Sans mobile apparent

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Enfance
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Sans mobile apparent
Roger Lécuyer
Enfance / Volume 2011 / Issue 01 / March 2011, pp 17 - 36
DOI: 10.4074/S0013754511001030, Published online: 11 May 2011
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Roger Lécuyer (2011). Sans mobile apparent. Enfance, 2011, pp 17-36 doi:10.4074/
S0013754511001030
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Sans mobile apparent
Roger LÉCUYER1
RÉSUMÉ
La manière classique de raconter l’histoire de la théorie de Piaget (1936,
1937) consiste à dire que se posant la question épistémologique de l’origine
des connaissances, il a élaboré une réponse en termes de développement
(l’épistémologie génétique), qui l’a conduite à un petit détour par la psychologie
de l’intelligence qui a duré le restant de sa vie. Ceci a entraîné un certain nombre
de conséquences importantes dans l’étude postérieure de la cognition précoce.
Pour Piaget, l’action sensorimotrice est le facteur central de la connaissance.
Le nativisme, se posant la même question de l’origine a donné une réponse en
termes de connaissances innées, faisant l’économie des apprentissages et donc de
l’action. Un troisième point de vue sera défendu ici, pour expliquer l’existence
de connaissances trop précoces pour être expliquées par la théorie de Piaget, en
faisant appel à l’action perceptive et non sensorimotrice, et décrivant des niveaux
de représentation précoce et non des connaissances d’origine génétique.
MOTS-CLÉS : NATIVISME, CONSTRUCTIVISME, REPRÉSENTATION, PENSÉE, ACTION
ABSTRACT
About thinking without moving and moving without thinking
The conventional way to tell the story of the theory of Piaget (1936, 1937) is that
asking the epistemological question of the origin of knowledge, he has developed
a response in terms of development (genetic epistemology) which led him to a
small detour to the psychology of intelligence, that lasted the rest of his life. This
has resulted in a number of important consequences in the subsequent study
of early cognition. For Piaget, the sensorimotor action is the central factor of
knowledge. Nativism, asking the same question of the origin of knowledge gave a
response in terms of innateness, making the economy of learning and thus of the
action. A third viewpoint is proposed here, to explain the existence of knowledge
too early to be explained by the theory of Piaget, calling for perceptual action
rather than sensorimotricity, and describing the early levels of representation and
not genetic knowledge.
KEY-WORDS: NATIVISM, CONSTRUCTIVISM, REPRESENTATION, THOUGHT, ACTION
1 Université Paris Descartes, Laboratoire de Psychologie Cognitive et Neuropsychologie, 71
avenue Edouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt (France), [email protected]
nfance n◦ 1/2011 | pp. 17-36
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Roger LÉCUYER
SUR LA PENSÉE SANS LANGAGE
La question de savoir s’il existe une pensée sans langage a reçu une réponse
négative ayant la force d’une évidence pendant un bon nombre de siècles. Certes,
il y a maintenant presque un siècle qu’elle a reçu une réponse positive (Köhler,
1922/1927), mais cette réponse reste suspecte au regard d’un certain nombre
de positions philosophiques et de théories psychologiques accordant une place
centrale au langage. Il ne s’agit évidemment pas ici de nier l’importance du langage
dans la pensée de qui le maîtrise, mais d’attirer l’attention sur le fait que le langage
est certes nécessaire pour écrire sur la pensée, mais pas indispensable pour penser.
En décrivant par exemple le fait qu’un chimpanzé ayant vu un être
humain sauter à la perche, il a pu utiliser ladite perche pour décrocher une
banane autrement inaccessible, Köhler a montré l’existence chez ce singe
supérieur de capacités de représentation d’une situation et d’anticipation dans
l’utilisation de ces représentations d’une complexité certaine. Il produisait ainsi
un rapprochement brutal avec ce cousin que l’idée d’exclusivité du langage pour
penser tentait d’éloigner plus. Depuis, le rapprochement n’a fait que continuer.
Une barrière était franchie.
La perche ainsi tendue fut reprise par Piaget (1936 ; 1937). Puisque pouvait
exister une pensée sans langage pouvait aussi éventuellement exister une pensée
avant le langage. Or Piaget se posait la question de l’origine de la pensée,
et plus précisément la question épistémologique de l’origine des nouvelles
connaissances scientifiques. Mais au lieu de poser cette question comme c’est
le cas classiquement en termes d’histoires des idées, il inventa « l’épistémologie
génétique ». Cette démarche nouvelle consistait à commencer par essayer de
comprendre les mécanismes d’acquisition des premières connaissances, puis à
décrire leur développement, vers des formes d’organisation de plus en plus
complexes et de mieux en mieux structurées, en un mot vers la science.
Il sort du cadre de cet article d’évaluer les vertus respectives de l’épistémologie
génétique et de l’épistémologie classique. Cependant, il est utile ici de noter
que l’épistémologie génétique n’a pas survécu à son inventeur, alors qu’en
psychologie, la théorie de ce non-psychologue a marqué le XXe siècle et
laissé beaucoup de traces. Quelques implications de la théorie doivent être
notées. La première est que toutes les connaissances seraient de même nature
et acquises suivant les mêmes procédures. Bien sûr, il existe des différences
entre l’intelligence sensori-motrice et l’intelligence conceptuelle, mais elles sont
superficielles et la compréhension de l’organisation des réflexes au premier
sous-stade peut aider à comprendre une activité intellectuelle aussi complexe
que celle de Piaget construisant sa théorie. Il s’agit évidemment d’une hypothèse
très forte, qui en particulier fait du jeune bébé un chercheur, et plus précisément
concernant les connaissances auxquelles s’est intéressé Piaget, un physicien.
Seconde implication importante : Piaget tient à un ancrage biologique de
la théorie, et c’est ce qui justifie que l’observation et la description théorique
commencent à la naissance. C’est le réflexe qui sert de pont entre un
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fonctionnement adaptatif pouvant être décrit en termes purement biologiques
et un fonctionnement plus élaboré dont la description nécessite le recours à la
psychologie, parce que l’exercice répété du réflexe a laissé des traces, qui certes ne
sont pas encore des connaissances, mais vont bientôt permettre la construction
des habitudes.
Les différences entre la Gestalt très innéiste de Köhler et le constructivisme
piagétien sont fondamentales du point de vue théorique, mais il existe un point
commun très important entre la manière de décrire l’intelligence sans langage :
l’acte intelligent est un acte moteur. Que le singe empile des caisses, enfile
des bâtons, tire des cordes ou fasse tourner des portes, il produit une réponse
motrice à la situation problème présentée. De même, le bébé piagétien soulève
des caches et tire des ficelles. Chez les gestaltistes, la perception joue un rôle
fondamental, puisqu’elle permet l’insight, qui est un sight, et la nécessité d’avoir
une représentation d’ensemble du problème est une condition de découverte de
la solution. Pour Piaget, la motricité est toujours « sensori », puisque le stade qui
va de la naissance aux débuts du langage est sensorimoteur, et que l’intelligence
elle-même est sensorimotrice. Dans les deux cas, nous sommes donc dans un
schéma où la pensée sans langage est une pensée dans l’action, laquelle est guidée
par la perception.
Ce point commun est important et trompeur. Il est important, parce que la
théorie de Piaget va largement contribuer au développement de l’idée qu’il n’y
a pas d’apprentissage sans action. Or durant la période sensorimotrice, l’action
nécessaire aux apprentissages est mouvement, donc action sensorimotrice. Les
singes tâtonnent avant l’insight et ont donc aussi des actions sensorimotrices. Pour
autant, les relations entre la perception et l’action ne sont pas les mêmes dans les
deux cadres théoriques. L’opposition des gestaltistes à l’idée d’apprentissages par
essais et erreurs les amène à insister sur le caractère brutal de la découverte de
la solution à un problème par une réorganisation du champ perceptif largement
indépendante des manipulations qui l’ont précédée. La Gestalt accorde donc une
primauté à la perception.
Par contre, pour l’épistémologie génétique, le jeune chercheur doit appliquer
une méthode fondamentale de tout chercheur : transformer le réel pour en
tester les propriétés. La motricité qui produit la transformation est donc
plus importante que la perception. Pour certains post-piagétiens d’ailleurs la
perception est toujours au service de l’action motrice. Il est par exemple
intéressant de noter qu’une série d’articles est récemment parue dans
Developmental Psychology (cf. la synthèse de Rakison & Woodward, 2008) avec
comme but de réhabiliter le rôle de la motricité dans le développement cognitif.
Le moteur était donc en panne ? Qu’a-t-il bien pu se passer ?
SUR LA PENSÉE SANS ACTION
Car la fin des années 1950 et les années 1960 ont vu se produire une
révolution comportant un aspect empirique et un aspect théorique. Du point
de vue empirique, le bébé a cessé d’être seulement observable pour devenir
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expérimentable, événement que l’on date usuellement des publications de Berlyne
(1958) et Fantz (1958). Les premières expériences ont porté sur les capacités
perceptives des bébés, mais dès le milieu des années 1960, Tom Bower testait
leurs capacités cognitives (Bower, 1967). Ce qui a suivi du point de vue empirique
a été la découverte de capacités cognitives trop précoces pour être expliquées
par une activité sensori-motrice peu efficace dans les premiers mois de la vie et
singulièrement avant la coordination préhension/vision. Piaget avait bien situé
l’importance de cette capacité à prendre un objet vu, condition de la recherche
expérimentale, nécessaire au bébé piagétien découvrant la physique. Le même
Piaget avait fait de la permanence de l’objet le critère de l’existence d’une capacité
de représentation chez le bébé. Ce critère sera repris de manière très générale
par ses successeurs, et si les données de Bower ont été fort contestées, et en
conséquence la théorie suspectée, en 1985, Baillargeon, Spelke & Wasserman
montrent l’existence de la permanence à 5 mois, puis, Baillargeon (1987) la
retrouve à 3 ; 6 mois et Baillargeon & DeVos (1991) à 2 ; 6 mois. Notons
au passage que si les successeurs de Piaget ont repris chez lui le critère de
la permanence de l’objet comme jalon principal pour dater les connaissances
précoces, ils ont aussi repris de manière plus fondamentale la problématique. En
quelque sorte depuis Piaget, une théorie de la connaissance se doit d’expliquer
l’origine des premières connaissances. C’est sans aucun doute l’un des aspects de
ce que Russel (2000) a appelé le Piaget « essentiel », qui reste d’actualité quand le
Piaget « historique » est dépassé.
Du point de vue théorique, il y a convergence entre les conceptions du
fonctionnement perceptif de Gibson, celles de la prédisposition au langage de
Chomsky, celles des capacités cognitives précoces de Bower. Ce sont les sources
du nativisme. Les données empiriques sur les très jeunes bébés fournissent à
ce nouveau cadre théorique un support. Puisque certaines connaissances sont
présentes sans que l’explication piagétienne permette de rendre compte de leur
apprentissage, elles ne sont pas apprises : elles sont innées. Et si le mot inné dans
son acception classique ne veut pas dire grand-chose, il est ici très signifiant :
ces connaissances sont présentes à la naissance, donc elles ne résultent pas
d’apprentissages. Elles sont, comme l’écrit Spelke (1998) indépendantes de toute
rencontre avec les objets. Ajoutons que ces connaissances ne sont pas simplement
factuelles ou encyclopédiques, comme dit Mehler, mais sont structurelles et
concernent des règles. Mehler suit sur ce point Fodor (1975) qu’il résume de
la manière suivante : « Il est impossible de concevoir un modèle d’apprentissage
autre qu’un modèle qui fonctionne par induction. . . Il en découle, donc, qu’un
sujet ne peut apprendre de concept nouveau, s’il ne possède pas déjà les
bases conceptuelles requises pour formuler les hypothèses nécessaires à sa
confirmation. Il y a donc impossibilité d’apprendre ce qu’on ne possède pas déjà
sous une forme ou sous une autre » (Mehler, 1983). La cotation alors élevée de
l’obligation nativiste provoque la baisse de l’action piagétienne.
Il ne s’agit donc pas là d’une résurgence du vieux débat inné-acquis, mais
d’une nouvelle forme de celui-ci (cf. Lécuyer, 2001). Le vieux débat portait sur
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l’explication des différences individuelles, dans les performances scolaires ou la
réussite sociale par exemple, que ces différences, souvent constatées bien après
la naissance, soient pourtant « innées », c’est-à-dire déterminées génétiquement,
ou non. Dans le nouveau débat, il s’agit d’expliquer les connaissances dont la
présence est constatée à quelques mois de vie postnatale en affirmant qu’elles
sont présentes à la naissance, ce que Mehler (1983) appelle l’état initial. Si ce
nouveau débat inné-acquis est donc plus clair dans la manière dont on peut
l’énoncer, cela ne veut pas dire pour autant que toutes les implications du point
de vue nativiste sur le statut de la connaissance aient été bien vues dès le départ.
La première forme de contestation du nativisme pourtant consiste à se demander
si les soi-disant connaissances mises en évidence dans les premiers mois sont
effectivement bien des connaissances, et singulièrement si la permanence de
l’objet à 2 ; 6 mois est bien la même que la permanence piagétienne de 18 mois. Il
faudrait alors expliquer que l’enfant de 7 mois ne cherche pas un objet qui vient
de disparaître sous ses yeux. L’idée de permanence serait sans objet.
Mais plus fondamentalement, dire qu’il existe un noyau de connaissances
innées pose au moins autant de question que cela n’en résout : est-ce à dire
que des propriétés de l’environnement constituent un noyau d’informations qui
sont transmises par les gènes ? Sous quelle forme ces connaissances sont-elles
actualisées dans le développement cérébral ? Sont-elles d’une nature différente
de celles qui seront acquises par la suite ? Comment se fait l’articulation entre
ces connaissances « avant l’apprentissage » (Mehler, 1983) et les connaissances
acquises par l’apprentissage ?
Le nativisme a environ cinquante ans. Dans cette période, il a été la
théorie dominante en psychologie des débuts de la connaissance. Cependant,
un bilan serein est tout en paradoxes. En première analyse, il est clair que la
puissance explicative du modèle est apparue assez forte pour en faire une théorie
dominante. En seconde analyse, le caractère « explicatif » de la théorie peut être
remis en cause, puisque l’explication relève tout de même un peu du miracle,
ou pour le moins du mystère. En effet, les nativistes sont très affirmatifs sur ce
que n’est pas l’origine des premières connaissances, mais moins descriptifs sur
ce qu’elle est (Lécuyer, 2001). En troisième analyse, ce qui a constitué la base
de contestation la plus forte du nativisme n’a pas été l’ensemble de querelles
méthodologiques virulentes faites aux expériences de Spelke et Baillargeon, mais
le développement des recherches sur les capacités sensorielles et cognitives des
fœtus. « L’état initial » cher à Mehler, dont on pouvait fortement contester qu’il
soit un état chez un sujet qui change à une vitesse fantastique, n’était plus non
plus initial puisque des apprentissages pouvaient se faire avant la naissance. Un
savoir inné pouvait être acquis. L’état initial a sombré dans le liquide amniotique.
Cinquante ans après, la première connaissance d’une loi qui serait présente dès
la naissance reste à mettre en évidence. Bien sûr, comme le fait observer Spelke
(1998), l’absence de preuve n’est pas la preuve d’absence, mais justifier ainsi le
nativisme en fait une théorie non réfutable. Il faudrait donc pour aller plus loin
faire quelques hypothèses sur les raisons méthodologiques ou développementales
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susceptibles d’expliquer l’absence de mise en évidence avant trois mois environ
de connaissances dont la théorie prévoit qu’elles sont présentes à la naissance.
Cet échec du nativisme ne conduit pas à un retour à Piaget, puisque la
présence à trois mois d’un ensemble de connaissances (unité et permanence
de l’objet, catégorisation, différenciation du social et du non social. . .) ne peut
s’expliquer à partir de la coordination préhension-vision qui ne devient efficace
que dans les mois qui suivent. Il apparaît donc nécessaire de décrire des processus
d’apprentissage et de représentation des connaissances qui soient préalables à la
coordination préhension-vision.
SUR LA PENSÉE SANS MOUVEMENT
Les méthodes de recherche utilisées avec les nourrissons sont diverses et ont
de plus en plus tendance à se diversifier en particulier dans les années récentes,
l’utilisation de dispositifs de poursuite visuelle d’une part, l’imagerie cérébrale
d’autre part permettent un virage important dans ces méthodologies. Cependant,
si l’on considère le corpus des connaissances acquises sur les activités perceptives
et cognitives des bébés depuis les premières recherches expérimentales, il est
possible de dire que la plupart sont basées sur trois lois qui gouvernent les temps
de regard des bébés. Ceux-ci regardent en effet plus longtemps :
1. un stimulus structuré qu’un stimulus qui ne l’est pas,
2. une situation nouvelle qu’une situation qui ne l’est pas,
3. une situation étrange qu’une situation qui ne l’est pas
La première loi a permis de connaître des capacités perceptives élémentaires des
bébés et par exemple a constitué la base d’une méthode de mesure de leur acuité
visuelle. La seconde règle a permis la mise au point dans les années 1960 de la
méthode dite de l’habituation/réaction à la nouveauté, ensuite de la procédure
contrôlée par le bébé. Les milliers d’expériences réalisées avec cette procédure
nous ont beaucoup appris. La troisième loi enfin a permis à Baillargeon, Spelke
et Wasserman de créer en 1985 le paradigme d’abord appelé de l’événement
impossible, puis de la transgression des attentes. Dans ce paradigme, après une
habituation ou pas, sont présentés aux mêmes bébés deux événements : l’un
qui est conforme à une loi de la physique, et l’autre qui la transgresse. On
conclut à la connaissance de cette loi physique par les bébés s’ils regardent plus
longuement l’événement qui ne la respecte pas que celui qui la respecte. Cette
dernière procédure est capitale pour le sujet qui nous occupe, puisque censée
tester la connaissance de règles, celle même qui fait l’objet du débat. Toutefois, il
est permis de se demander si pour le bébé, c’est bien la transgression d’une règle
qui provoque l’étonnement ou simplement la transgression d’une régularité. La
méthode ne permet pas de trancher, et l’importance de cette différence pour la
théorie nous conduira à y revenir.
Le point commun de ces méthodologies, basées sur les temps de regards, est
qu’elles ne nécessitent comme action motrice que celle qui consiste à regarder
dans la direction où l’expérimentateur montre des choses, ou à détourner le
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regard. Or l’œil maintenu dans son orbite nécessite pour bouger une énergie
faible, et la motricité oculaire est suffisamment efficiente dès la naissance pour
que Slater puisse depuis bien longtemps effectuer des habituations avec des
nouveau-nés.
Ces aspects méthodologiques sont importants pour plusieurs raisons.
L’invention de ces méthodes a bouleversé nos connaissances sur les bébés et
leurs capacités cognitives précoces. Ceci implique que seule une méthodologie
adéquate est susceptible de permettre de mettre en évidence de telles capacités.
En conséquence, il est toujours permis de penser que la non découverte de
connaissance de règles chez les nouveau-nés est due au fait que nous n’avons
pas trouvé la méthodologie adéquate.
Par ailleurs, il faut toujours se souvenir que la situation expérimentale dans
laquelle un bébé est placé est nécessairement écologique, en ce sens que le
cadre dans lequel elle s’effectue lui convient, que ce qui lui est montré lui plaît,
que les temps pendant lesquels les choses lui sont présentées lui conviennent,
etc. Sinon, le bébé fait savoir très vite que la situation ne lui convient pas et
l’expérience s’arrête. Contrairement à ce que peuvent laisser penser quelques
indices de surface, les situations de laboratoire sont très proches des situations
de la vie quotidienne du bébé.
Cependant, les trois lois évoquées ci-dessus et la procédure même
d’habituation, pour laquelle l’indice recueilli est la diminution d’une réponse, ainsi
que la faiblesse de l’activité motrice mise en jeu ont parfois conduit certains
auteurs à considérer que le bébé placé dans ces situations est en fait passif. Or
depuis Piaget, l’idée qu’un apprentissage doit nécessairement être actif est bien
ancrée dans les esprits. Ceci a suscité un scepticisme certain quant à la validité
des données obtenues par les méthodes impliquant l’habituation, scepticisme
d’autant plus développé quand ces méthodes sont censées rendre compte de
processus cognitifs complexes.
Ce scepticisme concernant la méthodologie correspondait bien à une
opposition au nativisme conduisant donc à des tentatives de retour à Piaget,
lesquelles impliquent une contestation de la mise en évidence des capacités
cognitives précoces. Le rejet de la théorie est allé de pair avec une contestation
méthodologique, essentiellement centrée sur la permanence de l’objet, et en
particulier sur l’expérience de Baillargeon, Spelke et Wasserman (1985).
Mais « les faits sont têtus ». La mise en évidence des premières connaissances
non simplement factuelles vers 2-3 mois a été confirmée et s’est diversifiée. Elle
ne concerne pas seulement l’unité ou la permanence de l’objet, mais aussi la
catégorisation ou la causalité perçue par exemple. De telles connaissances sont
incompatibles avec les mécanismes d’apprentissage décrits dans la théorie de
Piaget. Elles sont par contre compatibles avec la théorie nativiste, elle-même
incapable d’expliquer que lesdites connaissances ne puissent être mises en
évidence dès la naissance.
Il en résulte la nécessité de proposer une troisième solution. C’est ce que
fait Mandler en 1988 dans un article célèbre intitulé How to build a baby: On the
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development of an accessible representational system. C’est ce que je fais indépendamment
à la même époque (Lécuyer 1989). Le point commun central entre les deux
approches est le rôle de la perception. En effet, l’habituation perceptive, méthode
d’étude des activités perceptives et cognitives en laboratoire est avant tout le
moyen d’apprentissage le plus élémentaire qui soit, et que les bébés utilisent de
manière quotidienne. J’avais alors proposé l’image du bébé astronome, pour faire
pendant au bébé physicien de Piaget, puisque, comme l’astronome, le bébé ne
peut produire de transformations du milieu qu’il étudie pour en connaître les
mécanismes de fonctionnement. Si l’on poursuit ainsi l’idée piagétienne du bébé
chercheur, le fait de ne pas produire les changements dans le milieu ne place
pas ce chercheur dans les conditions idéales de repérage des régularités, d’où il
pourrait tirer des règles, mais ce repérage serait néanmoins possible.
Ce raisonnement a subi deux types de critiques. Le premier est centré sur
l’importance de l’action, des apprentissages purement perceptifs étant considérés
comme passifs. Ainsi, Mounoud (1992) parle-t-il d’une « solution purement
contemplative, dite de l’astronome » qui lui semble impossible. La question ainsi
soulevée est celle du caractère actif ou non de la perception, et singulièrement de
« l’activité » du bébé dans les expériences d’habituation. Il n’est pas inutile pour
cela de retourner à Piaget (1936). Son chapitre sur perception et intelligence est
un véritable chef-d’œuvre de dialectique piagétienne : la perception est sans le
moindre doute activité. . . même si elle est moins active que la motricité.
Pourtant, de certaines expériences d’habitation/réaction à la nouveauté, il
est possible de conclure que le bébé est très actif dans ces situations. C’est par
exemple le cas de la catégorisation. Le paradigme expérimental classique consiste
à présenter aux bébés un stimulus différent à chaque essai d’habituation, tous les
stimuli appartenant à une même catégorie. En test, sont présentés en alternance
deux stimuli nouveaux, l’un qui appartient lui aussi à la catégorie, et l’autre qui n’y
appartient pas. Si les bébés n’ont pas intégré la catégorie, les deux figures ont le
même degré de nouveauté, et dans les deux cas, il y a une remontée des durées
de fixation. Mais s’ils ont intégré cette catégorie, le stimulus non catégoriel est
plus nouveau que le stimulus catégoriel, et c’est seulement pour lui qu’il y aura
une réaction à la nouveauté. Or concrètement, ce qui se passe pour le bébé est
que des stimuli différents se succèdent. Ce défilé pourrait n’avoir aucun sens,
mais il se trouve qu’il en a un et que les bébés le connaissent parfois ou le
découvrent pendant l’expérience, ce qui nécessite une activité de comparaison.
Pas plus que les astronomes, et beaucoup moins que les moines, les bébés ne
sont contemplatifs.
Une autre objection a été faite par Lepecq, Jouen et Gapenne en 1995.
Elle souligne une difficulté réelle du point de vue proposé et que ces auteurs
qualifient de « perceptiviste ». Ils font en effet remarquer que lorsqu’un jeune
enfant manipule des objets, les relations entre leurs actions sur l’objet et
les conséquences de ces actions sont suffisamment contingentes pour que
des causalités soient repérées, alors que lorsqu’ils regardent des mouvements
de ces mêmes objets qu’ils ne produisent pas, les relations de contingence
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sont beaucoup moins repérables, et donc insuffisantes pour donner lieu à
des apprentissages. L’argument est pertinent pour deux raisons : la première,
c’est qu’il est la base de la démarche expérimentale, plus productive que la
simple observation. La seconde est que chez les bébés, l’attention est très
fluctuante, ce qui diminue encore la probabilité que des relations de contingence
soient repérées. Lepecq, Jouen et Gapenne en concluent qu’il faut revenir
à Piaget pour expliquer les apprentissages du nourrisson. Ce raisonnement
présente un problème puisque la théorie de Piaget ne permet pas d’expliquer
les connaissances antérieures à la période où la manipulation est efficace.
Défendre complètement ce point de vue suppose donc de pousser la logique
à son terme et de contester l’existence même des capacités cognitives précoces.
C’est effectivement ce que font un certain nombre d’auteurs, comme Bogartz,
Shinskey et Schilling (2000), Desrochers et Erzepa (2001) ou Haith (1998).
Le problème est cette fois que ces différents auteurs manquent d’arguments
consistants (cf. Lécuyer, 2001, 2002). La prétendue fragilité des données obtenues
par habituation devrait logiquement conduire à leur inconstance. Or de très
nombreuses expériences ont permis de constituer un corpus de connaissances
cohérent sur le développement cognitif précoce. En particulier, certains auteurs
se sont centrés sur la permanence de l’objet et la non-reproduction de
l’expérience de Baillargeon, Spelke et Wasserman (1985), sans se poser la question
des capacités cognitives nécessaires à la catégorisation, observées aux mêmes
âges. Or de telles comparaisons sont indispensables pour ne pas sombrer dans
un méthodologisme simplement destructeur.
Reste que ceci n’enlève rien à l’argument de la nécessité de la contingence.
Or dans leurs relations avec le monde des objets physiques, les bébés sont
effectivement très démunis. Si nous prenons l’exemple de la pesanteur, bien avant
de manipuler efficacement un objet et de le faire tomber volontairement et de
manière répétée pour étudier cette loi fondamentale de la physique, les bébés
font tomber des objets par inadvertance, donc sans possibilité de repérage causal.
Mais les choses se passent très différemment dans les interactions entre le bébé et
le milieu social. En effet un certain nombre de recherches a montré depuis bien
longtemps (Papousek & Papousek, 2002) la spécificité des comportements des
adultes et des grands enfants quand ils s’adressent à des bébés : exagération des
expressions, mouvements lents et répétitifs, grande redondance également dans
la production vocale, etc. Ces spécificités sont adaptées aux capacités sensorielles
et cognitives limitées des bébés. Elles permettent à un bébé de deux mois de
communiquer avec sa mère avec une efficacité suffisante pour qu’il puisse repérer
dans le comportement de celle-ci que ses réponses sont ou non contingentes à sa
propre activité de communication : si la communication se fait par l’intermédiaire
d’un circuit de télévision et que l’image diffusée au bébé n’est plus en direct
mais en différé, il donne des signes de détresse (Murray & Trevarthen, 1985 ;
Nadel, Carchon, Kervella, Marcelli & Réserbat-Plantey, 1999). Quant au monde
des objets physiques, il faut noter que les êtres vivants ont des points communs
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avec ces objets et sont eux aussi soumis aux lois de la physique, permettant donc
d’apprendre par exemple qu’un objet partiellement caché garde son unité.
Mais l’explication ainsi proposée aux apprentissages précoces à la fin des
années 1980 restait un peu courte. En effet, si l’on a pu montrer que des
apprentissages par habituation étaient possibles dès la fin de la période fœtale,
ces apprentissages sont de type factuel, et non des apprentissages de règles. Un
pas a dont été franchi par Needham et Baillargeon (1993) lorsqu’elle a montré
dans plusieurs expériences que l’on pouvait apprendre une règle à un bébé dans
le court délai d’une expérience de laboratoire. Ainsi, en montrant à des bébés
de 5 ; 6 mois qu’un objet posé sur le bord d’un support tombe, alors que si
plus de la moitié de l’objet est sur le support, il ne tombe pas, a-t-elle permis
à ces bébés de généraliser la règle à de nouveaux objets, alors qu’usuellement,
cette règle n’est apprise qu’à 6 ; 6 mois. L’apprentissage de la règle se fait bien
par la perception, sans action motrice sur la situation. Ce qui se passe dans
l’expérience de Baillargeon dans des conditions de contingence systématique
peut évidemment se produire, probablement sur des durées plus longues que
les quelques minutes d’une expérience, dans les conditions quotidiennes moins
contingentes dans lesquelles les bébés observent le monde. Ils pourraient bien,
dans les mêmes conditions apprendre par exemple que les objets disparus
continuent d’exister, en particulier quand un objet, disparu du champ visuel,
continue à occuper le champ auditif en s’adressant au bébé.
SUR L’ACTION SANS PENSÉE
Si la permanence de l’objet existe dès 2 ; 6 mois, reste à expliquer pourquoi les
bébés de 7 mois ne vont pas chercher un objet qui vient d’être caché sous leurs
yeux derrière un écran.
La notion de fonctions exécutives apporte à cette question un éclairage
intéressant. Une chose est de savoir, une autre chose est d’être capable
d’appliquer son savoir. Cette différence est claire dans le cas des décalages entre
compréhension et production, qui ne touche pas seulement les bébés mais tous
les âges : nous ne sommes pas forcément capables de refaire immédiatement
un cours que nous venons de suivre et avons pourtant bien compris. Les bébés
d’un an produisent usuellement un nombre de mots très réduit, mais ils en
comprennent bien plus. Les bébés de 7 mois savent qu’un objet disparu existe
toujours, savent faire un geste d’atteinte d’un objet visible, savent peut-être que
pour accéder à un objet invisible il faut d’abord ôter le cache qui est dessus, mais
ne savent pas planifier la succession des actions nécessaires à l’accès à l’objet
convoité. Dans cette perspective, il faut différencier la question de la permanence
de l’objet et celle de la recherche des objets disparus, laquelle suppose outre la
permanence, la capacité à mettre en œuvre une stratégie de recherche.
Si cette explication est valide, le décalage observé entre savoir et savoir faire
doit se retrouver dans des situations différentes, et à des âges différents, en
particulier dans des situations plus complexes de recherche d’objets disparus.
Sans mobile apparent
C’est effectivement ce que l’on peut observer, par exemple dans l’erreur A non B
et dans l’erreur C non B.
L’erreur A non B, découverte par Piaget et appelée par lui erreur du stade 4
est observée typiquement vers 9 mois et consiste à retourner chercher sous un
cache A un objet qui y a été antérieurement caché, mais qui vient d’être placé,
sous les yeux du bébé, sous un cache B. De très nombreuses expériences ont été
réalisées sur ce problème complexe et il n’est pas possible d’en rendre compte
ici. Simplement, si l’on simplifie la réponse motrice demandée au bébé pour nous
indiquer qu’il sait que l’objet est en B, le pourcentage d’erreur devrait diminuer.
C’est bien ce qu’observe Lécuyer (1993) avec une réponse visuelle : sur un écran
de télévision, un petit ours se déplace et disparaît successivement derrière un
écran A puis un écran B. Dès 5 mois, les bébés ne retournent pas attendre sa sortie
en A. inversement, si l’on augmente le coût cognitif de la réponse, le nombre
d’erreurs devrait augmenter. C’est ce que montre Berger (2004) avec une situation
impliquant un déplacement : soit l’enfant doit retrouver un objet en se déplaçant
sur un plancher plat, soit il doit descendre un escalier. Les bébés de 13 mois font
plus d’erreurs dans le second cas que dans le premier.
L’intérêt de la situation C non B (Lécuyer, Rivière & Durand, 2007 ;
Rivière & Lécuyer, 2003) est qu’elle concerne des enfants âgés de 30 mois, âge
auquel personne ne semble contester l’existence d’une permanence de l’objet.
L’expérimentateur est situé face à l’enfant et entre eux, trois mouchoirs sont
posés sur une table. L’expérimentateur prend un jouet dans sa main, qu’il referme
et fait passer sous le mouchoir A, puis sous le mouchoir B où il laisse l’objet et
enfin sous le mouchoir C, d’où elle ressort ouverte. Les enfants peuvent alors
rechercher le jouet. Deux essais successifs sont proposés. Les sujets sont soit
des enfants atteints d’une maladie génétique neuro-dégénérative de la moelle
épinière qui perturbe leur motricité (Amyotrophie spinale infantile (ASI) de type
2), soit des enfants sains. D’après la théorie de Piaget, les premiers ayant un
développement sensorimoteur perturbé devraient être en retard sur les seconds
dans des tâches de recherche d’objet. D’après la théorie « perceptiviste », la
réussite devrait être la même dans les deux groupes. En fait, la réussite est
significativement meilleure pour les enfants malades. Pourquoi ?
Si l’on s’intéresse à la latence moyenne de la réponse (temps qui s’écoule entre
le moment où l’expérimentateur sort sa main du cache C et le moment où l’enfant
lance son geste de recherche), au premier essai, elle est inférieure à 2 secondes
pour les enfants sains et supérieure à 5 secondes pour les enfants ASI. Ceci
pourrait s’expliquer par les difficultés motrices des seconds, si au second essai
on ne retrouvait une latence équivalente dans les deux groupes. Ce qui semble se
passer est que dans une situation problème, les enfants ASI réfléchissent avant
de lancer un geste de recherche, pour eux coûteux, alors que les enfants sains se
précipitent sur le dernier cache d’où sort la main de l’expérimentateur, bien que
le mouchoir B soit bombé par l’objet situé dessous. Rivière et Lécuyer (2003) ont
donc eu l’idée d’empêcher une recherche immédiate chez les enfants sains, en leur
bloquant les bras pendant une seconde. Leur taux de réussite rejoint alors celui
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Roger LÉCUYER
des enfants ASI. Il en va de même si l’objet est caché en A plutôt qu’en B, ce qui
laisse davantage de temps pour collecter l’information pertinente avant d’agir.
SUR LA PENSÉE SANS PERMANENCE
Il résulte de ce qui précède que vers 2 à 3 mois, la notion de Core knowledge
correspond bien à une réalité : les bébés de cet âge possèdent un corps de
connaissances sur leur environnement physique et social relativement diversifié
et ayant un minimum de cohérence. Ce corps de connaissances ne peut donc
avoir été acquis par l’activité sensori-motrice. Restent deux hypothèses : ou bien
il est inné, au sens que donne Spelke à ce terme, ou bien il a été acquis avant
cet âge. J’ai souligné ci-dessus les difficultés épistémologiques du nativisme et les
insuffisances du néo-constructivisme. Reste à savoir si le second point de vue
peut être un peu mieux justifié.
À différents endroits de ce texte a été utilisé le concept de représentation.
Or celui-ci apparaît parfois comme un moyen de cacher notre ignorance : dire
que si un bébé a la permanence de l’objet, c’est qu’il a une représentation
d’un objet caché n’ajoute pas d’information décisive. Pourtant il est nécessaire
de supposer cette capacité, et il est intéressant de comparer avec ce qui est
nécessaire pour avoir d’autres types de connaissances. Ici encore, l’exemple de
la catégorisation est capital. Traiter différemment deux objets nouveaux, parce
que l’un appartient à une catégorie qui vient d’être présentée et l’autre n’y
appartient pas suppose une représentation de la catégorie. Mais d’autres capacités
peuvent être évoquées. Par exemple, après trois mois, les bébés apprennent
progressivement à traiter des stimuli bidimensionnels, des images, comme les
stimuli que ces images représentent (Lécuyer & Durand, 1998). Ceci suppose une
capacité de représentation incluant une extrapolation de la dimension absente à
partir des indices présents dans l’image. Autre exemple, les bébés de 3-4 mois
réagissent différemment suivant qu’une boule immobile se met en mouvement
dès qu’elle est heurtée par une autre ou bien qu’elle ne part qu’après un délai
d’une seconde ou encore part avant d’avoir été heurtée. C’est donc qu’une
représentation élémentaire de la causalité existe dès cet âge (Cohen, Amsel,
Redford & Casasola, 1998).
Mais dès qu’il y a habituation et réaction à la nouveauté, il est nécessaire
de supposer l’existence d’une forme élémentaire de représentation. Différencier
le stimulus nouveau de celui qui a donné lieu à habituation suppose une
comparaison impliquant un élément absent. Or l’habituation est possible chez
le fœtus, et c’est donc dès la période fœtale qu’il faut envisager l’existence de
capacités de représentation. Ceci ramène à une question déjà évoquée ci-dessus
au sujet de la permanence de l’objet : la représentation chez le fœtus de 7
mois est-elle la même que celle qui a fait les grandes heures des batailles
théoriques entre Piaget et Wallon ? Non, bien sûr, puisque la seconde est
une représentation symbolique alors que la première est simplement l’existence
d’une trace en mémoire. Il est donc nécessaire de distinguer différents niveaux
de représentation. Ceux-ci doivent permettre de rendre compte de capacités
Sans mobile apparent
cognitives s’appliquant à différents domaines, mais présentes au même âge, et il
serait souhaitable de décrire comment se font les passages d’un niveau à un autre.
L’objectif majeur de cette description est d’expliquer comment on passe des
connaissances factuelles aux connaissances de règles. Durand et Lécuyer (2002)
ont proposé de distinguer trois niveaux de représentation dans la prime enfance :
1. une représentation analogique qui permet au fœtus ou au nouveau-né de
stocker en mémoire assez d’informations sur un stimulus pour pouvoir s’habituer
et réagir à la nouveauté. 2. Une représentation abstraite qui permet au bébé
de trois mois d’avoir la permanence et l’unité de l’objet ou de mettre dans la
même catégorie des stimuli différents. 3. Une représentation symbolique qui
permet à l’enfant de 18 mois de faire semblant. Je voudrais développer ici plus
en détail la période qui va des premières représentations (quand une modalité
sensorielle a atteint un niveau de maturité qui permet une habituation) au niveau
de représentation qui permet la permanence de l’objet, vers 2-3 mois d’âge
postnatal.
Il faut préalablement se demander si cette idée de niveaux de représentation,
censée rendre compte de performances situées dans des domaines différents de
la connaissance mais nécessitant les mêmes compétences représentationnelles
n’est pas une manière de ressusciter la notion de stade. Précisons donc qu’il
s’agit plus d’une manière aisée pour le chercheur de décrire les progrès dans
l’organisation des connaissances que d’une hypothèse de développement de
structures cohérentes et correspondant à des organisations corticales précises des
formats de représentations. Quatre niveaux sont distingués et leurs implications
sont présentées dans le tableau 1.
SUR LA REPRÉSENTATION SANS SYMBOLE
La représentation analogique : B n’est pas A
Un système sensoriel mature est capable d’habituation, en quelque sorte par
définition. Or pour parler d’habituation il faut observer une diminution des
réponses sensorielles à la présentation du même stimulus et une augmentation de
ces réponses à la présentation d’un stimulus différent. Ceci suppose l’existence
d’une trace mnémonique du stimulus initial, ou en d’autres termes un premier
niveau de représentation, niveau élémentaire que Durand et Lécuyer (2002)
ont appelé analogique. Comme les différentes modalités sensorielles ne sont
pas matures en même temps, ces représentations pourraient être unimodales.
Dans toutes les modalités sensorielles sauf la vision, ce premier niveau est
possible dès la période fœtale. Dans la modalité haptique, il permet au fœtus
de constater la persistance du moi : la proprioception permet la localisation
relative des segments du corps et la différence entre toucher simple et double
toucher permet de différencier moi/non-moi. Cette différence est une première
forme de persistance au sens où l’entend Baillargeon, ou des principes de
continuité (continuité de moi) et de cohésion (cohésion du non-moi et du
moi) de Spelke. Ce que l’on sait des capacités mnémoniques du fœtus,
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Tableau 1.
Les quatre niveaux de représentation proposés et les capacités qu’ils impliquent.
Niveau de
Capacités observées
représentation (débute)
Capacités inférées
Analogique
(au fur et à mesure de la
maturation des sens)
Habituation
Stockage en mémoire de l’information
Différenciation
Relationnelle
(vers la fin de la vie
fætale)
Conditionnement
Différence moi non-moi
Repérage cooccurrences
Repérage régularités
Transmodale
(à la naissance)
Transfert intermodal
Organisation de la perception de
manière multimodale
Développement du repérage des
cooccurrences
Début de la construction de l’objet
Début de la capacité à extraire des
invariants
Abstraite
(vers 2 mois)
Unité de l’objet
Permanence de l’objet
Catégorisation
Perception de
représentations 2D
Perception de l’objet à partir
d’informations partielles
Représentation de l’objet absent
Extraction d’invariants plus complexes
mises en évidence avant ou après la naissance, permet de penser que cette
différenciation moi/non-moi, à 100 % contingente, laisse en mémoire des traces
qui permettent des anticipations, quand le fœtus met ses doigts dans la bouche
par exemple (anticipation des contractions musculaires nécessaires et des feedbacks
proprioceptifs, anticipation des contacts sensoriels). Si la représentation issue de
l’habituation peut disparaître rapidement ensuite, faute de rappel, celle qui permet
l’anticipation a nécessairement une durée de vie qui atteint ou dépasse l’intervalle
entre deux autostimulations.
La représentation relationnelle : quand A, souvent B
Le constat répété de la différence entre toucher simple et double toucher
pourrait être par son caractère systématique la base à l’acquisition d’une seconde
capacité très importante : La capacité à repérer des cooccurrences ou des
coïncidences, donc à faire des apprentissages associatifs. Il est nécessaire de
supposer l’existence de cette capacité pour que la différence moi/non-moi se
construise et persiste au-delà du moment de son constat du toucher simple
ou double. Cette différenciation moi/non-moi n’est actuellement pas prouvée
avant la naissance, mais d’une part elle l’est à la naissance (Butterworth, 1992 ;
Rochat & Hespos, 1997), d’autre part des capacités de représentation bien plus
Sans mobile apparent
complexes (représentation de la voix de la mère par exemple) ont été mises en
évidence chez le fœtus, et des capacités associatives ont été mises en évidence
chez des fœtus animaux (Granier-Deferre, Schaal & DeCasper, 2004). Les autres
modalités sensorielles matures et fonctionnelles avant la naissance sont moins
susceptibles de repérages de coïncidences. En effet, ces stimulations apparaissent
à des moments trop aléatoires du point de vue du fœtus pour qu’il puisse repérer
des régularités. On retrouve ici l’argument de Lepecq, Jouen et Gapenne (1995),
cette fois justifié.
Il semble peu probable que dans cette période, des mises en correspondance
d’informations en provenance des différentes modalités soient faites, les
propriétés amodales des objets impliquant usuellement la vision. Cependant
la possibilité de mettre en relation différentes informations suppose une
complexification de la capacité représentationnelle et conduit à l’hypothèse d’un
deuxième niveau de représentation, que l’on pourrait qualifier de relationnel, et qui
suppose, au-delà de l’habituation, le repérage et le stockage des coïncidences. Or
une coïncidence ainsi représentée devient si elle se reproduit une régularité : si
double toucher, alors moi, si simple toucher alors autre ; si audition d’une voix
forte et identifiable (parce que transmise par voie aérienne et tissulaire, donc celle
de la mère), alors probabilité de voix plus faible (celle de son interlocuteur) parce
que seulement aérienne.
La représentation transmodale : quand propriété A, alors propriété
B ; objets
La « pauvreté du stimulus » visuel dans la période prénatale fait de la vitesse à
laquelle le système visuel est fonctionnel après la naissance un mystère capable
de convertir au nativisme les plus sceptiques. Cette arrivée en scène de la
modalité sensorielle dominante dans l’espèce bouscule tout le paysage perceptif.
Si cette fonctionnalité précoce reste largement à expliquer, on peut noter que les
propriétés visuelles des stimuli sont fortement homologues des propriétés tactiles
(mêmes persistances : la plupart des surfaces visuelles sont potentiellement des
stimuli tactiles et réciproquement). Ce caractère fortement homologue permet
d’expliquer le transfert intermodal toucher vision dans la période néonatale
(Streri & Gentaz, 2003). La dernière modalité venue en action est très vite dominante. Brutalement confronté à la pesanteur, le toucher perd de son efficacité et
permet donc moins le constat de régularités. Par contre, la vision va permettre de
retrouver facilement des persistances environnementales. Son caractère distal et
rapide fait sa force de repérage dans l’espace. La coordination entre l’audition et la
vision permet de situer les sources sonores, et donc de repérer des coïncidences.
La modalité sensorielle du successif complète celle du spatial et se coordonne
avec elle. C’est donc la multimodalité qui se met en place dans les heures qui
suivent la naissance. Un exemple particulièrement frappant est offert par une
observation de Sai (2005) qui montre que la reconnaissance du visage de la mère
ne se produit que chez les enfants qui l’ont vue en entendant sa voix.
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Dans la période néonatale va donc pouvoir se constituer un troisième niveau
de représentation qui inclut la multimodalité, et les régularités constatées dans une
modalité vont pouvoir l’être dans une autre. Par exemple à une cohésion tactile
du non-moi correspond une cohésion visuelle, propriété dont les caractéristiques
du stimulus visuel sont porteuses (continuité des surfaces : un objet vu ne peut
en traverser un autre, comme mon doigt ne peut traverser un objet touché). Le «
principe de cohésion » de Spelke pourrait bien être une régularité constatée dans
la modalité tactile avant la naissance et transférée à la vision dès la naissance.
Comme Piaget, les nativistes pointent du doigt l’œil, ce qui les empêche de voir
que le toucher heurte des murs. La solution pourrait donc précéder le problème.
La multimodalité permet la construction d’un concept d’objet, et ce troisième
niveau de représentation, très rapidement postnatal serait celui de l’objet : un
objet est un ensemble cohérent d’informations provenant dans le même temps
du même lieu et utilisant plusieurs canaux sensoriels, pas simplement ce qui
est perçu visuellement. Certaines de ces informations en provenance de l’objet
sont amodales (forme, texture), d’autres sont spécifiques à une modalité mais
présentent des régularités de cooccurrences qui peuvent être apprises assez vite :
les sons émis lors de chocs entre objets sont en général semblables. La notion
d’objet est le sens donné aux stimulations ainsi coordonnées. Ce niveau de
représentation pourrait donc être qualifié de transmodal.
La représentation abstraite : en l’absence de A, B me renseigne sur
A : une règle ?
Dans les semaines qui suivent, les régularités observées dans le fonctionnement
des objets deviennent plus robustes, ce qui permet de les reconnaître dans des
conditions plus aléatoires et également d’acquérir des connaissances sur des
relations entre objets. Sur le premier point, plusieurs constats sont faits avec une
fréquence suffisante pour devenir des « règles » : 1. Le caractère multimodal de
l’objet conduit à la persistance intermodale : un objet qui fournit potentiellement
des stimulations dans plusieurs modalités peut à un moment précis ne fournir des
informations que dans une partie de ces modalités, laquelle peut changer d’un
moment à l’autre. Ces changements permettent la construction d’une conception
riche de l’objet lui donnant une persistance, et même une permanence alors
qu’aucune information ne provient de lui pour une modalité sensorielle, l’objet
étant, dans un temps « t », par exemple visuellement inaccessible, mais pouvant
être senti. 2. Si l’on s’en tient à une seule modalité sensorielle, les stimuli
proximaux en provenance d’un objet donné changent sans arrêt. Par exemple les
sons qui sortent d’un instrument de musique ou d’un téléviseur changent, ou la
forme d’un objet change quand son orientation change. Dans les deux cas, l’objet
reste le même, et cette constance de l’objet au-delà des changements incessants
peut être apprise. Se constituent des invariants prenant en compte des données
de plus en plus diverses. 3. Les objets qui à un moment de l’évolution de leur
trajectoire sont partiellement cachés en ressortent le plus souvent intacts. Ils ont
donc gardé leur unité. Ces trois types de transformations, et d’autres, constituent
Sans mobile apparent
des conditions permettant la détection d’invariants et l’apprentissage de règles qui
donnent à la représentation des objets une plus grande robustesse. Ces règles ont
été ci-dessus exemplifiées avec des objets physiques, mais il faut rappeler qu’en
général l’objet le plus multimodal, le plus mobile et donc le plus susceptible de
changer et d’être partiellement visible dans l’environnement du bébé, l’objet le
plus informatif donc s’appelle une mère.
Cette robustesse permet de franchir un nouveau pas. Si un objet peut ne plus
être perceptible dans une modalité, mais l’être dans d’autres et donc continuer
d’exister et de rester le même objet, s’il peut avoir (et a sans arrêt) des formes
apparentes différentes et rester le même objet, et même n’être que partiellement
perceptible et néanmoins rester lui-même, alors quand il n’est plus perceptible
du tout, il pourrait bien néanmoins continuer d’exister. En d’autres termes, la
coordination de ces régularités permet la permanence de l’objet : le core knowledge
est alors présent, sans qu’il soit nécessaire de le supposer inné. Le niveau de
représentation qui permet de rendre compte de ces capacités est celui qui a été
qualifié par Durand et Lécuyer (2002) de représentation abstraite.
Bien plus tard viendra la représentation symbolique, mais ceci est une autre
histoire.
SUR L’INNÉ SANS NATIVISME
L’édifice théorique présenté ci-dessus a pour objectif de faire l’économie de
l’idée de connaissances sur les objets, présentes à la naissance et indépendantes
des interactions avec les objets. Ce n’est pourtant pas par un retour à la table
rase béhavioriste. La question essentielle est d’expliquer comment l’on passe
d’un niveau de représentation au suivant. Passer de la capacité à stocker des
informations et à faire des différences (niveau analogique) à celle de repérer
des régularités ou des coïncidences (niveau relationnel) suppose l’existence d’une
capacité à de tels repérages. Il est possible de supposer qu’est génétiquement
déterminé un système de repérage attribuant à toute régularité observée une
nature causale. En effet, la confusion entre coïncidence et cause est une
caractéristique fondamentale de la pensée naturelle et la difficulté de la démarche
scientifique est précisément dans l’élimination des fausses causes. Or faute de
recherches adéquates, nous ne savons rien sur la construction de fausses règles
par les bébés, mais nous savons que la « superstition » existe chez le pigeon et
se porte bien chez l’homo sapiens adulte. Il n’est donc pas raisonnable de faire
l’hypothèse que le bébé ne connaît que des règles justes et n’apprend à raisonner
mal que plus tard. Il l’est plus de supposer que le passage de la coïncidence à la
cause a une utilité biologique forte, parce qu’elle permet des réponses rapides,
même si elle conduit à des erreurs. On rejoint ici Michotte (1962), opposé à
Piaget, et pour qui la causalité est une Gestalt innée.
Le passage du niveau relationnel au niveau transmodal ne nécessite pas
l’ajout de grandes capacités cognitives précâblées. Il suppose simplement qu’en
dépit des différences majeures dans les supports physiques des sensations, les
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Roger LÉCUYER
différentes modalités sont faites pour travailler ensemble, se compléter et quand
c’est nécessaire se suppléer. La perception est par essence multimodale.
Enfin, le passage du niveau transmodal au niveau abstrait pourrait bien
reposer sur une autre caractéristique du raisonnement de l’adulte humain : la
généralisation abusive. Celle-ci permet en effet de transformer quelques constats
pouvant conduire à une hypothèse en une règle générale qui ne sera nuancée
qu’ensuite. Même les théories scientifiques fonctionnent souvent ainsi.
Si donc nous résumons ce que nous démontrent les recherches faites avec les
fœtus et les bébés, nous en revenons aux trois lois énoncées ci-dessus comme
bases des méthodologies utilisées. Ajoutons que les lois 1 et 2 entrent en jeu
dès le premier niveau de représentation, et que la loi 3 semble n’intervenir qu’au
quatrième.
Ce qui est ici supposé précâblé est beaucoup plus simple que ne le suppose
le nativisme, et surtout ne porte pas sur des caractéristiques du monde, mais des
caractéristiques du sujet, que l’on retrouve à l’œuvre dans la pensée naturelle.
SUR PIAGET SANS LE SENSORIMOTEUR
Si l’on souhaite qualifier d’un « isme » le point de vue défendu ici, en opposition
au nativisme, il ne s’agit pas non plus d’un point de vue empiriste, puisque sont
supposées génétiquement déterminées des capacités minimales de motivation à
la connaissance et d’organisation du réel. Par contre, le passage d’une capacité de
discrimination à une capacité de repérage de régularités, et surtout le passage de
cette dernière capacité à la production de règles font penser au passage piagétien
des réflexes aux habitudes, et des habitudes à l’intelligence. De plus, la recherche
des continuités dans l’acquisition des connaissances est semblable dans les deux
cas. C’est donc bien d’un néo-constructivisme qu’il s’agit, avec la différence que
le point de départ est dans l’habituation, non dans le réflexe, que le processus est
bien plus précoce, et que le niveau de représentation considéré comme suffisant
pour qu’il y ait permanence n’est pas celui qui a fait l’objet de discussions entre
Wallon et Piaget, mais un niveau plus élémentaire : la représentation abstraite
et non la représentation symbolique. Enfin, le rôle de l’action est le même que
dans la théorie de Piaget, mais l’action est perceptive et cognitive avant d’être
sensori-motrice. Il s’agit donc d’un néo-constructivisme, dans lequel le bébé est
actif même sans que cela se traduise dans sa mobilité apparente.
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