Rencontre, à Bar, des télévisions publiques de l`Europe du Sud

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Rencontre, à Bar, des télévisions publiques de l`Europe du Sud
Rencontre, à Bar, des télévisions publiques de l'Europe du Sud-Est de l'Europe
TELEVISION ETMULTICULTURE
Radenko Udovicic
Bar, ville située sur la partie monténégrine de la côte adriatique, a été l'hôte au mois de
mai dernier, pour la seconde année consécutive, d'une Rencontre des télévisions
publiques de l'Europe du Sud-Est, à laquelle ont participé des représentants des
télévisions publiques et gouvernementales de Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie,
Monténégro, Macédoine, Albanie, Roumanie, Moldavie, Bulgarie et Slovénie. Cette
Rencontre a été organisée par le Centre de la Communication Médiatique MEDIACOM,
qui opère dans le cadre du Festival international du Film de Bar, l'Institut Media Plan de
Sarajevo et la télévision allemande ZDF.
Le principal mérite de la Rencontre de Bar réside dans la qualité des discussions et les
rapports qui se lient entre les participants, collègues et télévisions des autres Etats.
L'année dernière déjà avait eu lieu, dans ce port monténégrin, une réunion qui pourrait
être qualifiée de révolutionnaire entre d'anciennes télévisions "ennemies", et ce aux
limites de la Croatie, de la B-H et de la Serbie. Bien que les actuels dirigeants de ces
télévisions n'aient vraiment rien à voir avec l'épisode guerrier qui s'est déroulé dans les
Balkans, ces stations de télévision traînent pourtant ce passé derrière elles. Aussi
l'intérêt de cette rencontre a-t-il été multiple - un dialogue a été entamé, les bases d'une
future collaboration jetées.
Les deux thèmes débattus au cours de la Rencontre de cette année ont été "Les médias
et la multiculture", mais aussi un problème toujours brûlant dans ces contrées, celui de
la transformation des télévisions publiques et télévisions de l'Etat.
Interrogations face à la multiculture
La multiculture par les médias représente une question 'top' pour l'ensemble du monde,
particulièrement après les attaques terroristes contre l'Amérique, du fait que l'on
s'efforce ainsi de prévenir tout conflit entre l'islam et la chrétienté. En Europe du SudEst, région multinationale où les situations de conflits sont toujours latentes, l'élaboration
de ces thèmes soulève de nombreuses interrogations, tant du point de vue de l'objectif
lui-même que de son contenu.
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Nous assistons, dans la plupart des pays de la région et plus particulièrement sur le plan
médiatique, à une véritable simplification de la notion de multiculture. Dubravka Valic
Nedeljkovic, directrice de l'Ecole de journalisme de Novi Sad et analyste médiatique,
constate que la retransmission des événements multiculturels se voit en fait réduite aux
festivals et autres manifestations du même genre. "On couvre uniquement ce qui se
passe au théâtre, au concert, dans les manifestations folkloriques, les fêtes et récitations
par des enfants", déclare-t-elle, tout en ajoutant que ces retransmissions ne peuvent en
aucun cas être considérées comme une couverture médiatique des différentes cultures
et de la diversité. "Les vrais sujets sont très rarement abordés. Par exemple, celui de
l'utilisation officielle de leur langue par les ressortissants d'une minorité dans un milieu
majoritaire, celui de l'absence de médias ou de leurs difficiles conditions de travail dans
les milieux multilinguistiques ou multinationaux. Je soulignerais tout particulièrement
l'absence de thèmes évoquant les problèmes des minorités vivant dans un
environnement majoritaire - a précisé la directrice de l'Ecole de journalisme de Novi Sad.
Dans les pays issus de l'éclatement de la Yougoslavie, mais aussi dans l'ensemble de
l'Europe du Sud-Est, la notion de multiculture se voit souvent réduite aux seuls droits
nationaux de la minorité, ces derniers étant généralement identifiés à la liberté de
religion. Une autre caractéristique propre à certains des programmes présentés à Bar
est que, dans les contributions sur les minorités, les principaux protagonistes sont des
personnes issues de régions rurales et se situant pour la plupart au-dessous du seuil de
pauvreté. On pourrait en conclure, par analogie, que les problèmes nationaux ne se
manifestent que dans les campagnes et que la pauvreté de cette population est due au
fait qu'elle appartient à une minorité, ce qui, bien évidemment, n'est pas toujours le cas.
La Bosnie-Herzégovine - pays où, juridiquement parlant, il n'existe pas de minorités
nationales, mais où les séquelles de la guerre sont telles que chacun de ses trois
peuples consécutifs se retrouve minoritaire dans de nombreuses régions et voit ses
droits de l'homme bafoués - se retrouve dans une situation particulière lorsqu'il s'agit de
produire des programmes représentant la diversité. Quelle devrait donc être la formule
pour produire des programmes exprimant cette diversité bosniaque?
Lazar Petrovic, directeur du service public de la télévision de B-H, déclare qu'il compare
souvent ce pays à un malade grave, victime d'une sérieuse attaque cérébrale et qui
devrait tout réapprendre à nouveau - à marcher, à parler, écrire, lire, étudier. "Dans cette
thérapie de l'après-guerre, l'un des principaux remèdes est le service public de B-H qui
doit réapprendre aux Bosniens et Herzégoviniens, c'est-à-dire aux Bosniaques, Serbes
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et Croates, à cultiver des valeurs qu'ils connaissaient déjà - le respect mutuel et la vie en
commun", a souligné cet ancien journaliste et actuel directeur. Comme le déclare
Petrovic, la Télevision qu'il dirige devra exprimer, à travers son programme, toute la
diversité de la société bosniaque. D'après lui, le fait même que sa télévision soit la
télévision commune de ces trois peuples à différentes appartenances religieuses
(souvent politiques aussi), est la garantie de son caractère multiculturel. " Ce qui est
particulièrement important, c'est que les programmes de la télévision de B-H propagent
la tolérance et cultivent le droit à la différence. Outre la présentation de programmes
d'informations réguliers et véridiques, c'est là notre but principal", a déclaré Petrovic.
Au cours de cette rencontre à Bar des programmes télévisuels sur la multiculture dans
les pays de l'Europe du Sud-Est ont été présentés. Les sujets abordés dans ces
émissions et contributions ont confirmé à quel point la notion de multiculture était vaste.
Partant des milieux ruraux (minoritaires) et leur pauvreté (déjà mentionnée), jusqu'à la
situation des Roms, le retour des réfugiés et certains événements culturels auxquels ont
participé des artistes appartenant à différents milieux. Un simple coup d'œil sur les
programmes projetés a suffit à comprendre à quoi se heurte chacune de ces sociétés.
C'est ainsi que le programme bulgare évoquait le problème de la minorité turque, celui
de la TV de la Fédération de B-H le retour des réfugiés et la réconciliation nationale ; les
Roumains ont projeté une émission évoquant la question des minorités serbes et
hongroises, la TV de Slovénie une autre sur le problème des réfugiés bosniaques,
toujours présents dans ce pays, alors que les Macédoniens décrivaient leur vision
panslave de la culture.
Les rédactrices de deux de ces émissions - Macédoine et Croatie - ont souligné que
leurs contributions étaient basées sur un événement précis et non le résultat de
certaines directives ou de l'obligation de faire ce qu'il fallait pour préserver l'image de
l'aspect multiculturel de leurs programmes. Daniela Drastat, chef de la rédaction des
minorités nationales à la télévision de Croatie dirige l'émission - "Prisme" sur les
minorités nationales en Croatie. Malgré le fait qu'il s'agisse d'une émission spécifique,
Drastat affirme que dans le choix de ses thèmes, elle s'inspire avant tout de ce qui est
particulièrement
important
et
intéressant,
qu'elle adopte donc une approche
journalistique. De même que Sandra Titizova, rédactrice du programme culturel de la
télévision de Macédoine, auteur du film "Odyssée macédonienne 2001", également
projeté, qui estime que la meilleure façon de produire des programmes multiculturels est
de permettre aux auteurs des différents milieux de choisir un sujet et de le présenter.
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C'est d'ailleurs ainsi qu'a été créée l'œuvre théâtrale du même nom qu'elle a élaboré et
présenté dans ce documentaire.
Promouvoir l'esprit de bon voisinage
Un ancien dicton de journalistes dit que le meilleur rédacteur est celui qui a sa propre
vision. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de la multiculture qui englobe un
large spectre de diverses influences politiques et culturologiques. "Mixer" ces influences
exige le savoir-faire du journaliste mais aussi une véritable expérience personnelle. Les
rédacteurs des télévisions de la Fédération de B-H, de Serbie et du Monténégro nous
expliquent ici quelle est leur approche.
Dzeved Tuzlic, rédacteur du programme culturel de la télévision de la Fédération de B-H
est catégorique : "La guerre est derrière nous, nous devons nous tourner vers l'avenir…il
est essentiel de réintroduire la notion de bon voisinage dans notre option quotidienne".
En B-H, les rapports de bon voisinage ont toujours représenté ce qu'il y avait de plus
précieux et ces valeurs ont été fortement ébranlées au cours de la dernière guerre. "Les
programmes de la RTV de la Fédération de B-H doivent refléter tous les phénomènes de
la société, surtout ceux qui sont l'expression de la diversité de cet Etat et de ses
peuples. Ces programmes se mettront ainsi au service des téléspectateurs, mais aussi
de cette télévision elle-même, et telle sera sa raison d'être", a déclaré le rédacteur de la
TV de B-H.
Selon Nikola Mirkov, rédacteur en chef de la RTV de Serbie, la dernière décennie a
laissé de profondes traces dans tous les domaines de la vie et aussi dans celui de la
"multiculturalité". "Je pense que l'heure est maintenant venue, sans arrière-pensées
yougonostalgiques ou politiques, d'assurer à nouveau le flux d'informations entre les
anciennes républiques yougoslaves. Je pense que l'heure est venue de suivre
attentivement ce qui est raisonnable et normal. Evoquer ce qui se passe dans toutes les
parties de notre ancienne patrie et entre tous les peuples qui la composaient, c'est là
pour nous une tâche extrêmement intéressante et je dirais même, essentielle", a précisé
Mikov, ajoutant que telle était l'orientation de la TV de Serbie.
Novica Samardzic, rédacteur du programme culturel de TV Monténégro déclare que sa
station est désormais ouverte à toutes les influences culturelles et plus particulièrement
à celles des minorités nationales vivant au Monténégro. Samardzic reconnaît qu'il y a
parfois un certain déséquilibre dans la présentation des différentes cultures, mais assure
que ce n'est jamais intentionnel. Néanmoins, selon lui, l'harmonie naturelle de la
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'multiculturalité' dans ces régions est en partie troublée par l'influence de plus en plus
grande de la production culturelle commerciale imposée par les grandes corporations.
"La tendance de ces corporations, qui exercent une immense influence partout dans le
monde - et aussi au Monténégro - est de tout mettre sur le même plan, qu'il s'agisse de
la culture nationale dominante ou de celle des minorités nationales", a déclaré
Samardzic.
L'opinion générale des participants à la rencontre de Bar a été que la multiculture et la
diversité ne devaient en aucun cas servir à créer des ghettos ou être représentées dans
des émissions spéciales. Elles doivent faire partie intégrante des programmes, ainsi
toutes les différences nationales, culturelles, religieuses, traditionnelles et autres seront
directement inclues à la vie sociale, sur le plan médiatique également. Les émissions
spéciales sont souhaitables, mais uniquement sous forme d'élaboration de la vie réelle
telle qu'elle est présentée dans l'ensemble des programmes. Dans cet esprit, l'exposé
d'Ekkhardt Gahntz, coordinateur en chef des programmes d'information de ZDF s'est
révélé très intéressant. Il a déclaré en effet que le nombre des minorités nationales en
Allemagne était extrêmement minime (environ 1%), mais que son pays avait accueilli
des millions de personnes venues de l'extérieur, qui y travaillent ou ont acquis la
nationalité allemande. "Il s'agit surtout de Turcs, de gens de l'Europe de l'Est… Nous
préparions autrefois pour eux des émissions spéciales, mais elles étaient surtout suivies
par des Allemands modérés, et ignorées par ceux auxquels elles étaient destinées.
Aussi la meilleure solution est-elle de présenter tous les problèmes, les différences et
particularités dans le cadre des programmes réguliers. Eventuellement, si l'on traite d'un
problème spécifique, on peut lui donner une plus grande dimension, afin qu'il soit mieux
compris, mais en aucun cas ne doit-il être séparé de la réalité sociale. Cela deviendra
ainsi chose normale, faisant partie intégrante de la société allemande", a précisé
Gahntz.
Le second thème de la rencontre - la transformation des télévisions d'Etat en un service
public - était étroitement lié au premier, car ce sont ces télévisions précisément qui
doivent se mettre au service de l'intérêt public lequel, du moins dans les Etats
démocratiques, devrait englober la notion de multiculturalité. Intéressante coïncidence,
c'est à Bar que les principaux dirigeants du service public de B-H ont appris que le Haut
représentant venait d'imposer une Loi sur le service public en B-H, qui en fait existe
déjà, mais elle est désormais définitivement et officiellement promulguée.
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Au cours de la Deuxième rencontre des télévisions publiques de l'Europe du Sud-Est, un
accord a été atteint sur l'échange de programmes télévisuels, échange auquel devraient
participer 12 télévisions de la région. Au début ce projet ne sera financé qu'en partie par
les télévisions concernées, le principal apport financier étant assuré par le Pacte de
stabilité pour l'Europe du Sud-Est. Cet échange est conçu de façon à ce que pour
chaque programme offert, chacune des 12 télévisions reçoivent 12 autres programmes.
Le critère de base étant que ces programmes soient de bonne qualité et techniquement
bien présentés, mais le choix des thèmes est tout aussi important, car ces programmes
devront intéresser tous les pays de la région et ce qui peut être intéressant pour un pays
ne l'est pas obligatoirement pour un autre. Telle est en fait l'essence de la diversité.
Radenko Udovicic est le rédacteur en chef de l’agence de presse SAFAX et le
rédacteur de la page d’informations de Media Online. (Traduction: N.D.) ©Media Online
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