Textes auteurs
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2 Les mouvements littéraires au XVIII 1 Les Lumières Texte 2 e siècle C ◗ L’entreprise encyclopédique Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) Observer et analyser 1. La forme dialoguée est ici très particulière, ni théâtrale ni narrative. L’auteur s’entretient avec une charmante marquise à laquelle il fait part de ses réflexions scientifiques. Leurs répliques se succèdent, ponctuées systématiquement par des incises : « reprit-elle », l. 1, « répliquai-je », l. 2, « dit la Marquise », l. 31, « répondis-je », l. 32, « reprit-elle », l. 33, « répliquai-je », l. 37. Cette forme dialoguée se rapproche donc du dialogue inséré dans un récit par la présence des incises. Toutefois, nulle interruption de l’échange de paroles par des passages narratifs ou descriptifs. Il ne s’agit donc pas d’un récit. Les répliques s’enchaînent, mais sans tirets, sans alinéas, sans didascalies : il ne s’agit donc pas d’un dialogue de théâtre non plus. Ce passage est bien représentatif du dialogue philosophique, qui ne recherche ni la mise en scène ni l’analyse psychologique, mais plutôt le développement de la thèse du locuteur à travers son affrontement avec la thèse adverse. Ainsi, la double énonciation donne force et vie à la démonstration philosophique. 2. Le personnage principal de ce dialogue est Fontenelle, qui mène le débat, apporte le savoir et la réflexion. La marquise, même si elle écoute son ami philosophe avec beaucoup d’intérêt et de bonne volonté, semble prisonnière de ses a priori, de ses préjugés, obstinément tournée vers le passé et la tradition, effarouchée par l’audace du visionnaire Fontenelle : « En vérité, dit la marquise en me regardant, vous êtes fou » (l. 31). La longueur des répliques est elle aussi révélatrice : sur l’ensemble du texte, les paroles de la marquise ne représentent qu’une petite dizaine de lignes. Elle parle peu, et son rôle est plutôt d’écouter. Fontenelle domine donc largement le dialogue, la marquise quant à elle a un double rôle : tout d’abord, ses questions et ses réactions apportent une dynamique à la démonstration du philosophe qui rebondit sur ses interventions ; d’autre part elle joue le rôle du faire-valoir, interlocutrice ignorante aux côtés du brillant philosophe. Il s’agit donc ici d’un dialogue didactique. ! page 128 du manuel 3. Fontenelle entreprend de démontrer à la marquise qu’il n’est pas impossible d’envisager qu’un jour, l’homme aille sur la lune. Il est conscient que l’énormité d’une telle supposition ne manquera pas de passer pour de la pure folie. C’est pourquoi il prend des précautions avant d’entrer dans le vif du sujet, répondant d’avance aux critiques de la marquise (l. 1 à 8): « vous vous moqueriez de moi, et je le mériterais sans doute. » « J’ai une pensée très ridicule » « contre toute raison ». Enfin il se « jette à l’eau » à la ligne 8. Il commence alors par développer longuement un argument par analogie (l. 8 à 30) : les Européens réagissent face à l’espace et à la lune comme réagissaient les peuples primitifs d’Amérique face à la mer, avant l’arrivée de Christophe Colomb. Cet argument, bien que solide, sollicite chez la marquise son imagination plus que sa raison. Le philosophe cherche ici plus à persuader qu’à convaincre. Toutefois, la réaction pleine de scepticisme de son interlocutrice (l. 32 à 36) invite le philosophe à prouver qu’il a raison, d’une manière plus objective : « on commence déjà à voler un peu », dit-il. Il fait alors référence à la recherche technologique de l’époque, qui n’en est encore qu’aux balbutiements, en matière d’aéronautique, « L’art de voler ne fait encore que naître » (l. 44), mais qui est bien réelle tout de même, « il se perfectionnera, et quelque jour, on ira jusqu’à la lune. », comme le montre l’emploi du futur, temps de la certitude. Enfin, le philosophe oppose à l’immobilisme de la marquise son idéal scientifique d’un progrès toujours en marche, et sans limite : « Prétendonsnous avoir découvert toutes choses, ou les avoir mises à un point qu’on n’y puisse rien ajouter ? Eh ! de grâce, consentons qu’il y ait encore quelque chose à faire pour les siècles à venir. » (l. 46 à 48). 4. L’argument dit « par analogie » est toujours un argument fort dans la mesure où il permet de clarifier et d’illustrer de manière concrète et vérifiable une idée abstraite et difficile à accepter. C’est le principal point d’appui de Fontenelle dans sa démonstration. Il va donc longuement le développer, mettant littéralement en scène, de 2. Les mouvements littéraires au XVIIIe siècle 1 2 manière vivante et saisissante les « Américains ». La surprise de ces peuples qui virent débarquer des Européens sur leur continent n’a d’égale que l’incrédulité de la marquise face aux suppositions de Fontenelle. Ce dernier commence par brosser un rapide tableau de la situation de ces peuples dits « sauvages » (l.10 à 15). On pourra noter l’emploi de l’imparfait de description. La ligne 15 marque une rupture dans cet ordre des choses : « Cependant, voilà un beau jour le spectacle du monde le plus étrange et le moins attendu qui se présente à eux. ». L’emploi du terme « cependant » et du présent de narration produisent le choc et la rupture dont il est question. Fontenelle utilise alors (l.17 à 23) le procédé de la focalisation interne. La description des vaisseaux européens et de leurs passagers traduit la pensée, naïve, innocente, de ces peuples craintifs et simples : « des gens inconnus, tout écaillés de fer, disposant comme ils veulent des monstres qui courent sous eux, et tenant dans leur main des foudres dont ils terrassent tout ce qui leur résiste. » Les quatre questions qui suivent sont aussi les questions que se sont sans doute posées ces pauvres gens : « D’où sont-ils venus ?… » Le procédé est d’ailleurs clairement avoué par Fontenelle : « Je ne sais, Madame, si vous entrez comme moi dans la surprise des Américains. » (l. 23). Dans sa dernière réplique, l’auteur reprendra le procédé de l’analogie en faisant un parallèle entre l’évolution de la navigation sur mer et celle de la navigation dans les airs : les premières tentatives de vol de l’époque de Fontenelle « ne représentent encore que les premières planches que l’on a mises sur l’eau » (l. 42) Vers l’écriture d’invention Les critères d’évaluation porteront sur : • la cohérence de la forme dialoguée • la qualité des arguments, de part et d’autre • la vivacité des répliques. 5. On peut noter en conclusion que ce texte illustre parfaitement le titre de l’ouvrage : il s’agit bien, en effet, d’un « entretien ». Le caractère didactique du dialogue ne l’empêchant pas d’être une conversation plaisante et badine entre la marquise et son interlocuteur. D’autre part, il est bien question ici de la pluralité des mondes, mondes séparés par la mer, l’Europe et l’Amérique, ou mondes séparés par l’espace, la Terre et la Lune. On peut noter au passage que dans la rencontre entre les deux premiers, Fontenelle ne donne pas aux Européens, « tout écaillés de fer », et « qui vomissent le feu de toutes parts », le beau rôle. Il effleure ici un thème cher aux Humanistes (voir Montaigne) et longuement développé par les philosophes du XVIIIe, le thème de la colonisation. 2. Les mouvements littéraires au XVIIIe siècle 2