Le colchique, une fleur d`automne
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Le colchique, une fleur d`automne
biodynamis71.qxd VIE 23/09/2010 13:56 Page 24 D E L A N AT U R E Le colchique, une fleur d'automne Tout le monde connaît la chanson «Colchique dans les prés, c'est la fin de l'été». Pour faire connaissance avec cette plante si étrange, il faut commencer par l'observer lors de sa floraison en automne. C'est surtout dans les prés riches, à terre argileuse, humide que l'on découvrira les fleurs mauve pâle du colchique parmi l'herbe verte. Une observation plus poussée au cours de l'année nous permettra d'approcher l'énigme de sa toxicité… es fleurs d'automne du colchique moment, dans paraissent bien évanescentes si on cette ambiance, les compare en esprit avec leur que le colchique proche parent, le crocus de printemps. La accomplit le ressemblance est grande mais le geste général est différent. Le crocus s'élance verticalement, ferme sur sa tige hors de la collerette de feuilles lancéolées sortant de I, II, III futures terre alors que le colchique Feuilles de feuilles semble s'élever à regret sur une l’année passée tige frêle et blanchâtre, sans Ancien feuille. 1, 2, feuilles en gaine de Pour comprendre ce geste d'ex- bourgeon l’année halaison comme si la plante était Bourgeon «à bout de souffle», il faut réaliser ce que signifie l'automne pour la plupart des plantes. C'est l'époque où les feuilles fanent, les fleurs égaleracines ment et la plante se concentre dans son Feuilles en fruit et sa graine. Le monde végétal gaine est dans un grand geste d'intériorisa- Représentation schématique du colchique en tion et de maturation. C'est à ce fleur en automne L 24 BIODYNAMIS - N° 71 AUTOMNE 2010 biodynamis71.qxd 23/09/2010 13:56 Page 25 geste inverse : fleurir, s'ouvrir, se révéler à son environnement. Une fécondation souterraine Observons précisément le geste de floraison du colchique. Au sommet de la tige blafarde se dresse un bouton blanc. Puis, dès son ouverture, les six tépales se colorent d'un mauve pastel. La fleur fragile se casse facilement. Puis elle va retomber pour disparaître sans laisser de trace, comme une apparition fugitive, un fantôme ! La suite de sa vie se passe sous terre. En fait, la partie que l'on voit en automne n'est qu'une partie de la fleur sans véritable tige (ce n'est que le pédoncule floral), les feuilles restant à la base de la fleur à l'état embryonnaire. Elles sont retenues et ne pousseront que le printemps prochain. La fécondation est particulière : le grain de pollen posé sur le sommet du pistil formera un tube pollinique qui progressivement descendra à travers le centre de la fleur pour féconder l'ovule qui se trouve sous terre. Ainsi la véritable fécondation a lieu sous terre, en fin d'automne, dans une ambiance humide, froide, obscure à l'exact opposé de la fécondation de la plupart des plantes à fleurs qui a lieu au printemps ou en début d'été dans l'air, la chaleur et la lumière. Cette fécondation ressemble à celle des champignons ou des plantes inférieures par son environnement. On ne verra plus trace du colchique jusqu'au printemps suivant. Vers mars-avril, le promeneur découvrira de grosses feuilles vertes épaisses portant en leur centre deux ou trois gros fruits verts à trois carpelles. De nombreuses personnes ne savent pas qu'il s'agit du colchique. Ces feuilles épaisses, charnues, ne subissent aucune contraction : elles entourent les fruits de manière tout à fait étonnante. Chez la plupart des plantes, les feuilles (bractées) ou les sépales entourant les fruits sont très contractés, étroits car ils sont soumis au processus de contraction menant au fruit. Par contre, chez le colchique, deux processus opposés s'interpénètrent : un processus végétatif puissant et un processus de fructification, d'intériorisation. Comment comprendre la toxicité de cette plante notamment pour les animaux domestiques et en particulier les vaches ? Interpénétration des processus Si l'on considère que la toxicité n'est pas le résultat d'un simple hasard de l'évolution mais qu'elle est l'expression de la nature de la plante, essayons de la comprendre à partir des processus agissant dans la plante. Deux processus essentiels agissent dans chaque plante : le processus végétatif et le processus floral qui conduit ensuite à la fructification. En général, ces deux processus se succèdent : les feuilles subissent une métamorphose avec une expansion suivie d'une contraction pour "laisser place" à la fleur qui a son expansion dans la formation des sépales puis pétales et sa contraction dans les étamines et surtout l'ovaire qui donnera naissance au fruit après fécondation. Ainsi le processus vital est peu à peu limité et le processus floral peut s'imprimer au sommet de la plante. Chez le colchique, ces deux processus essentiels sont inversés temporellement. Contrairement aux autres plantes, la fleur apparaît avant les feuilles, et en automne au lieu du printemps. Le fruit apparaît au N° 71 AUTOMNE 2010 - BIODYNAMIS 25 biodynamis71.qxd 23/09/2010 13:56 Page 26 printemps au centre de grosses feuilles : les deux processus (végétatif et fructifère) s'interpénètrent alors totalement. Et la tige qui élève d'ordinaire la plante vers le soleil est totalement inhibée : elle se transforme en tige souterraine renflée. Poussant dans un terrain riche, favorisant la force végétative qui se révèle dans les grosses feuilles épaisses de printemps, le colchique a inversé les processus puisque la floraison a lieu six mois avant et la fructification aura lieu au printemps au moment où toutes les plantes s'ouvrent dans leur floraison, le colchique se concentre dans son fruit. Du coup, le fruit paraît assez mal formé, gonflé, végétatif. Cette interpénétration des processus végétatifs et floraux amène la plante à se conduire un peu comme un animal ; seul l'animal est capable à la fois d'avoir sa pleine vitalité et sa qualité psychique (réalisé chez la plante dans la fleur). Ceci s'exprime pour le colchique par la présence d'une substance très toxique, la colchicine qui est un alcaloïde. On constatera chez de nombreuses plantes toxiques cette caractéristique d'interpénétration des processus : le processus végétatif n'est pas retenu, contracté vers le haut de la plante ; au contraire, il semble même s'amplifier et simultanément la fleur apparaît comme posée dans cette exubérance végétative : ceci est caractéristique chez les Solanacées comme la belladone ou le datura par exemple. Pour bien comprendre en profondeur son processus de croissance si particulier, il faut observer la plante en détail au cours de sa croissance sur une année. Bonnes observations ! JEAN-MICHEL FLORIN Colchique en fleur qui voisine avec des feuilles de pissenlit 26 BIODYNAMIS - N° 71 AUTOMNE 2010 biodynamis71.qxd 23/09/2010 13:56 Page 27 La légende du colchique Il y a bien longtemps, vivait dans un château un noble Seigneur avec ses douze filles, qui étaient belles et gracieuses et n'aimaient rien tant au monde que de danser : elles dansaient dans les couloirs du château, sur les escaliers, dans les jardins, partout. Quand l'automne arrivait, on ne pouvait plus les faire tenir tranquilles : revêtues d'habits parfumés, mauves ou roses, elles dansaient sur la prairie au crépuscule, dansaient, dansaient, dansaient. Voici que leur père tomba malade. Il pria ses filles de le soigner et de le veiller. Elles vinrent à son chevet, le soulevèrent sur ses oreillers, puis se retirèrent l'une après l'autre, allèrent enfiler leurs robes de danse roses ou mauves, et coururent à la prairie. Là, elles dansaient dans les rayons du soleil couchant, dansaient encore quand la lune se leva et inonda la prairie de ses rayons argentés. Bientôt, leur père sentit sa fin approcher. Il pria à nouveau ses filles de le veiller. Elles le lui promirent, mais bientôt se mirent à parler à voix basse, et disparurent l'une après l'autre, sauf une qui se tenait là, près de son père mourant. Il la regarda d'un air suppliant et lui dit " Je t'en prie mon enfant, reste auprès de moi ce soir, car je vais vous quitter ! " Elle hésita, mais ensuite, elle pensa à ses sœurs qui étaient déjà dehors sur la prairie et frrrtt, elle sortit, courut à sa chambre, mit la robe de danse et s'en alla en tourbillonnant vers la prairie. À peine avait-elle rejoint ses sœurs que la lumière au château s'éteignit. Leur père venait de mourir. Les sœurs eurent l'impression que des mains invisibles s'emparaient d'elles. Elles serrèrent bien fort autour d'elles leurs habits de danse. Elles se sentaient devenir de plus en plus petites et ne pouvaient plus se mouvoir. Elles voulurent appeler à l'aide, mais elles n'avaient plus de voix. Personne ne vint à leur secours. Le lendemain matin, les habitants du château trouvèrent le vieux Seigneur mort. Mais il n'y avait nulle trace de ses filles, que l'on chercha en vain. Dans la prairie, on trouva douze fleurs mauves, pâles et frémissantes qui ne poussaient pas là auparavant. On les appela les Colchiques. C'est ma grand-mère qui m'a raconté cela. Quant à l'automne, elle regardait par la fenêtre la prairie devant le parc et y voyait des colchiques, elle disait toujours : «Dieu ait pitié de ces pauvres âmes ! Sais-tu, mon enfant, que les vaches donnent du lait ensanglanté si elles mangent des colchiques vénéneux ?» «Du lait ensanglanté - quelle horreur !» pensais-je. Et en esprit, je voyais danser les belles demoiselles, à la lumière de la lune, dans leurs habits mauves jusqu'à ce qu'elles s'immobilisent, transformées en fleurs pâles, frissonnantes, dans la prairie humide de l'automne. Extrait de «Ces plantes qui nous entourent, contes et légendes choisies», épuisé Ed. Association Il était une fois N° 71 AUTOMNE 2010 - BIODYNAMIS 27