Pour ou contre la légalisation de l`euthanasie ?

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Pour ou contre la légalisation de l`euthanasie ?
Pour ou contre la légalisation de l'euthanasie ?
Un médecin et une militante répondent aux questions de francetv
info.
"Kit suicide" utilisé par l'association suisse Exit, qui fournit sur demande des
substances létales aux malades incurables. (STEFAN WERMUTH /
REUTERS) Propos recueillis par Ariane Nicolas
Le débat fait rage depuis des années. Faut-il autoriser, sous forme de légalisation ou de dépénalisation, l'euthanasie ? Le
rapport de la mission Sicard sur la fin de vie, qui doit être remis à François Hollande mardi 18 décembre, risque de relancer la
polémique. Si le monde médical est en majorité opposé à l'autorisation de l'euthanasie, des voix s'élèvent contre ce qu'elles
estiment être une privation de liberté. Francetv info a questionné séparément Bernard-Marie Dupont, médecin, et Nicole
Boucheton, responsable associative, qui militent dans des voies différentes.
CONTRE L'EUTHANASIE
POUR L'EUTHANASIE
Bernard-Marie Dupont, généticien et diplômé de
philosophie, a publié en 2011 l'essai D'un prétendu droit de
mourir par humanité.
Nicole Boucheton est vice-présidente de l'Association pour
le droit à mourir dans la dignité (ADMD).
Bernard-Marie
Dupont, généticien et
fondateur de la société
Medethic, est l'auteur
d'un essai antieuthanasie, "D'un
prétendu droit de
Nicole
Boucheton, viceprésidente de
l'Association
pour le droit de
mourir dans la
dignité, proeuthanasie.
mourir par humanité", en 2011.
Pourquoi êtes-vous opposé à la légalisation de
l'euthanasie ?
Je pense que l'on ne peut pas répondre à une question
philosophique de façon technique, sous le couvert de la loi.
Il existe un interdit absolu dans notre société, motivé par un
principe moral : l'interdit de tuer. Si l'on brise légalement cet
interdit, on déstabilise l'essence même de notre droit positif.
Il ne doit pas y avoir de permis de tuer. Par ailleurs, je ne
vois pas pourquoi, au nom de quoi l'on devrait exiger du
personnel médical qu'il donne la mort. C'est contraire à sa
culture, à sa philosophie. Les médecins prêtent serment de
ne jamais provoquer la mort délibérément. Cette règle ne
doit pas souffrir d'exception.
Que faire des "cas limites", comme Chantal Sébire,
atteinte d'une tumeur incurable au visage, ou
Vincent Humbert, jeune homme tétraplégique, qui
demandaient tous deux le droit de mourir ?
Effectivement, on trouve toujours des contre-exemples. Mais
la question centrale est la suivante : peut-on faire une règle
Vous militez pour la légalisation de l'euthanasie en
France. Pourquoi, selon vous, la loi Leonetti de 2005, qui
prévoit l'interdiction de l'acharnement
thérapeutique, n'est-elle pas suffisante ?
Cette loi représente une avancée indéniable. Elle a replacé le
patient et ses droits au centre de la question de la fin de vie,
en permettant aux malades incurables de ne pas être soignés
avec acharnement. Mais c'est une loi qui ne résout pas tous
les problèmes. On sait d'abord que plusieurs milliers
d'euthanasies ont lieu chaque année, en France. Légiférer
permettrait de mettre fin à cette hypocrisie. Et puis c'est une
question de principe. Nous pensons, à l'ADMD, que le
patient doit avoir le droit de décider des conditions de sa
mort. Le "laisser-mourir" instauré par la loi Leonetti
condamne certains patients en fin de vie à mettre plusieurs
semaines pour mourir. L'euthanasie, ce n'est pas donner la
mort, c'est apporter un dernier soin à quelqu'un qui n'a plus
d'alternative.
Les soins palliatifs ne sont-ils pas la solution à ce
problème ?
CONTRE L'EUTHANASIE
POUR L'EUTHANASIE
pour réglementer une exception ? Le droit doit répondre à
l'intérêt général avant tout. Au nom d'un principe moral et
d'une cohérence juridique, je défends l'idée que dans certains
cas, collégialement, la décision d'euthanasier soit prise par
une équipe, bien évidemment à la demande du patient et de
l'entourage. Mais il faut être clair : la personne responsable
de l'euthanasie devra en répondre devant la justice.
Nous n'opposons pas les deux, euthanasie et soins palliatifs
doivent être complémentaires. Il faut développer ce type de
soins en France, afin de soulager au maximum la souffrance
des patients. Mais parfois, les soins palliatifs ne suffisent pas
à traiter la douleur physique. Quant aux souffrances
psychologiques causées par une maladie incurable, nous
considérons qu'elles sont à prendre en compte avec autant
d'importance. D'où l'idée que l'euthanasie pourrait
s'appliquer à des personnes qui craignent de devenir
paralysées ou, par exemple, à des malades d'Alzheimer qui
savent qu'un jour, ils ne reconnaîtront plus leurs enfants.
La Belgique autorise l'euthanasie depuis 2002. La
procédure y est très contrôlée…
Des dérives sont inévitables, a fortiori dans nos sociétés où
le quatrième âge s'étend de plus en plus. Le fait d'être
médecin n'est pas forcément un gage d'humanité. En
Belgique, à présent, certains demandent la possibilité
d'euthanasier les mineurs dès l'âge de 12 ans. Aux Pays-Bas,
l'euthanasie est autorisée pour les personnes démentes, au
nom de la dignité humaine. Qui de droit peut décider qu'une
personne est moins digne qu'une autre ? C'est dur à dire,
mais il faut parfois accepter que l'on ne puisse pas tout
maîtriser, il faut savoir être humble. Parfois, en médecine, il
n'y a pas de solution.
Vous préconisez donc un statu quo ?
Pas forcément. Il faut commencer par réécrire la loi de 2005,
qui reste trop floue, tout en conservant ses principes
fondateurs. Ensuite, je pense qu'il y a des changements plus
urgents à apporter pour les patients en fin de vie : l'égalité
face aux soins, la lutte contre les déremboursements, la
maîtrise des effets secondaires de la morphine (comme la
constipation) et plus généralement l'extension de l'esprit
palliatif au secteur curatif, car c'est au fond le seul domaine
où l'on est autant à l'écoute du patient ! L'euthanasie est en
réalité un faux problème : c'est la souffrance des patients
qu'il faut combattre.
Selon l'Insee, 1,8% des décès recensés répondraient à
une demande explicite d'euthanasie. Comment justifier
une loi qui s'appliquerait à une minorité ?
Une telle loi permettrait de tranquilliser énormément de
gens. Savoir que l'euthanasie est une alternative possible,
c'est penser, le jour venu, qu'on ne nous laissera pas tomber.
C'est donc une loi humaniste qui s'applique potentiellement à
tous et qui répond aux principes de la République : liberté,
égalité, fraternité.
Si une loi est adoptée, comment être sûr qu'il n'y aura
pas de dérives ?
Nous prenons exemple sur le modèle belge, qui semble bien
fonctionner. D'abord, la demande doit être réitérée. Si un
malade incurable indique qu'il souhaite mourir, à un
moment, ça ne se fera pas dans les cinq minutes. Il doit
également être épaulé par une personne de confiance, qui
doit veiller à ce que sa volonté soit respectée. Par ailleurs,
pour que sa demande soit validée, au moins deux médecins
doivent être consultés. Le dispositif doit enfin être réversible
jusqu'au dernier instant et une commission de contrôle doit
pouvoir être saisie en cas de doute. En Belgique, ces
garanties semblent tout à fait suffisantes.
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Source :
http://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/pour-ou-contre-la-legalisation-de-l-euthanasie_154181.html