Lire un extrait - Editions Persée

Transcription

Lire un extrait - Editions Persée
 LES SECRETS DE GUILLAUME APOLLINAIRE
Elena Fernández-Miranda
Les secrets de
Guillaume Apollinaire
Essai
Editions Persée
Consultez notre site internet
© Editions Persée, 2015
Pour tout contact :
Editions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence
www.editions-persee.fr
Pour mes enfants,
qui aiment et connaissent si bien
la langue et la culture française.
Avec tout mon amour.
Votre mère
PRÉFACE
N
ous avons parlé d’Apollinaire, Elena Fernández-Miranda et
moi, lors de nos nombreuses rencontres à Madrid, à Barcelone,
à Bruxelles ou à Marseille. J’ai toujours eu le sentiment qu’elle connaissait parfaitement son œuvre et sa personnalité la plus secrète, ce qui
s’est confirmé lorsqu’elle a porté attention à mon ouvrage La Poétique
du désir (1974), où je lui ai consacré, à côté de Nerval, Lautréamont,
Éluard, une longue étude évoquant « une érotique de l’écriture » et
« une érotique de la communication ». Les propos d’Elena me revenaient souvent en mémoire.
Aujourd’hui elle rassemble ses propres travaux dans un ouvrage
magistral qui m’invite à approfondir encore ma réflexion sur le poète.
Le mot poète a d’ailleurs, malgré tout ce qu’il porte en lui, un aspect
un peu réducteur dans la mesure où il renvoie à des morceaux bien
connues comme « Alcools », alors que l’œuvre d’Apollinaire nous
propose, dans sa plénitude, toutes sortes de textes-lettres, projets épistolaires, essais, fragments, contes, récits, approches du théâtre et du
cinéma, chroniques, etc. – où la prose tient autant de place que la poésie. L’incomparable mérite d’Elena est d’avoir su tenir compte de cet
ensemble, de cette totalité et de nous révéler Apollinaire dans son étonnante pluralité.
Cela dit, on pourra peut-être s’étonner du titre : Les secrets de
Guillaume Apollinaire, dans la mesure où le terme secret n’a pas
toujours une heureuse résonance. Mais précisément le mérite de cet
ouvrage est de briser ces tabous ou, plus exactement, de les affronter, pour montrer qu’une grande œuvre littéraire dont on apprécie le
7
lyrisme, la modernité, l’élan, la musique, peut intégrer des données très
secrètes. On en jugera en lisant le quatrième et le neuvième « poème
secret » envoyés à la « petite esclave reine » Madeleine. Il y a là toute
une invitation à une lecture précisément plus « secrète » d’Apollinaire.
Elena Fernández-Miranda s’y est consacrée avec beaucoup d’érudition. Après avoir évoqué dans une première partie les images obsédantes
et violentes de l’enfance de l’écrivain et toutes les angoisses qui en découlaient, elle a abordé très résolument dans une deuxième partie le thème
du sadisme, moins, si je puis dire, sous l’égide du Marquis de Sade que
dans la perspective mémorielle de nombreux fantasmes qui traversent des
œuvres comme Les onze mille verges ou les Lettres à Lou. Le troisième
chapitre traite du masochisme, mais une fois encore, à propos de Lou
notamment, comme émanant de curieux fantasmes intimes d’où fables
et fleurs ne sont pas absentes. On revient au poète qui est toujours là,
même dans la provocation ou le fétichisme. La quatrième partie nous
ramène aux sources des deux fantasmes dominants à travers une lecture
des lettres à Madeleine, cette jeune fille – Madeleine Pagès – rencontrée le premier jour de 1915 dans un train pour Nice, où se trouvait Lou.
Femmes, errances de l’esprit, du cœur et du sexe, Elena a tout saisi et
analysé de très près, s’appuyant sur de nombreuses citations qui nous permettent, au fil de son étude, une sorte de relecture complète d’Apollinaire.
Ce qui me frappe en effet dans ce travail, c’est qu’il lève à la fois toute
censure de l’œuvre d’Apollinaire, la mettant à nu dans ce qu’elle peut
avoir de plus intime et de plus troublant, et qu’il la révèle dans sa complexité. En le lisant, me sont revenus en mémoire deux vers de « Zone » :
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Depuis mes propres études, j’avais un peu oublié Apollinaire, comme
on oublie le nom des rues. Et voilà que ce grand livre d’Elena, comme un
soleil, comme un « clairon » me le fait retrouver, vibrant au plus secret
de lui-même.
Raymond Jean
8
I. L’ENFANCE D’APOLLINAIRE AU PRISME DE SES
IMAGES VIOLENTES ET OBSÉDANTES
La figure de la mère
Le fantasme d’une femme perverse
Qui veut comprendre la vie et l’œuvre d’Apollinaire doit d’abord
s’attacher à comprendre sa profonde union avec sa mère, femme violente et contradictoire qui l’obséda et le fit souffrir désespérément, à
comprendre son sentiment précoce de « mal-aimé ». S’éclaireront ainsi
la nature de ses rapports avec les femmes et, surtout, les raisons de
sa violence et son angoisse. Apollinaire nous invite à revivre avec lui
l’itinéraire de sa vie intérieure, au fil des obsessions de ses personnages
et des confidences voilées dont il jalonne ses récits et ses poèmes. Très
tôt, on rencontre des expressions de douleur dans Alcools qui dénotent
sa tristesse, le peu d’estime qu’il a de lui-même et le rapport tragique
qu’il avait avec sa « maman » adorée et redoutée :
« La porte de l’hôtel sourit terriblement
Qu’est-ce que cela peut me faire ô ma maman
D’être cet employé pour qui seul rien n’existe
Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste
Anges frais débarqués à Marseille hier matin
J’entends mourir et remourir un chant lointain
Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille
Enfant je t’ai donné ce que j’avais travaille » (« La Porte », Alcools)
9
Une mère à laquelle il était si uni, dont il avait tant besoin d’être
aimé, que d’une voix d’enfant il l’appelle « maman », il l’implore
presque dans certains de ses poèmes, tel « Le Larron » :
« Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman1 »
Usant même du possessif, chargé d’émotion, de « La Porte » : « ô
ma maman (…) »
Toute son œuvre se fait l’écho du douloureux appel adressé à la
mère. Dans Les Onze Mille Verges, il évoque l’image impressionnante
de soldats agonisants qui, comme des enfants, plaintivement, vainement, appellent leur mère :
« Un obus déchira l’air et vint tuer quelques soldats qui dormaient
dans un fossé. Ils moururent en se lamentant comme des enfants qui
appellent leur mère. » (O. en prose, La Pléiade, vol. III., p. 932)
On l’entend également dire d’une voix désespérée dans « Le
Voyageur » :
« Ouvrez-moi cette porte que je frappe en pleurant »
Mais la porte ne devait jamais s’ouvrir pour lui et, incapable d’obtenir la tendresse de sa mère, il ne connut pas de modèle d’amour. Pierre
Madsen, un ami de la famille, dit d’elle :
« Elle ne le comprenait en rien et parlait de lui comme si elle l’avait
eu par accident, à quatorze ans, disait-elle, et lui, d’ailleurs, gardait
éloignée d’elle sa vie artistique. Elle n’avait rien lu de lui que l’Hérésiarque, qu’elle s’était acheté elle-même, et trouvait idiot. Elle adorait au contraire son fils puîné, Albert. » (Témoignage de A. Rouveyre,
Apollinaire, Gallimard 1945, p. 17)
1 – Dans une lettre à Lou, écrite le jour de Noël de 1914, il dit à propos de la voix « ligure » :
« Ligure est un mot d’origine celtique qui signifie qui a une belle voix. »
10
Marcel Adéma, un des principaux critiques d’Apollinaire, observe
la force destructrice de sa mère :
« (…) Sevré de la présence d’une personnalité virile, Guillaume
est désemparé. Le “péché” maternel (une dureté voulue) prend des
proportions écrasantes, excessives. La réflexion le réduit à des plus
exactes limites, mais lui laisse une amertume, une souffrance intime
dont il restera marqué très longtemps… il reste sujet à des dépressions
qui aboutissent à des crises mélancoliques. » (Guillaume Apollinaire le
Mal-Aimé, Paris, Plon, 1952, p. 51)
Privé d’amour depuis l’enfance, il eut toujours des problèmes dans
ses relations amoureuses et un sentiment d’impuissance après avoir été
dominé et humilié par sa mère. Et l’angoisse, une profonde angoisse,
fruit surtout de la désorientation affective dans laquelle il vécut durant
son enfance :
« L’angoisse de l’amour te serre le gosier
L’amour dont je souffre est une maladie honteuse » (« Zone »,
Alcools)
Apollinaire désirait plus que tout l’amour de sa mère, mais en même
temps il avait peur d’être détruit par elle, sentiments qui conditionnèrent
sa vie et son œuvre. Dans Le Poète assassiné, il exprime cette peur à
travers Macarée, la mère de Croniamental, avec lequel il s’identifie :
« Macarée s’aperçut bientôt qu’elle avait conçu de Viersélin
Tigoboth.
C’est ennuyeux, pensa-t-elle d’abord, mais la médecine a fait beaucoup de progrès. Je me débarrasserai quand je voudrai… je condamne
à mort cet embryon. » (O. en prose, La Pléiade, vol. I, p. 229)
Texte très significatif, lorsque l’on sait que Mme de Kostrowitzky
rejeta son enfant dès sa naissance et ne le reconnut légalement que plusieurs mois après l’avoir mis au monde.
11
À partir de la figure de sa mère, qui l’obsédait, surgit dans ses fantasmes et dans son œuvre l’image d’une femme cruelle qui fait souffrir
les hommes.
Dans L’Enchanteur pourrissant, qu’il commence à écrire alors qu’il
n’a que dix-sept ans, la femme est Viviane, la cruelle Dame du lac, qui
enferme Merlin dans une tombe « dans la forêt profonde, obscure et
périlleuse », où il se couche « comme sont couchés les cadavres », et le
convertit en mort vivant : « Elle n’avait choisi la forêt comme lieu mortuaire de l’enchanteur que par cruauté2 » et lorsqu’elle ferme pour toujours la pierre du sépulcre, elle se rit de lui : « La dame du lac (…) avait
éclaté de rire. » Apollinaire montre par le biais de cette femme l’idée
qu’il se fait de la cruauté de sa mère3, mais le désir de se faire aimer est
si fort qu’il met dans la bouche de Merlin une supplique qui rappelle
celle qu’implicitement il adresse à sa mère dans « La Porte » : « Dame,
pourquoi avez-vous fait ceci ? » Jamais il ne renoncera à son amour,
c’est pourquoi jusqu’au dernier moment Merlin attendra aussi l’amour
de la Dame du lac, la femme qui l’a trahi et qu’il ne cessera pourtant
pas d’aimer, bien qu’il se lamente de sa cruauté ou qu’il dise que son
amour est impossible. Guillaume a besoin d’écrire ses sentiments, il a
besoin d’exposer les images qui le possèdent, c’est pourquoi il parle de
2 – Cette peur d’être enterré en état de mort latente exprime une des plus grandes terreurs de
l’être humain, mais elle représente aussi la transformation d’un fantasme plus profond :
celui du retour au ventre maternel. Dans le cas d’Apollinaire, le fantasme acquiert une
force extraordinaire, du fait qu’il s’identifiait tellement à sa mère qu’il donne l’impression que, dans une espèce de symbiose régressive, il souhaite inconsciemment retourner à
l’obscurité de sa matrice ; un désir qu’il exprime tout au long de son œuvre par des images
bénéfiques ou maléfiques : c’est l’eau profonde de « La Porte », l’image de l’océan, généralement violent, le songe poétique d’un navire qui glisse sur un canal d’eau obscure, ou
l’enfermement dans une coquille intime et exiguë… Ou même, comme c’est le cas dans
L’Enchanteur, la peur (ou la tentation) de l’ensevelissement.
3 – Danielle Racelle-Latin voit aussi dans la Dame du lac une réplique de la mère du poète, et
elle dit d’elle : « La figure d’une femme anxieuse et jalouse qui tire de sa crainte de l’être
la joie méchante et la force d’un égoïsme tyrannique et souverain, cette Viviane castratrice… » (Le rôle de la figure maternelle dans L’Enchanteur pourrissant, actes du colloque
de Stavelot, 1973, p. 69)
12
sa façon de voir la femme la plus importante de sa vie : sa mère. Et il le
fait au travers de femmes perfides qui font souffrir les hommes4.
Au fur et à mesure qu’il avance dans l’écriture de L’Enchanteur,
se dessinent clairement son vécu personnel et l’image d’une femme
perverse qu’il présente sous différents aspects et qu’il construit à partir de ses souvenirs d’enfance, en arrivant à conférer à son récit un
ton tragique qu’on ne trouve dans aucun des textes médiévaux dont il
s’est inspiré. Selon certains de ses critiques5, son ressentiment envers
les femmes, qui transparaît dans ce récit, peut avoir sa source dans les
mauvais souvenirs que lui laissèrent ses aventures juvéniles avec Linda
Molina, la jeune fille qu’il connut durant ses premières années à Paris,
ou avec Annie Playden, la gouvernante anglaise avec laquelle il vécut
une histoire passionnée durant son voyage en Allemagne en 1901.
Mais, mis à part le fait qu’Apollinaire commence à écrire cette œuvre
avant de connaître Annie6, la femme qui dans sa première jeunesse le fit
le plus souffrir par son rejet, la source des angoisses que nous montre
L’Enchanteur est le fruit de sa relation avec une femme beaucoup plus
puissante et cruelle, qui l’obséda et le fascina plus que toute autre : sa
mère. Elle l’avait infantilisé7, comme le montrent les lettres qu’elle
lui écrit durant son séjour en Allemagne, alors qu’il avait vingt et un
ans : « as-tu fait des bétises ? » (sic), « il faut boire en mangeant » et
4 – Comme dit aussi Danièle Racelle-Latin :
« Ainsi donc la mère authentique était-elle subjectivement ressentie comme une féminité souveraine mais castratrice… comme le sera la Dame du lac. » (Op. cit. page 71)
Cet écrivain insiste sur un aspect essentiel de la Dame du lac, femme « castratrice », et nous
verrons que la peur de la castration obsède Apollinaire.
5 – Voir surtout Jean Burgos dans ses commentaires sur L’Enchanteur pourrissant. (Lettres
Modernes, Minard, Gallimard, Paris, 1972)
6 – Apollinaire précise la date à laquelle il termina la première version de L’Enchanteur dans
sa dédicace à Jean Sève :
« À mon ami Jean Sève
Auquel j’ai lu pour la première fois
L’Enchanteur en 1900. Il était le premier
À qui je confiais mes idées
Personne ne connut ce testament
De ma première esthétique avant lui »
7 – Comme le reconnaît Jean Burgos : « gêné sans doute par le comportement de sa mère et
agacé par le fait d’être toujours traité par elle en petit garçon. » (Op. cit., P. XIX)
13
qui plus est : « vas-tu au bain de temps en temps ? »…8 et elle avait fait
plus encore : elle l’avait réduit à l’impuissance, l’avait transi de peur et,
en définitive, comme le dit Apollinaire dans L’Enchanteur, elle l’avait
enterré vivant.
En plus de la cruelle Dame du lac, apparaissent dans L’Enchanteur
d’autres femmes perverses qui représentent une menace pour Merlin et
qu’Apollinaire fait défiler devant sa tombe.
En premier lieu apparaît une femme mythologique, l’énigmatique Lilith qui détient des pouvoirs démoniaques ; elle hurle la nuit,
effrayant tous les êtres nocturnes. Un abbé dit :
« … Faites Seigneur que je n’entende plus les cris de la maternelle
et gigantesque réprouvée, car mon âme s’effraye trop de les ouïr. Mon
âme ne peut rien pour la maudite, pour la mère, puisqu’elle est réprouvée. Bénissez-moi, Seigneur, car je n’ai pas prié pour celle qui clame
comme un animal, dans le désert, la mère et la maudite… éloignez vos
bons anges de cette mère ô Seigneur (…) Lilith cessa d’ululer et s’enfuit.
Tous les enfants moururent cette nuit dans la contrée. » (L’Enchanteur
pourrissant, o. en prose, Bibliothèque La Pléiade, volume. I, p. 24)
Cette Lilith, qui suivant une tradition mythologique fut la première femme créée, avant même l’Ève biblique, apparaît souvent dans
l’œuvre d’Apollinaire. C’est la première femme, et surtout, c’est la
mère par excellence, raison pour laquelle dans ce fragment Apollinaire
fait quatre fois référence à sa condition de mère ; une mère maudite qui
détruit ses propres enfants et ceux des autres.
Danièle Racelle-Latin9 dit de cette figure de Lilith telle qu’elle apparaît dans L’Enchanteur :
« Lilith situe symboliquement son règne au fond de l’abîme, au
fond des océans. Éternelle tourmentée, femme solipsiste, castratrice
ou androgyne, qu’on la qualifie comme on voudra, elle est bien le pro8 – Correspondance avec son frère et sa mère. José Corti. Paris, 1987.
9 – Op. cit., pp. 78-79.
14
totype des Médée, des Dalila, comme de la Dame du lac, et mieux
que toute autre elle rappelle la figure maternelle d’Angélique de
Kostrowitzky, fille-mère qui prétend le rester, femme illégitime qui
mène sa destinée comme elle l’entend en dehors de toute norme sociale,
mère enfin qui usurpe en sus de son rôle, celui du père absent…
En bref, d’une part Lilith est bien l’image enténébrée, obsédante,
démoniaque de la mère du poète dans son aspect néfaste et fantasmatique : – possessive : “Mes enfants sont pour moi, première mère, mes
enfants sont pour moi” (EP, 46) ; – indifférente : “Elle (…) ne pense
pas du tout à l’enchanteur” (44) ; – meurtrière, conformément à sa
légende : “Lilith cessa d’ululer et s’enfuit. Tous les enfants moururent,
cette nuit, dans la contrée”. » (50) (Souligné par moi)
Lilith crie beaucoup et de singulière façon : en ululant. Et cet ululement obsédant devient récurrent dans ses écrits. Macarée, la mère de
Croniamental, le protagoniste du Poète assassiné, ulule aussi avant de
mourir :
« Épuisée par tous ces efforts, elle rendit l’âme, en poussant un
hurlement semblable à cet ululement que pousse l’éternelle première
femme d’Adam, lorsqu’elle traverse la mer Rouge. » (Op. cit., p. 242)
Il est difficile de savoir si ces hurlements renvoient au souvenir des
cris de sa mère, qui criait beaucoup de l’avis de tous les témoins10. Quoi
qu’il en soit, ses cris l’impressionnèrent et lui firent peur, et les femmes
dans ses œuvres crient aussi. La Dame du lac dit :
« Je crie ! Mes cris sont pleins de bravoure, ils effrayent et dispersent »
Dans la première version de L’Enchanteur qui parut dans le festin
d’Ésope, Apollinaire insistait déjà sur les cris de Lilith :
« Oï, oï, hoï, oï, oï, hoï, moi, première mère, oï, hoï, mes enfants
sont pour moi. Oï, hoï. oï, ôï, ôï, aui, hôï, hauï, ôï… Les mers, toutes
les mers, hauï, la mère avant le père, ooï, auoï comme la mer Rouge est
10 – Comme le dit M.-J. Durry : « Tout le monde était d’accord elle criait beaucoup. » (Alcools,
tome I, p. 73)
15