J`aime regarder les filles
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J`aime regarder les filles
J'aime regarder les filles PRIMO Salut. MALIK Attends, attends, attends, je te débarrasse. PRIMO Ouais, merci. Hé on se connaît, non ? MALIK Ouais, c'est possible. On est voisins depuis ce matin. PRIMO Non, non, on s'est vus ailleurs, je suis sûr. MALIK Ah, l'agence de location de bagnoles, le convoyage. PRIMO Ah, voilà, c'est ça. MALIK Trois fois par semaine, pour mettre du fromage dans les pâtes. PRIMO Moi c'est plutôt un coup le fromage, un coup les pâtes, mais... Merci. MALIK Tu vas où ? PRIMO Je vais chez mes parents, en province. MALIK Pour voter ? PRIMO Ouais, ouais, première fois. MALIK Hé, Mitterrand, j'espère ! PRIMO Heu, ouais, ouais, ouais. MALIK Ben, ouais ! JEAN-CLAUDE BOURRET PRÉSENTATEUR JOURNAL TÉLÉVISÉ Madame, mademoiselle, monsieur, bonsoir. Nous sommes exactement 36 398 859 électeurs inscrits pour le deuxième tour de l'élection présidentielle demain. PRÉSENTATEUR JOURNAL TÉLÉVISÉ 2 Le second tour de cette élection présidentielle risque d'être extrêmement serré. DANIEL BILALIAN PRÉSENTATEUR JOURNAL TÉLÉVISÉ Cette fois ça y est, la campagne électorale est définitivement terminée, c'est le silence après le tumulte. FRÈRE Salut merdeux ! PRIMO Salut ducon. MÈRE Oh non... commencez pas tous les deux, c'est le week-end. PRIMO Coucou maman. Ça va ? Tu pourras me rembourser le train ? MÈRE Tu fais attention avec l'argent. PRIMO Oui. MÈRE Ça va tes révisions ? PRIMO Ouais, ouais, ça avance. Je suis allé voir En attendant Godot au théâtre, de Beckett. FRÈRE Ça compte pour le bac, ça ? PRIMO Ben, à peine, ouais, ça s'appelle la culture générale. Et puis c'est pas à toi que je dois rendre des comptes, en plus. FRÈRE C'est ça... Comme l'année dernière. Tu sais combien ça a coûté à papa ton bac raté ? Et ton appart à Paris, tu sais combien ça coûte ? PRIMO Pourquoi, c'est toi qui payes ? C'est pas un appart, c'est une chambre, une petite chambre. MÈRE Ce que ça nous coûte ça nous regarde, papa et moi. Primo n'aura pas une troisième chance, il le sait très bien. Tiens, passe le fromage pour ton père. Tu prendras bien un morceau, chéri ? PÈRE Non, c'est pas la peine, j'ai les cinquante bouquets du mariage à finir. PRIMO Bonjour, papa. PÈRE Qu'est-ce que tu veux ? PRIMO Ben, non mais rien, on s'était pas dit bonjour, c'est tout. PÈRE On reçoit toujours pas tes bulletins scolaires à toi. PRIMO C'est tes mariés, ça ? Ils ont des tronches. PÈRE Pourquoi tu dis ça au lieu de répondre ? PRIMO Ben non mais rien ils ont des tronches rigolotes... PÈRE Détourne pas la conversation. Tes bulletins ? PRIMO Bon, écoute, papa, le bac c'est dans un mois et c'est le seul bulletin qui compte. PÈRE Arrête de te foutre du monde ! Ta mère et moi, quand on s'est mariés, on n'était pas plus beaux. PRIMO Je me fous pas de la gueule du monde ! C'est pas de ma faute si les gens sont moches ! PÈRE Allez, fous le camp ! PRIMO Aïe ! FRÈRE Salut merdeux. MÈRE Mais qu'est-ce qui s'est encore passé ? PRIMO Rien, je rentre à Paris. MÈRE Mais qu'est-ce que tu lui as dit ? Mais tu devais pas aller voter demain ? PRIMO Non, je m'en fous ! VOIX FILLE Au pire on se casse. DELPHINE Hé, attendez-moi ! GABRIELLE Allez ! PRIMO Bonsoir. GROUPE Bonsoir ! PRIMO J'ai oublié le code, ça veut pas, ça veut pas rentrer. DELPHINE A2346B PRIMO Ah, merci. Pardon. Ça va ? PAUL T'as pas soif, toi ? GARÇON Si, j'y vais. PAUL Merci, merci. Oh ! PRIMO Pardon. Merde, ma godasse. GABRIELLE Quoi ta godasse ? PRIMO J'ai perdu ma godasse. Ah merci. GABRIELLE Tu l'as lancée ? Non, tu l'as lancée ! VOIX GARÇON Putain, c'est la honte. FILLE Il est fou ! VOIX FILLE Quel con, putain, il est malade. (10:16) GABRIELLE Tu demandes Gabrielle. Allez on y va ? PRIMO Ah merci. Merci. GABRIELLE Vas-y. GARÇON Salut. PRIMO Salut. GABRIELLE Je suis bourrée, moi... j'en peux plus. GARÇON Allez, c'est parti. (11:06) VOIX PRÉSENTATEUR 5, 4, 3, 2, 1. François Mitterrand est élu Président de la République. (11:51) PRIMO Pardon. Salut. MALIK Ah, salut. Alors t'as vu, t'as bien voté. La prochaine fois mon père aussi aura le droit de vote. FEMME Il me faut sept chauffeurs en deux équipes. Une de trois, une de quatre. Ça fait 21 voitures à bouger, trois convoyages par équipe. Allez hop, petits papiers. Et je vous rappelle que la moindre rayure sur une carrosserie c'est la porte. Alors, Tchao ? Porfirio ? Porfirio chef d'équipe. José, Mourad, Malik, Rachid et Primo. PRIMO Yes ! FEMME Rachid, second chef d'équipe. Les autres, revenez demain. PRIMO Ah merde ! (13:52) RACHID Tu sais pas tenir un volant, toi. Allez, vas te coucher. PRIMO Hop, hop, hop. MALIK C'est vrai que tu conduis comme une brèle. PRIMO Personne m'a demandé si j'avais le permis, non plus. GABRIELLE Salut. PRIMO Salut, Gabrielle, ça va ? GABRIELLE Ça va. Bon, je te présente pas Paul. PRIMO Non. PAUL Salut. PRIMO Salut. DELPHINE Moi c'est Delphine. PRIMO Oui. DELPHINE Ah, j'aime bien tes mocassins neufs. PAUL Olivier et Sophie ? GABRIELLE Ils sont à l'intérieur. PRIMO Ah, oui, merci. GABRIELLE On y va ? PRIMO Oui, allons-y. FEMME Bonsoir. GABRIELLE Bonsoir. DELPHINE Bonsoir. FEMME Bonsoir. Bonsoir. PRIMO Bonsoir, madame. SOPHIE Moi, mon père il a un ami cambodgien, il a fui Pol Pot en 75. Et crac, il arrive ici et 6 ans après, revoilà les rouges. Il a fait une attaque, tu vois. Il est à l'hosto depuis ce matin. DELPHINE Oh la la, Mitterrand le couteau entre les dents faisant discrètement fusiller la famille « Giscard-Romanov » par la CGT. SOPHIE Hé, tu rigoles mais il va y avoir des cocos au gouvernement. DELPHINE Et alors, on avait déjà Maurice Papon jusqu'ici. GABRIELLE Qu'est-ce qu'il vient faire ici, Maurice Papon ? DELPHINE Ben c'est pratiquement un nazi et il était encore ministre du budget la semaine dernière. PRIMO Ah bon ? OLIVIER Oh, ça va, c'est du passé. DELPHINE Va dire ça aux déportés de Bordeaux en 42, aux Arabes de Paris en 61. OLIVIER Oui enfin, peut-être mais les nazis ne sont plus là, les cocos, si. Et si on rouspète ici on va se retrouver avec les chars, sur les champs comme à Prague. GABRIELLE Oh là, les mecs vous croyez vraiment que ça peut arriver en France des trucs pareil ? PAUL Non, parce qu'il va pas faire six mois le Mitterrand. Mon père a un ami qui connaît son médecin personnel, il est condamné. PRIMO Ah bon ? Ouah, c'est dingue. PAUL Il va te manquer ? PRIMO Moi ? Je sais pas, il faut voir. PAUL Attends, Primo, dis-moi, tu serais pas de gauche par hasard ? PRIMO Non, en fait, je suis, j'ai un ami qui est... PAUL Mais tu sais, on peut très bien être riche et être de gauche, c'est pas... DELPHINE Comme on peut être pauvre et sans opinion. SERVEUR Monsieur, pêche de vigne, comme d'habitude. PAUL Merci. PAUL Et toi, Primo, ton père, qu'est-ce qu'il en fait de son fric ? PRIMO Mon père ? PAUL Primo, ça vient d'où ? Il est juif ton père, ou italien, ou, ou les deux ? PRIMO Mon père est italien. Enfin il était. Il est mort. GABRIELLE Ah bon, il est mort ? PRIMO Oui, enfin on n'était pas très proches. Il était photographe de mode, il travaillait surtout en Italie. PAUL Et donc, tu n'es pas juif ? PRIMO Non. PAUL Tu sais quoi, j'ai un ami de mon père qui devait sûrement le connaître alors. Il est couturier à Milan. DELPHINE Paul a des amis partout. PRIMO Quelqu'un reveut du vin ? Je suis désolé. Pardon, je suis maladroit, c'est terrible. (17:05) GABRIELLE Merci. OLIVIER Bisous. GABRIELLE Rentrez bien. SOPHIE Bonne soirée PRIMO Bonne soirée. SOPHIE Salut. PRIMO Hop là. GABRIELLE Tu rentres chez toi à pied ? PRIMO Je peux pas, je peux pas monter ? GABRIELLE Non. Mon père est là cette nuit. Demain il va me regarder à la loupe, me dire que je suis cernée. Ça me stresse rien que d'y penser. En plus je crois qu'il faut qu'on se connaisse mieux. PRIMO À cause de Paul, c'est ça ? GABRIELLE Quoi Paul ? PRIMO Ben, je sais pas, vous vous connaissez bien, enfin vous avez l'air proche. GABRIELLE T'es parano. Paul il m'a vue naître, c'est un ami, c'est tout. Fais pas la gueule. T'as quand même pas envie de te taper une fille facile. Primo ! Mon père n'est pas là mais il y a ma mère. Elle doit faire son stretching, elle se prend pour Jane Fonda. Enlève tes chaussures. Viens, vas-y. C'est moi, je suis rentrée. Je vais dans ma chambre, j'ai du boulot. PRIMO Qu'est-ce que tu fous ? GABRIELLE Attends. PRIMO Aïe. C'est quoi ? GABRIELLE Regarde. Attends. PRIMO Tu m'as tué les yeux. GABRIELLE Regarde. Ah non. On voit que tes dents. PRIMO C'est quoi ça ? GABRIELLE Je sais pas. PRIMO C'est ton ex sur la photo, là-bas ? GABRIELLE Non, non, c'est mon père. Tu trouves ça bizarre ? PRIMO Non. GABRIELLE Tu viendras avec moi à Ramatuelle pour les vacances ? PRIMO Où ça ? GABRIELLE Ramatuelle. PRIMO C'est où ? GABRIELLE À St Tropez ! PRIMO Ah oui, St Trop, je confondais avec le... l'autre. Ouais, ben tu parles, ouais je veux bien. GABRIELLE T'es tout mou. Viens là. PROFESSEUR Ding dong, Bramsi. Primo Bramsi ! PRIMO Je suis désolé Monsieur, j'ai bossé toute la nuit. PROFESSEUR Ah oui et l'année prochaine vous faites quoi, une troisième terminale ? PRIMO Non, je fais philo en fac. PROFESSEUR En fac ? Faut au moins avoir le bac pour s'inscrire en fac. Vous avez 3 de moyenne partout. La philo c'est dans trois semaines. PRIMO Ben, je l'aurai. PROFESSEUR Hein, vous pouvez répéter, j'ai mal entendu ? PRIMO J'ai dit, je l'aurai. PROFESSEUR Ah, ben ça il faut que tout le monde en profite. Levez-vous ! Allez, levez-vous Bramsi. Répétez-nous ça. PRIMO J'ai dit, je l'aurai. PROFESSEUR C'est ça, oui. Moi je suis Gloria Gaynor, mes copines c'est les Beatles. Allez, je vous parie mille contre un que vous avez pas votre bac, Bramsi. PRIMO Ben, tope là on parie cent francs. PROFESSEUR Pardon ? PRIMO Tope là, on parie cent francs. PROFESSEUR Non, non, non. Mais je vous paye le champagne. PRIMO D'accord, ben vous pouvez déjà le mettre au frais, alors. PROFESSEUR Complètement taré. (23:31) FEMME Moussa, Primo, Rachid, leader Rachid, Mirco et Mohammed. Leader, Mirco. C'est tout. Lundi après le pot y aura du boulot, revenez. PRIMO Madame ? Excusez-moi. Comment il faut faire pour être leader ? FEMME C'est une question d'ancienneté, de régularité. PRIMO Non, mais parce que moi ça fait six mois que je viens et je suis jamais leader. FEMME Ah mais moi je veux bien que tu sois leader si Rachid te laisse sa place. MALIK C'est ça. C'est pas une réponse, ça. Pourquoi on n'a toujours pas de contrat ? Pourquoi on n'est pas déclarés ? FEMME Alors toi c'est pas la peine de revenir, tu files, t'es liste noire. MALIK Putain mais c'est dégueulasse. Salope ! FEMME Dégage ! MALIK Dégage, mais je m'en fous, je vais vous foutre l'inspection du travail, enfoirés. PRIMO Bon ben si c'est comme ça. MALIK Non, toi t'as le job, tu restes. PRIMO Ah non, non, non, mais moi si t'es viré je me vire. MALIK Mais arrête tes conneries, je vais t'en vouloir, ma parole. FEMME Bon, eh ben je tire un autre nom alors. PRIMO Non, je garde, je prends, je reste. FEMME O.K. PRIMO Primo. (25:39) PRIMO Putain mais t'es malade ! RACHID Je vais très bien. Je t'explique pourquoi je suis leader. Parce que je travaille plus vite, ça te va ? Si je devais pas me farcir des petits pédés dans ton genre je me coucherais une heure plus tôt. Alors je te conseille de pas me doubler. Le fric j'en ai besoin. Je suis pas un fils à papa, moi. PRIMO Je t'emmerde, je suis pas un fils à papa moi non plus. RACHID Quoi tu m'emmerdes moi. Ouais, t'as peur, ouais. PRIMO Je suis pas con, tu pèses trente kilos de plus que moi. Putain mais t'es un vrai con ! RACHID Un conseil connard, cherche pas à me revoir. (27:33) MALIK Ouais ? La vache ! Pardon, pardon, laissez passer, laissez passer. Tiens, bois un coup. PRIMO Merci bien. C'est des copines à toi, tu les as trouvées où ? MALIK Dans un autocar Impérial. Elles rentraient à leur hôtel. Je leur ai dit qu'il y avait mieux à voir que les magasins de l'avenue Montaigne. Là elles m'ont dit muchimuchi ! T'es mignonne, toi. Là je leur ai parlé de chambre sous les toits, de Robert Badinter, des 39 heures qu'on va avoir et pas elles. Et voilà. PRIMO Allez à la vôtre ! À la vôtre ! Paris, Paris, Paris ! Allô, allô ? Oui Gabrielle, ça va ? Ouais, ouais. Chez, chez Delphine ? Euh, aïe, aïe, aïe, ouais, non ça tombe, j'ai un barbecue justement au bord de la piscine, chez mes parents. Donc... Euh non, enfin chez ma mère, chez ma mère, ouais.... Ouais.... Ouais, ouais.... Écoute, non, donne-moi toujours le numéro, je, je, enfin on se rappelle, je, je. Arigato, arigato. Oui, non, pas toi. Je, je vais faire mon maximum pour venir. Voilà, je vais voir ce que je peux faire. Ouais. D'accord. Oui, moi aussi je t'aime. Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Il faut bien que je trouve une excuse, je vais pas y aller avec ma gueule de raton laveur là, Malik. MALIK Mais si... Si elle t'aime, elle t'aime comme t'es. PRIMO Ouais, non mais moi je suis rien, c'est ça le problème. Je suis rien, de père en fils, je suis rien ! MALIK Bon. Maintenant t'es rien, sans téléphone. (31:32) DELPHINE Je t'ouvre. Gabrielle, quelqu'un pour toi ! Putain, un raton laveur. Mais reste Primo, reste ! Qu'est-ce qui t'est arrivé ? GARÇON Ce qui est étonnant, voire émouvant, c'est la justesse des expressions populaires tout de même. Enfin, moi j'avais jamais vu une tête de raton laveur avant, je pensais que c'était une image, enfin je veux dire une image sans fondement précis, alors que justement c'est la force de l'image qui a donné l'expression « une tête de raton laveur. » DELPHINE Ça y est, t'as fini ton numéro ? GARÇON Non, non, mais bon ça va, on a dit qu'on était désolés, on dramatise maintenant. On n'est plus dans le compassionnel, on est dans l'analytique. C'est humiliant la compassion. Quand tu dis à quelqu'un « oh, mon pauvre chéri. » au final tu t'intéresses pas au chéri, mais à l'image que tu donnes de toi en disant « oh mon pauvre chéri. » DELPHINE Tu vas rester comme ça combien de temps ? GARÇON J'ai toujours été comme ça. DELPHINE Je parle pas à toi, connard. PRIMO Ben en fait le problème, c'est, c'est les hématomes. Parce qu'il faudrait, il faudrait masser pour faire circuler les tissus morts par écrasement. GARÇON Ça, ça c'est bien faux. DELPHINE Si tu veux je te masse. PRIMO Euh, non, enfin c'est gentil mais en fait quand tu masses, ça fait mal, parce que t'as des petits... GABRIELLE Ça va on va pas passer la soirée là-dessus. Je suis, excusez-moi. Je vais y aller, j'ai un mal de crâne à vomir. DELPHINE Tu veux de l'aspirine, j'en ai. GABRIELLE J'en ai chez moi. Je vais prendre un taxi. PRIMO Je t'accompagne ? GABRIELLE Écoute, je suis pas bien, j'ai la philo à réviser, je préfère rester seule. PRIMO Mais tu m'appelles. GABRIELLE Évidemment. PRIMO Demain ? GABRIELLE Oui, demain. PRIMO Ce soir ? GABRIELLE Non. Ça ira mieux demain. PRIMO D'accord. Merci. Ben je vais filer aussi. DELPHINE T'en vas pas, j'ai des trucs à te dire. T'as trouvé On ne badine pas avec l'amour ? PRIMO Merci. DELPHINE De rien. Tu l'as lu ? PRIMO Non. DELPHINE T'as vu j'ai des pieds. Enfin oui je sais tout le monde en a mais ils sont jolis, non ? Je peux passer des heures à regarder mes pieds. Pas toi ? Non, manifestement, non. Alors comme ça Gabrielle t'a demandé de venir à Ramatuelle ? Tu verrais la baraque, c'est le paradis. Au mieux t'auras une carte postale. PRIMO Pourquoi tu dis ça ? DELPHINE Je vois pas Gabrielle débarquer à Ramatuelle avec une... avec un type qui ressemble à un accident de chemin de fer. Je la connais Gaby. Elle aime pas les situations compliquées, elle aime pas les drames. À quinze ans elle a reçu un hamster, elle l'a laissé crever de soif dans sa cage mais elle a quand même réussi à pleurer pendant une semaine, après. Depuis elle dit qu'elle a trop souffert dans sa vie. J'ai rien contre laisser crever un hamster, ça peut être beau une belle agonie de hamster, mais faut pas pleurer après. PRIMO Attends, je comprends pas pourquoi tu me dis tout ça, là. DELPHINE Parce que toi t'es pas un hamster, ce serait dommage. PRIMO Écoute, t'es super adorable mais... enfin je suis amoureux. Je suis amoureux d'elle. Arrête. (37:05) RÉPONDEUR VOIX GABRIELLE Ouais, Primo, c'est moi. Alors voilà, je suis désolée mais je crois pas que ça puisse aller entre nous. PRIMO Putain, Gabrielle. RÉPONDEUR VOIX GABRIELLE Enfin ça aurait pu mais, là je crois pas, tu vois. PRIMO Non, non. RÉPONDEUR VOIX GABRIELLE Et puis mes parents veulent pas que j'invite un mec à Ramatuelle, alors deux mois sans se voir, tu vois c'est un peu dur. PRIMO Putain, merde, merde ! Non ! RÉPONDEUR VOIX GABRIELLE Je crois pas à l'amour à distance, voilà. J'aurais préféré te parler mais je me dis que t'es peut-être encore chez Delphine et c'est peut-être mieux comme ça. Voilà, je t'embrasse. (39:42) GABRIELLE Enlève tes chaussures. C'est moi, je suis rentrée, je vais dans ma chambre, j'ai du boulot. (40:33) MALIK Oh, putain, qu'est-ce tu fous ? Bon t'as rien branlé de la journée, quoi. PRIMO Pour quoi faire, y a 950 000 chômeurs. MALIK Ouais, t'as raison, laisse la place à ton ami Paul, il en a besoin, lui. Tu ferais mieux de te bouger un peu le cul. Je me suis bien marré, moi, ce soir. Tu veux voir ? Viens. Allez ! Regarde ça, deux cents affiches à moi tout seul. J'en ai collé partout dans le quartier, pour la majorité de la France. PRIMO Et alors qu'est-ce que tu veux que ça me foute la majorité de la France, Malik ? MALIK Primo, putain, tu vas pas te gâcher la vie à cause d'une pétasse BCBG, merde ! PRIMO Retire ça tout de suite. MALIK Allez ça va, je vais pas te taper dans ton état. PRIMO Malik. Arrête. MALIK Je te tiens, je te tiens. PRIMO Arrête, j'ai des articulations fragiles, je t'ai déjà dit, arrête. Aïe ! MALIK Oh non, les cons, putain. PRIMO Arrête, arrête, tu vas te faire péter la gueule pour des prunes, là. MALIK Pour des prunes ? Petit con, va. Oh, soyez sympa les gars, juste devant chez moi. Pour une fois que j'avais une belle vue. Écoutez, j'ai collé toute la soirée, tout seul. Ça m'aurait fait plaisir que ça reste au moins une journée. Revenez demain. Bon, ben si on en est là. COLLEUR D'AFFICHE Oh, tu fais pas ça. MALIK Ben quoi, vous le faites bien, vous. COLLEUR D'AFFICHE Ouais mais nous, on est chez nous. MALIK Moi aussi je suis chez moi, j'habite ici. COLLEUR D'AFFICHE 2 Bon casse-toi ! MALIK Non, je me casse pas ! J'ai le droit d'être là. COLLEUR D'AFFICHE 2 Hé, t'as pas compris ? Qu'est-ce qu'on t'a dit, toi ? Tu te barres ! MALIK Arrête, ça va, ça va. COLLEUR D'AFFICHE Tu vas voir ta gueule, toi ! COLLEUR D'AFFICHE 2 Attrape-le l'enculé ! Cet enculé. Bougnoule de merde ! Que des pédés ! Petite pute !Sale bougnoule, va ! PRIMO Putain. COLLEUR D'AFFICHE Enculé ! PRIMO Putain, mais que t'es con, mais t'es con. COLLEUR D'AFFICHE Ils sont où ? Bon, qu'est-ce qu'on fait, on continue ? COLLEUR D'AFFICHE 2 Non, non, non, on se casse. De toute façon y a que des bougnoules ici. Allez viens. MALIK Tu vois si tu passes pas ton bac, c'est que ces mecs-la peuvent continuer à me traiter de bougnoule et que tu t'en fous. HERVÉ CLAUDE PRÉSENTATEUR JOURNAL TÉLÉVISÉ « Suffit-il de changer pour avoir une histoire ? » Cette question vous inspire ? Vous auriez pu disserter pendant trois heures dessus ce matin, alors vous auriez dû passer le bac philo. PROFESSEUR Bramsi ! Qu'est-ce que vous faîtes là ? Je m'attendais pas à vous voir. PRIMO Le champagne est au frais ? PROFESSEUR Comment vous avez fait ? PRIMO Le champagne, vous l'avez ou pas ? PROFESSEUR Ben oui. On va trinquer. PRIMO Vous y avez cru ? PROFESSEUR La probabilité était proche d'epsilon mais pas entièrement nulle. Et puis de toute manière dans six mois c'est Noël, on l'aurait bu. Ah, c'est un tour de main, Bramsi, ça ! Ah, voilà ! Allez à votre bachot, Bramsi ! Mon dieu, c'est reparti. PRÉSENTATEUR JOURNAL TÉLÉVISÉ « Chèque en blanc socialiste », c'est le titre du Parisien libéré qui constate que Mitterrand dispose de la majorité absolue à l'assemblée nationale, ce que nous vous répétons depuis 6 h du matin. L'humanité : « Large majorité de gauche à l'assemblée et maintenant des ministres communistes » titre sur toute la première page notre confrère de l'Humanité. Enfin je garde pour la bonne bouche Libération qui donnait une grande fête hier soir au Palace et qui n'a pas hésité... PÈRE Vous vous rendez compte qu'ils vont abolir la peine de mort ces cons-la ? PRIMO Et si moi j'avais été condamné à mort tu serais content, non ? Enfin quoi que, c'est pas sûr. MÈRE En attendant on fête ton bac, Primo. PÈRE T'as vu ce que les rouges ont fait à l'Italie ? Tu veux que ce soit pareil ici ? PRIMO Papa, arrête, tu dis toujours la même chose. PÈRE Ouais, au moins moi je sais ce que je veux. Toi c'est un coup à droite, un coup à gauche. Tu voulais faire philo à la Sorbonne, maintenant c'est science-éco à Dauphine. Demain ça sera quoi ? Pompier ? Pilote de ligne ? Ou chanteur d'opéra ? PRIMO J'ai pas le droit de changer d'avis ? PÈRE Si, si, t'as le droit aussi de passer ta vie le cul entre deux chaises si tu veux et rien foutre. La jeunesse c'est pas une excuse. Quand on est jeune faut savoir qui on est, toi tu sais pas et en plus on dirait que tu t'en fous. FRÈRE Si ça peut aider, Marie-Ange a une idée très précise de ce qu'il est Primo. Hein ? Tu veux qu'elle te le dise ? MARIE-ANGE Non, ça va gâcher l'ambiance. FRÈRE Si, si, ben vas-y, dis-lui. PRIMO Non mais si, vas-y, ça m'intéresse. Il a raison. MARIE-ANGE Ah bon. Alors disons que t'as toujours été le chouchou à ta maman et ils t'avaient mis sur un piédestal genre statue grecque. Ils savent qu'ils se sont trompé, tu le sais et ils savent que tu le sais. Alors ils ont honte. Du coup pour avoir moins honte ils font comme s'ils s'étaient pas trompé et puis toi t'en profites. T'es un petit con, voilà. PRIMO J'y vais. MÈRE Je m'étais promis de te faire un cadeau si t'avais le bac mais je sais jamais ce qui pourrait te faire plaisir alors j'ai pensé qu'un peu d'argent... PRIMO Oh ben merci maman. MÈRE Primo, ta logeuse a téléphoné, c'est moi qui ai décroché, heureusement. J'ai arrangé les choses. PRIMO Ah bon, comment ça ? MÈRE Primo, qu'est-ce que tu fais avec ton argent ? Tu te drogues ? PRIMO Non, ça va pas, non. Non c'est juste que la vie à Paris c'est dur. C'est cher. MÈRE T'as une petite amie ? PRIMO Oui. MÈRE Ben si c'est que ça. Tu me promets de payer ton loyer régulièrement. Promis ? Sûr ? PRIMO Maman, c'est juré, juré. MÈRE Qu'est-ce que tu fais pendant les vacances ? Tu, tu vas la voir ? PRIMO Oui, je suis invité chez ses parents. Merci beaucoup. (51:20) PRIMO Merci. MALIK On y va, on y va, on travaille là ! Oh, on n'est pas là pour s'amuser. GABRIELLE Qu'est-ce que tu veux ? Me dire que je suis une garce ? PRIMO Non, te dire que je t'aime toujours. GABRIELLE Je suis avec Paul maintenant. PRIMO Ah bon ? Paul, non mais ça craint, il est... GABRIELLE Mais il est très bien pour moi. D'ailleurs je l'attends, il va pas tarder. PRIMO Écoute, on va se voir toute l'année à Dauphine, toi, ton Paul et moi, voilà. GABRIELLE C'est, c'est malin. Mais tu vas me voir, qu'est-ce que tu veux de plus ? PRIMO Mais tout. Je peux pas imaginer ma vie sans coucher avec toi tu comprends pas ? GABRIELLE Mais tais-toi ! PRIMO Quoi, « tais-toi », c'est pas une réponse ça « tais-toi » ! Écoute, soit tu m'embrasse, soit je crie comme ça là, sur la terrasse. GABRIELLE Mais arrête, c'est n'importe quoi. PRIMO C'est n'importe quoi. GABRIELLE T'es complètement dangereux, toi, faut que tu te calmes. PRIMO Pourquoi tu peux pas te calmer, toi, c'est ça ? PAUL Salut ! PRIMO Salut. PAUL C'est marrant, maintenant qu'on se connaît on se croise. GABRIELLE Je reviens. PAUL Eh ben, t'as de la suite dans les idées, toi. Ce qui est arrivé c'est de ta faute, on n'a pas idée de se faire casser la gueule à trois semaines des vacances. Tiens. Tu veux la revoir ? PRIMO Quoi ? PAUL Ailleurs qu'ici. Tu veux la revoir ? Tu verrais tes yeux. C'est évident que tu veux la revoir. Écoute, je fais un dîner fromages et grands crus chez moi, samedi. Viens ! Tu connais le chemin. Faut juste apporter une bonne bouteille. Enfin une très bonne bouteille. PRIMO Pourquoi ? PAUL Je pourrais te dire que j'aime la compétition mais c'est pas vrai parce que je suis sûr de la garder. Je voudrais que tu comprennes que Gabrielle n'est pas pour toi. PRIMO D'accord, je viens avec une très bonne bouteille. GABRIELLE Paul, on y va ? PAUL Ouais. GABRIELLE Au revoir, Primo. PAUL Ah oui, Primo, j'avais oublié ton nom. (55:07) ANDRÉ Pardon. PRIMO Papa, mais qu'est-ce que tu fais là ? PÈRE Te voilà, toi. Tu déménages. PRIMO Ah bon, mais pourquoi ? PÈRE Un loyer ça évoque quelque chose pour toi ? PRIMO Oh putain j'ai oublié de payer, c'est ça ? PÈRE T'as oublié d'en payer trois, petit con ! C'est la honte ! Ta mère en a payé un derrière mon dos parce qu'elle te couve encore à 18 ans, mais il en reste deux. Qu'est-ce que tu crois ? Que Mitterrand a aboli la propriété ? PRIMO Mais non mais je vais les payer. PÈRE Mais avec quoi ? Je suis passé à la banque, t'es en découvert ! On te donne 1500 balles par mois, qu'est-ce que t'en fous ? PRIMO Mais il me reste rien pour vivre, je travaille en plus. PÈRE On te parle pas de vivre on te demande d'étudier ! On t'a payé le bac pour ça, alors maintenant c'est la vie active ou les Assedic. Demande à ton copain, là, il s'y connaît sûrement. Tes clés. Tes clés ! Tiens, André tu fermeras. PRIMO Mais papa, je vais où ? PÈRE Allez, on a de la route. FRÈRE Tu vas pouvoir te racheter un break ? PÈRE Tu ferais mieux de te taire, toi. (56:29) MALIK Ça y est t'es allé acheter à boire ? PRIMO Regarde. MALIK T'as payé ça 1800 balles ? Non mais c'est pas possible. PRIMO Mais là je vais leur en foutre plein la vue, tu vas voir. MALIK Non mais tu vas rien foutre du tout, tu vas te faire rembourser, connard et tu leur apporte de la Kro. PRIMO Ben ouais, une bonne bouteille de bière pour une dégustation de vin ça va être classe, ça ! MALIK Non mais 1800 balles, mais... Tu te rends pas compte. Tu voles ta mère pour ça, tu voles ton père. PRIMO Ça va ta gueule ! C'est ma vie, O.K. ? MALIK Bon d'accord, je la ramène. PRIMO hop hop hop hop, touche pas à ça. MALIK D'accord, d'accord. D'accord. Alors donne-moi une bonne raison de rester ami avec un con qui vole sa mère. Oh, qu'est-ce que tu fais, là, non, non, non, non, non ! Attends, attends, attends ! Écoute-moi ! Écoute-moi ! Écoute-moi ! Tu la rapportes et tu la changes contre un pack de Kro. PRIMO Arrête, arrête ! MALIK Arrête ça Primo ! PRIMO Arrête, arrête. Tu vas la péter. MALIK Fais pas ça ! Lâche-la, lâche-la. PRIMO Si elle tombe tu rembourses. MALIK Fais pas ça, putain. PRIMO Tu vas la péter. MALIK Non, putain, 1800 balles ! Oh non... PRIMO Et hop. Bon ben... à la tienne. MALIK Amène-toi, qu'est-ce tu fous, là ? PRIMO Mambo. MALIK Admettons que t'aies un million. À 1800 balles par jour, il te faut quand même... tu sais combien de temps il te faut pour claquer un million ? PRIMO Nichte. MALIK 555 jours. Un peu plus d'un an et demi. Ben, un an et demi et dix jours. Et un milliard ? Un milliard à 1800 balles par jour, il te faut... Il te faut... PRIMO Aïe. MALIK Pardon, 1520 ans pour le claquer. Y a des mecs qui ont un milliard, même dix milliards. PRIMO Allez hop. Mais tu calcules, c'est de tête, là ? MALIK Putain, tu m'étonnes que c'est cher, y a même à manger là-dedans. PRIMO Mais non mais ça c'est parce qu'on l'a secouée, ça se fait pas normalement. MALIK Mais c'est du cinéma, ça. Un truc de faignant, y a qu'à le filtrer. Ils te font croire que c'est à toi de faire gaffe alors que c'est eux qui font pas le boulot. PRIMO À la tienne. MALIK À la tienne. Tu vas leur apporter quoi maintenant ? Tu vas leur apporter quoi maintenant ? De la Kro ? PRIMO Non, putain ! Putain mais t'es bourré ou quoi ? Mais, qu'est-ce qu'il y a mais j'ai besoin du bouchon moi je fais comment maintenant ? MALIK Tu leur apportes de la Kro. PRIMO Quoi ? MALIK De la Kro ! PRIMO T'es grave, t'es grave. PAUL Mais si, il est venu. PRIMO Salut, salut. Je savais que je serais un petit peu à la bourre alors je l'ai ouverte y a deux heures, je pense le mieux c'est de la mettre en carafe, là. PAUL Ouais, ouais. PRIMO Pardon, tiens. PAUL Je vous avais bien dit qu'il fallait l'inviter. Regardez ça, la Conseillante 1961 ? Premier grand cru de Pomerol ? Une des années du siècle. DELPHINE Salut, Primo. PRIMO Salut. DELPHINE Tu as tombé le masque. PRIMO Le quoi ? DELPHINE Tu es redevenu joli, quoi. PRIMO Ah oui, oui. OLIVIER Monsieur nous gâte. Ce n'est jamais que quelques Smic à boire. PAUL Excellent. Franchement, les gars, je trouve pas ça très distingué de rire de ça. PRIMO Bonsoir. FILLE Bonsoir. PAUL On peut cultiver le cynisme sans être grossier. PRIMO Bonsoir. HOMME Bonsoir. FILLE Bonsoir. PRIMO Bonsoir. FILLE Enchantée. PAUL Alors... PRIMO Pardon. PAUL Ayons plutôt une pensée pour nos pauvres amis... pauvres. Hein, Primo. PRIMO Pardon ? PAUL Une pensée pour nos amis pauvres. Ben ça t'ennuie pas ? PRIMO Bonsoir. NICOLAS Bonsoir. PRIMO Primo. NICOLAS Nicolas. PRIMO Bonsoir, Gabrielle. NICOLAS Je vais te chercher un verre. PAUL Mais te gêne pas Primo, y a du Aubrillon, du Chassagne Montrachet, sers-toi ! Profite ! PRIMO À chaque fois je me demande si tu me reconnais. GABRIELLE Tu fais rien pour qu'on t'oublie. PAUL En fait, Primo, les amis et moi, on voudrait enfin connaître ta position vis-à-vis des socialo-communistes parce que... on a un peu du mal à te cerner, tu vois. DELPHINE Socialo-communistes ? Bonjour le vocabulaire de con. OLIVIER Quoi ? Ce sont pas des socialo-communistes peut-être ? DELPHINE Y a des socialos, y a des cocos, ils se détestent. Et les socialos vont bouffer les cocos, c'est de la politique. PAUL Les appeler les socialo-communistes c'est aussi de la politique. DELPHINE Non. Ça s'appelle de la propagande ! GABRIELLE Pardon. PAUL Je me fous de savoir comment tu appelles ça, Delphine, c'est l'avis de Primo qui m'intéresse. Alors Primo ? PRIMO Non, attends, excuse-moi mais j'ai mieux à faire. OLIVIER C'est ton héritage à terme. PRIMO Oui enfin il y a plus important qu'un héritage. PAUL C'est ce qu'on dit quand on n'en a pas. PRIMO Bon écoute, Paul, je comprends pas pourquoi tu m'agresses. Tu m'as invité pour que je te débarrasse de Gabrielle et j'y travaille justement, alors laisse-moi faire. PAUL Espèce de trou du cul, retire ça tout de suite. PRIMO Je t'ai dis que je l'aimais, tu m'as dit « t'as qu'à la prendre », c'est pas vrai ? PAUL Gabrielle, ce type est un mytho et je te le prouve. PRIMO On verra ça une autre fois, hein. PAUL Non, non. Tu vas voir, son vin mythique, l'année du siècle, la Conseillante 61. Sur l'étiquette parce que le bouchon, qu'est-ce qu'il dit le bouchon ? Hein, il dit quoi ? Il dit Cantenac 78, un Margaux, 17 ans de moins. VOIX C'est pas possible. PAUL C'est pas un mytho qui fait ça ? Un mytho con, qui se trompe de bouchon après avoir transvasé. GARÇON Je me disais bien qu'il était un petit peu vert quand même. PAUL Alors ? Qu'est-ce que tu crois au juste ? Tu crois que parce qu'on est des gosses de riches on sait pas boire ? Qu'on a juste du fric et de la gueule ? C'est ça ? Ben tu vois, manque de pot on sait encore faire la différence entre un Medoc et un Margaux. Et c'est peut-être aussi pour ça qu'on a ce qu'on a. VOIX Bravo. PRIMO Paul. En fait c'est pas un Margaux 78 non plus. C'est juste un Madiran à 10 balles que j'ai acheté chez G20 et le bouchon je l'ai trouvé dans les poubelles de chez Taillan. VOIX C'est dégueulasse. PRIMO Ben, je suis... je suis désolé, je pensais pas te ridiculiser à ce point mais... Bonne soirée. OLIVIER Putain mais c'est dégueulasse de faire un truc pareil. PAUL Non, non, non, Primo, reste, je sais être fair play. PRIMO Non, va plutôt te faire foutre, Paul. PAUL Pardon ? PRIMO Gabrielle, je suis venu pour toi. Tu viens ? PAUL Bon allez, ça suffit. T'as bien fait de rester, ma puce. GABRIELLE Primo ! Primo ! PAUL Gabrielle ! GABRIELLE Taxi ! PAUL Gabrielle ! GABRIELLE Taxi ! PAUL Son père n'est pas mort, il est pas non plus photographe de mode, il est fleuriste dans un bled pouilleux d'Indre et Loire. Ce type te baratine depuis le premier jour. GABRIELLE C'est pas vrai ? PRIMO Je vois pas ce que ça change. PAUL T'es un mytho et inconscient. Dis-moi Roméo, quand vous aurez fait trois fois le tour de Paris sur ton vélo, qu'est-ce que tu vas lui dire ? GABRIELLE Arrête Paul ! Vous commencez à me faire chier tous les deux. PRIMO Attends Gabrielle, attends ! GABRIELLE Bande de malades ! PRIMO Gabrielle, ouvre. Gabrielle ! Gabrielle ! C'était pour rester avec toi, c'était pour te garder, c'est tout, ouvre ! Gabrielle ! C'était pour te garder que j'ai fait ça, ouvre ! Gabrielle ! Putain ! DELPHINE J'ai cru que t'étais mort. PRIMO Qu'est-ce que je fais là ? DELPHINE Tu avais très envie de me faire l'amour, je m'en souviens, tu m'as même suppliée à genou de t'accorder une nuit de folie. Après il y a un bus qui t'est passé dessus et qui a fait cette bosse-la. PRIMO Aïe ! T'es conne. DELPHINE Ce qui fait que je t'ai fait livrer en taxi. PRIMO Arrête, arrête. DELPHINE Tu as lu mon « badine » ? PRIMO Quoi « badine » ? DELPHINE « On ne badine pas ? » PRIMO On ne badine pas avec l'amour ? DELPHINE D'Alfred, oui. « Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : toutes les, tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites et lâches, méprisables... » PRIMO « Méprisables et sensuels. » DELPHINE « Toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées. Le monde n'est qu'un égout sans fond. » PRIMO « Où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange. » DELPHINE Ben dis donc, quand tu lis, toi, tu lis. « Mais il y a au monde une chose sainte et sublime... » PRIMO « C'est, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, on est souvent blessé et souvent malheureux mais on aime. Et... » DELPHINE « Quand on est sur le bord de sa tombe on se retourne pour regarder en arrière... » PRIMO « En arrière... » DELPHINE « Et on se dit, j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois... » PRIMO « Je me suis trompé quelque fois... » DELPHINE « Mais j'ai aimé. » PRIMO « Mais j'ai aimé. » DELPHINE « C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » PRIMO Arrête, putain. Arrête. DELPHINE Tu veux pas jouer au phoque informe avec moi ? Pourquoi ? Je suis moche ? Je suis conne ? Je te plais pas ? Tu pues des pieds, alors. Je pue des pieds. PRIMO Arrête. DELPHINE C'est ça ? PRIMO Delphine, arrête. Pourquoi tu ris ? DELPHINE Je ris pas, je souris. PRIMO Pourquoi tu souris, alors ? DELPHINE Toi aussi tu souris. (13:25) PRIMO Delphine ? Delphine ? DELPHINE Je suis là ! PRIMO Ils sont où les coton-tiges ? PÈRE DE DELPHINE Bonjour, jeune homme. Vous trouverez les coton-tiges à droite du lavabo dans une boîte rose. PRIMO Rose. Merci. PÈRE DE DELPHINE Il y avait une brosse à cheveux à côté des coton-tiges. PRIMO Oui. PÈRE DE DELPHINE Bon, orange, fraise, pomme et abricot. PRIMO Euh, abricot. Merci. PÈRE DE DELPHINE Moi le dimanche je fais des tartes pour ma fille. C'est ça ou rien foutre. PRIMO Merci. PÈRE DE DELPHINE Et vous, vous faites quoi le dimanche ? PRIMO Moi ? Eh ben d'habitude je lis un peu. PÈRE DE DELPHINE Ah, vous lisez. Sur les paquets de cornflakes. PRIMO Non, non je, je lis des livres. PÈRE DE DELPHINE De qui ? PRIMO Ben, j'ai pas de préférence, Paul Valéry, Nabokov, Beckett, Musset aussi. Musset. PÈRE DE DELPHINE Alors comme ça on lit Paul Valéry dans la bande de ce grand couillon de Paul. DELPHINE On n'a plus grand chose à faire avec Paul. Surtout depuis hier soir. PÈRE DE DELPHINE Ah. DELPHINE Paul a invité Primo au dîner, genre « tu viens mais avec une bouteille à 1000 balles » or il savait très bien que Primo était fauché. PÈRE DE DELPHINE Ah, c'est toi ! Ah mais Delphine m'a raconté. DELPHINE Alors Primo s'est ramené avec une bouteille... PRIMO Attends, t'as raconté quoi, quand ? DELPHINE Quoi, j'ai raconté quoi, quand ? J'ai rien raconté. PRIMO Si, enfin t'as raconté que j'étais fauché, c'était quand ? Depuis quand tu sais que je suis fauché ? DELPHINE Ça je l'ai vu dès le début. Et Paul aussi. Enfin fauché, non mais on voyait bien que... Il y a que Gabrielle qui a rien vu. En même temps elle ne voit qu'elle. Mais qu'est-ce que tu fous ? Qu'est-ce qu'on t'a fait ? Mais arrête tes conneries. PRIMO Il est où mon slip ? Je l'ai pas retrouvé. Ah d'accord. DELPHINE Mais reste, il y a rien de grave. PRIMO Ouais, non, je sais, l'honneur des pauvres c'est pas grave. DELPHINE Oh, dis pas ça, je suis pas comme ça, moi. PRIMO T'es comment, toi ? T'en connais beaucoup des pauvres avec des pères qui font des bouquets de marguerites toute la journée ? DELPHINE On s'en fout de ton père. PRIMO Non, on s'en fout pas de mon père ! Mon père il est là. Chaque putain de geste que je fais, chaque départ c'est pour m'en débarrasser, tu comprends ça ? Puis tu vois j'ai beau m'agiter ben j'y arrive pas. Alors non, on s'en fout pas de mon père. DELPHINE O.K. Moi ça fait des mois que je rêve de toi donc dis-moi que je suis pas folle. PRIMO Non mais c'est ça le problème, Delphine, c'est que je suis un rêve pour toi, tu vois, un truc qui disparaît comme ça, le matin. Comme pour Gabrielle, en fait. DELPHINE Gabrielle, elle savait pas et si j'avais été salope je lui aurais dit. PRIMO T'en es capable, non ? PÈRE DE DELPHINE Qui est-ce qui a reçu une gifle ? Ah bon alors ça va. DELPHINE Alors, qu'est-ce que t'attends ? Tout ce que tu cherches c'est un prétexte pour aller la retrouver alors vas-y. PRIMO Mais non. DELPHINE Quoi mais non ? Tu l'aimes plus ? PRIMO Non. DELPHINE C'est un petit non, ça, c'est timide. Et puis c'est dommage parce qu'elle, elle t'aime encore. Oh arrête de faire ton innocent, t'as vu comme elle te bouffait des yeux hier soir ? Et tout à l'heure elle m'a téléphoné. Elle m'a dit que t'étais l'amour de sa vie, qu'elle avait eu envie de toi au premier regard et qu'elle regrettait d'avoir pris ce taxi. PRIMO Tu te fous de moi ? DELPHINE Elle m'a dit aussi qu'elle avait compris que t'étais fauché et que c'est pour ça qu'elle est amoureuse de toi, parce que t'étais fier et gonflé. Elle a dit aussi que vous étiez faits l'un pour l'autre. Ça te ferait chier que ce soit pas vrai, hein ? Ben si c'est vrai, t'as qu'à y aller. PRIMO Je croyais que tu m'aimais. Tu dirais pas ça si tu m'aimais. DELPHINE T'es nul. Barre-toi ! MÈRE DE GABRIELLE Oui ? PRIMO Oui, bonsoir, excusez-moi de vous déranger, je voudrais parler à Gabrielle, s'il vous plaît. MÈRE DE GABRIELLE Gabrielle ? Elle vous attend ? PRIMO Oui. Enfin je crois, c'est Primo. MÈRE DE GABRIELLE Primo ? Un instant. GABRIELLE Primo ? PRIMO Oui. GABRIELLE Mais t'es taré, t'as vu l'heure qu'il est ? PRIMO Gabrielle il faut que je te parle. GABRIELLE Écoute, il vaudrait mieux que tu te calmes. PRIMO Non, je peux pas, je sais que tu veux me revoir. GABRIELLE Moi, je veux te revoir ? Qui t'a dit ça ? PRIMO Delphine. Gabrielle, t'es là ? GABRIELLE Écoute, je sais pas pourquoi Delphine t'a dit ça mais elle l'a inventé. Je crois qu'elle est folle. PRIMO Gabrielle, fais-moi monter, je t'en supplie, je, je veux savoir quelque chose. GABRIELLE Non, c'est pas possible. J'aimerais bien mais mon père est là. PRIMO Non mais il faut que je te revoie, je sais plus quoi faire, là. Ouvre. GABRIELLE À la fac, demain. PRIMO Non, maintenant, maintenant. GABRIELLE Il faut que je te laisse. Il y a mon père. Je t'embrasse. Bonne nuit papa. PÈRE DE GABRIELLE Bonne nuit. C'était qui ? GABRIELLE Je sais pas, une erreur. Mais t'es malade. PRIMO Salut. GABRIELLE Comment t'as fait ? Bon, écoute, je vais te faire sortir par la porte sans faire de bruit, d'accord ? PRIMO D'accord mais demain matin. GABRIELLE Ah non. Tu me lâches ou j'appelle mon père ? PRIMO Mais pourquoi ? GABRIELLE Parce qu'on rentre pas chez les gens par la fenêtre. PRIMO Ah mais si au contraire, il y a toute une tradition chez moi. GABRIELLE Papa ! PRIMO S'il entre, je saute. PÈRE DE GABRIELLE Oui ? GABRIELLE Non rien. PRIMO Bonsoir. PÈRE DE GABRIELLE Qu'est-ce qu'il fait là celui-là ? GABRIELLE Je, je, je sais pas, je le connais pas. PRIMO Quoi ? PÈRE DE GABRIELLE Quoi ? GABRIELLE Primo. Primo ! PRIMO Ah, bonjour. PÈRE DE DELPHINE Ah, ben t'es encore dans le coup, toi ? C'est gentil. PRIMO Non, c'est... PÈRE DE DELPHINE Non, allez, entre. PRIMO Merci. GARÇON Oh, oh, voilà monsieur pas de chance. PRIMO Salut. GARÇON Ce qu'il y a de bien avec toi c'est qu'on a toujours l'impression que t'es un nouveau copain, t'as jamais la même tête. Non mais sérieux, pour faire tes photos d'identité, faut choper le bon moment. DELPHINE Bon, Primo, il va pas s'arrêter tant que tu seras là. Alors quoi, t'es venu pour t'excuser ? Excuse-toi et casse-toi. PRIMO Je te ramène ton walkman. Et puis je t'ai pris un Paul Valéry aussi. DELPHINE Merci. GARÇON Bon, ben on va vous laisser. Vous venez les gars ? Oh, Fred, on se bouge, là. PRIMO Je suis venu... DELPHINE Oui, dis-moi pourquoi t'es venu, ça m'intéresse. PRIMO T'as le droit d'être méchante. DELPHINE Méchante ? Moi, méchante ? Alors, tu es venu ? Tu es venu pour que je te regarde ? Pour que je m'apitoie ? Tu es venu pour voir si j'avais encore mal ? PRIMO Non, je suis venu pour te dire... DELPHINE Pour me dire quoi ? Que tu es vivant ? Youpi, il est vivant, hou ! PRIMO T'as vu, j'ai des pieds. DELPHINE Putain tu crois que tu vas réussir à me faire rire, là ? J'y crois pas. Et des genoux, t'as des genoux ? Je te demande si t'as des genoux. Parce que tes pieds ça va pas me suffire. C'est bon, tu peux partir, maintenant.