ 10).- Pour le soleil et les eaux, cf. JB 2.25-26 (§ 117) : le cours annuel "à travers les eaux". 119 L'étymologie de ce nom est intéressante : celle "pourvue de pierres"; cela correspond à AV aśmanvatī". cf. supra n. 106. 120 Le nombre quarante (ou quarante-quatre) joue un rôle important dans les mythologies indo-iraniennes ; on le rencontre aussi en Grèce ancienne. Une explication "naturelle" ou "rationnelle" des quarantequatre jours à cheval n'est pas possible (cf. n. 10 et 113). D'après Hésiode (Travaux, 385), il s'agit d'un fait relatif à 1'astronomie, qui sera la Sarasvatī se situe le Plaka Pråsravaa. Aussi (éloigné) est le monde brillant. Ils vont au monde brillant par une voie qui est aussi longue que la Sarasvatī. (16) C'est par ce moyen que le roi Namin Såpya du Videha121 est allé directement au monde brillant ... (17) ... Quand ils arrivent au Plaka Pråsravaa, c'est la fin (du rituel) ... (21) ... A Kårapacava,122 ils descendent dans la Yamunå pour le bain final. [25.13 : le sattra de la Dadvatī :] A Vyara Naitandhava,123 il doit allumer le feu (domestique, et non śrauta !) < 232 > ... et à Pariah, il doit allumer les (trois) feux (śrauta). Il doit marcher sur le bord méridional de la Dadvatī ... en lançant la śamyå ... [Kuruketra identifié à la vedi de Prajåpati] ... Il marche sur le bord méridional de la Dadvatī ... et descend à Triplaka124 dans la Yamunå pour le bain final. C'est là qu'il devient invisible aux hommes".125 Cette disparition aux yeux des hommes pourrait être accomplie par un suicide rituel dans la Yamunå. Les textes se taisent à ce sujet, comme toujours au sujet de la violence et du sort des victimes.126 Mais ceux qui sont tués pendant le sattra vont automatiquement au ciel. Par discuté ailleurs. - Pour les Scythes, cf. Hérodote, 1.202 et 4.53, 73 ; dans l'Avesta voir Yt. 5.2 et Y. 65.4.- Dans la Bible, cf., entre autres, Ex. 24.18, 34.28 ("Moise resta près du Seigneur 40 jours et 40 nuits"), Nombr. 13.25, Matth. 4.2, Mc 1. 13, Lc 4.2. 121 Notez que l'on vient en pèlerinage au Kuruketra depuis le Videha, distant de 1000 km. 122 Peut-on imaginer une étymologie par kåra- et pac- ? Avec un thème *pacu- ? Pour le suffixe -u, cf. Thieme, Henning Mémorial Volume, p. 450 et Debrunner, Ai. Gr. II/2 (Die Nominalsuffixe) § 287 p. 469. 123 Cf. Caland, traduction de PB 25.3. 124 Comment expliquer ce nom ? On peut rappeler qu'en 1800 environ avant notre ère, le pôle Nord était défini par le voisinage de trois étoiles (cf. supra n. 18) ; mais < 265 > notre texte est bien plus récent. 125 Cf. LŚS 10.19.11-15 ; voir Heesterman, "Vedisches Opfer und Transzendenz" (cf. n. 53), p. 34. 126 Voir Heesterman, IIJ 6, 1962, pp. 1-37 ; surtout pp. 18 sq. et 34 sq. Cf. aussi ŚB 11.8.4.6 (táto haivá sá utsasåda : le sattra du Keśin), avec le commentaire d'Eggeling. conséquent, celui qui se suicide dans la Yamunå (i.e. la Voie Lactée, le monde brillant) doit aller au ciel, lui aussi.127 - Cette région présente d'autres propriétés étonnantes : c'est dans le śaiśava de la Sarasvatī (un bras de ce fleuve) que le nommé Cyavana a rajeuni.128 Ce mot est dérivé de śiśu- "bébé" et rappelle l'étang des Apsaras dans le Kuruketra, où le fils de Purūravas et Urvaśī est né ; il rappelle aussi le rôle des oiseaux (identiques aux Apsaras de Purūravas, en ŚB 11.5.1.11) dans la représentation indo-iranienne du cycle des renaissances des hommes.129 La région du Kuruketra, - i.e. "l'île dans la Raså", "la porte du ciel" - est donc un pays où il est également possible de rajeunir et de renaître.130 VIII En conclusion, nous pouvons dire : (1) Les sattra au bord de la Sarasvatī sont une image, un symbole de la voie des dieux, des i et des âmes dans le ciel, vers ce "monde brillant", visible dans le ciel nocturne. < 233 > (2) Là-haut (uttara-, upara-), au firmament du ciel, et au- dessus de la Voie Lactée, se trouve la résidence des dieux, et aussi (plus 127 Voyez, la bibliographie chez Heesterman, op. cit. n. 53. 128 JB 3.120-128 (§ 186) ; voir mon article "Rebirth" mentionné plus haut. 129 Cf . n. 47 et 71. 130 Cf. n. 47, pour la relation entre véd. tantu et av. Frauuai, et notamment le mouvement des âmes (ruuan) passant par le pont pərətu : véd. setu , JB 1.5 et ChU) qui sépare le jour et la nuit. En outre, la TS parle d'un setu (7.5.8.5), d'un navire (7.5.3.2), d'un chariot (7.2.2.3) pour gagner le ciel (par un sattra).- La déesse Sarasvatī joue un rôle dans la vie après la mort (voyelle livre 18 de l'AV), dans la célébration du mariage (cf. Caland, "A Vaidic wedding song", AO 7, 1929), pp. 30511), et dans la procréation des enfants (déjà dans le RV) ; tout cela sera discuté ailleurs. tardivement) le monde du Brahman, d'où le délivré peut voir "les deux roues du jour et de la nuit", c'est-à-dire le soleil et la Voie Lactée. (3) La porte de ce monde est au Nord-Est, là où la bifurcation de la Voie Lactée (dans la constellation de l'Aigle) devient visible le matin en hiver, vers le solstice. (4) L'ascension lente et par étapes, symbolisée par le pèlerinage au bord de la Sarasvatī, correspond au mouvement vers le haut de la "porte" de la Voie Lactée, qui est visible depuis l'hiver jusqu'en été. Ce mouvement en sens contraire des étoiles (et aussi des étoiles particulières visibles dans la Voie Lactée), ce mouvement de l'ensemble de la Voie Lactée - conçue comme un fleuve - est aidé par le sacrifice du gavåm ayana, qui culmine lors des deux solstices, aux jours viūvat (en été) et mahåvrata (en hiver). (5) En juin et en juillet, au solstice d'été, quand le soleil atteint sa position la plus élevée, la "porte" de la Voie Lactée disparaît à l'Ouest. (6) Cette "porte" doit donc être située "au-dessous" de la terre, et doit se diriger vers l'Est, où elle réapparaîtra en hiver, le matin. Ce mouvement correspond à la voie des ancêtres, des pit. (7) Cette conception est à l'origine de plusieurs notions cosmologiques et religieuses en Iran et en Inde. Le territoire entre la Sarasvatī et la Dadvatī devient la vedi des dieux et des hommes, là où se trouve le centre du monde et du ciel, l'axe du monde : à Plaka Pråsravaa au pied de l'Himålaya. Cette conception est aussi au point de départ du Meru (Sumeru) post-védique, reconnaisable dans la Harå (bərəzaitī) de l'Avesta et le < 234 > giri/aśman du gveda. - Si on laisse courir son imagination,131 on peut appliquer ces idées à la région de 131 Où faut-il situer l'ancien airiianąm vaẽja ? D'après V. 1.2, c'est un territoire septentrional, très froid (cf. Hérodote 4.28). Le témoignage des textes est insuffisant, mais Yt. 15.27 donne guδa- Rahaii ; voir Hérodote, 4.51 sqq. et d'autres géographes de l'Antiquité. Pour les Sindói du Kouban, au Nord du Caucase, cf. encore Hérodote 4.28. - Le Sīstån est bien le territoire sacré du zoroastrianisme tardif (cf. Yt. 19.66-68) ; notez que la semence de Zaraθuštra est préservée miraculeusement dans le lac Kąsaoiia de cette région, - < 266 > qui est comparable au Kuruketra avec son śaiśava (cf. n. 128). Pour dånu "fleuve", voir Kuiper, AIC, p. 121. Entre l'iranien et l'indien, on a les l'Amou Darya (l'Oxus), ou même de la Volga (gr. Rhã < *Rahå) et du Dniepr, le Borysthénes des Scythes (Hérodote 4.20, 26) - voir fig. 13. (8) Le mouvement du ciel nocturne est favorisé par des rites comme l'Agnihotra, 1'Agnioma du printemps, le gavåm ayana, ou d'autres sattra, parmi lesquels le yåt-sattra au bord de la Sarasvatī, qui a pour but d'atteindre 1'immortalité et de gagner le ciel. IX J'espère avoir suffisamment montré 1'importance d'une observation du ciel nocturne pour notre compréhension des textes védiques et avestiques. Remarquons que les spécialistes de la mythologie védique n'ont pas été attentifs à ce phénomène, peut-être parce qu'on ne peut pas l'observer dans nos pays aussi bien qu'au Proche-Orient ou en Inde. - Dans les dernières décennies, on a proposé beaucoup d'explications de la mythologie védique. Je pense qu'il est nécessaire de se demander également si l'homme védique ne se soucie pas de l'origine et de la fin de son existence, de sa vie après la mort,132 et, par conséquent, d'une des voies d'accès au ciel, au paradis, - ce que j'ai essayé de décrire. Cette activité rituelle,133 contrebalancée par la foi en une renaissance automatique - dans 1'arrière-petit-fils - après une période indéterminée au paradis de Yama,134 est - à mon avis - une préoccupation fondamentale de l'homme védique. < 235 > correspondances suivantes : Harōiiuua ~ Sarayu, Haraaitī = Sarasvatī, Rahå - Raså, Hədu = Sindhu, Haẽtumant ~ *Setu• ; voir M. Mayrhofer, Ausgewählte kleine Schriften, Wiesbaden, 1979, pp. 72-99 pour quelques-uns de ces noms de rivières et de peuples. 132 Voir "Rebirth". 133 Selon des degrés bien marqués : "première renaissance" (dvija) par 1'upanayana, la seconde par l'ahitågni, la dīkå du rituel somique, puis par d'autres rituels, qui ont pour but de gagner le ciel après la mort (ainsi, entre autres, JUB 3.10). 134 Cf. encore "Rebirth" ; et TS 5.4,1.3, MS 1.8.6 : 123.19. * Je remercie MM. E. Pirart et G. Pinault pour la correction du texte français. Les dessins des cartes ont été mis au point pour la publication par Mlle. O. Mukherjee (Paris). - Cette conférence a été suivie, le même jour, d'un exposé sur la répartition géographique des écoles védiques à l'époque médiévale. Sur ce sujet, on peut lire maintenant : "Regionale und überregionale Faktoren in der Entwicklung indischer Brahmanengruppen im Mittelalter" (= Materialien zu den vedischen Schulen, 5), in: Beiträge zur Südasienforschung, Heidelberg, 1984.