Un guide des maisons de retraite, ça vaut quoi

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Un guide des maisons de retraite, ça vaut quoi
E
n direct des établissements
MMR - Février 2010
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Palmarès
Des Ehpad notés façon Guide Michelin ? Sans doute utile, mais avec des critères plus pertinents.
On ne se prend pas
pour la Bible,
mais on est assez
proche
de la vérité.
© J.W. - EHPA Presse
Un guide des maisons de retraite,
ça vaut quoi ?
C
’était à la une du Parisien Aujourd’hui
en France du 9 février : le palmarès des
maisons de retraite vient d’être édité
dans le Guide de la dépendance - Mieux vivre
dans le 4e âge et le handicap, paru aux éditions
JTL-France Info.
« Confierions-nous nos propres parents à cet
établissement ? » C’est la question légitime
que se sont posée les journalistes David Jacquet et Patrick Lelong, dans leur enquête sur
les établissements pour personnes âgées. Au
cours des cinq dernières années, 8 000 établissements de France et de Navarre – Ehpad,
USLD, PUV, foyers logements, résidences-services… – ont été passés au crible d’un barème
très précis. Le résultat : un classement des
maisons de retraite de 92 départements, avec
des notes s’étalant de 3,5 à 10/10, et qui ont
fait grincer pas mal de dents. « On ne se prend
pas pour la Bible, mais on est assez proche de
Édition du Parisien du 9 février 2010.
la vérité », assure David Jacquet au MMR. La
bonne nouvelle : les auteurs témoignent de la
bonne qualité générale du parc des établissements français. Mais peut-on vraiment noter
des établissements pour personnes âgées
comme la gastronomie d’un restaurant ?
14 critères d’évaluation
À destination du grand public, le guide se
veut l’ouvrage de référence pour le petit-
Barème du guide de la dépendance ( source : site internet : www.maisonsderetraite-leguide-jtl.com/site/page.php)
fils à la recherche d’un établissement pour
grand-maman. David Jacquet se positionne
comme « un observateur avec un point de
vue d’aidant », pas comme un professionnel
du médico-social. Ainsi, la démarche des enquêteurs repose-t-elle sur deux partis pris.
Ils n’ont jamais tenu compte de la qualité des
soins car « nous ne sommes pas en mesure
de la juger. Nous partons du principe qu’elle
est bonne, sinon l’établissement devrait être
fermé », assone David Jacquet. La qualité de
l’accompagnement est également hors jeu :
« Une ou deux heures ne suffisent pas à juger
des liens tissés entre les soignants et les résidents » ni de la qualité de la prise en charge.
Les enquêteurs ont visité les structures selon
une démarche anonyme : « Notre but n’est pas
de piéger les établissements mais de ne pas
bénéficier d’accueil privilégié, ni de susciter la
crainte », expliquent les auteurs du Guide de
la dépendance dans leur déclaration d’intention (voir leur site internet : www.maisonsderetraite-leguide-jtl.com/site/page.php).
Pour atteindre le Saint-Graal de 10/10, 14 critères, censés correspondre aux attentes de M. Dupond, ont été définis : la qualité de l’environnement (1 point), la qualité du bâtiment (0,5),
le nombre et la qualité des lieux de vie (0,5), la
conformité des chambres aux normes (1), la décoration intérieure (0,5), les espaces verts (0,5),
l’accueil (0,5), la cuisine (0,5), la qualité des
animations proposées (1), la possibilité de sorties (0,5), la médicalisation (0,5), l’hygiène (1),
l’attention du personnel (1) et le rapport qualité/prix (1). La note est ensuite pondérée par le
ressenti général sur l’établissement.
E
Quel référentiel : le nec
plus ultra ou la norme ?
Au premier abord, ces critères semblent correspondre à
ceux d’une famille lors de la recherche d’un établissement
pour le placement d’un proche. En réalité, pas assez nombreux et nuancés, ils ne donnent qu’une vision parcellaire
du fonctionnement réel d’un Ehpad.
L
’ambiguïté réside dans une
confusion récurrente entre
la norme – qui par définition est obligatoire – et les impératifs incontournables aux yeux
d’un aidant. L’hygiène est importante, soit. Mais des chambres de
20 m2 à douche à syphon de sol
sont-elles la norme pour une famille ? De même, qu’importe au
fils de Mme Michu la présence
d’un ergothérapeute, par exemple, s’il ne connaît pas ce métier,
et comprendra-t-il qu’un médecin coordonnateur ne travaille
qu’à temps partiel ? De nombreux
lieux de vie témoignent-ils réellement de l’animation au sein de la
structure ?
Les enquêteurs ont aussi accordé
plus d’importance à la qualité
de l’environnement (prenant en
compte la proximité des commerces ou la vue) qu’à celle du bâtiment, mettant dans le même sac
bâtiment de prestige et construction neuve adaptée. L’accessibilité d’une résidence pour les
personnes dépendantes (obligatoire) semble être plus essentielle
qu’une vue panoramique (un plus
indéniable, mais pas incontournable). Aussi, les critères d’hygiène
et de conformité de l’architecture
aux normes n’auraient-ils pas dû
se retrouver dans la case des critè-
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res à ne pas prendre en compte ?
N’est-ce pas, heureusement, le
strict minimum ?
Le MMR connaît plusieurs des
structures citées dans le guide.
Et il y a parfois un véritable fossé
entre deux établissements aux
notes similaires. Exemple : la
maison de retraite Saint-Séverin,
à Château-Landon, en Seine-etMarne (77), a obtenu 10/10 ; la
résidence Amitié et Partage, en
plein cœur de Paris (75), a obtenu
9/10. Entre les deux, des différences de taille. Saint-Séverin, c’est
un Ehpad public, avec un accueil
de jour, un accueil temporaire,
une unité Alzheimer, un ergothérapeute à demeure, un cabinet
dentaire, des prestations de coiffure offertes aux personnes âgées,
une ancienne abbaye au milieu
des vignes, et un prix de journée
imbattable de 67,65 euros.
Amitié et Partage, c’est un Ehpad
associatif et une ancienne congrégation, aucun des attributs de
Saint-Séverin, juste une maison de
retraite classique, avec un cadre
très agréable pour un tarif de journée tout à fait correct de 72 euros. À
côté d’un pavillon neuf, un bâtiment
ancien, Jumilhac. Christine Lloret,
la directrice, reconnaît que « s’il a
son cachet, ce bâtiment a aussi be-
La maison de retraite Saint-Séverin, à Château-Landon (77).
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n direct des établissements
Christine Lloret, directrice de la résidence Amitié et Partage, à Paris.
soin d’être réhabilité. Les chambres
ne sont plus aux normes ». Ce n’est
pourtant pas, étrangement, ce qui a
coûté un 10/10 à la résidence. Les
auteurs du guide pointent en effet
un délai d’inscription dissuasif de
sept ans. Christine Lloret a repris la
direction de la structure en novembre 2008 et explique que ce délai
était en réalité mécanique : « À
l’époque, il y avait une liste d’attente d’à peu près 150 personnes
qui faisaient une pré-inscription
dans l’établissement, avec l’objectif d’y rentrer dans dix ans. Cette
liste n’existe plus : nous prenons en
priorité les demandes urgentes, en
privilégiant les critères de rapprochement familial et d’habilitation à
l’aide sociale. » Autre élément important : le GMP d’Amitié et Partage
est égal à 450. Ancienne maison de
famille, les résidents sont arrivés il
y a une dizaine d’années et, hormis
les bobos du grand âge, la plupart
sont encore valides. Le plus d’Amitié et Partage – qui n’a pas ou peu
été pris en compte – c’est son atmosphère conviviale : les résidents
sont parties prenantes de l’animation et de la vie de la maison. Sans la
question du délai, Amitié et Partage
aurait donc probablement obtenu
la même note que son homologue
de Seine-et-Marne.
Résultat de la comparaison : les
deux établissements offrent une
bonne qualité de prise en charge,
nous n’en doutons pas, mais…
Mais Saint-Séverin, c’est le nec plus
ultra, qui outrepasse les normes ou
les attentes des familles ; Amitié et
Partage, c’est le minimum pour un
Ehpad aujourd’hui.
Cette comparaison suscite d’autres
interrogations sur le guide : quelle
est la pertinence de noter un
Ehpad 9/10 alors qu’il n’est pas
complètement aux normes ? Quel
est donc le niveau de qualité dans
une structure ayant obtenu une
note moindre ?
Le hic du guide donc : un problème d’échelle entre les résidences et une vision parcellaire des
réalités du terrain. La Fédération
nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles
(Fnapaef) est un des organismes
à être montés au créneau contre
le guide, dénonçant notamment
« l’éloge d’établissements dans
lequel il y [a] beaucoup de dysfonctionnements [… et s’étonnant] que des établissements qui
portent une attention particulière
à l’accompagnement n’y figurent
pas. » Mais là où la Fnapaef voit
un guide dangereux pour les familles, il faut tout de même louer
la volonté de recenser toutes les
données utiles au choix d’un établissement. Mais l’erreur serait
de prendre pour argent comptant
ce qui est donné à voir, car l’habit
ne fait pas le moine. Le Guide de
la dépendance ne saurait donc
constituer un référentiel de la
qualité des établissements pour
les aidants.
Jenane Wahby
Ce mois-ci, retrouvez en images :
En direct d’un Ehpad
noté 9/10 dans le Guide
de la dépendance