1. Non-représentation d`enfants et rupture du lien entre un parent et

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1. Non-représentation d`enfants et rupture du lien entre un parent et
1. Non-représentation d’enfants et rupture du lien entre un
parent et ses enfants
1.1. La perte du lien entre parent et enfant
Nombreux sont les auteurs et les intervenants qui se penchent sur le risque de la perte du lien
entre un parent et ses enfants après séparation parentale. Cet intérêt n’est évidemment pas
sans lien avec le nombre croissant des séparations, évolution dont nous parlerons dans le
point 2.
Cette dégradation, perte, rupture, destruction du lien entre parent et enfant peut avoir diverses
origines. Citons-en trois :
L’effilochage ou la dissolution du lien est parfois la conséquence de situations apparemment
consenties, dans lesquelles un parent, souvent le père, « démissionne » de son rôle de parent.
Gérard Neyrand nuance toutefois cette « démission » : « les parents concernés généralement
ne désertent ou ne démissionnent pas, ils subissent plutôt le poids des logiques sociales ou
relationnelles qui les empêchent de tenir leur place »6.
La perte du lien peut être la conséquence de situations dans lesquelles un parent est considéré
(et éventuellement condamné) comme étant nocif ou toxique pour l’enfant : violences
physiques, alcoolisme grave, troubles psychiatriques, inceste, …
Benoît Van Dieren entend par toxicité « la dangerosité avérée d'un parent présentant une
structure mentale franchement pathologique ou une addiction à des substances qui altèrent
gravement le jugement et le comportement et qui mettent l'enfant en danger physique ou
moral »7.
La rupture du lien peut aussi s’inscrire dans le contexte de conflits plus ou moins aigus, dans
lesquels chaque parent tient à exercer son rôle parental, mais dans lesquels l’un des deux
limite, ou empêche, directement ou par le biais de l’enfant, l’autre parent d’exercer ce rôle ou
d’entretenir ce lien, même si une décision judiciaire a fixé les modalités de l’hébergement de
l’enfant. C’est de ce que disent les intervenants de l’après séparation parentale à propos de ce
dernier type de rupture ou d’effilochage du lien que traitera ce mémoire.
1.2. Le choix du terme « rupture »
Le lecteur aura remarqué la diversité des termes utilisés jusqu’ici pour évoquer la coupure du
lien entre parent et enfant après séparation parentale : rupture, perte, effilochage, dégradation,
destruction … Et on pourrait ajouter déchirure, dissolution, distension, altération, …
6
NEYRAND G., « Dimension sociale de la crise et perturbations parentales » - Texte de l’intervention dans le
cadre du Colloque Crise, séparation et processus d’intervention organisé par l’AIFI les 20 & 21 mai 2005 à
Bruxelles (Atelier Crise et perte du lien parental), 2005.
7
VAN DIEREN B., Le risque de perte du lien parental lors des séparations – Voir http://www.separation.be
(consulté la dernière fois en août 2008).
LIMET O., PARENTS SEPARES : CONTRAINTS A L’ACCORD ? Une analyse à partir de la loi de 2006 sur l’hébergement égalitaire :
contexte, discours et pratiques du judiciaire face à la non-représentation d'enfants, Louvain-la-Neuve, FOPES, 2008
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Certains, tels Nadia De Vroede8 ou Benoît Van Dieren9, préfèrent le terme de « perte » ou
« risque de perte du lien parental », considérant qu’il y a lieu d’éviter, au départ d’une
situation en tout cas, de pointer un coupable, ce qui amenuiserait encore davantage les
chances de réamorcer un dialogue.
Pour notre part, nous privilégierons dans le cadre de ce mémoire le terme “rupture”, tel que
défini dans sa 4ème acception dans le Petit Robert 10 : « Séparation plus ou moins brusque
entre des personnes qui étaient unies ».
1.3. La rupture du lien entre parent et enfant après séparation
parentale conflictuelle
Revenons-en à ces situations de rupture du lien, dans un contexte de conflit plus ou moins
aigu entre les parents.
Dans de telles situations, selon Benoît Van Dieren, un parent (parfois les deux …) peut être
amené, sciemment ou non, à dénigrer l’autre parent aux yeux de l’enfant, et à faire en sorte
que l’enfant rejette totalement cet autre parent.
Dans les situations qualifiées par certains d’« aliénation parentale »11 ou de « syndrome
d’aliénation parentale », l’enfant peut reprendre à son compte ce rejet (pourtant injustifié)
d’un parent, rejet qui est « l’aboutissement d’un processus de manipulation intense et
systématique visant à ce que l’enfant lui-même écarte résolument et, si possible,
définitivement l’autre parent »12.
Notons que, avec Benoît Van Dieren13, nous prenons une certaine distance avec les termes
d’aliénation parentale (ou syndrome d’-), non pas que nous mettions en doute les faits, la
manipulation, mais que les termes utilisés sont eux-mêmes de nature à cristalliser la situation.
Plus en français qu’en anglais encore, le terme « aliénation » est associé à folie, psychiatrie,
démence. C’est donc faute d’autres termes que nous les utiliserons dans ce mémoire.
Qu’il y ait ou pas manipulation de l’enfant, dans les situations en question, un parent se
retrouve dans la difficulté, voire l’impossibilité d’entretenir une relation parentale saine et
normale avec l’enfant.
8
DE VROEDE N., « La perte du lien parental : les réponses des autorités judiciaires », in FONDATION POUR
L’ENFANCE., La protection des enfants au cours des séparations parentales conflictuelles – Actes Colloque
2007, Paris, Fondation pour l’enfance, 2008.
9
VAN DIEREN B., La justice face au processus d’aliénation parentale, in FONDATION POUR L’ENFANCE.,
La protection des enfants au cours des séparations parentales conflictuelles – Actes Colloque 2007, Paris,
Fondation pour l’enfance, 2008.
10
Voir Le Petit Robert en ligne (http://lerobert.demarque.com), consulté le 10 août 2008.
11
Selon Hubert Van Gijseghem, ce qui semble pouvoir constituer le tronc commun des différentes définitions de
l’aliénation parentale (ou du syndrome d’–) est le fait que « un enfant dénigre l’un de ses parents de façon
persistante, alors qu’une telle attitude ne trouve pas de justification dans les faits » - VAN GIJSEGHEM H.,
« L’aliénation parentale : points controversés”, in L’aliénation parentale - Divorce et séparation N° 3, juin
2005, Loverval, Labor, 2005, p 18.
12
VAN DIEREN B., Le risque de perte du lien parental … op. cit.
13
« Nous ne pensons pas être le seul professionnel du monde psy ou du monde judiciaire à avoir constaté
l’habituelle levée de bouclier que provoque l’utilisation du concept d’Aliénation Parentale (a fortiori si le mot
« syndrome » y est accolé). La réaction est immédiate de la part de la personne qui est directement visée par ce
concept, (…) qui reçoit cette accusation comme une véritable gifle. Et évidemment à ses yeux cette accusation
est complètement injustifiée » - VAN DIEREN B., Le risque de perte … - op. cit.
LIMET O., PARENTS SEPARES : CONTRAINTS A L’ACCORD ? Une analyse à partir de la loi de 2006 sur l’hébergement égalitaire :
contexte, discours et pratiques du judiciaire face à la non-représentation d'enfants, Louvain-la-Neuve, FOPES, 2008
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1.4. Non-représentation d’enfant
Selon Benoît Van Dieren, « pour éviter l’enlisement et la cristallisation rapide de ces
situations, la Justice dispose d’un critère simple et objectif comme signal d’alarme : la nonreprésentation d’enfant. Ce critère a le mérite d’être un fait incontestable ».
Encore faut-il assurer un suivi rapide, sans quoi, selon la métaphore de Benoît Van Dieren
« tel le ciment liquide qui devient solide dans son coffrage, tout retour à la relation antérieure
pour le parent rejeté devient alors extrêmement difficile »14.
« Le parent qui constate la non présentation d’enfant devra le signaler rapidement. La
personne qui reçoit la plainte devrait convoquer rapidement le parent proche [c'est-à-dire le
parent qui, dans le quotidien d’un hébergement principal, dénigre ou empêche l’autre parent]
(…) ». Notons que, pour tenter de sortir de l’enlisement, Benoît Van Dieren préconise la mise
en place d’une guidance parentale15.
1.5. Les non-représentations d'enfants en Belgique
La non-représentation d'enfants – le fait de ne pas représenter l’enfant « aux personnes qui ont
le droit de le réclamer (…) » (art. 431 du code pénal belge), ou, pour un père ou une mère, de
soustraire ou de tenter de soustraire « son enfant mineur à la procédure intentée contre lui
(…),à la garde des personnes à qui l'autorité compétente l'a confié, ou qui ne le représentera
pas à ceux qui ont le droit de le réclamer, l'enlèvera ou le fera enlever, même de son
consentement » (art. 432)16 – est un délit punissable d’un emprisonnement de huit jours à un
an.
Ces peines peuvent être aggravées, entre autres « si le coupable cache ce mineur pendant plus
de cinq jours à ceux qui ont le droit de le réclamer ou s'il retient indûment ce mineur hors du
territoire du Royaume » ; dans ce cas, l’emprisonnement est d’un an à cinq ans.
À titre indicatif17, il y aurait eu, en Belgique, au cours des années 2005, 2006 et 2007, de
l’ordre de 20.000 plaintes pour non-représentations d’enfant par an. Ce nombre de plaintes
concernerait de l’ordre de 7000 nouvelles familles chaque année (une même personne peut
porter plainte plusieurs, voire de nombreuses fois).
Bien évidemment, il est difficile, voire impossible, de connaître le nombre des situations
conflictuelles qui n’ont pas donné lieu à des plaintes, soit que la personne « victime » se fasse
justice à elle-même, soit qu’elle n’ose pas porter plainte de peur de compliquer la situation, ou
toute autre raison encore.
14
VAN DIEREN B., Le risque de perte du lien parental … op. cit.
Voir tableau au point 5., et voir www.separation.be
16
Voir l’intégralité des articles 431 et 432 du code pénal en annexe.
17
Pour plus de détails, voir « statistiques des non-représentations d'enfants » en annexe. Il n’y a, dans les
statistiques présentées dans cette annexe, aucune donnée quant au pourcentage que représentent les plaintes pour
non-représentation d'enfants par rapport au nombre de décision judiciaire en matière d’hébergement d’enfants.
Ceci dit, ce pourcentage est vraisemblablement difficile à établir. Il faudrait effectivement connaître, des
décisions judiciaires prises devant différentes juridictions (justice de paix, jeunesse, référés, première instance,
appel, …) celles qui concernent (entre autres) la fixation de modalités d’hébergement, ou encore déterminer si
l’on considère uniquement les jugements définitifs, etc. D’autre part, les chiffres fournis font apparaître que si,
pour une même période, le nombre de dossiers se répartissent de manière relativement équilibrée entre hommes
et femmes, le nombre de plaintes déposées est d’un tiers à l’encontre d’hommes, et d’environ deux tiers à
l’encontre de femmes. Voici de quoi éveiller la curiosité d’un chercheur sur cette matière-là …
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LIMET O., PARENTS SEPARES : CONTRAINTS A L’ACCORD ? Une analyse à partir de la loi de 2006 sur l’hébergement égalitaire :
contexte, discours et pratiques du judiciaire face à la non-représentation d'enfants, Louvain-la-Neuve, FOPES, 2008
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On pourrait d’ailleurs noter un certain paradoxe dans ce que proposait plus haut Benoît Van
Dieren : faire de la plainte pour non-représentation d'enfants un outil pour objectiver un risque
de rupture du lien entre parent et enfant, semble contradictoire avec la volonté d’éviter de
pointer trop vite un coupable. De plus, si le fait de signaler une non-représentation d'enfants
permet d’objectiver une situation, faut-il encore (et c’est l’espoir de Benoît Van Dieren) que
le parquet puisse réagir rapidement.
Or, si comme on a pu le lire au travers des extraits des articles 431 et 432 du code pénal,
l’infraction est sérieuse, ceci ne signifie pas qu’elle mène systématiquement à des poursuites,
ni même à un suivi.
Peut-être l’absence fréquente des poursuites – ou même d’un suivi – suite au dépôt de plaintes
pour non-représentation d'enfants a-t-elle d’ailleurs justifié la recherche d’autres outils, et
particulièrement au civil, comme le soulève Nadia De Vroede : « le législateur, constatant
que les plaintes, déposées au pénal contre un parent qui ne respecte pas les décisions
judiciaires, sont classées relativement souvent, a souhaité développer au civil dans le cadre
de la loi sur l’hébergement égalitaire, des réponses nouvelles, à la disposition du juge civil en
cas de non respect de sa décision »18.
Nous reviendrons plus en détail sur la « loi 2006 » sur l’hébergement égalitaire au point 3. des
éclairages théoriques.
Pour retourner à la table des matières : http://www.limet.be/?page_id=74
18
DE VROEDE N., « Perte du lien parental – les réponses des autorités judiciaires » - intervention de Nadia De
Vroede au Symposium OUDERVERVREEMDING, le 13 février 2007.
LIMET O., PARENTS SEPARES : CONTRAINTS A L’ACCORD ? Une analyse à partir de la loi de 2006 sur l’hébergement égalitaire :
contexte, discours et pratiques du judiciaire face à la non-représentation d'enfants, Louvain-la-Neuve, FOPES, 2008
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