Sanction fiscale de la renonciation à recettes en matière de revenus
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Sanction fiscale de la renonciation à recettes en matière de revenus
34 FISCALITÉ reflexion R.F.C. 442 Mars 2002 Sanction fiscale de la renonciation à recettes en matière de revenus fonciers dès lors qu’il y a une contrepartie pour l’entreprise (2). Joël LÉAUTÉ Administrateur civil Chef du bureau de la fiscalité des particuliers Service juridique Direction générale des impôts La sanction de la “renonciation à recettes”, fondée sur la théorie de l’acte anormal de gestion, est largement utilisée en matière de bénéfices industriels et commerciaux. Et c’est logique : le concept d’acte anormal de gestion est, selon Pierre-François Racine, le “fruit de l’acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d’acte non conforme à l’intérêt social” (1). Ainsi, selon le Conseil d’Etat, est considéré comme anormal un acte accompli dans l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise ou qui n’apporte qu’un intérêt minime hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer. En d’autres termes, la simple circonstance qu’une opération effectuée par une entreprise ou une société comporte un avantage même appréciable pour un tiers, ne suffit pas à rendre cette opération anormale, Doit-on, dans ces conditions, considérer que l’application de ce concept, et surtout de ses conséquences, est nécessairement circonscrite au domaine d’activité de l’entreprise commerciale ? Ne peut-on, notamment lorsqu’il y a renonciation à percevoir des recettes, la transposer à d’autres catégories de revenus tels que les revenus fonciers et les bénéfices non commerciaux ? La réponse est loin d’être aussi limpide qu’en matière de bénéfices commerciaux et, en tout état de cause, ne repose pas toujours sur les mêmes fondements. La RFC publiera deux articles sur ce sujet, le premier ci-après traitant des revenus fonciers, le second, à paraître dans un prochain numéro, analysant le cas des bénéfices non commerciaux. 1. Chronique parue dans la Revue de Jurisprudence Fiscale n° 10/84 pages 562 et suivantes. 2. CE du 27 juillet 1984, req. n° 34588, RJF 10/84. Résumé de l’article La théorie de l’acte anormal de gestion, habituellement retenue en matière de bénéfices industriels et commerciaux pour sanctionner, sur le plan fiscal, des actes contraires à l’intérêt de l’entreprise, n’est toutefois pas circonscrite à ce seul domaine. Le juge de l’impôt a également eu recours à cette notion en matière de revenus fonciers et de bénéfices non commerciaux. S’agissant des revenus fonciers, la renonciation à recettes a des conséquences fiscales différentes, selon que l’immeuble est donné ou non à bail par le propriétaire : • en l’absence de bail, seuls sont imposables les revenus des immeubles non affectés à l’habitation, à hauteur du montant des loyers qu’ils auraient pu produire s’ils avaient été donnés en location. En revanche, les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance sont exonérés ; • lorsque l’immeuble est donné à bail, et sous réserve que la fictivité du contrat de location ne soit pas établie, les loyers anormalement abandonnés sont réintégrés au revenu imposable, sauf si le propriétaire est en mesure d’établir que des circonstances indépendantes de sa volonté ont fait obstacle à leur paiement. En matière de bénéfices non commerciaux, le juge de l’impôt n’a eu recours que par deux fois à la notion de gestion anormale s’agissant d’un abandon de recettes. Cette motivation a toutefois été retenue, non pour motiver la réintégration aux bénéfices des recettes en cause, mais pour refuser la déductibilité des charges correspondantes. Cette rareté des décisions jurisprudentielles peut s’expliquer par la spécificité des règles fiscales de détermination du bénéfice non commercial. Mais il existe d’autres voies pour sanctionner les abus manifestes... Deux articles traiteront successivement des deux cédules d’imposition. FISCALITÉ La volonté d’avantager un tiers qui, comme nous l'avons vu, constitue le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion, est, en matière de revenus fonciers, appréciée différemment selon que l’on se trouve en présence ou en absence d’un bail. En l’absence de bail, la loi comme la jurisprudence considèrent que, pour les biens affectés à l'habitation, la renonciation à percevoir des recettes n’est pas constitutive d’un acte anormal de gestion et donc qu’aucun redressement sur recettes ne peut être effectué sur ce fondement. En présence d’un bail, cette renonciation est généralement considérée comme anormale, et peut donner lieu à redressement fiscal, mais encore faut-il que certaines conditions soient réunies. EN CAS D’ABSENCE DE BAIL Le législateur a entendu faire une distinction entre les locaux affectés à l’habitation et les autres immeubles. S’agissant d’un logement affecté à l’habitation L’article 15 II du code général des impôts prévoit que « Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu ». ments qu’elles mettent gratuitement à la disposition de leurs membres. Bien entendu, l’exonération du revenu en nature que procure la disposition gratuite du logement a pour contrepartie l’impossibilité, pour le propriétaire, de déduire les charges afférentes à ce logement. Corrélativement, il conserve le bénéfice des réductions d’impôt et exonérations de plus-value attachées à la résidence principale. A signaler : si le bien est détenu par l’intermédiaire d’une société civile immobilière, l’associé conserve, à concurrence de sa participation, le bénéfice de l’exonération de la plus-value pour résidence principale (4). En revanche, l’associé ne peut prétendre à la réduction d’impôt au titre des intérêts d’emprunt, n’étant pas propriétaire de l’immeuble qui appartient juridiquement à la SCI (malgré un arrêt de la CAA de Lyon du 09/07/1997 contraire à la doctrine, mais qui a été déféré en cassation par l’administration). l’impôt les revenus des logements dont il se réserve la jouissance, sans limiter cette exonération à la résidence principale ou même à un nombre maximum de résidences par propriétaire » (5). Le juge de l’impôt est tout aussi clair quand il énonce « qu’en l’absence de bail, la mise à disposition d’un tiers et à titre précaire et gratuit, de logements, à la supposer établie, ne permet pas d’admettre que le propriétaire a renoncé à se réserver la jouissance de l’immeuble ; qu’il s’ensuit que le revenu dont ce dernier s’est privé en n’exigeant pas de loyer pour cet avantage ne peut être soumis à l’impôt sur le revenu » (6). L’administration ne peut donc, en l’absence de bail, procéder à la réintégration des loyers d’un logement d’habitation qui auraient pu être perçus si le propriétaire ne s’en était pas réservé la jouissance. Mais la contrepartie logique de ce manque à gagner, librement choisi par le propriétaire, est qu’il n’a pas à en faire supporter les conséquences par le Trésor en diminuant ses revenus imposables des charges de ce logement. En définitive, le choix de donner ou de ne pas donner à bail un immeuble s’analyse comme une décision de gestion du patrimoine personnel du propriétaire, opposable à l’administration (même analyse qu’en matière de BIC). S’agissant d’immeubles autres que les logements Comme le dit J.F. Verny, « un propriétaire n’est donc pas tenu par le Code de tirer le revenu maximum de son patrimoine immobilier, puisque l’article 15-II exonère de La situation n’est pas la même que pour les logements affectés à l’habitation mais, comme pour ceux-ci, il n’y a pas de débat ou d’interprétation possible. Car Selon la doctrine administrative, qui peut être regardé comme conservant la jouissance d’un logement ? C’est le propriétaire : • qui l'occupe, sans qu’il y ait à distinguer suivant que ce logement constitue pour l'intéressé une habitation principale ou une résidence secondaire ; • qu’il laisse vacant ; • ou encore qui le met gratuitement à la disposition d’un tiers (y compris un enfant ou un autre membre de sa famille) sans y être tenu par un contrat de location et ne perdrait cette jouissance que dans le cas d’existence d’un bail écrit (3). Cette exonération s’étend également aux sociétés immobilières non dotées de la transparence fiscale à raison de loge- 3. RM Colinet, JO AN du 1er juin 1960, p. 1099. 4. CE du 08/07/1998, n° 165 227, RJF 8-9/98 n° 944.. 5. Chronique RJF 3/80, page 93. 6. CAA de Lyon, 21/07/1995, req. 93-1983, RJF 11/95, n° 1258. Abstract The notion of abnormal management, usually referred to in respect of industrial and commercial profits for the purpose of penalising, in matters of taxation, acts contrary to the interests of the enterprise is nonetheless not limited to this unique area. The Tax Court has equally referred to this notion in matters of property and non-commercial revenues. With respect to property income, renouncing to receipts has different tax consequences according to whether the property has been leased or not by the proprietor : • In the absence of a lease, only the income from buildings not used as dwellings are taxed at the level of the rents that they could have produced had they been let. By contrast, the income from dwellings that the proprietor has reserved to his use is exempted. • When the building is leased, and subject to the condition that the fictive character of the lease contract has not been established, rental income that has been abnormally relinquished in re-integrated in taxable income, except where the proprietor is able to establish the circumstances beyond his control are the cause of non-payment. As regards non-commercial profits, the Tax Court has resorted to the notion of abnormal management on only two occasions, in the case of abandonment of revenue. This concept has nevertheless been retained, not for the purpose of re-integrating receipts in question for taxation, but to refuse the deduction of corresponding expenses. This rarity of judicial decisions may be explained by the specificity of tax rules for determining non-commercial profits. But there are other means for penalising clear abuses. Two following articles will deal with two cases of imposition. R.F.C. 442 Mars 2002 FISCALITÉ reflexion c’est encore la loi qui apporte la réponse. L’article 30 du code général des impôts précise en effet que « sous réserve des dispositions de l’article 15-II, le revenu brut des immeubles dont le propriétaire se réserve la jouissance est constitué par le montant du loyer qu’ils pourraient produire s’ils étaient donnés en location. Il est évalué par comparaison avec les immeubles ou parties d’immeubles similaires faisant l’objet d’une location normale, ou, à défaut, par voie d’appréciation directe. " En pratique, les immeubles concernés sont : • soit des immeubles urbains : essentiellement des locaux commerciaux nus dont le propriétaire se réserve la jouissance, par exemple en les mettant gratuitement à la disposition de tiers sans y être tenu par un contrat de location ; 6 • soit des propriétés rurales (hors habitation) dont les revenus relèveraient de la catégorie des revenus fonciers, c’est-àdire lorsque les propriétés considérées : - ne font pas l’objet d’une exploitation de la part des propriétaires ; - ou sont mises à disposition d’un tiers, sans que le propriétaire y soit tenu par un contrat de bail. En application de ces principes, l’administration est en droit de réintégrer les recettes auxquelles le contribuable a renoncé, bien qu’il ait conservé la jouissance du bien. La loi prévoit deux méthodes d’évaluation des recettes dites “fictives” ou auxquelles le contribuable a volontairement renoncé : • L’évaluation par comparaison : la doctrine administrative apporte des précisions relativement élémentaires sur la méthode à retenir : une analogie doit être recherchée entre les biens qu’il s’agit d’estimer et des locaux déjà loués ; la valeur locative retenue doit être proportionnelle à celle des termes de comparaison. Les locaux loués doivent de préférence être choisis dans la même rue, quartier ou commune, ou en dehors de la commune en cas d’impossibilité absolue de trouver des locaux analogues. • Ce n’est que dans le cas où le mode d’évaluation par comparaison est impossible à mettre en œuvre, qu’il est procédé à l’évaluation de la valeur locative par voie d’appréciation directe. Dans cette hypothèse, le loyer fictif doit être évalué au montant des frais et charges courants de la propriété, y compris les frais de gestion et d’amortissement, ces derniers étant évalués, sauf preuve contraire, de telle manière que leur montant soit égal au pourcentage forfaitaire du revenu brut prévu par l’article 31 du code général des impôts (7). R.F.C. 442 Mars 2002 EN PRÉSENCE D’UN BAIL La renonciation à recettes peut recouvrir trois situations : • le cas d’abandon de loyers, • la perception d’un loyer anormalement bas, • le bail fictif. L’abandon de loyer Aux termes de la loi, les recettes brutes comprennent notamment les loyers perçus au cours de l’année d’imposition, et ce, quelle que soit la période à laquelle ils se rapportent. L’application de ce principe peut aussi avoir pour conséquence de permettre à l’administration de réintégrer dans la base imposable dans la catégorie des revenus fonciers, les loyers réputés perçus mais abandonnés par le bailleur au profit du locataire. Ainsi, la jurisprudence considère que, lorsqu’un propriétaire renonce à la perception de loyers en l’absence de circonstances indépendantes de sa volonté, il est imposable à raison du montant abandonné (8). En pareil cas, le loyer stipulé doit être retenu pour la détermination du revenu brut foncier. Cependant, dans une jurisprudence postérieure, le Conseil d’Etat a tempéré cette précédente décision, en subordonnant la notion de renonciation à perception de loyers à celle d’intention délibérée (9). La question, au cas d’espèce, était de savoir si l’abandon de loyer était ou non indépendant de la volonté du contribuable. Le contribuable avait loué le centre équestre dont il était propriétaire à un locataire qui s’était par ailleurs engagé à l’acquérir. Mais, peu après la conclusion du contrat, le locataire s’est abstenu d’acquitter les loyers et, afin d’obtenir à l’amiable le départ du locataire, le propriétaire a accepté de renoncer à poursuivre le recouvrement des échéances impayées. L’administration a considéré que l’abandon de loyer relevait d’un acte volontaire du contribuable, qui n’y était 7. CE du 3 novembre 1978, req. n° 3429 RJF 12/78, n° 543. 8. CE du 23/11/1977, req.98.277, DF n° 11 de 1978, comm. 350. 9. CE du 01/06/1990, n°68.313, DF n° 42 de 1991, comm. 1921. 10. CAA Paris 10/02/1994 n° 92-1190, RJF 5/94, n° 553. 11. CAA Bordeaux 05/12/2000, n°98.1461, RJF 3/01, n° 313. pas contraint, et qu’à ce titre, il ne pouvait minorer à due concurrence le montant des revenus fonciers imposables. Le commissaire du gouvernement a pour sa part estimé que l’abandon de loyer n’était pas délibéré mais avait obtenu une contrepartie qui avait un prix, le départ spontané du locataire. De plus, si le propriétaire avait engagé une procédure pour obtenir le recouvrement forcé des loyers, cette procédure aurait eu un coût et il n’est pas évident qu’il aurait pu récupérer le centre hippique aussi rapidement que la procédure amiable le lui a permis. Le juge a donc considéré que l’administration n’établissait pas que l’abandon de loyer résultait d’une intention délibérée du propriétaire. Dans une espèce plus récente, le juge a confirmé a contrario cette jurisprudence en estimant que les loyers non encaissés par le bailleur procèdent d’un acte de disposition constitutif d’une libéralité au preneur et doivent, par suite, être ajoutés aux recettes lorsque le bailleur qui invoque la difficulté de trésorerie du preneur n’en justifie pas (10). Dans une autre affaire, les bailleurs faisaient valoir que l’abandon de loyers consenti à leur fils (il s’agissait d’un bail agricole) fortement endetté et pour lequel ils s’étaient portés caution, n’était pas justifié par ses difficultés financières dès lors qu’à l’époque des faits il n’envisageait pas la cessation de l’activité agricole et sollicitait une aide transitoire favorisant l’adaptation de l’exploitation agricole auprès de la préfecture (11). On notera que cette analyse est similaire à celle retenue en matière de bénéfices industriels et commerciaux en cas d’abandon de créances (cas classique de l’abandon de créances de la société mère au profit de sa filiale généralement admis lorsque la filiale est en difficulté financière). En revanche, la doctrine admet que le propriétaire n’a pas à comprendre dans ses recettes les loyers impayés lorsque le défaut de paiement résulte d’une carence du locataire et que le bailleur a entrepris les démarches nécessaires pour obtenir le versement des sommes qui lui sont dues. Baux comportant des loyers atténués et (ou) anormaux Les prix des loyers stipulés dans les baux doivent en principe être retenus pour la détermination du revenu brut dès l’instant où les immeubles font l’objet de contrats réguliers de location. L’administration peut toutefois les remettre en cause dans certains cas. Lorsque le propriétaire choisit de donner un logement en location à un tiers, il en perd de ce fait la jouissance. Le revenu produit par ce FISCALITÉ logement est dès lors imposable, tandis que les charges y afférentes sont déductibles. En application de ces principes, la jurisprudence considère que le propriétaire qui consentirait une location moyennant un loyer manifestement ou notoirement inférieur à la valeur locative serait regardé comme ayant disposé de la différence sous la forme d’une libéralité consentie au locataire et devrait voir cette différence réintégrée à son revenu foncier imposable. Quelques exemples de critères jurisprudentiels retenus pour qualifier une situation manifestement anormale : • Loyer notoirement inférieur à la valeur locative (12) : Le revenu d’immeubles loués par baux réguliers ne peut, en aucun cas, être déterminé en faisant application des règles relatives aux propriétés dont le contribuable se réserve la jouissance. Toutefois, s’ils sont notoirement inférieurs à la valeur locative réelle des immeubles, les prix de loyers stipulés dans les contrats ne peuvent être regardés comme exprimant le montant exact du revenu foncier perçu par le propriétaire, alors d’ailleurs que celui-ci ne justifie d’aucune circonstance indépendante de sa volonté qui soit de nature à faire obstacle à la location de ses immeubles moyennant un loyer normal. Le revenu réel doit, en conséquence, être déterminé en ajoutant aux prix du loyer effectivement perçus les sommes correspondant au montant des libéralités que le propriétaire a ainsi entendu faire à ses locataires. • Loyer extrêmement bas (13) : En l’absence de circonstances de nature à faire obstacle à une location pour un prix normal, la redevance extrêmement basse stipulée par le propriétaire pour des terres qu’il donne en location à son fils n’exprime pas le véritable revenu de cet immeuble. L’administration est alors en droit de déterminer ce revenu par voie de comparaison avec les loyers de terres similaires et d’augmenter le loyer prévu dans le bail du montant de la libéralité que le contribuable a entendu faire à son fils. • Loyer nettement inférieur à la valeur locative normale (14) : Lorsqu’un propriétaire donne en location à sa belle-mère un logement moyennant un loyer nettement inférieur à la valeur locative normale, c’est cette dernière valeur - et non pas le loyer effectivement perçu - qui doit être retenue pour déterminer le revenu foncier brut. • Loyer manifestement anormal (15) : Faute de circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire qui feraient obstacle à une location moyennant un loyer normal, l’administration est en droit de redresser le loyer manifestement anormal consenti par un père à sa fille, et d’établir l’impôt sur la base de la valeur locative normale du logement. • Loyer notablement inférieur à la valeur locative (16) : Lorsqu’en l’absence de circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire, le loyer d’un immeuble est notablement inférieur à sa valeur locative réelle, l’administration est en droit de retenir cette dernière pour le calcul du revenu foncier imposable en vue de tenir compte de la somme dont le contribuable a disposé en renonçant à la percevoir. La doctrine a fait sienne cette jurisprudence en exigeant la réunion de deux conditions pour redresser un loyer insuffisant : • le loyer doit être nettement inférieur à la valeur locative normale ; • le propriétaire ne doit pas être en mesure d'établir que des circonstances indépendantes de sa volonté font obstacle à une location à un prix normal. Jean-François Verny, dans la chronique précédemment citée, considère pour sa part que la référence implicite faite par le juge à la notion de libéralité consentie au locataire est une des formes de l’application de la théorie de l’acte anormal de gestion aux revenus fonciers. Ainsi, la mise en location du bien qui prive, de fait, le propriétaire de la jouissance de son immeuble, est une décision de gestion ayant pour effet de sortir l’immeuble du patrimoine privé du propriétaire pour le placer dans son patrimoine “professionnel” de propriétaire immobilier percevant des revenus fonciers. Par analogie avec les bénéfices industriels et commerciaux, le bien affecté à une activité professionnelle doit être géré normalement, c’est-à-dire sans renonciation anormale aux profits ou revenus qu’il peut procurer. Sinon, on retombe, comme pour l'abandon de loyer, dans l'acte de disposition que le juge de l'impôt assimile à une modalité d'emploi du revenu. On peut également tenter d’expliquer cette position par le fait que les décisions citées sont anciennes et qu’à l'époque des faits les déficits fonciers étaient intégralement déductibles du revenu global, d’où l’extrême vigilance du juge de l’impôt. Depuis lors, d’importantes restrictions ont été apportées à la déductibilité des déficits fonciers. La question qui peut se poser est de savoir si la jurisprudence serait la même aujourd’hui. Le tribunal administratif de Nantes a récemment réactualisé le débat en considérant que le contribuable qui se borne à faire état de son absence de parenté avec le locataire et de la modicité des revenus dudit locataire n’établit pas que la faiblesse du loyer consenti, inférieur de 60% au prix demandé durant la même période pour des appartements de même type situés dans le même immeuble, serait due à des circonstances indépendantes de sa volonté (17). Le bail fictif 18. CE du 22/02/1978, RJF 4/78, n° 184 ; CE du 03/11/1978, RJF 12/78, n° 543. On a vu que, lorsqu’un bail comporte des prix de loyers atténués, l’administration est en droit de procéder au redressement du montant du loyer abandonné dès lors que le propriétaire ne s’est pas réservé la jouissance du logement. Toutefois, même lorsqu’il existe un bail écrit, le propriétaire peut être considéré comme s’étant réservé la jouissance d’un bien, si telle est la situation de fait ; le bail est alors considéré comme ayant un caractère purement fictif et l’administration est autorisée à s’en tenir à la situation réelle pour en tirer toutes les conséquences sur le plan fiscal (application des dispositions prévues à l’article 15 II du code général des impôts) (18). Il en est de même lorsqu’un montage juridique, dont la fictivité ne peut être établie, a pour seul objet de permettre de faire échec aux dispositions de l’article 15-II du CGI. Ainsi en est-il de la constitution d’une société civile immobilière et de la conclusion d’un contrat de bail avec les uniques associés (les époux) permettant l’imputation d’importants déficits fonciers sur les revenus des époux au titre de l’utilisation d’une résidence secondaire acquise par la SCI. Dans ces circonstances, l'administration peut mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L64 du livre des procédures fiscales (19), assortie de la lourde sanction que constitue la majoration de 80 % des droits rappelés, prévue à l'article 1729-1 du code général des impôts, majoration pour laquelle le faux locataire peut être recherché en paiement solidaire (art. 1729-3 du CGI). 19. CE du 11/10/1978, n° 6744, RJF 11/78, n° 475. Joël LÉAUTÉ 12. CE du 30 janvier 1939. 13. CE du 24 mai 1963, Dupont 1963, p. 511. 14. CE du 26 mai 1976, RJF 7/76, n° 303. 15. CE du 13 février 1980, n° 16 937 RJF 3/80, n° 221 et CE du 29 mars 1985, n° 40475 RJF 6/85 n° 875. 16. CE du 23 juin 1986, RJF 10/86, n° 892. 17. TA Nantes 27/10/2000, n° 96.2731, RJF 5/01, n° 622. R.F.C. 442 Mars 2002