La loi américaine sur l`espionnage économique

Transcription

La loi américaine sur l`espionnage économique
SECRET ET PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE
La loi américaine sur l'espionnage économique
par
Bertrand WARUSFEL
Maître de conférences à l'Université Paris V - René Descartes
Le Congrès américain a adopté en octobre 1996
une loi sur l’espionnage économique, dite « loi
Cohen » du nom du sénateur qui l’a présenté.
Ce texte mérite de retenir l’attention à plusieurs
titres :
1. Ce texte sanctionne explicitement les actes
d’espionnage économique exercés par ou pour
le compte d’un gouvernement étranger (§
1831). Mais à la différence des articles 410-1 à
... de notre code pénal actuel, il ne protège pas
contre de tels agissements les seuls « éléments
essentiels » du « potentiel scientifique et
économique » national, mais tous les « secrets
d’affaires », que leur contenu soit stratégique
ou non.
2. Ce texte réaffirme, de manière générale, la
protection pénale des « secrets d’affaires » à
l’encontre de toute forme de captation par un
tiers non autorisé (§ 1832), dès lors que cela est
effectué « sciemment » et au mépris des droits
du propriétaire légitime. La définition donnée
du secret d’affaires (§ 1839) demeure conformément à la jurisprudence et aux textes
antérieurs - très large : toute information (sous
quelque forme que ce soit) non publique et
gardée secrète par son propriétaire, dès lors
qu’elle représente une valeur économique. A
l’inverse de notre trop limité secret de fabrique
(art. L.621-1 CPI et art. L.152-7 Code Trav.),
ce secret d’affaires peut être aussi bien une
information financière, économique ou
commerciale que purement technique et
industrielle.
3. Pour compléter ce dispositif, la loi prévoit
tout d’abord - et comme de coutume - que son
application pourra être extraterritoriale, dès
lors que l’ « offender » est américain ou qu’une
partie de l’infraction a été commise aux USA.
D’autre part, elle prévoit que la répression des
atteintes aux secrets d’affaires, dans leur double
dimension (espionnage économique au profit
d’États étrangers ou entre entreprises privées),
devient un nouveau motif permettant de
justifier le recours à des écoutes téléphoniques
ou informatiques.
Ce texte est doublement intéressant, dans son
objectif et dans sa méthode. Sa finalité est
clairement de renforcer l’arsenal juridique
américain face aux pratiques offensives du
renseignement et de l’intelligence économique.
Cela doit être un avertissement et un exemple
pour la France qui hésite encore à compléter sa
politique d’intelligence économique nationale
par un volet juridique.
Mais pour ce faire, le législateur américain a
choisi d’extrapoler son dispositif contre
l’espionnage économique d’État à partir de la
protection des secrets d’affaires (soit une
approche de bas en haut). Tout le contraire de
la démarche française qui, avec le concept des
intérêts fondamentaux de la nation (art. 410-1
nCP), a tenter d’élargir la protection des
secrets de l’État vers le bas, sans pour autant
renforcer son dispositif de protection des secrets
de fabrique et instaurer (encore ?) un véritable
« trade secret » à la française.
Bertrand WARUSFEL
Revue DROIT ET DÉFENSE - 97/ 1 p. 64
Traduction de l'Economic Espionage Act of 1996
Section 1. Introduction
Il sera fait référence à cette loi sous le nom
« Economic Espionage Act of 1996 ».
Titre 1. Protection des secrets du commerce
Section 101.
commerce
Protection
des
secrets
du
(a) Généralités - Titre 18, le « United States
Code » est modifié par l’insertion après le
chapitre 89 de éléments suivants :
Sec.
1831. Espionnage économique
1832. Vol de secrets du commerce
1833. Dérogations
1834. Déchéance
1835. Dispositions destinées à préserver la
confidentialité
1836. Procédure d’injonction
1837. Comportements extérieurs aux ÉtatsUnis
1838. Articulation avec les autres textes
légaux
1839. Définitions
Chapitre 90 - Protection des secrets du
commerce
§ 1831. Espionnage économique
(a) Généralités - Quiconque, sachant
sciemment que l’infraction profite à un
gouvernement, une organisation ou un agent
étranger,
(1) vole, ou sans autorisation s’approprie,
soustrait, emporte ou dissimule, ou par
fraude ruse ou tromperie obtient un secret du
commerce,
(2) sans autorisation copie, reproduit par
croquis ou dessins, photographie, transfère
ou charge par informatique, modifie, détruit,
photocopie, transmet, livre, envoie, expédie,
communique ou transfère un secret du
commerce,
(3) reçoit, achète, détient, un secret du
commerce sachant qu’il a été volé, obtenu ou
détourné sans autorisation,
(4) tente de commettre l’une des infractions
prévues aux paragraphes (1) à (3), ou
(5) projette de commettre ou commet, avec
une ou plusieurs autres personnes, l’une des
infractions décrites aux paragraphes (1) à
(3), encourra (maximum) une amende de 500
000$ et 15 ans d’emprisonnement ou l’une de
ces deux peines seulement.
(b) Organisations - Toute organisation
commettant l’une des infractions décrites à la
sous-section (a) encourra (maximum) une peine
d’amende de 10 000 000$.
§ 1832. Vol de secrets du commerce
(a) Quiconque, avec l’intention de détourner
un secret du commerce en liaison avec un
produit inclus dans le commerce interétatique
ou international, dans l’intérêt économique de
quelqu’un d’autre que son propriétaire,
sachant que l’infraction nuira à tout
propriétaire de ce secret, sciemment,
(1) vole, ou sans autorisation s’approprie,
soustrait, emporte ou dissimule, ou par
fraude ruse ou tromperie obtient de telles
informations,
(2) sans autorisation copie, reproduit par
croquis ou dessins, photographie, transfère
ou charge par informatique, modifie, détruit,
photocopie, transmet, livre, envoie, expédie,
communique ou transfère de telles
informations,
(3) reçoit, achète, détient, un secret du
commerce sachant qu’il a été volé, obtenu ou
détourné sans autorisation,
(4) tente de commettre l’une des infractions
prévues aux paragraphes (1) à (3), ou
(5) projette de commettre ou commet, avec
une ou plusieurs autres personnes l’une des
infractions décrites aux paragraphes (1) à
(3), encourra (maximum) la peine d’amende
prévue sous ce titre et 10 ans
d’emprisonnement ou l’une de ces deux
peines seulement, sauf dans les cas prévus à
la section (b).
§ 1833. Dérogations
Ce chapitre n’interdit pas
(1) toute autre activité légale conduite par
une entité gouvernementale des États-Unis,
Revue DROIT ET DÉFENSE - 97/ 1 p. 65
un État fédéré ou une subdivision politique
d’un État fédéré, ou
(2) de rapporter une violation suspecte de la
loi par une entité gouvernementale des ÉtatsUnis, un État fédéré ou une subdivision
politique d’un État fédéré si une telle entité
en a légalement l’autorité.
§ 1834. Déchéances
(a) le tribunal, en condamnant une personne
pour violation de ce chapitre, ordonnera de
surcroît, que la personne soit déchue de ses
droits pour
(1) toute propriété constituée ou dérivée d’un
procédé obtenu par la personne directement
ou indirectement, comme résultat d’un telle
violation, et
(2) toute personne ou organisation dont la
propriété a été utilisée ou tentée d’être
utilisée, d’une manière ou d’une autre, pour
commettre ou faciliter la réalisation d’une
telle infraction, si le tribunal, dans son
pouvoir discrétionnaire, le détermine,
prenant en compte la nature, la portée et la
gravité de l’utilisation de la propriété dans
l’infraction.
(b) toute appréhension et disposition
concernant la propriété assujettie à la
déchéance dans cette section, ainsi que toutes
poursuites judiciaires y afférentes, seront régis
par la section 413 du « Comprehensive Drug
Abuse prevention and control Act of 1970 » (21
U.S.C. 853) excepté pour les sous-sections (d)
et (j) de cette même section.
§ 1835. Dispositions destinées à préserver la
confidentialité
Pour toutes les poursuites ou autres procédures
prévues à ce chapitre, le tribunal prendra les
mesures appropriées - afin de préserver la
confidentialité des secrets du commerce compatibles avec les exigences des règles
fédérales de procédure criminelle et civile, les
règles fédérales de preuve et toutes autres lois
applicables. Un « appel interlocutoire » auprès
des États-Unis sera subordonné à une décision
ou un ordre d’un tribunal de district autorisant
ou dirigeant la divulgation de tout secret
d’affaires.
§ 1836. Procédure d’injonction
(a) L’Attorney Général peut, dans une action
civile, obtenir une injonction de réparation
appropriée, contre toute violation de cette
section.
(b) Les tribunaux de districts américains auront
une compétence exclusive pour les actions
civiles de cette sous-section.
§ 1837. Comportements extérieurs aux ÉtatsUnis
Ce
chapitre
s’applique
aussi
aux
comportements se produisant à l’extérieur des
États-Unis si :
(1) le délinquant est une personne physique
citoyenne ou résidant permanent étranger
des États-Unis, ou une organisation régie
par les lois des États-Unis ou un État fédéré
ou l’une de ses subdivisions politiques, ou
(2) un partie de la commission de l’infraction
a eu lieu aux États-Unis
§ 1838. Articulation avec les autres textes
légaux
Ce chapitre n’est pas destiné à remplacer toute
autre réparation, civile ou pénale, prévue par
les États Unis Fédérés, les États, le
commonwealth, les possessions, ou lois
territoriales pour le détournement d’un secret
du commerce, ou à entraver les autres
révélations légales d’information faites par
tous employés gouvernementaux, prévues à la
section 552 du titre 5 (généralement connu
sous le nom de Freedom of Information Act).
§ 1839. Définitions
Sont utilisés dans ce chapitre
(1) le terme « organisation étrangère »
signifie toute agence, bureau, ministère,
parties
constituantes,
institutions,
associations ou toute organisation juridique,
commerciale
ou
d’affaires,
société,
entreprise, qui est réellement détenue,
contrôlée, parrainée, dirigée ou dominée par
un gouvernement étranger.
(2) le terme « agent étranger » signifie tout
officier, employé, mandataire, fonctionnaire,
délégué, ou représentant d’un gouvernement
étranger.
(3) le terme « secret du commerce » signifie
toute forme et tout type d’information
financière,
commer-ciale,
scientifique,
technique, économique, industrielle, incluant
modèles, plans, compilations, mécanismes,
formules, études, prototypes, méthodes,
techniques,
procédés,
procédures,
programmes ou codes, matériels ou
immatériels, procédés de conservation,
compilation,
mémorisation,
physique,
Revue DROIT ET DÉFENSE - 97/ 1 p. 66
électronique, graphique, photogra-phique ou
écrite, si
(A) le propriétaire de ces informations a
pris des mesures raisonnables pour les
garder secrètes, et
(B) l’information
a
une
valeur
économique propre, actuelle ou potentielle,
qui ne consiste pas en des connaissances
générales, pouvant être facilement et
directement constatées par le public.
(4) le terme de «propriétaire» légitime, d’un
secret du commerce signifie la personne ou
entité détentrice de manière légitime d’un
titre légal, juste ou d’une licence.
(b) « Clerical Amendment ». La table des
chapitres au début de la première partie du
titre 18 de l’ « United States Code », est
modifiée par l’insertion après l’article relatif
au chapitre 89, de ce qui suit « 90 - Protection
des secrets du commerce 1831 »
(c) Rapports - Au plus tard 2 ans et 4 ans après
la date de la promulgation de cette loi par le
Congrès, l’Attorney General fera le rapport au
Congrès des sommes reçues et distribuées au
« Crime Victimes Fund » - instauré par la
section 1402 du « Victims of crime Act of
1984 » (42 U.S.C. 10601) - au titre des
amendes versées pour les infractions de ce
chapitre.
Sec. 102 Interceptions de télécommu-nications
téléphoniques et électroniques et interception
des communications orales.
La section 2516(1)(c) du titre 18 du Code des
États-Unis est modifiée par l’insertion d’un
« chapitre 90 (relatif à la protection des secrets
du commerce) » après le « chapitre 37 (relatif
à l’espionnage ».
Passage au congrès : 20 octobre 1996.
Signature par le président : 11 octobre 1996 .
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