Cahier de L`Herne n°92 : Scholem - Philosophie | Académie d`Amiens

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Cahier de L`Herne n°92 : Scholem - Philosophie | Académie d`Amiens
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Dépister dans l’histoire
l’autre de l’histoire.
Sur le Sabbataï Tsevi de Gershom Scholem
Jürgen Habermas
Les Grands Courants de la mystique juive de Gershom Scholem ont paru en allemand seize
ans après la publication de l’original anglais. Ceux qui, à l’époque, avaient tenu cet ouvrage pour
l’opus magnum de ce grand spécialiste de la kabbale, se virent bientôt détrompés, car, la même
année, en 1957, Scholem publia une vaste biographie de Sabbataï Tsevi, cet homme qui, en 1666
à Constantinople, quitta le mouvement hérétique qu’il avait déclenché pour se convertir à l’islam.
Le livre ne fut traduit en anglais qu’en 1973, dans une version augmentée qui reçut l’aval de
Scholem. Il fallut encore presque deux décennies pour que voie le jour en Allemagne la traduction
depuis longtemps prévue 1. Le livre comprend 1 093 pages, nombre qui n’eût pas convenu au sens
qu’avait Scholem pour la gematria kabbalistique. Quand, lors d’une de mes visites à Jérusalem, il
m’offrit un exemplaire de la version en anglais, Scholem me montra d’un regard entendu la dernière
page : c’était la page 1000, tout rond. Sans doute pensait-il au caractère utopique de ces mouvements millénaristes auxquels la fin de notre siècle réservait en fait un jugement plutôt empreint
de scepticisme. Bien sûr, Scholem n’ignorait pas que le foliotage était dû au hasard ; néanmoins,
son allusion malicieuse voulait ne pas trancher la question de savoir s’il ne fallait voir là qu’un effet
du hasard.
Ce geste témoignant d’une ambiguïté intentionnelle imprègne toute l’œuvre de cet érudit qui
mobilise l’arsenal de la critique des sources pour, en tant qu’historien, se mettre en quête d’une
vérité que la tradition historique a plutôt masquée que dévoilée. Cela ne vaut pas seulement pour
la vérité du mouvement sabbatéen. C’est toute la philologie qui s’est attachée à l’histoire de la
kabbale que Scholem tenait pour une entreprise ironique : « Reste-t-il dans ce brouillard, et discernable pour le philologue, quelque chose de la loi qui commande la chose même, ou bien n’est-ce
pas précisément l’essentiel qui s’estompe dans cette projection historienne ? L’incertitude de la
réponse à cette question ressortit à la nature de la problématique philologique elle-même ; ainsi,
l’espoir dont vit ce travail conserve-t-il quelque chose d’ironique 2. »
De quel espoir s’agit-il ici ? Les comptes rendus des mystiques ont dû nourrir chez Scholem
une attente qui, en d’autres générations, était suscitée par les paroles des prophètes. Scholem a cru
que l’illumination mystique était un don. Et le fait est qu’il n’a rencontré pareille faculté d’inspiration qu’une fois, comme il me l’a dit, dans la personne de son ami Walter Benjamin. Dans une
dédicace de 1941, Scholem définit ainsi le génie de son ami : « La profondeur du métaphysicien,
la pénétration du critique et l’érudition du savant 3 » – il n’a pas évoqué à cette occasion le don
mystique. Mais l’attachement dont il a témoigné toute sa vie à cet ami, l’opiniâtreté passionnée
avec laquelle il a jusqu’au bout suivi les traces évanouies du manuscrit prétendu perdu des « Passages
parisiens », disent assez que Scholem a vu en Benjamin un esprit visité par des illuminations.
Ce qui s’ouvre à la puissance du regard tourné vers l’intérieur, la vision mystique, se dérobe
cependant à la parole, au médium de la transmission. La nature de la vérité mystique est paradoxale :
« Elle peut être connue, mais on ne saurait la transmettre, et c’est justement ce qui, en elle, devient
transmissible qui ne la contient plus 4. » Dans l’histoire, Scholem cherche l’autre de l’histoire.
L’inquiétude quant à ce paradoxe est en même temps le moteur de son travail d’historien.
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C’est également cette inquiétude qui explique l’intérêt porté à ces mouvements hérétiques
qui, en pratiquant une intentionnelle transgression des normes, entendaient définitivement surmonter le mal, et accélérer la venue de l’époque messianique. Benjamin avait découvert l’antinomisme dans une tout autre sphère, dans le surréalisme contemporain qui voulait susciter des
sentiments ambivalents grâce à des attaques calculées contre des modes pétrifiés de perception, et
renouveler de très anciens chocs. Pour Scholem, de telles expérimentations esthétiques ne pouvaient
apparaître que comme de pâles imitations des actions antinomistes dont avait surgi une force
incomparablement plus grande de renouveau. Scholem, érudit bourgeois, ne s’est certes pas identifié
à l’extrémisme religieux. Il a sans ménagement montré quels aspects pathologiques grevaient la
figure scintillante de Sabbataï Tsevi, et en a démasqué la charlatanerie. Mais, en même temps, il
souligne la force innovatrice des mouvements hérétiques. Au-delà des documents qu’on peut analyser en historien, ils livrent les témoignages les plus pertinents de la réalité d’une connaissance qui
se soustrait, dans son noyau non verbalisable, à la transmission historienne.
Le sabbatianisme est d’abord, à vrai dire, l’avant-dernier maillon de la concaténation des effets
historiques de la kabbale que Scholem met au jour à partir d’obscures sources livrées par des
manuscrits altérés.
1) Il traite tout d’abord de la doctrine d’Isaac Louria qui fonde en Palestine, à Safed, au
milieu du XVIe siècle, une école au vaste rayonnement. La mystique de Louria rompt essentiellement,
dans une certaine perspective, avec les idées qui dominaient la kabbale médiévale tardive du Zohar.
Les instruments néoplatoniciens de cette kabbale lui permettaient de définir sur le mode uniquement privatif le mal et le non-vrai, surtout les phénomènes négatifs relevant du dommageable, du
morbide ou de l’hostile – autrement dit, en les définissant comme des perturbations ou des affaiblissements des idées, pour ainsi dire comme des impuretés matérielles affectant l’être idéal. Au
négatif faisait défaut l’aiguillon d’un sens propre, le caractère de ce qui résiste, voire de ce qui est
productif. Or c’était d’emblée priver de son acuité la question de la théodicée. La question de
savoir pourquoi, dans un monde créé par Dieu, le mal est tout simplement possible, ne peut
parvenir à une consistance que si nous prenons au sérieux le négatif dans sa positivité singulière,
et si nous le ramenons à une origine dans le processus de la vie divine.
C’est précisément ce à quoi répond l’idée développée par Louria d’un tsimtsoum originel. Dieu
qui, à l’origine, est tout, se retire en lui-même, se replie pour ainsi dire sur soi pour laisser place
à ses créatures. Cette représentation d’un retrait en soi ou d’un repli sur soi est censée expliquer
le néant à partir duquel alors Dieu crée les cieux et la terre. Grâce à cette contraction initiale
(comme le dira Jacob Böhme en s’accordant singulièrement avec la mystique de Louria), surgit
une nature en Dieu, un nœud de sens propre et d’égoïté. Entre le pôle de ce principe obscur en
Dieu et celui de son amour rayonnant une tension détermine déjà le processus idéal de création
qui se déroule encore dans la pensée et le corps divins. Il s’achève dans la personne du premier
Adam, l’Adam kadmon. Plus exactement, il se fût achevé dans cette figure si une catastrophe n’avait
surgi. Les vases qui ne pouvaient plus contenir les étincelles de la lumière divine se brisèrent. Cet
événement fâcheux confère un autre sens au processus créateur : ces étincelles répandues et dispersées doivent être de nouveau rassemblées au lieu de leur origine légitime. La résurrection ou
restauration de l’ordre originaire – le tiqqoun – fût enfin parvenue à son but avec la création du
second Adam, l’Adam terrestre si la catastrophe ne s’était reproduite avec le péché. Cette fois, le
processus créateur échappe pour ainsi dire aux mains de Dieu, car c’est alors que la création sort
de l’intériorité divine pour la première fois et se poursuit dans l’histoire universelle externe.
2) Le deuxième moment dans la chaîne des conséquences historiques de la kabbale, c’est
l’écho que la mystique de Louria trouve alors dans le peuple juif, durant le siècle des grands
mouvements migratoires déclenchés par la Reconquista et l’expulsion des Juifs d’Espagne. Cet
événement ébranle l’ensemble du monde juif. Il confère à l’expérience originelle de l’exil une
actualité renouvelée. À la lumière de la mystique de Louria, le sens sotériologique de cet exil subit
une nouvelle interprétation. On le comprend, en effet, comme la répétition de l’exil entrepris par
Dieu en son sein même avant toute création. Louria déjà représente d’ailleurs la contraction initiale
comme un bannissement auquel Dieu doit lui-même se soumettre afin de pouvoir déclencher le
processus créateur. Désormais, ce drame, riche de tensions, du devenir divin devient le modèle,
plein de promesses, de l’histoire terrestre. Après le péché, une part de la responsabilité dans la
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résurrection du monde déchu a été, en effet, transmise aux hommes : « Le processus historique et
son âme la plus secrète, à savoir l’activité religieuse de chaque Juif, préparent la restitution de
toutes les étincelles et lumières éparpillées, exilées dans la matière [...]. Tout acte humain est en
rapport avec cette tâche dernière dont Dieu a chargé ses créatures [...]. Le salut d’Israël englobe le
salut de toutes choses 5. »
Pour Louria, l’apparition du Messie n’était à vrai dire que le sceau apposé pour conclure un
processus de restauration accompli par le croyant lui-même. Au sein des communautés juives
marquées par les expériences de l’exil et menacées par d’autres pogromes, les accents se déplacent.
Face à la puissance de la prière, l’attente du Messie vient au premier plan. On voit se développer
un intérêt pour le rôle et la personne du Messie qui était naguère étranger au lourianisme classique.
3) Le segment décisif dans la chaîne des conséquences est donc la doctrine de Nathan de
Gaza. Avant même sa rencontre cruciale avec Sabbataï Tsevi, il avait eu des visions qui furent pour
lui le prétexte à interpréter d’une manière nouvelle le rôle du Messie. L’âme de ce dernier qui, dès
la « rupture des vases », avait sombré dans l’abîme est maintenue prisonnière par les forces du mal.
Elle est le serpent sacré cerné par les serpents du mal. Ainsi, l’existence du Messie devient-elle
profondément équivoque. Au dernier acte du drame universel de la rédemption, se reproduit une
troisième fois la dialectique initiale de l’obscurcissement, déjà mise en œuvre à deux reprises, dans
la brisure des vases et le péché d’Adam. C’est qu’en fin de compte le Messie, précipité dans l’abîme,
ne peut vaincre les forces ultimes les plus tenaces du mal qu’en recourant à ses propres moyens.
Nathan décrit cette lutte sous la forme d’un commentaire de l’Apocalypse : le Messie fera des
choses étranges et terribles, il s’abandonnera au martyre pour réaliser la volonté de son créateur.
En 1941, dans Les Grands Courants..., Scholem avait écrit : « Ce n’est pas mon but ici de
décrire la montée rapide et l’affaissement soudain du mouvement sabbatéen en 1665 et 1666,
depuis la proclamation par Sabbataï Tsevi de sa mission messianique jusqu’à son renoncement au
judaïsme et sa conversion à l’islam, quand il fut conduit devant le sultan de Turquie. Je n’ai pas
à insister sur la biographie du Messie et de son prophète, Nathan de Gaza, ni sur les détails de ce
formidable mouvement religieux qui se répandit comme une traînée de poudre dans toute la
diaspora, déjà préparée, pour ainsi dire, à un tel événement par l’influence du nouveau kabbalisme.
Il suffit de dire que des foules considérables étaient en proie à une grande exaltation et s’infligeaient
les formes les plus extravagantes de pénitence [...]. Mais en même temps que la pénitence, éclatèrent
aussi une joie et un enthousiasme sans limites, car enfin il y avait une preuve, semblait-il, que les
souffrances des 1 600 années n’avaient pas été vaines. Avant l’arrivée de la rédemption, beaucoup
sentaient que son approche était réelle. Une émotion d’une force intense s’empara de la masse du
peuple, et, pendant une année entière, les hommes menèrent une vie nouvelle qui resta, durant
plusieurs années, leur première pénétration dans une réalité spirituelle plus profonde 6. »
C’est exactement ce programme qu’il réalisera par la suite en faisant usage d’une immense
érudition historico-philologique. Le fait que, sur les huit chapitres de l’ouvrage, il en consacre
moins d’un à Nathan de Gaza ne doit pas, à vrai dire, faire illusion sur l’identité du protagoniste.
Nathan est le régisseur du spectacle où Sabbataï Tsevi n’est que la marionnette.
Au printemps 1665, Sabbataï Tsevi cherche à rencontrer Nathan tout d’abord uniquement
pour apaiser son âme. Il va le trouver comme un patient son psychothérapeute. C’est Nathan seul
qui le persuade, durant des semaines de conversations, de sa vocation de Messie. Et seule l’autorité
incontestée de l’érudit Nathan de Gaza est en mesure de convaincre même les plus anciens amis
et disciples de Sabbataï Tsevi qu’il est bien le Messie. Nathan est le prophète qui fait du Messie
le Messie : « Le caractère de Nathan était fort différent de celui de Sabbataï Tsevi. Nous tenterions
vainement de retrouver dans le Messie les remarquables qualités de son prophète : l’activité infatigable, la persévérance constante sans les hauts et les bas propres au tempérament maniacodépressif, l’originalité de la pensée théologique et le très grand talent littéraire. Les tâtonnements
théologiques de Sabbataï [...] ne sont que de pâles tentatives en comparaison des audacieux systèmes
qui font de Nathan le premier théologien de la pensée kabbalistique hérétique. Malgré tout son
charme, sa dignité, sa séduction [...], Sabbataï manquait de force de caractère. [...] Même dans ses
moments d’exaltation maniaque, il ne passait pas réellement à l’“action”, et l’excitation provoquée
par ses attitudes provocatrices retombait sans qu’elle ait entraîné aucune conséquence durable. À
l’apogée du mouvement, il demeurait passif et tout son engagement se réduisait à des actions
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étranges, de plus en plus étranges. Les deux hommes se complétaient d’une façon remarquable et,
sans cette union, le mouvement sabbatéen n’aurait jamais pris son essor. Sabbataï n’avait pas
l’envergure d’un meneur. Dénué de volonté et sans programme d’action, il était la victime de sa
maladie et de ses illusions 7. »
4) Pourtant, si c’est ainsi que se présente à Scholem la relation entre ces deux protagonistes,
pourquoi a-t-il mis tout son amour-propre dans une biographie de Sabbataï Tsevi ? Pourquoi, avec
une passion positiviste qui eût fait honneur aux plus éminents érudits de l’École historique allemande, a-t-il traqué en détective, sur plus de mille pages, et jusque dans le plus infime détail ce
Messie équivoque, en déployant devant nous avec tant d’éclat comme une sorte de roman historique
préparé selon la méthode propre à la critique des sources ? Pour répondre à cette question, il nous
faut examiner le dernier segment de la chaîne des conséquences historiques de la kabbale : le
basculement du messianisme hérétique vers ce que Scholem appelle « nihilisme religieux ».
Il l’examine en prenant pour exemple la figure populiste de Jacob Frank qui apparut en Galicie
en se donnant pour la réincarnation de Sabbataï Tsevi, et qui se convertit au catholicisme en 1759.
Jacob Frank lui aussi pratiqua la descente vers l’abîme considérée comme moyen subversif de salut :
« Dégage-toi de toutes les lois et de tous les préceptes, de toutes les vertus, de l’abstinence et de la
chasteté. Dégage-toi même de la sainteté. Descends en toi-même comme dans un tombeau 8. »
Désormais, la doctrine antinomiste de la sainteté du péché ne rend plus simplement compte des
actions étranges du Messie, elle est érigée en loi de la pratique de toute la communauté qui rompt
avec les normes.
Ce qui fascine Scholem dans ces phénomènes, c’est le revirement du messianisme en Aufklärung, car les énergies utopistes libérées par le messianisme hérétique seront finalement réorientées,
par la Révolution française, pour servir à des fins profanes. C’est l’évolution à laquelle obéit de
manière exemplaire le frankiste Moses Dobruschka qui, devenu catholique sous le nom de Thomas
von Schönfeld, se fit porte-parole des Lumières voulues par Joseph II, fonda une loge maçonnique,
et, après le déclenchement de la Révolution française, devint jacobin à Strasbourg : « En avril 1794,
à quarante ans, il gravit, en même temps que Danton, les marches de l’échafaud sous le nom de
Junius Frey 9. »
C’est seulement ce basculement de la religion vers les Lumières qui éclaire l’intéressante liaison
entre l’histoire de la réception de la kabbale et la compréhension que Scholem lui-même en a en
tant que spécialiste de ces courants. Scholem est un historien qui ne peut pas revenir en arrière
après avoir franchi le seuil de la rationalité critique en histoire, et qui néanmoins refuse de se
contenter du « voile brumeux dont la discipline historienne nimbe le sanctuaire de la chose même
en histoire de la tradition mystique ». Les Lumières, pour Scholem, sont une fatalité, mais elles ne
doivent pas avoir le dernier mot. Il a constamment tenu Marx et Freud pour les vrais apostats ; il
est persuadé que les impulsions religieuses des derniers sabbatéens ne sont pas non plus passées
intégralement dans l’utopie politique. Cependant, nous sommes tous devenus les enfants de la
Révolution française. Scholem a ressenti le basculement de la religion vers l’Aufklärung comme
tout aussi inévitable qu’insatisfaisant. Et la recherche historico-philologique de la kabbale reste
prise dans cette discordance.
Il ne restait donc d’autre solution à Scholem que celle d’intégrer le thème antinomiste à sa
propre pratique ; il se plongea dans le positivisme pour dissiper de l’intérieur le brouillard dissimulant les faits historiques. L’aliénation scientiste voulue à l’examen critique du matériau historique
était censée le rapprocher d’une vérité qui, pourtant, transcende toute histoire puisqu’elle ne se révèle
qu’au regard intérieur. Je considère que ce travail obsédé par le détail consenti pour cette biographie
de Sabbataï Tsevi, admirable selon tous les canons de l’art universitaire, est aussi un exercitium, un
« exercice » spirituel par lequel Scholem voulait au moins circonscrire les visions d’un Nathan de Gaza.
Une seule fois dans ses « Dix propositions non historiques sur la kabbale », Scholem lève son masque
de chercheur pour se montrer sous les traits du théologien négatif. La troisième proposition traite de
la nature de médium propre à toute connaissance qui, précisément, est médiatisée par la tradition et
l’interprétation, connaître qui, sans cesse, désespérément, se heurte à l’absence d’objet de la connaissance suprême, réservée à l’inspiration mystique. Cette réflexion débouche sur cette phrase qui n’est
pas sans espoir : « Le « qui ? » est le dernier mot de toute théorie, et il est bien étonnant qu’elle aille
assez loin pour se débarrasser du « quoi ? », lequel grève son début 10. »
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Ce texte est d’abord paru dans la revue Babylon, no 10-11, 1992, p. 139-145, avant d’être repris dans J. Habermas, Vom
sinnlichen Eindruck zum symbolischen Ausdruck, Francfort/M., Suhrkamp, 1997, p. 73-83.
Traduction de l’allemand par Marc de Launay.
NOTES
G. Scholem, Sabbatai Zwi, Francfort-sur-le-Main, Jüdische Verlag (Suhrkamp), 1992.
G. Scholem, « Dix propositions non historiques sur la kabbale », dans Aux origines religieuses du judaïsme laïque, Paris, Calmann-Lévy, 2000, p. 249. [On donne à la suite les renvois aux textes de Scholem non d’après les éditions allemandes citées
par Jürgen Habermas, mais d’après les éditions françaises].
3. Il s’agit de la dédicace du livre Les Grands Courants de la mystique juive (1946) (N.d.T.).
4. Aux origines religieuses..., op. cit., p. 250.
5. G. Scholem, Les Grands Courants de la mystique juive, Paris, Payot, 1994, p. 292 (trad. modifiée).
6. Ibid., p. 306.
7. G. Scholem, Sabbataï Tsevi, Lagrasse, Verdier, 1983 (trad. française de M.-J. Jolivet et A. Nouss), p. 216-217.
8. G. Scholem, Aux origines religieuses du judaïsme laïque, op. cit., p. 238.
9. Ibid., p. 242.
10. Ibid., p. 251.
1.
2.
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